Montalembert se désolait de « l’adoration servile » de la force et du pouvoir qu’il
constatait dans le clergé. Mgr Veillette, vous demandez dans un style aux mains jointes
qui dissimule mal des manières cauteleuses et autoritaires que les parents catholiques
tolèrent passivement une négation arbitraire et despotique de leurs droits. Non content de
rester le silencieux complice des puissants de ce monde, vous vous êtes attaqué aux
faibles et aux petits qui auraient dû compter sur votre protection. Les gens de votre
espèce craignent aujourd’hui de passer pour des « catholiques intégristes », comme disent
d’incultes gazetiers ; demain, ils auront honte de passer pour catholiques tout court.
Vous rétorquez qu’ils sont peu nombreux à s’opposer au cours ÉCR : « 1645 demandes
d’exemption pour l’ensemble du Québec, alors qu’il y a environ 900 000 élèves », dites-
vous. Je ne sais ce qu’il faut admirer le plus dans cet argument : la bêtise qu’il annonce –
oui, les réalistes sont bêtes à force de perdre de vue l’essentiel ! – ou la bassesse d’âme
qu’il dénote. Que nos libertés politiques, surtout parmi les Canadiens français, soient
défendues par peu, cela est dans l’ordre. Demandez-vous un instant ce qu’il faut de
courage, sinon d’héroïsme, chez les parents pour s’opposer à la volonté de l’État, au
risque de pénaliser leurs enfants ! Les libertés de tous ont toujours été sous la protection
de quelques-uns. C’est une aristocratie morale qui s’est levée et que vous avez tenté de
décourager. Les majorités sont ordinairement silencieuses, soumises au plus fort,
indifférentes au vrai, au juste, au bien. Mais la grande majorité des parents n’en est pas
moins hostile à l’obligation du cours d’éthique et de culture religieuse. Et il n’est pas
honnête, il est même vil de votre part de le dissimuler.
Quelle est la cause profonde de ce collaborationnisme de l’Église québécoise ? Un
religieux de votre diocèse, le père Claude Lacaille, pmé, de Trois-Rivières, dans un
article odieux intitulé « La barque de Pierre aux mains de pirates vêtus de pourpre » que
tout évêque digne de ce nom aurait blâmé avec vigueur, l’avoue aussi inconsciemment
que candidement : « Il faut redonner aux évêques, uniques successeurs des apôtres, leur
rôle de dirigeants des églises locales et assumer collégialement la gouvernance de
l’Église universelle avec le pape. » Le thème de la « collégialité » est simplement ici le
cache-museau de ce qui constitue le mal profond de l’Église du Québec : le gallicanisme.
Cette demi-hérésie, cette hérésie pour les tièdes, née en France au XVe siècle, a été
freinée plus que détruite par le premier concile du Vatican, qui proclama, on s’en
souvient, le dogme de l’infaillibilité pontificale. Elle a vite repris de la vigueur dès le
début du XXe siècle, grâce à ce modernisme condamné par Pie X. Il serait superficiel d’y
voir une simple volonté d’indépendance envers la papauté. Contrepartie catholique du
protestantisme libéral, le gallicanisme, comme le modernisme, est aussi et surtout une
maladie de curé : cet individualisme ecclésiastique, soumis d’avance à l’idéologie
dominante et au subjectivisme ambiant, accrédite une religion à la carte, infiniment
complaisante envers les exigences hystériques d’un moi insatiable et autodéifié. Péguy,
en 1909, a discerné la responsabilité cléricale derrière cette civilisation inchrétienne :
« (...) tout le dépérissement du tronc, le dessèchement de la cité spirituelle (...) ne vient
aucunement des laïcs. Il vient uniquement des clercs. » Il y a plus grave que l’apostasie
avouée : il y a l’apostasie secrète, inconsciente. Trop de prêtres et de théologiens ont
renié le christianisme sans le savoir. Ce ne sont plus des chrétiens ; ce sont des modernes.
Qui croit à la présence réelle chez nos gallicans locaux ? Et qui sait qu’il n’y croit plus ?