Chapitre 6
Polynômes
6.1 Polynômes à une indéterminée sur un anneau commutatif
Si Aest un anneau intègre de corps des fractions K, l’ensemble des éléments de K[X]dont
tous les coefficients appartiennent à Aen forme un sous-anneau que nous avons noté A[X]. (C’est
un exercice facile laissé au lecteur ; d’ailleurs, il se déduit de l’un des résultats qui vont suivre :
lequel ?) Plus généralement, on a introduit 1dans les exemples de la section 2.1 l’anneau A[X]des
polynômes à coefficients dans n’importe quel anneau commutatif A. L’application principale en
L3 concerne le cas où Aest factoriel, que nous étudierons à la section suivante.
6.1.1 Propriétés générales
Rappelons qu’un élément de A[X]est une expression de la forme
i0aiXi, où les aisont nuls à
partir d’un certain rang, autrement dit (ai)i0A(N). On convient que l’égalité :
i0aiXi=
i0biXi
équivaut à la suite d’égalités : iN,ai=bi. De plus, si ai=0 pour tout i>n, on abrège la
notation ci-dessus en posant
i0aiXi=:n
i=0aiXi=a0+··· +anXn.
La structure algébrique de A[X]provient des deux lois de composition interne suivantes (addi-
tion et multiplication) :
i0
aiXi+
i0
biXi:=
i0
(ai+bi)Xi,
i0
aiXi!×
i0
biXi!:=
i0
j+k=i
ajbk!Xi.
Théorème 6.1.1 (i) On obtient ainsi un anneau commutatif (A[X],+,×). L’élément neutre de
l’addition est 0 :=
i00Xi. L’opposé de
i0aiXiest
i0(ai)Xi. L’élément neutre de la multiplica-
tion est (avec la notation de Kronecker) 1 :=
i0
δi,0Xi.
(ii) L’application a7→
i0(aδi,0)Xiest un isomorphisme de Asur le sous-anneau de A[X]formé des
1. Comme déjà remarqué, on ne peut parler d’une véritable définition dans la formulation de ces exemples : voir
pour cela RW1 et RW2.
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polynômes
i0aiXitels que ai=0pour i>0. On identifie Aà ce sous-anneau, dont les éléments
sont appelés polynômes constants.
(iii) Soit Aun sous-anneau de A. Le sous-ensemble A[X]de A[X]en est un sous-anneau.
Preuve. - La démonstration est entièrement mécanique et laissée au lecteur.
La dernière assertion permet de retrouver le cas d’un anneau intègre Ade corps des fractions
K: on voit que A[X]est bien un sous-anneau de K[X]. Dans les deux énoncés qui suivent, nous
notons, pour tout idéal Ide A:
IA[X]:=(
i0
aiXiA[X]| ∀iN,aiI).
Proposition 6.1.2 Soit f:ABun morphisme d’anneaux. Alors l’application
i0aiXi7→
i0f(ai)Xi
est un morphisme d’anneaux de A[X]dans B[X]. Son image est B[X], où B:=Im f. Son noyau
est JA[X], où J:=Ker f.
Preuve. - La démonstration est entièrement mécanique et laissée au lecteur.
Corollaire 6.1.3 Soit Iun idéal quelconque de l’anneau A. Le morphisme A[X](A/I)[X]déduit
du morphisme canonique AA/Iest surjectif de noyau IA[X]. En particulier, IA[X]est un idéal
de A[X]et A[X]/IA[X](A/I)[X].
Preuve. - Appliquer la proposition à B:=A/I.
Notations de base. Si P:=
i0aiXin’est pas nul et si nNest le plus grand indice tel que
an6=0, on pose :
degP:=n(degré de P),
tdP:=anXn(terme dominant de P),
cdP:=an(coefficient dominant de P).
