6. CRIMINALITÉ ET ÉCONOMIE : UN MARIAGE EFFICACE ET DURABLE Christophe Soullez La Découverte | Regards croisés sur l'économie 2014/1 - n° 14 pages 89 à 102 ISSN 1956-7413 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-regards-croises-sur-l-economie-2014-1-page-89.htm Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 89.91.74.91 - 11/03/2014 11h00. © La Découverte Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Soullez Christophe, « 6. Criminalité et économie : un mariage efficace et durable », Regards croisés sur l'économie, 2014/1 n° 14, p. 89-102. DOI : 10.3917/rce.014.0089 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour La Découverte. © La Découverte. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 89.91.74.91 - 11/03/2014 11h00. © La Découverte -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 89.91.74.91 - 11/03/2014 11h00. © La Découverte Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 89.91.74.91 - 11/03/2014 11h00. © La Découverte Deuxième partie Des enjeux historiques en plein renouveau 6 Criminalité et économie : un mariage efficace et durable Christophe Soullez Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 89.91.74.91 - 11/03/2014 11h00. © La Découverte Résumé Crime et économie sont intimement liés et sont aujourd’hui, plus qu’hier, des éléments indissociables. L’économie est au cœur des mécanismes criminels et des réflexions sur le processus du passage à l’acte (motivation des auteurs). Elle est utilisée en vue de trouver des explications au passage à l’acte, notamment lorsque des liens sont faits entre pauvreté, chômage, crise économique et criminalité. Mais l’économie est aussi au cœur même des activités criminelles. Elle influence les modes opératoires. Elle offre de nouvelles perspectives et opportunités aux criminels et ouvre un champ d’activités illégales de plus en plus vaste. Abstract Crime and economy are intimately connected and are nowadays, more than ever, inseparable. Economy is at the heart of criminal mechanisms and at the center of reflections on taking action process (motivation of perpetrators). Economy is used to find what leads to taking action, especially when connections are made between poverty, unemployment, economic crisis and crime. But economy is also at the heart of criminal activities. Modes of operations are affected by it. Economy offers new perspectives and opportunities to criminals and a wider and wider field of illegal activities. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 89.91.74.91 - 11/03/2014 11h00. © La Découverte chef de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales Criminalité et économie : un mariage efficace et durable 91 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 89.91.74.91 - 11/03/2014 11h00. © La Découverte L’économie, vecteur du crime ? Depuis près d’un siècle, la criminologie s’intéresse à la question de savoir si l’économie a une influence sur l’évolution de la délinquance et de la criminalité. Toutefois, l’intérêt de la criminologie pour l’économie est indirect : ce sont les conséquences de l’économie plutôt que l’économie elle-même, l’influence sur la criminalité et le processus de l’acte criminel qui sont analysés. En d’autres termes, l’économie peut être créatrice de richesse, d’emplois et d’égalité, ou à l’inverse, de pauvreté, de chômage et d’inégalité. Ce sont ces facteurs qui ont été, au fil des années, Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 89.91.74.91 - 11/03/2014 11h00. © La Découverte C rime et économie partagent une relation étroite, si bien que l’étude de la criminalité passe souvent par une bonne connaissance des mécanismes de l’économie et du contexte économique. L’économie, notamment la microéconomie, permet tout d’abord de comprendre le processus de passage à l’acte criminel et donc de rationaliser l’existence du crime : non seulement les mécanismes d’incitations et de comparaison coûts/bénéfices qui président à ce type de décision sont intrinsèquement économiques, mais le contexte économique, caractérisé notamment par le taux de chômage ou le niveau des inégalités, pèse dans cette balance. C’est ce que ce chapitre mettra en évidence dans un premier temps. Dans un second temps, ce chapitre montrera que la criminalité est également indissociable de l’économie, prise au sens plus global de la macroéconomie. L’économie est en effet au cœur des activités criminelles, dans la mesure où elle influence les modes opératoires et l’organisation des réseaux criminels. À l’inverse, l’existence même du crime a, elle aussi, une influence sur l’économie. 