ALTERATIONS DES MARBRES DE L’EGLISE DE SAINT GENIS DES FONTAINES (FRANCE) : CAS D’UNE ETUDE MICROBIOLOGIQUE G. Orial et A. Brunet Laboratoire de Recherche des Monuments Historiques, France Abstract La microflore des pierres naturelles représente un écosystème complexe dont les espèces vont plus ou moins se développer en fonction des conditions environnementales et climatiques, entraînant une biodégradation. Si un certain nombre de mécanismes a été décrit dans la littérature comme l’activité photoautotrophe (algues, cyanobactéries) ou chimioautotrophe (bactéries nitriques et nitreuses, oxydants du soufre), l’activité des germes à métabolisme glucidique, fermentatif ou oxydatif est moins connu. L’altération des marbres du portail de l’église de Saint Génis des Fontaines (France) témoigne ce type d’activité. Les altérations sont sous forme d’écailles millimétriques ne provenant pas d’un phénomène d’érosion lié à la présence de sels. L’investigation de nature microbiologique a mis en évidence la présence et le rôle néfaste de bactéries produisant des acides organiques dans l’altération de la pierre. Parallèlement, une optimisation du milieu de culture de ces germes a été réalisé. Enfin, un traitement de désinfection a été préconisé pour enrayer ces phénomènes. 1. Introduction Le linteau en marbre blanc de l’église de Saint Génis des Fontaines dans les Pyrénées Orientales, en France date de 1019-1020. Il s’agit de la plus ancienne sculpture romane répertoriée en France, qui marque la reprise du décor monumental dans l’architecture du XIe siècle. Depuis plusieurs années, le marbre est affecté d’une altération de surface caractérisée par un écaillage de l’épiderme (photo 1). Dans un premier temps, des observations et analyses d’ordre physico-chimique ont été réalisées, en 1994, sans résultat probant. C‘est pourquoi une investigation complémentaire de nature microbiologique a été jugée utile. Ce programme d’étude comportait trois volets. Les deux premiers concernaient la recherche de moisissures et de germes méthylotrophes et ont été pris en charge par deux laboratoires de la communauté européenne, respectivement italien et allemand. Le troisième volet, axé sur la recherche de germes à métabolisme glucidique fermentatif et oxydatif, intervenant dans la dégradation des hydrates de carbone, a été exécuté par le Laboratoire de Recherche des Monuments Historiques (LRMH) français. En effet, les produits acides, résultant de l’activité de ces microorganismes, peuvent jouer un rôle important dans l’altération du support pierreux en provoquant une dissolution du substrat. C’est cette troisième partie de l’étude qui sera détaillée. Photo 1 : Etat du linteau en marbre de l’église de Saint Génis des Fontaines 2.Analyse microbiologique 2.1. Localisation des prélèvements - Le prélèvement 1 correspond à deux écailles millimétriques, présentant une coloration ocre à leur surface, et beige à noirâtre sur leur face inférieure. Il a été effectué au niveau de la frise verticale (photo 2) sur le linteau en marbre cristallin blanc de Céret (Pyrénées orientales, France). - Le prélèvement 2 est localisé sur l’assise de pierres de parement, au dessus du linteau. La pierre est presque entièrement recouverte de badigeon. C’est un marbre apparemment blanc. Dans cet exemple, les écailles sont similaires à celles du site du prélèvement 1, mais la partie inférieure des écailles est verte et non pas noire (photo 3). - Le prélèvement 3 est situé sur la pierre de parement, en bordure droite de la porte. La surface est recouverte d’un badigeon semblable à celui du linteau. La pierre est un marbre blanc veiné de gris. Elle présente des desquamations superficielles d'aspect similaire à celles du linteau. ‚ • Photo 3 : Localisation du prélèvement 2 Photo 2 : Localisation du prélèvement 1 - Le prélèvement 4 est également situé sur la pierre de parement, marbre blanc à larges veines vertes légèrement bleutées et avec des écailles millimétriques en surface. 2.2. Protocole analytique Les germes à métabolisme glucidique fermentatif et oxydatif interviennent dans la dégradation des hydrates de carbone avec production d’acides organiques. La recherche de ces germes a été réalisée grâce à une méthode de quantification, à partir de dilutions des échantillons préalablement broyés et mis en solution dans l’eau. Les hydrates de carbone, utilisés en laboratoire pour la mise en évidence des ces micro-organismes, ont été divers sucres, considérés comme les plus représentatifs dans les processus de fermentation et d’oxydation. Ceux-ci peuvent être différenciés à l’aide de milieux de culture aérobies et anaérobies. Les germes fermentatifs peuvent croître en l’absence et présence d’oxygène. Les germes oxydatifs ne peuvent se développer qu’en présence d’oxygène. Etant donné la trop petite quantité d’échantillon prélevée sur le marbre altéré, il n’a pas été possible de déterminer séparément ces 2 métabolismes. Un seul milieu de culture, aérobie, a donc été choisi dans le cadre de l’optimisation, mais aussi pour la quantification des germes . - Sélection du milieu de culture Les tests ont été réalisés sur 3 souches bactériennes au métabolisme