On posera de plus deg0 :=; mais les expressions td(0)et cd(0)ne sont pas définies. Ces
notations servent surtout si Aest un anneau intègre :
Proposition 6.1.4 Soit Aun anneau intègre et soient P,QA. Alors :
deg(P+Q)max(degP,degQ),
deg(PQ) = degP+degQ,
td(PQ) = (tdP)(tdQ),
cd(PQ) = (cdP)(cdQ).
De plus, si degP6=degQ, la première inégalité devient une égalité. Plus généralement, le seul cas
où ce n’est pas une égalité est celui où td(P) = td(Q).
Preuve. - La démonstration est entièrement mécanique et laissée au lecteur.
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Corollaire 6.1.5 Les inversibles de A[X]sont les éléments de A(l’anneau Aétant toujours sup-
posé intègre).
Preuve. - En effet, si PQ =1 alors deg(P) + deg(Q) = 0, donc deg(P) = deg(Q) = 0, i.e. P et Q
sont constants : la conclusion vient facilement.
Les exemples suivants montrent que l’hypothèse d’intégrité n’est pas superflue.
Exemples 6.1.6 1. Prenons A=Z/6Z,P:=1+˙
2Xet Q:=1+˙
3X. Alors PQ =1+˙
5X, donc
degPQ =degP+degQ1.
2. Prenons A=Z/4Zet P:=1+˙
2X. Alors P2=1, donc Pest inversible.
Exercice 6.1.7 (Cours) Montrer que quatre formules restent vraies sur un anneau quelconque
(non supposé intègre), à condition, pour les trois dernières, que l’on suppose que cd(P)ou cd(Q)
n’est pas diviseur de zéro.
6.1.2 Division euclidienne dans A[X]
Proposition 6.1.8 Soit Aun anneau commutatif. (On ne suppose pas Aintègre !)
(i) Soit PA[X]non nul, de terme dominant td(P) = aXn. Pour tout FA[X], il existe kNet
Q,RA[X]tels que : (akF=PQ +R,
degR<degP.
On peut prendre k:=max(0,1+degFdegP).
(ii) Si a=cd(P)est inversible, on peut prendre k=0; et Q,Rsont alors uniques.
Preuve. - (i) Si degF<degP, on prend k=0, Q=0 et R=F.
Si degFdegP, on élimine le terme dominant en posant F1:=aF cd(F)XdegFdegPP, qui est de
degré degF1<degF. Par récurrence, on peut donc supposer que ak1F1=PQ1+R, degR<degP,
avec k1:=max(0,1+degF1degP). On en tire akF=PQ +Ravec k=k1+1 et Q=Q1+
ak1cd(F)XdegFdegP.
(ii) Si aest inversible, on déduit de l’égalité précédente F=P(akQ) + akR, avec degakR=
degR<degP. Pour prouver l’unicité, on suppose PQ +R=PQ1+R1avec degR,degR1<degP.
On a alors degP(QQ1)<degP, ce qui n’est possible que si QQ1=0 : en effet, le coefficient
dominant a=cd(P)ne peut vérifier a×cd(QQ1) = 0.
Exemples 6.1.9 1. On prend A=Z[X],P=2X+1 et F=X3+X2+X+1. Alors 8F=
P(4X2+2X+3) + 5.
2. On prend A=K[X,Y],P=XY +1 et F=X3+X2+X+1. Le calcul se mène ainsi :
Y F =X2P+F1,F1= (Y1)X2+Y X +Y,
Y F1= (Y1)XP +F2,F2= (Y2Y+1)X+Y2,
Y F2= (Y2Y+1)P+F2,F2=Y3Y2+Y1,
Y3F=Y2(Y F F1) +Y(Y F1F2) +Y F2=P(Y2X2+Y(Y1)X+ (Y2Y+1)) + (Y3Y2+Y1).
3. Si PZ[X]est tel que P(i) = 0 alors P(X2+1)Z[X].
Exercice 6.1.10 Comment déduire rigoureusement le premier exemple du second ?
