Extrait - Librinova

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MarcqMorin
LeDiableenlaCité
LesendiabléesdeSaint-Sauveur
©MarcqMorin,2017
ISBNnumérique:979-10-262-0999-7
Courriel:[email protected]
Internet:www.librinova.com
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sanctionnéeparlesarticlesL335-2etsuivantsduCodedelapropriétéintellectuelle.
Transcription de Mose de Jule du mémoire du père Maxime Lowen,
inscritaudosduroutinierdemerduvaisseauleVlissingennaviguantvers
l’îledeJava.
Àl’intentiondesfrèresetsœursdelaFamilled’Amour.
Minervesouffle,Apollonmeconduit
etlesneufmusesmemontrentlesourses.
Dantes
Le 27 novembre 1613, sur le Vlissingen, vaisseau de la chambre de
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MiddelburgappartenantàlaVOC .
Moi,MassimovanCruys,aiquittéceuxquej’aimaispourunelongue
période de proscription. Ayant trouvé à m’enrôler à Middelburg dans la
compagniehollandaisedesIndesorientales,j’aiprêtélesermentdefidélité,
m’engageantàservirladiteCompagnietantsurmerquesurterrepourune
périodedecinqans.
En route pour Java, le pays aux épices, nous avons levé l’ancre le
2novembre,quatrevaisseauxensemble.Aprèsuneescaleauxîlesqueles
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anciensappelaientFortunées ,nousvoguonsgrandlarguedansl’océanaux
latitudesincertaines.
Ma tâche à bord est d’assister l’aumônier, et mes qualités de greffier
éméritereconnues,ilm’aétéconfiélatenuedescahiersdusubrécargueetla
rédactionduroutinierdemer.C’estdirequejedisposedetoutlenécessaire,
papier, encre et chandelles pour écrire d’une même plume le récit des
mésaventures pour lesquelles je fus dans l’impérieuse nécessité
d’embarquerpourfuirlesdiaboliquesquiétaientàmestrousses.
Les vents de terre gonflent notre voile, l’étrave du Vlissingen fend la
houle et notre poupe laisse derrière elle une traînée de lumière qui
phosphoresurlamerassombrie.QueDieutout-puissantnouspréserve,moi
etmescompagnons,desfortunesdemer.
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Ildiavolosinascondedietrolacroce .
Moi,MassimoFabianoFedericovanCruys,jefusconçudelapassion
quiunitsouslecieldeFlandreFedericoErnestodellaCroce,originairede
Ferrare en Italie, et Ilde van Cruys, native de Sluys en Flandre. Enfant de
l’amour,j’étaisparmespatronymesmarquéirrémédiablementdusignedela
croix.
Peu après ma conception, mon noble père, commandant du Tercio
italien dans l’armée du prince Eugène de Parme, périt avec tout son
bataillondevantlescôtesanglaiseslorsdelafunestejournéequivitsombrer
touslesmeilleursvaisseauxdelaGrandeArmadad’Espagne.
Jevinsaumondequelquetempsplustard,le9janvier1589,àl’hospice
Saint-JeandeBruges.JesuisdoncsujetdesPays-Basd’Espagne.Mamère
morte en couches, je fus confié aux bons soins de l’orphelinat de Malines
quiaccueillaitlesenfantsdesofficiersmortsenservice.Celajusqu’àl’âge
des humanités secondaires où je partis étudier, en un séminaire annexe de
l’universitédeLouvain,lathéologie,matièredanslaquellej’affichaisjuste
ce qu’il convient d’aptitude pour être autorisé à rester sur les bancs du
collège, me montrant bien plus attentif et studieux à l’étude des sciences
naturelles dans lesquelles je versais avec un intérêt qui m’habite toujours
aujourd’hui.
J’euspourparrainceluiquej’appelaismonbonpèrepourironisersur
le fait qu’il était seulement âgé de douze ans de plus que moi et aussi, et
surtout, parce qu’il était un éminent ecclésiastique : Monseigneur Guido
BentivogliodeFerrare,archevêquedeProdes.Ilétaitlefilsduprotecteurde
mon père, un jeune homme issu d’une noble famille de Bologne. Je garde
pour mon bon père respect et gratitude. Il se montra généreux et aimant
autant, sinon plus, qu’un tuteur puisse l’être. Je le rencontrai pour la
premièrefoislorsqu’ilfutnomméàlaNonciaturedeBruxelles.Auparavant,
il m’écrivait chaque trimestre pour m’édifier sur la manière de vivre
honnêtementetattendaitquejerépondissepourfaireparveniràmabonne
nourrice Elke les ressources nécessaires à mon éducation. Ainsi, en ma
jeunesse, bien que fût modeste ma rente, je n’eus jamais à me soucier de
gagnermonargent.
