communautés religieuses étaient co-souveraines de l’Etat dans
certains domaines et que l’Etat de droit devait et doit encore faire des
concessions aux entités communautaires (religieuses) infra-étatiques.
L’Etat libanais n’a jamais réussi à tisser des liens avec les citoyens en
dehors des cadres communautaires. Se superposant aux entités
communautaires para-étatiques, l’Etat national est resté une entre-
prise inachevée.
Curieusement, les années de guerre ont maintenu dans le paysage
général les deux types de liens mais avec une nette prépondérance des
liens communautaires. Cette nouvelle orientation s’est trouvée
confortée par la nature des enjeux autour desquels s’articulaient déjà
les combats des premières années de la guerre.
Les hostilités elles-mêmes, combats, lignes de démarcation, bombar-
dements, enlèvements, prises d’otages, déplacements de populations,
massacres, mutilations, vexations et humiliations, ont développé à
outrance les identités communautaires, disloqué et bafoué les senti-
ments d’identité et d’allégeance civique ou nationale. Il ne revenait
plus à l’individu de se définir, de s’identifier et de prendre position :
il était défini, identifié et positionné, malgré lui, par le regard de
l’autre. Les trois exemples saillants des pratiques de la guerre qui reje-
taient les citoyens malgré eux en deçà de leur identité nationale
étaient les enlèvements «à la carte», les bombardements systéma-
tiques des quartiers résidentiels et des populations civiles et les dépla-
cements de populations. Initiées tantôt par l’une tantôt par l’autre
milice, parmi les milices protagonistes de part et d’autre des deux
secteurs de la capitale, ces actions visaient manifestement à faire
émerger, sinon à développer, les identités communautaires et à
gommer et étouffer les liens civils proprement dits.
Parallèlement des actions se poursuivaient, mais nettement plus
faibles pour faire valoir l’existence d’une vie associative développant
des liens civils supra-communautaires : actions humanitaires, défense
des droits de l’homme, réclamations syndicales, actions sociales fémi-
nines, revendications d’ordre professionnel, mouvements de non-
violence, contestation par les handicapés… étaient des moyens
courants de manifester – vainement – la résistance à la guerre. Vers le
milieu des années 80, la baisse vertigineuse de la valeur d’achat de la
livre libanaise amplifia le mouvement de résistance civile à la guerre
et regroupa les différents acteurs autour du Congrès national syndical
qui s’est réuni deux fois (en 1987 et en 1988)5pour tenter de trouver et
d’imposer un arrêt des hostilités.
CONFLUENCES Méditerranée - N°47 AUTOMNE 2003
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La société civile d’après-guerre