glucidique connu (voie oxydative et fermentative) avec 3 milieux de culture différents. Ÿ Bactéries testées : Pseudomonas aeruginosa Echerichia coli Enterobacter aerogenes Ÿ Sucres testés : en solution stérile à 30% Glucose (monosaccharide) Maltose (disaccharide) Saccharose (disaccharide) Galactose (monosaccharide) Lactose (disaccharide) Ÿ Milieux de culture testés : Milieu gélosé MERCK + indicateur universel Milieu gélosé MERCK + bleu de bromothymol (0,08g/l) Milieu gélosé MERCK + alizarine Pour chaque bactérie, chaque sucre a été testé en association avec chacun des milieu de culture. Il s’avère que les résultats les plus nets et les plus conformes aux références fermentatives connues des souches bactériennes testées, sont ceux obtenus avec le milieu de culture MERCK + bleu de bromothymol (0,08g/l). Il s’agit d’un milieu nutritif d’essai, selon HUGH et LEIFSON, pour la reconnaissance du métabolisme fermentatif et/ou oxydatif des microorganismes, pendant la dégradation des glucides. - Analyse Chaque prélèvement a été déposé dans un volume d’eau stérile déterminé, afin d’obtenir 5 une dilution au 1/10ème . A partir de cette solution, des dilutions successives (jusqu'à 1/10 ) ont été effectuées. Les boîtes contenant le milieu de culture sélectionné ont été ensemencées avec 1 ml de chaque dilution. Après un temps d’incubation de plusieurs jours dans des conditions optimales de croissance propres aux micro-organismes recherchés, la lecture se fait visuellement sur plusieurs jours, par dénombrement des colonies présentant un halo plus clair à leur pourtour, correspondant à une acidification du milieu (photo 4). Photo 4 : Visualisation de l’acidification d’un milieu contenant du glucose, par les germes fermentaires Boite témoin Halo d’acidification autour de la colonie 3. Résultats (Tableau 1) Sur les cinq sucres testés, seul le maltose n’a été que partiellement dégradé. Les microorganismes fermentaires sont à des taux très importants dans les prélèvements 1, 2 et 4. En ce qui concerne l’échantillon 3, c’est principalement la dégradation du glucose qui a été mise en évidence. Ce sont les bactéries qui ont la plus grande responsabilité dans ces phénomènes, les moisissures ont une activité fermentative et oxydative ponctuelle et ne semblent pas être en cause dans les phénomènes observés. Cependant, ces résultats sont à relativiser en raison du petit nombre d’échantillons. Par ailleurs le choix des sucres testés a été aléatoire et demanderait à être soit élargi soit précisé en fonction des éléments nutritifs réellement présents sur le matériau. 4. Conclusion Les observations et les études réalisées conjointement par les trois laboratoires ont montré qu’il existait au moins deux raisons de réaliser un traitement de désinfection du linteau : l’une était la présence et l’activité (bien que non fermentaire) de moisissures, détectées en grand nombre par le laboratoire italien et l’autre, l’activité intense de bactéries intervenant dans la synthèse de composés acides. Dans l’absolu, des traitements à visées biocides différentes (bactéricide et fongicide), donc souvent de nature chimique diverse, auraient donc du être préconisés. Mais il est toujours préférable de n’utiliser qu’une famille chimique de biocide produit car l’application successive de composés de nature différente peut entraîner des réactions indésirables sur le support à traiter. Le choix s’est donc porté sur un biocide à large spectre d’inhibition, de la famille des Ammoniums quaternaires. Enfin d’autres analyses pluspoussées devraient être envisagées afin de déterminer la nature et l’origine des hydrates de carbone présents sur le support pierreux. De même, une identification précise du ou des genres bactériens intervenant dans le processus de dégradation serait intéressante, dans la mesure où elle apporterait des informations sur les caractéristiques des germes actifs sur le site ce qui pourrait être mis en corrélation avec des cas similaires d’altération sur d’autres sites. 5. Références 1.Orial G., Brunet A. : Elne : the old cathedral cloister. The capitals up against a bacterial attack. In "La conservation des monuments dans le bassin méditerranéen : actes du 2ème Symposium international organisé par le Musée d'histoire naturelle et le Musée d'art et d'histoire. Genève, Suisse, 1992; p. 237-245 2..Deterioration of concrete and natural stone of historical monuments', Proceedings of the international seminar, Brasilia, Brazil, 6th-8th May 1997 3. Microbiologie, Prescott, Harley and Klein, DeBoeck Université,1995. Tableau 1 : Résultats des analyses quantitatives en nombre de germes / gramme de prélèvement SUCRES BACTERIES CHAMPIGNONS M ICROORGANISMES TOTAUX METABOLISME FERMENTATIF ET METABOLISME FERMENTATIF METABOLISME FERMENTATIF ET OXYDATIF ET OXYDATIF OXYDATIF N° 1 Glucose 1378 à 30% 7 N°2 N°3 N°4 N°1 N°2 N°3 N°4 N°1 N°2 N°3 N°4 26325 15012 0 400 0 0 850 14187 26325 15012 850 Maltose à 30% 200 3383 750 50 250 50 1667 100 450 3433 2417 150 sacchar ose à 30% 5015 0 50 100 12500 350 0 0 0 50500 50 100 12500 Galactos 2501 e 2 à 30% 50 0 12500 50 0 0 0 25062 50 0 12500 15000 50 25125 0 0 0 0 50 15000 50 25125 Lactose à 30% 50