Elke Blauwer, ancienne servante de mes parents, fut une mère pour
moi.Ellemecombladecaressesetmedonnalegoûtdesplaisirssimples.
Auxvacances,j’avaislajoiedelarejoindreauxenvironsdeSluys,dansune
campagnesituéeàunedemi-lieuedelamer.Chaqueété,jejouissaisd’une
liberté que m’eût enviée un prince : aucun devoir, aucun travail, hormis
celuiqu’ilmeplaisaitd’offrirauxpaysans,commederentrerlesmoissons
ou d’aider à pêcher la crevette à mer étale. Je courais dans les dunes de
sable, sur l’estran et dans les vagues. Mon esprit curieux me poussait à
collectionner toutes sortes d’animalcules marins afin de les observer et de
lesclasserparressemblance.
Lorsque débute la narration de cette aventure, les Pays-Bas espagnols
étaientalorsgouvernésparnossouverains:l’archiducAlbert,sixièmefils
de l’empereur Maximilien d’Autriche et son épouse l’archiduchesse
Isabelle, fille du roi Philippe d’Espagne. Pour la première fois de ma vie,
j’étais privé de la joie des vacances en raison d’une punition qui me tint
enfermétoutl’été1609.
Enseptembre,lesportesdemacelluledepénitences’ouvrirentetj’eus
autorisation d’aller et venir dans l’enceinte de la section réservée aux
théologiens. Dans le dortoir du séminaire, de nouveaux étudiants avaient
pris place, ceux que l’on appelait les Hybernois : Anglais, Écossais,
Irlandais,tousjeunesgenscatholiquesquelespersécutionsavaientchassés
de leur île et qui étudiaient afin de devenir de bons prêtres dont le destin
était de retourner en leur pays prêcher la reconversion. Nous attendions la
rentrée des classes et tuions le temps en tirant à l’arc dans la cour de
récréation.J’avaiscomprisbienvitequemaclaustrationpunitiveavaitété
raccourcie prématurément en raison du passage en ville de Monseigneur
Bentivoglio. Au cours du déjeuner, je fus copieusement rassasié
d’avertissements qui m’annonçaient une dénonciation de toutes mes
insanitésetperversionsàmonchertuteur.
Le père François Dooms, suppléant du recteur, me conduisit en fin
d’après-midi auprès du nonce. Dans les couloirs de l’université, il
m’entretintdelasorte:
— J’espère, Massimo, que votre enfermement vous a permis de
réfléchiretquevousavezfaitpénitencedevosexcès.
Commejedemeuraiscoi,ilpoursuivit:
— Pour votre gouverne, je vous rappelle que Giordano Bruno dont
vousvantiezleshérésiesafindevousdisculper,futbrûléàRome.
—SurleCampodeiFiori,ilyabientôtdixansdecela,pèreDooms.
LefrèreGiordanoétaitdel’ordreprêcheur,commevous.LesDominicains
ontperduleurplusbrillantdocteur.
— Craignez de terminer comme lui. Vous n’aurez pas toujours son
éminence Bentivoglio pour vous protéger. D’ailleurs, je compte bien que
Monseigneur vous sermonne vertement. À votre place, j’aurais la mine
basse.
JedoisdirequejenecraignaisguèrelecourrouxdeMonseigneur,caril
avait toujours été envers ma personne d’une bonté dont j’avais souvent
abusé. Il est remarquable que de grands personnages fermes et
incorruptibles dans leur fonction se comportent envers leurs proches avec
une magnanimité lucide et débonnaire. Monseigneur Bentivoglio, gardien
de la Religion et représentant de Rome, fut un éducateur latitudinaire qui
s’émerveillait de mes aptitudes et curiosités scientifiques, même si parfois
celles-ci affleuraient à l’hérésie en regardant par-delà les frontières
remparéesdel’Église.
Le père Dooms m’introduisit dans le cabinet du recteur où patientait
montuteur.Noustombâmesaupieddunonce.
—Monseigneur!fitDooms,yeuxbaissés.
