Migros Magazine 7, 9 février 2009 chronique |25
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MINUTE PAPILLON
Jean-François
Duval,
journaliste
La première fois
que Valentin et
Valentine ont re-
gardé la TV en-
semble (ils se
connaissaient depuis deux mois), ils
étaient serrésl’un contre l’autre sur un
canapé de salon. Ce qui se passait sur
l’écran pouvait être totalement insigni-
fiant, c’était quand même formidable de
regarder la TV à deux. Quelques années
plus tard, on retrouve Valentin et Valen-
tine avec chacun au doigt un bel anneau
d’or. Le canapé n’a pas changé, le poste TV
non plus, l’appartement comporte une
chambre de plus, avec bébé.
Le soir, comme bien du monde, Va-
lentin et Valentine sont assez régulière-
ment assis devant la TV. Généralement
(c’est pour ça qu’ils se sont mariés), ils
sont d’accord sur le programme à regar-
der: des émissions d’actualité, et bien sûr
quelques films et séries. Parfois, les goûts
divergent légèrement. Valentin regarde
un match de boxe. Valentine attaque un
rébus. Ou bien Valentine suit Les Experts,
et Valentin, qui trouve ça barbant, ouvre
son journal. Il le repose quand commence
Rome –le triomphe de César.Valentine se
remet à son rébus.
C’est là que ça se complique. Tout à
coup, Valentin doit aller faire pipi. Il de-
mande donc à Valentine de suivre l’action
pendant le temps que cela prendra, afin
qu’elle lui rapporte ce qui se sera passé en-
tre-temps. Valentine délaisse son rébus et
ne quitte pas des yeux l’écran pendant deux
minutes. Lorsque Valentin revient, elle lui
dit «Il ne s’est rien passé» –c’est toujours
vrai, car on n’imagine pas les temps morts
dont ces séries sont bourrées.
A la même heure le lendemain, le télé-
phone sonne, c’est la meilleure amie de
Valentine, et il va bien falloir compter une
heure de conversation. Or le film ou la sé-
rie vient de débuter et Valentine voudra
naturellement savoir comment tout cela
aura fini, c’est-à-dire QUI a commis l’épou-
vantable crime et pour quelle raison. Va-
lentine prie donc Valentin de suivre le film
(elle croit qu’il le suit, en fait il pense au
boulot) pour qu’il lui résume tout ça quand
elle reviendra de son papotage, car elle va
s’isoler dans la pièce à côté. Déjà que Va-
lentin n’a justement pas bien suivi ce dé-
but de Cold Cases et ne sait pas du tout qui
vient d’être assassiné... il lui faudra la plus
grande vigilance pour assurer...
Par bonheur, il existe des séries que tous
deux regardent avec une égale attention.
Ou, mieux encore, des films comme Scoop,
de Woody Allen, ou Les Infiltrés, de Scor-
cese, avec Nicholson et DiCaprio. Une
histoire très compliquée: la Police d’Etat
du Massachusetts et la mafia s’infiltrent
l’une l’autre, avec encore des infiltrations
possibles du côté du FBI. Dans ces cir-
constances périlleuses, mieux vaut que ni
Valentin ni Valentine ne quitte le canapé
pendant les 2 h 30 du film, fût-ce pour al-
ler vite tirer un Magnum du congélateur
ou se servir une eau minérale.
Ce genre de film ne facilite pas le
sommeil, car l’esprit court après une ex-
plication générale qui ne vient pas. A
l’heure de s’endormir, Valentin en est en-
core à questionner Valentine «Mais tu as
compris, toi, pourquoi... etc.?» La répon-
se, si elle existe, se révèle d’une telle com-
plexité ou invraisemblance qu’il sera plus
sûr de tout reprendre de A à Z au petit-
déjeuner. Ah, la vie, quel puzzle! Mais Va-
lentin et Valentine n’y sont-ils pas des piè-
ces merveilleusement complémentaires?
Valentin et Valentine devant la TV