Chapitre 3 : Fonctionnement d’un marché concurrentiel 3.B. EQUILIBRE DU MARCHE Connaissant les quantités offertes ou demandées par chaque individu pour chaque niveau de prix possible, il est possible de déterminer une offre globale et une demande globale de marché. Mathématiquement, la demande globale est obtenue en faisant simplement la somme des demandes individuelles tandis que l’offre globale est la somme des offres individuelles. Si les courbes d’offre ou de demande individuelles ont toutes une forme « normale » – croissante pour l’offre et décroissante pour la demande– ces mêmes formes se retrouvent pour les courbes d’offre et de demande de marché. Les graphiques ci-dessous illustrent cela en se limitant à la construction de la courbe agrégée de deux agents ; la généralisation à un plus grand nombre ne pose pas de difficultés. Des courbes de demande individuelles à la courbe de demande du marché Prix Prix p’ Prix p’ Q’1 p’ Q’1 + Q’2 Q’2 p p p Q1 Q1 + Q2 Quantité Demande de l’Agent 1 Q2 Quantité Quantité Demande de l’agent 2 Demande globale Des courbes d’offre individuelles à la courbe d’offre du marché Prix p’ p Prix Q’1 Prix Q’2 p’ Q1 p Quantité Offre de l’Agent 1 p’ Q2 p Q’1 + Q’2 Q1 + Q 2 Quantité Offre de l’agent 2 Quantité Offre globale 3.B1. DETERMINATION DE L’EQUILIBRE a/ Stabilité et déplacements de l’équilibre L’équilibre du marché est atteint lorsque l’offre globale est égale à la demande globale. Dans le cas général, cet équilibre est défini par un niveau de prix permettant d’égaliser la somme des quantités offertes et la somme des quantités demandées par l’ensemble des participants. Dans une analyse formalisée, cet équilibre est déterminé mathématiquement en résolvant l’équation correspondant à l’égalité des quantités offertes et demandée sur le marché. Si on note : 1 Chapitre 3 : Fonctionnement d’un marché concurrentiel QDi Di (p) la quantité demandée par un individu i, exprimée en fonction du prix du bien, QSj S j (p) la quantité offerte par un individu j, exprimée en fonction du prix du bien, alors l’équilibre du marché est donné par l’équation : Di ( p ) i S j ( p) j La résolution de l’équation fournit la valeur du prix d’équilibre. En reportant dans les fonctions d’offre et de demande, on détermine ensuite les quantités échangées à l’équilibre. Graphiquement, cet équilibre est représenté par l’intersection des courbes d’offre et de demande de marché. Au-delà du calcul ou de la représentation formelle, il importe de bien comprendre les mécanismes économiques qui président à la réalisation de l’équilibre de marché et contribuent à sa stabilité.. C’est ce que l’on nomme le jeu de l’offre et de la demande. Les mécanismes de ce jeu reposent sur un ajustement par le prix et sont tout à fait semblables à ce que l’on observe, dans la réalité, dans des systèmes de vente aux enchères. Supposons une situation de marché de type standard avec une courbe d’offre croissante et une courbe de demande décroissante. L’équilibre est représenté par l’intersection des courbes d’offre et de demande de marché qui détermine un prix d’équilibre (p*) et une quantité d’équilibre, qui est à la fois, quantité offerte et quantité demandée (QS* = QD*). Envisageons une situation où le prix est p1, inférieur à ce niveau p*. Dans ce cas, les quantités demandées sur le marché sont supérieures aux quantités offertes. Prix Certains demandeurs du bien ne sont pas Demande de Offre de marché satisfaits puisqu’ils ne peuvent obtenir, marché faute d’une offre suffisante, les quantités qu’ils souhaitent au prix p1. Ces individus sont alors prêts à payer un prix supérieur à p1. Face à cette proposition de prix plus Demande intéressante, les offreurs sont incités à excédentaire p* accroître leur offre en la réorientant vers non satisfaite les acheteurs qui acceptent de payer ce au prix p1 prix plus élevé ; les demandeurs p1 initialement satisfaits sont alors conduits à réviser leur demande à la baisse de façon à ce qu’elle soit compatible avec le prix en Quantité hausse. On a donc une expansion des QS1 QD1 quantités offertes et une diminution des QS* = QD* quantités demandées. Ce double mouvement conduit à la résorption du déséquilibre initial. Le mouvement cesse