Respirer oriental 01/10/14
Père Jean-Claude Brunetti,
Délégué des diocèses de Savoie aux relations avec les Eglises
orientales,
Délégué et correspondant de l’Œuvre d’Orient dans les
diocèses
http://www.oeuvre-orient.fr
Il est certain que des chrétiens d'Occident sont attentifs à ce que vivent leurs frères du Moyen-Orient,
et qu'ils les soutiennent concrètement à travers des associations comme l'Œuvre d'Orient, par exemple.
Mais au niveau de l'ensemble des chrétiens, de l'opinion publique chrétienne (si je peux ainsi
m'exprimer) il me semble qu'il y a un manque d'attention qui ne date pas d'aujourd'hui…
- Dans les années qui ont suivi la première guerre mondiale, un certain nombre d'Arméniens, rescapés
des massacres ottomans, se sont réfugiés en France. Comme tous les autres immigrés, ils ont été priés
de s'intégrer en faisant le moins de vagues possible. Certains ont francisé leur nom (Aznavourian est
devenu Aznavour) et d'autres en ont carrément changé (Achod Malakian est devenu Henri Verneuil)
pour que le regard que nous portions sur eux soit plus affable.
Ils ont réclamé longtemps, dans l'indifférence générale, que la tragédie qui les avait conduits en exil
soit condamnée au regard de l'Histoire. Il fallut, hélas, que certains jeunes arméniens en arrivent à des
actes terroristes pour que le Parlement Européen se saisisse de la question et reconnaisse, en juin 1987,
qu'ils avaient subi un génocide. Le parlement français n'a adopté la même décision qu'en janvier
2001…
Ce manque d'empathie se nourrissait,
peut-être en partie, de notre arrogance religieuse.
- En 1922 nous avons fermé les yeux sur les incroyables transferts de population organisés par les
Turcs : Tous les Grecs Orthodoxes (environ 1 300 000) installés depuis des siècles en Cappadoce ou
sur les bords de la Mer Noire (Trébizonde) furent transférés en Grèce d'où on rapatria 385 000 Turcs.
- En 1932-33, nos journaux évoquèrent à peine les massacres de chrétiens Assyriens en Irak (coup de
grâce donné à une communauté déjà tellement persécutée qu'elle avait été acculée à élire un patriarche
de 11 ans…)
Ce manque d'empathie se nourrissait, peut-être en partie, de notre arrogance religieuse. A l'époque il
n'était question ni d'œcuménisme ni de "frères séparés" dans l'Eglise Catholique : Les Grecs
Orthodoxes étaient des schismatiques, les Arméniens et Assyriens, des hérétiques ! Ils n'étaient pas
assez fréquentables pour susciter une véritable solidarité de notre part !
Par la suite, un autre facteur a contribué à les isoler : c'est la prise en compte de l'islam comme une des
composantes de la personnalité des travailleurs immigrés en provenance du Maghreb. La Pastorale des
migrants, entre autres, a fait un gros travail pour sortir l'islam des clichés plus ou moins racistes où il
était cantonné. Je suis heureux d'y avoir participé, mais on peut regretter aujourd'hui que dans notre
souci de souligner les valeurs de l'Islam, nous ayons, sans que ce soit un calcul de notre part, maintenu
dans l'ombre ce qui pouvait paraître plus négatif. Et ainsi, nous avons passé sous silence les difficultés
que les chrétiens orientaux avaient eues à affronter tout au cours de leur histoire… Je me souviens
qu'en 1983 le journaliste Jean-Pierre Péroncel-Hugoz qui soulignait dans un livre, le Radeau de
Mahomet, quelques sujets d'inquiétude comme l'expansion des Frères musulmans en Egypte, avec
pour conséquence l'aggravation de la situation des Coptes, fut considéré comme un réactionnaire
incompétent et raciste…
(...) on peut regretter aujourd'hui que dans notre souci de
souligner les valeurs de l'Islam,
nous ayons, sans que ce soit un calcul de notre part,
maintenu dans l'ombre ce qui pouvait paraître plus négatif.
Un certain nombre de commentateurs continue à rêver de l'Orient à travers les filtres culturels de
l'Occident, et en particulier celui de la laïcité. Prisonnier de cette vision étriquée de l'homme qui refuse
de prendre en compte sa dimension spirituelle, ils verraient bien tous les Orientaux se rassembler
autour des valeurs morales de la communauté la plus importante. Et ainsi, les minorités pré-islamiques
(chrétiennes, Yazédis, Sabéenne..) seraient priées de taire leurs particularités pour adopter comme
socle commun une arabité teintée de tolérance et ouverte au dialogue avec les autres cultures.
Sauf que l'homme oriental est profondément attaché à son histoire, il sait d'où il vient et il refuse
absolument cette conception de l'homme privé de ses racines spirituelles.
Avant de voir nos frères orientaux à travers ce que nous rêvons qu'ils soient, il est indispensable que
nous prenions le temps de les écouter, longuement, attentivement pour apprendre à les connaître et à
les respecter dans leurs justes aspirations.
Cela demande que nous y consacrions du temps, que nous nous référions aux sources d'information
sérieuses, pour que notre intérêt pour l'Orient ne s'alimente pas uniquement dans l'émotionnel : ce qui
nous conduit à composer une intention de prière chaque fois que nous entendons parler d'un attentat,
d'une prise d'otage ou d'une décapitation. Après quoi, notre devoir accompli, nous passons à autre
chose…
Nos frères orientaux ont besoin d'être soutenus de façon responsable dans la période difficile qu'ils
traversent aujourd'hui, mais ils ne sont pas des pauvres sur lesquels nous sommes invités à nous
pencher, ils sont porteurs d'un trésor qui nous fait de plus en plus défaut…
A notre société qui se dessèche en déstabilisant par la dérision toutes les valeurs sur lesquelles elle
était construite (fidélité, solidarité, respect de l'autre…) et en vénérant le veau d'or, l'Orient peut redire
la place essentielle que Jésus désire avoir dans nos vies pour nous redynamiser dans la construction
d'une société basée sur l'Amour.
"Il nous faut apprendre à respirer avec nos deux poumons, l'occidental et l'oriental", aimait à dire Jean-
Paul II. C'est de plus en plus vrai et d'autant plus nécessaire que l'occidental s'essouffle !
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