92 Lumière sur les économies souterraines mis en relation avec l’évolution de la délinquance ou de la criminalité : différentes théories permettent ainsi d’expliquer l’évolution de la criminalité et le passage à l’acte criminel par le contexte économique d’un pays, d’une région ou d’un quartier. Certains chercheurs se sont par ailleurs interrogés sur l’influence des habitudes de consommation des individus sur la criminalité… Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 89.91.74.91 - 11/03/2014 11h00. © La Découverte Les deux concepts macroéconomiques les plus souvent associés aux théories criminologiques sont la pauvreté et les inégalités. Ces théories ont, pour la plupart, une origine sociologique partant du postulat que le milieu socio-économique est peut-être à l’origine de la délinquance. À l’échelle d’un pays, deux thèses s’opposent : la première, la théorie de la modernisation, s’inspire des travaux de Durkheim et soutient que le changement social rapide causerait des cassures dans les valeurs traditionnelles, ce qui engendrerait une augmentation de la criminalité (Durkheim, 1893). L’autre thèse défend l’idée, à l’inverse, que plus un pays se développe économiquement, moins il y aura de criminalité. La plupart des études comparatives internationales sur la criminalité intègrent la pauvreté et les inégalités dans leur modèle d’analyse afin d’en vérifier l’impact au niveau national. Ces deux concepts sont déclinés en indicateurs comme le PIB, le taux de chômage ou encore l’indice de Gini (pour l’inégalité). Les résultats d’un grand nombre d’études suggèrent que le développement économique d’un pays est négativement lié à la criminalité, de manière significative : plus un pays est riche (PIB élevé, faible taux de chômage, etc.), plus le taux de criminalité qu’on y observe est bas (Ouimet, 2010, 2012 ; Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 89.91.74.91 - 11/03/2014 11h00. © La Découverte Inégalités et pauvreté sont-elles à l’origine de la criminalité ? Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 89.91.74.91 - 11/03/2014 11h00. © La Découverte LaFree et Tseloni, 2006 ; Van Dijk, 2008 ; Pare, 2006). D’autres études suggèrent que la variation du taux de criminalité entre différents pays s’explique par la présence d’inégalités économiques au sein de ces pays. Plus un pays a un indice de Gini élevé, c’est-à-dire plus ce pays est inégalitaire, plus son taux de criminalité sera fort. Autrement dit, plus l’écart entre les riches et les pauvres se creuse, plus ces derniers ont de chance d’adopter des comportements violents. Les théories de la frustration et de l’anomie sont généralement utilisées pour expliquer cette relation entre inégalité et violence. Ainsi, la théorie du lien « frustration-agression » (Dollars et al., 1939), et sa reformulation « agression réactive » (Berkowitz, 1993), démontrent que les stimuli et les expériences frustrantes augmentent les risques de comportements violents. Plus une société présente une différence d’accès aux biens, à la richesse, à la culture, aux services sociaux, plus elle est créatrice de frustration pour les habitants privés de ces services ou de ces richesses, pouvant expliquer la violence de certains d’entre eux. La théorie de l’anomie (Merton, 1938) fait aussi le lien entre inégalité économique et criminalité. Selon Merton, une société est anomique lorsque les possibilités d’atteindre les objectifs de réussite sociale ne sont pas équitablement réparties. Une telle société est génératrice de groupes d’individus en conflit. Les théories de la tension (Merton, 1957 ; Agnew, 1985) sont alors plus à même d’expliquer comment les facteurs économiques comme pauvreté/richesse et inégalité/ égalité peuvent influencer le comportement d’une personne. En 1957, Merton fait évoluer sa théorie de l’anomie en théorie de la tension : il explique que les personnes plus pauvres n’ont pas accès aux moyens qui leur permettront d’atteindre leur objectif de réussite sociale et que cette situation crée une tension intérieure qui peut conduire à la délinquance. 93 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 89.91.74.91 - 11/03/2014 11h00. © La Découverte Criminalité et économie : un mariage efficace et durable 94 Lumière sur les économies souterraines Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 89.91.74.91 - 11/03/2014 11h00. © La Découverte Le lien entre économie et criminalité peut aussi être perçu dans sa vision microéconomique en mettant l’accent sur les habitudes de consommation des individus et l’adaptation des auteurs à ces habitudes. Deux théories donnent un fondement à l’étude de l’influence des facteurs microéconomiques sur le passage à l’acte : la théorie du choix rationnel de Cusson (1981) et la théorie des activités routinières (Cohen et Felson, 1979). Selon la théorie du choix rationnel, une personne qui commet une infraction est forcément motivée par le bénéfice que celle-ci va engendrer. Ce bénéfice peut être de la notoriété, de l’excitation, de la puissance, de la domination, mais il peut aussi et surtout avoir un caractère économique. Ainsi, le « choix rationnel » implique une évaluation « coûts/bénéfices » avant le passage à l’acte criminel. Le choix de passer à l’acte est