lorsque le prix est monté jusqu’à atteindre la valeur p* pour laquelle, il y a satisfaction simultanée des intentions d’offre et de demande des participants. Résorption d’un excès de demande sur le marché Si l’on considère une situation initiale où le prix est supérieur à la valeur d’équilibre p*, soit p2, le jeu de l’offre et de la demande va alors s’inverser par rapport au cas précédent pour provoquer une baisse du prix vers le niveau d’équilibre. Au niveau de prix p2, la quantité 2 Chapitre 3 : Fonctionnement d’un marché concurrentiel Résorption d’un excès d’offre sur le marché Prix Demande de marché Offre de marché p2 Offre excédentaire non satisfaite au prix p2 p* Quantité QD2 QS2 QD* = QS* globale offerte sur le marché est supérieure à la demande totale. Les offreurs qui se retrouvent dans l’impossibilité de vendre les quantités souhaitées au niveau de prix p2 accepteront un prix plus faible. La concurrence conduit l’ensemble des offreurs à s’aligner sur ce prix en baisse, mais dans le même temps on assiste à une diminution des quantités offertes. Quant aux quantités demandées, elles augmentent en réponse à la baisse de prix, conformément aux caractéristiques de la demande. Il y a donc bien à la fois diminution des quantités offertes et augmentation des quantités demandées en liaison avec une baisse de prix ; l’excès initial de l’offre sur la demande se résorbe jusqu’à disparaître lorsque le prix a rejoint sa valeur d’équilibre p*. Ainsi, dans les deux configurations que nous venons d’étudier, le jeu de l’offre et de la demande provoque un ajustement de prix qui conduit à l’équilibre. On dit alors que l’équilibre est stable. La stabilité de l’équilibre sur le marché est la capacité des mécanismes de marché à ramener à l’équilibre si celui-ci est perturbé pour une raison exogène quelconque. La stabilité de l’équilibre ne doit être confondue avec sa variabilité. Un équilibre peut être stable et variable : c’est le cas notamment s’il existe un déplacement de l’une ou l’autre des courbes. Imaginons par exemple un marché agricole sur lequel Prix l’offre varie de manière saisonnière. Le schéma ci-contre illustre un tel marché. En saison de forte production, l’offre se situe en SH ; en basse saison, elle est en position SB. La demande de marché est supposée invariante. On voit alors que l’équilibre défini par l’intersection des courbes d’offre et de demande varie entre EH et EB : c’est un équilibre variable dans le temps, d’une saison à l’autre. Mais à chaque saison, c’est-à-dire pour une position donnée de la courbe d’offre, l’équilibre est stable : on peut appliquer le raisonnement des paragraphes précédents pour vérifier qu’un excédent initial d’offre ou de demande est éliminé par le simple jeu du marché. SB SH EB EH Quantité Même si le cadre d’analyse le plus usuel est celui de marché avec un équilibre unique et stable, il n’est pas a priori impossible d’envisager des situations différentes. Pour reprendre un élément déjà rencontré dans ce chapitre, considérons le cas d’une courbe d’offre atypique présentant un point de retournement. On peut alors obtenir une configuration de marché avec des équilibres multiples : sur l’illustration graphique, nous en avons représenté trois. Les points E1, E2 et E3 correspondent bien à des équilibres du marché : aux niveaux de prix respectifs, p1, p2 et p3, il y a égalité entre les quantités offertes et demandées par l’ensemble des participants. Mais les propriétés de ces trois équilibres en termes de stabilité ne sont pas identiques. 3 Chapitre 3 : Fonctionnement d’un marché concurrentiel Pour un prix inférieur à p1, on observe une demande excédentaire ; il en résulte une hausse du prix. Pour un prix compris entre p1 et p2, l’offre globale apparaît supérieure à la demande ; un tel excès d’offre engendre une baisse de prix. Pour un prix compris entre p2 et p3, la demande est supérieure à l’offre ; cette demande excédentaire induit, par le jeu du marché, une hausse du prix. Enfin pour un prix supérieur à p3, c’est à nouveau un excès d’offre qui apparaît ; le prix doit baisser. Offre globale Prix p3 E3 p2 Demande globale E2 p1 E1 Quantité Cette analyse du jeu de l’offre et de la demande dans la configuration