LenonceBentivoglios’approcha,posasamaingantéesurl’épauledu
suppléantetprononçadesavoixgraveetmodulédeprélat:
—Jevousécoute,monfils.
— Monseigneur, aussitôt que nous apprîmes que vous nous faisiez
l’honneur de visiter notre séminaire, ordre fut donné de sortir le clerc
MassimovanCruysdesacelluledepénitence,prononçaledominicainavec
obséquiosité.
L’œil en coin, j’observai mon parrain. Il était homme à qui l’habit
écarlate donnait de l’importance. Il avait le visage fin et le menton orné
d’une barbichette taillée en pointe qui lui conférait une noble allure. Son
regardperçantétaitcommedeuxtraitsd’acierquivousfouillaientl’âmeet
le cœur. Toutefois, on ne ressentait en sa présence que bienveillance et
confiance.IlgardaitdevantDoomsl’attitudeconvenuedesafonction.Plus
que ses sourcils froncés et le pli de son front, ce furent ses cheveux qui
retinrentmonattention.
—Monbonpère,votrefronthautetl’argentquiparsèmevotrecheveu
siéentadmirablementàvotrefonction,dis-je,lamineavenante.
Labarbicheenpointedemontuteurfrémit.
— L’affaire, à ce qu’on m’a dit, est grave et l’heure n’est pas aux
badineries.PèreDooms,relevez-vous,jevousécoute.Pasvous,monenfant,
vous vous relèverez selon mon bon vouloir. Et baissez les yeux, je vous
prie!
S’installa un silence respectueux durant lequel mon bon père me
dévisagea,laminesombre.
—Aufait!s’impatiental’éminence.
— Oui, Monseigneur, fit Dooms qui sur le ton qu’il affectionnait prit
sitôtlaparole,lapaupièrebaisséeetlaminepateline:
—Éminence,àmongrandregret,jecrainsquel’impudicitédesparoles
dont je dois faire usage pour dépeindre les turpitudes de votre protégé
n’offensevosoreilles.
—Cejeunehommeestlefilsdeceluiquisauvamonpère,unbrillant
capitainemortaucombatpourunesaintemissioncatholique.J’espèreque
vosaccusationssontmotivées,pèreDooms.
— Je vous entends bien, Monseigneur, mais il s’agit de pratiques si
déplorables qu’il me faut malgré moi vous les rapporter pour que vous
puissiezprendretouteslesdispositionsutilesàlapunitiondel’indignesujet,
susurralerégent.
—Monfilleulfutreclusencelluledepénitenceprèsdetroismois,il
mesemblequ’entermesdepunition…
—Desprémices,votreÉminence,desprémices.Jecomptebien…
—Aufait!monsieurlerégent,s’exaspéramonbonpère.
— J’y viens, fit Dooms, avec une minauderie inquisitrice. Votre
protégé,endehorsdesesplaisanteriessurlesSaintesÉcritures,dissolution
dontonvousaaviséàplusieursreprises,présidaitungroupededébauchés
quiselivraientsoussesdirectivesàdelicencieusesmanipulations.
—C’est-à-dire,clairement?demandalenoncelesourcilarqué.
—Àlasouilluremanuelle,chuchotapresquelerégentenjoignantles
mains.
Ceàquoijerépondisenintervenantdelasorte:
— Expérience purement scientifique qui n’avait d’autre but que
l’avancéedesconnaissancesducorpshumain!
— Expérience exécrable ! dit sèchement le régent, ces pollutions
répétées ont affaibli plusieurs membres d’une même classe ! Ce qui fit
soupçon.
Mon tuteur qui pour prendre de la distance s’était placé devant la
fenêtreetobservaitlesjeuxdesétudiantsdanslacourseretournasoudain.
—J’enaientendusuffisamment.Laissez-nousseuls,pèreDooms.
Lerégent,ayantquittélapièce,lenoncemerelevaetm’embrassa.
— Massimo, mon enfant, vous me désespérez. Je ne puis croire
vraimentquecesoitvotrepenchantpourlessciencesnaturellesquivousait
poussé à commettre le péché d’Onan et de surcroît en compagnie d’autres
libertins.Àcausedevotreconduite,vousn’avezpuprendrel’airchezvotre
bonnenourriceElkeetvousavezpassévosvacancesentrequatremurs.Je
voustrouvebienpâlot.
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