basé sur une optimisation du résultat pour l’auteur. À titre d’exemple, un voleur ne s’intéressera jamais à des objets sans valeur. La valeur n’est cependant pas l’unique critère considéré. La facilité de revente du produit, et notamment l’existence d’un marché de l’objet volé est un autre facteur tout aussi important. C’est dans ce contexte que certaines fluctuations économiques peuvent avoir des conséquences sur les évolutions des activités criminelles et des cibles. Ainsi, les métaux non ferreux (cuivre, zinc, aluminium, nickel, titane, etc.), cotés en Bourse sur le London Metal Exchange (LME), sont l’objet de spéculations internationales et les cours peuvent s’envoler, leur donnant une valeur marchande élevée au recyclage. Ces métaux sont donc au cœur d’un marché illicite au sein duquel évoluent des délinquants occasionnels, mais aussi et surtout Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 89.91.74.91 - 11/03/2014 11h00. © La Découverte L’évolution de nos modes de consommation a-t-elle une influence sur le crime ? Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 89.91.74.91 - 11/03/2014 11h00. © La Découverte des bandes organisées et familles non sédentarisées qui se sont spécialisées dans cette catégorie de délits. Il en est de même de l’or qui est aujourd’hui une cible prisée des cambrioleurs et de certains voleurs (vols à l’arraché). Si, depuis 2009, les cambriolages augmentent en France, mais également dans la plupart des pays européens, c’est notamment parce que la hausse du cours de l’or suscite de nombreuses convoitises de la part de nouveaux groupes criminels qui se caractérisent en particulier par une forte mobilité (dans toute l’Europe) et un niveau d’organisation élevé. Dans la pratique, le choix rationnel n’est pas le seul critère de passage à l’acte. Les situations criminelles et délictuelles sont souvent bien plus complexes à expliquer. Ainsi, la théorie des opportunités (Cohen et Felson, 1979) apporte d’autres éléments qui contribuent à expliquer le lien entre facteurs microéconomiques et passage à l’acte criminel. Un crime n’est pas que le résultat de l’existence d’un délinquant motivé : c’est aussi un concours de circonstances et d’opportunités. Selon Cohen et Felson, la commission d’un crime nécessite trois éléments : un ou plusieurs délinquants potentiels, capables et motivés ; des opportunités, c’est-à-dire des cibles intéressantes ; et une absence de gardiens ou de système de protection. L’économie peut avoir une influence sur les deux derniers critères. Les habitudes de consommation de la population ont fortement évolué à partir du milieu du XXe siècle suite, notamment, à l’arrivée sur le marché d’une multitude d’objets à forte valeur ajoutée et attirant d’autant plus la convoitise qu’ils sont de plus en plus aisés à subtiliser car de plus en plus petits (téléphones, matériel vidéo et informatique, etc.). L’évolution de la société et les progrès qu’elle entraîne participent donc de la multiplication des opportunités, les cibles devenant plus intéressantes et plus nombreuses pour 95 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 89.91.74.91 - 11/03/2014 11h00. © La Découverte Criminalité et économie : un mariage efficace et durable Lumière sur les économies souterraines Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 89.91.74.91 - 11/03/2014 11h00. © La Découverte les délinquants, comme ce fut le cas avec les voitures et, plus récemment, avec les téléphones portables. Le comportement des individus, leurs choix économiques et leurs modes de vie ont également connu des mutations à partir des années 1950. Cela a notamment entraîné une forte diminution du nombre de personnes restant au foyer durant la journée. La démocratisation du travail des femmes a contribué à une moindre surveillance des biens du ménage (absence de gardiens). L’évolution des transports en commun a aussi eu pour conséquence d’éloigner plus facilement les gens de leur domicile et de réduire la durée de présence au sein de celui-ci, ce qui a pour effet de faciliter les cambriolages. L’influence de la microéconomie sur la délinquance, à travers le prisme de la théorie des activités routinières, a donné lieu à des réponses portant notamment sur le développement de la prévention situationnelle. Les habitudes de consommation des personnes créent de nouvelles opportunités et une absence de gardien. Pour limiter l’effet de ces comportements individuels, il a été nécessaire de trouver des dispositifs permettant de limiter les bénéfices issus du passage à l’acte. L’objectif est de rendre l’acte criminel plus difficile, plus risqué et moins intéressant pour le délinquant. Plus concrètement, des mesures comme l’amélioration de l’éclairage public, de l’architecture, l’installation d’alarmes, l’amélioration de la technologie de sécurité (sur les voitures ou téléphones par exemple) peuvent être prises pour rendre plus ardu et plus risqué le passage à l’acte. La généralisation des cartes de crédit réduisant la circulation de monnaie sur soi a ainsi rendu le vol de porte-monnaie moins intéressant même si, parallèlement, elle a participé de l’émergence de nouveaux types de délits comme les falsifications de cartes bancaires ou l’usage frauduleux de celles-ci sur Internet. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 89.91.74.91 - 11/03/2014 11h00. © La Découverte 96 Criminalité et économie : un mariage efficace et durable 97 Organisation criminelle et fonctionnement économique, une relation à double sens Si le contexte socio-économique et l’analyse coûts/bénéfices peuvent expliquer la décision d’entrer dans la délinquance ou de commettre un crime, une autre dimension de l’économie permet aussi de comprendre la criminalité : les organisations criminelles s’adaptent au monde économique dans lequel elles s’inscrivent, en adoptant ses codes, mais également en les modifiant. La criminalité s’est parfaitement adaptée aux évolutions géo-économiques, financières et géopolitiques de notre monde. Si elles ont su conserver leurs activités traditionnelles (prostitution, trafics, traite des êtres humains, fraude, contrefaçon, etc.), les organisations criminelles se sont modernisées et ont largement investi des pans entiers d’une économie plus vulnérable, en sachant notamment se jouer des frontières réelles mais aussi virtuelles. Ainsi, aujourd’hui, le crime 2.0 représente une nouvelle dimension de l’activité criminelle et est désormais présent au quotidien parce qu’il implique les individus, leur patrimoine, mais aussi leurs téléphones mobiles, leurs ordinateurs personnels, en passant parfois par les réseaux sociaux. Les criminels ont également changé de nature. Le crime s’est organisé selon les règles de l’économie de marché. L’entreprise criminelle, de la plus petite organisation – le trafic de quartier – aux mafias ou aux organisations criminelles transnationales, est devenue une entreprise comme les autres. Gestion des zones de chalandise, management par la motivation pour le personnel, recherche de nouveaux marchés, Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 89.91.74.91 - 11/03/2014 11h00. © La Découverte Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 89.91.74.91 - 11/03/2014 11h00. © La Découverte Des organisations criminelles qui adoptent les règles de fonctionnement économique Lumière sur les économies souterraines Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 89.91.74.91 - 11/03/2014 11h00. © La Découverte répartition des tâches, tout est conforme au business plan d’une industrie classique. Seule la question de la concurrence échappe aux standards en vigueur, en étant souvent gérée de façon assez expéditive... Par ailleurs, longtemps, le crime fut spécialisé. Chaque organisation criminelle s’occupait d’un secteur d’activité particulier et laissait à ses homologues le soin d’investir d’autres domaines. Seuls les territoires étaient affaire de monopole par secteur. Aujourd’hui, le crime est globalisé et les organisations criminelles sont devenues multicartes, profitant des opportunités offertes par le développement de nombreux secteurs d’investissement moins risqués et parfois plus lucratifs que le désormais banal trafic de stupéfiants. Une économie déstabilisée par les flux criminels Les organisations criminelles cherchent également de plus en plus à s’immiscer au sein de l’économie légale afin, notamment, de dissimuler leurs profits et de pouvoir ainsi blanchir les bénéfices acquis illégalement. Aujourd’hui, dans de nombreuses sociétés, s’entremêlent flux licites et illicites et il est de plus en plus difficile de distinguer les deux. Certains criminels développent donc une propension à l’entrisme dans les sociétés légales aux côtés de la création de leurs propres entreprises. Une part de l’économie est donc irriguée et contaminée par différentes formes de criminalité dont la corruption et la fraude et par des flux financiers d’origine criminelle. Les liaisons entre le crime et certains acteurs de la finance peuvent être fatales et le fonctionnement même de certaines activités économiques peut être très largement perturbé et gangrené par des activités criminelles aggravant les crises. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 89.91.74.91 - 11/03/2014 11h00. © La Découverte 98 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 89.91.74.91 - 11/03/2014 11h00. © La Découverte De la « récession Yakuza » des années 1980 suite à la multiplication d’emprunts falsifiés, en passant par les Savings and Loans (caisses d’épargne) américaines de la même période, puis par le Mexique, la Russie ou la Thaïlande, une série de crises financières à dimension criminelle – plus ou moins prononcée – a ébranlé les principaux pays du monde ces trente dernières années, et ce, sans aucune attention des régulateurs centraux. Le Fonds monétaire international (FMI) estime ainsi la masse d’argent sale entre 1 % et 5 % du produit intérieur brut (PIB) mondial. La crise mondiale qui a éclaté en fin 2008, sans épargner la France, est dans sa mécanique quasi identique à celle des années 1980, sauf pour les acteurs. Dans une nouvelle configuration, les banques sont désormais alimentées en demandes de prêts par des courtiers spécialisés (mortgage brokers), qui proposent des rendements très attractifs. Nombre de dossiers à la base sont pudiquement qualifiés de « non documentés » ; ils sont en fait truqués et relèvent à la fois de l’escroquerie, de l’abus de confiance et du faux en écritures. Ces courtiers adossés aux prêteurs hypothécaires (mortgage lenders) distribuent des prêts douteux, dits « prédateurs », consistant en fait à prêter beaucoup à des populations vulnérables (pauvres, minorités, etc.). Du bas en haut de l’échelle ces manœuvres sont, sinon toujours clairement frauduleuses, du moins souvent très louches. La criminalisation des marchés économiques et financiers sera dénoncée par Michael Mukasey, l’Attorney General de Georges Bush, le 23 avril 2008, quelques mois avant le déclenchement de la crise des subprimes, sans pour autant pouvoir l’empêcher. Ici et là, aux frontières des Balkans, aux États-Unis, au Liban, dans le Golfe Persique, on découvre, ou on feint de découvrir des organismes bancaires, presque entièrement dédiés non seulement au blanchiment traditionnel, 99 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 89.91.74.91 - 11/03/2014 11h00. © La Découverte Criminalité et économie : un mariage efficace et durable Lumière sur les économies souterraines Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 89.91.74.91 - 11/03/2014 11h00. © La Découverte mais également à l’investissement criminel. Une industrie « officielle » du financement du crime est née, utilisant les méthodes et les outils des systèmes financiers classiques. Aucun de ces événements n’est véritablement isolé. S’il n’existe probablement pas encore d’organisation centralisée du crime, les modalités de coopération se développent et le poids des organisations criminelles extra-européennes sur le Vieux Continent se fait de plus en plus sentir. Plus récemment, le dernier rapport d’EUROPOL sur le crime organisé (OCTA) souligne l’apport de plus en plus significatif des spécialistes des questions financières aux activités criminelles, tant la course au « bonus » surpasse les considérations légales ou morales. L’hybridation de plus en plus développée des organisations criminelles, leur développement en conglomérat couvrant de plus en plus de secteurs et leur rôle comme agent économique majeur en période de crise, leur offrent de nouveaux débouchés et de nouveaux espaces d’activité. Le crime et la finance ne vivent plus seulement côte à côte. La finance mondiale n’est plus seulement la victime des attaques à main armée ou des détournements informatiques. Une partie d’entre elles a choisi d’investir avec le crime, et parfois dans les activités criminelles. L’appât du gain est devenu un puissant moteur du développement des activités illégales ou illicites, bien au-delà de la traditionnelle « optimisation fiscale » qui justifiait si bien l’existence de places off shore pour nombre de banques ayant pignon sur rue. Faute de frontières et de gardes-frontières, physiques ou immatériels, la globalisation a renforcé les organisations criminelles, leur a permis de trouver des alliés, de créer de nouvelles filiales, d’investir de nouveaux marchés et de conquérir de nouvelles cibles. Elle a aussi permis à ces structures de s’enraciner dans des États « échoués » ou en voie de Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 89.91.74.91 - 11/03/2014 11h00. © La Découverte 100 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 89.91.74.91 - 11/03/2014 11h00. © La Découverte l’être (comme la Somalie). Dans de nombreux États, opérateurs anciens et nouveaux acteurs évoluent, s’affirment, se combattent sous l’œil tantôt désabusé, tantôt interloqué des pouvoirs d’État. Au carrefour de l’Europe, dotée d’un vaste domaine maritime, la France n’est pas à l’abri de ces mutations de la criminalité. Si elle ne semble pas connaître de phénomène mafieux au sens étymologique du terme, c’est-à-dire d’organisations criminelles fortement enracinées dans la société et capables de corrompre l’État ou de s’y substituer, elle n’en demeure pas moins un territoire de développement et d’activité de multiples organisations criminelles qui se divisent entre celles, d’une part, d’origine nationale, composées notamment du grand banditisme (milieu corse et marseillais notamment) et des nouvelles organisations issues des banlieues, et, d’autre part, des structures étrangères. Bibliographie Agnew, R. (1985). A Revised Strain Theory of Delinquency. Social Forces, 151-166. Berkowitz, L. (1993). 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