représentée permet de conclure à l’instabilité de l’équilibre E2. Dès que, pour une raison quelconque, le prix s’écarte de la valeur d’équilibre p2, les forces du marché amplifient cet écart pour faire évoluer le prix vers p1 ou p3. En revanche, les équilibres E1 et E3 sont stables puisque le libre jeu du marché fait revenir le prix vers p1 ou p3 si l’on s’en écarte de façon mesurée. Notons cependant que ce jeu du marché ne permet pas toujours de résorber un écart trop important par rapport à l’un de ces équilibres ; cette impossibilité apparaît si la perturbation conduit à dépasser (à la hausse en partant de p1 ou à la baisse en partant de p3) la valeur seuil p2. Pour cette raison, on dit que les équilibres E1 et E3 sont localement stables. Revenons maintenant au cas le plus usuel où l’offre croissante et la demande décroissante déterminent un équilibre unique et stable. Les déplacements de cet équilibre peuvent être aisément résumés en s’appuyant sur l’illustration graphique. Prix Prix S Prix S’ D Quantité Augmentation de l’offre Prix S S’ D Quantité Diminution de l’offre S S D’ D D Quantité Augmentation de la demande D’ Quantité Diminution de la demande Une augmentation exogène de l’offre, traduite par un déplacement de la courbe d’offre de marché vers la droite, induit un déplacement de l’équilibre sur la courbe de demande ; on observe alors une hausse de la quantité échangée et une baisse du prix d’équilibre. Symétriquement, une diminution exogène de l’offre (déplacement de la courbe d’offre vers la gauche) entraîne une baisse de la quantité échangée et une hausse du prix d’équilibre. Une augmentation exogène de la demande, traduite par un déplacement de la courbe de demande de marché vers la droite, induit un déplacement de l’équilibre le long de la courbe d’offre ; on observe alors une hausse de la quantité échangée et du prix d’équilibre. Symétriquement, une diminution exogène de la demande (déplacement de la courbe de demande vers la gauche) entraîne une baisse de la quantité échangée et du prix d’équilibre. On ajoutera que, pour un déplacement donné de l’une des courbes – c’est-à-dire pour une amplitude donnée de la perturbation exogène – la variation induite du prix d’équilibre sera plus ou moins importante selon les caractéristiques de l’offre et de la demande de marché. 4 Chapitre 3 : Fonctionnement d’un marché concurrentiel Toutes choses égales par ailleurs, une plus grande rigidité conduit à une variation plus forte du prix d’équilibre. b/ Les gains de l’échange Nous avons vu, au chapitre précédent, que l’échange volontaire était générateur de gains pour les participants. Il convient de retrouver ici ce résultat en montrant comment ces gains se distribuent globalement entre les offreurs et les demandeurs sur le marché. On définit pour cela les notions de surplus des consommateurs (demandeurs) et de surplus des producteurs (offreurs) : ces surplus sont en fait des évaluations monétaires des gains retirés de l’échange. Du côté de l’offre, le surplus est mesuré par l’aire Surplus des « producteurs » située au-dessus de la courbe d’offre et délimitée par le prix et la quantité échangée à l’équilibre. Prix Demande de Pour comprendre la signification de cette mesure, Offre de marché marché on doit se souvenir que la courbe d’offre donne le prix minimum que l’offreur était prêt à accepter en contrepartie de la cession de chaque unité additionnelle de bien. Lors de l’échange sur le p* marché, toutes les unités sont vendues au même prix (le prix d’équilibre) qui correspond au prix minimum accepté pour la dernière unité cédée. La mesure du surplus est la somme des écarts, pour chaque unité offerte, entre le prix effectivement Quantité QD* = QS* perçu (le prix d’équilibre) et le prix minimum qui aurait pu être accepté. Si l’offre est liée à un processus de production, la courbe d’offre peutêtre rapprochée d’une courbe de coût marginal, le prix minimal acceptable pour une unité additionnelle étant le coût de cette unité marginale. Dans ces conditions, l’écart entre le prix de marché et le coût marginal mesure le gain net réalisé à la marge du fait de la production et de la vente d’une unité supplémentaire. Le surplus, somme des gains nets marginaux réalisés sur l’ensemble des unités effectivement échangées, est une mesure directement comparable avec le profit de l’entreprise (recette totale moins coût total). Du côté de la demande, un raisonnement symétrique Surplus des « consommateurs» conduit à mesurer le surplus comme l’aire située audessous de la courbe de demande et délimitée par le Prix Demande de prix et la quantité échangée à l’équilibre. Rappelons Offre de marché marché que la courbe de demande retrace le prix maximum que le demandeur était prêt à payer pour chaque unité additionnelle de bien. Par comparaison avec le prix du marché, on peut mesurer le gain net réalisé p* pour chaque unité additionnelle acquise sur le marché. La somme sur l’ensemble des unités échangées constitue la mesure du surplus. Cette mesure est réalisée en termes monétaires, directement comparables d’un individu à l’autre et Quantité QD* = QS* comparable avec la mesure du surplus des producteurs. A travers la mesure du surplus des consommateurs, on obtient donc une 5 Chapitre 3 : Fonctionnement d’un marché concurrentiel évaluation de type cardinal du bien-être. Si l’on rapproche cela des remarques faites au chapitre précédent sur la subjectivité d’une mesure de la satisfaction individuelle et sur le caractère ordinal de l’utilité, on comprend que la notion de surplus n’est qu’une approximation pour quantifier une grandeur à fort contenu qualitatif (le bien-être). Il suffit de rapprocher les deux représentations graphiques précédentes pour voir que dans le cas usuel d’un marché avec une courbe d’offre croissante et une courbe de demande décroissante, il existe des gains à la fois pour les offreurs (surplus des producteurs) et pour les demandeurs (surplus des consommateurs). Ce n’est que dans le cas particulier d’une offre parfaitement élastique (courbe d’offre horizontale) que le surplus des producteurs s’annule. Si on fait le lien avec les conditions de production, cela correspond à une situation où cette production se fait à coûts constants. Toutes les unités, de la première à la dernière produite, ont le même coût unitaire et, en concurrence, le prix du marché est juste égal à ce coût unitaire (un prix inférieur ne permettrait pas le maintien de la production, un prix supérieur engendrerait une concurrence potentiellement infinie faisant baisser le prix). Pour chaque unité produite, le profit – écart entre le prix de marché et le coût unitaire de production – est donc nul. De façon symétrique, le surplus des consommateurs s’annule si la demande est parfaitement élastique. Dans la mesure où les surplus des producteurs et des consommateurs proposent des évaluations monétaires directement comparables, on en fait la somme pour définir le surplus collectif. Cette mesure peut toutefois être altérée s’il existe des phénomènes d’externalités, c’est-à-dire des phénomènes d’interdépendances qui ne transitent pas par le marché. Ce sont par exemple, les rejets polluants liés à une activité productive industrielle (externalités négatives) ou l’amélioration d’un environnement rural résultant d’une activité agricole (externalités positives). Dans des situations de ce type, l’activité économique sous-jacente au marché sur lequel s’échange un produit est aussi créatrice d’une forme de sous-produit qui constitue un bien, ou un mal, économique en ce sens qu’il affecte l’utilité des individus mais sans faire l’objet d’un échange marchand. A l’évidence, la simple sommation des surplus mesurés sur le marché n’est pas alors une évaluation satisfaisante du bien-être collectif. Si on exclut la présence d’externalités, il apparaît que le libre jeu d’une concurrence parfaite sur le marché conduit à une solution d’équilibre efficace. Le surplus total est alors maximal, ce qui revient à dire que l’affectation des ressources induite par le marché est efficace. La poursuite par chaque participant (offreur ou demandeur) de son intérêt individuel conduit à un équilibre de marché qui constitue un optimum au sens où il maximise le surplus collectif. C’est ce que Adam Smith appelait « la main invisible » du marché qui fait converger les quêtes d’intérêts individuels vers la réalisation d’une efficacité collective. 6