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6.2 Polynômes sur un anneau factoriel
Dans toute cette section, l’anneau Aest supposé factoriel. On suppose de plus choisi un en-
semble Pde représentants des irréductibles de Apour la relation d’association (voir les sections
5.1 et 5.3 du chapitre 5). On notera P+l’ensemble des produits d’éléments de P:
P+:={p1··· pk|kNet p1,..., pkP}.=(
pP
prp|(rp)N(P)).
Ainsi, pour une famille quelconque (ai)d’éléments de A,le pgcd des aiest bien défini et c’est un
élément de P+; et les aisont premiers entre eux dans leur ensemble si, et seulement si, leur pgcd
est égal à 1.
Exercice 6.2.1 (Cours) Démontrer ces affirmations concernant K.
Définition 6.2.2 (i) On appelle contenu d’un polynôme non nul de A[X]le pgcd de ses coefficients.
On notera c(F)le contenu du polynôme F.
(ii) Le polynôme non nul de A[X]est dit primitif si ses coefficients sont premiers entre eux dans
leur ensemble. Le polynôme Fest donc primitif si c(F) = 1.
Lemme 6.2.3 Tout polynôme non nul FA[X]s’écrit de manière unique F=c˜
F, où cP+et
˜
Fest primitif ; le facteur cest égal au contenu c(F).
Preuve. - L’égalité aiXi=c˜aiXiavec cP+et les ˜aipremiers entre eux dans leur ensemble
équivaut à i,ai=c˜ai, donc cdoit être le pgcd des ai.
Théorème 6.2.4 (Gauß) (i) Le produit de deux polynômes primitifs est un polynôme primitif.
(ii) Soient F,GA[X]deux polynômes non nuls. Alors c(FG) = c(F)c(G)et f
FG =˜
F˜
G.
Preuve. - (i) Supposons F,GA[X]primitifs. On va démontrer par l’absurde que les coefficients
de FG sont premiers entre eux dans leur ensemble. Sinon, il existerait pPqui divise tous les
coefficients de FG. Notant Bl’anneau intègre A/(p), cela revient à dire que l’image FG de FG
par le morphisme A[X]B[X]est nulle. Mais cette image est égale à F×G, donc Fou Gest nul,
i.e. p divise c(F)ou c(G), contradiction. (On peut aussi raisonner plus directement : si ai, resp. bj
sont les coefficients de F, resp. Gnon multiples de pde plus grands indices, alors le coefficient de
FG d’indice i+jn’est pas multiple de p.)
(ii) On écrit en vertu le lemme ci-dessus F=c(F)˜
Fet G=c(G)˜
G, d’où FG =c(F)C(G)˜
F˜
G=
c(FG)f
FG, d’où, puisque ˜
F˜
Gest primitif, les égalités voulues (toujours en vertu du lemme).
Extension au corps des fractions. Soit Kle corps des fractions de A. On notera Ple sous-
groupe de Kengendré par P:
P=(
pP
prp|(rp)Z(P)).
Tout élément aKadmet alors une unique écriture a=εaavec εAet aP. D’autre
part, toute famille (ai)d’éléments non tous nuls de Kadmet un unique “pgcd” cPtel que les
bi:=c1aisont des éléments de Apremiers entre eux dans leur ensemble.
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Corollaire 6.2.5 (i) Tout polynôme non nul FK[X]admet une unique écriture F=c˜
F, où
cPet où ˜
FA[X]est primitif.
(ii) On a encore les formules c(FG) = c(F)c(G)et f
FG =˜
F˜
G.
La constante c(F)Pest encore appelée contenu de F.
Corollaire 6.2.6 Soit FK[X]. Alors FA[X]c(F)A.
Corollaire 6.2.7 Soit FK[X]. Alors FK[X]A[X] = ˜
FA[X].
Lemme 6.2.8 (i) Les éléments irréductibles de Asont premiers dans A[X].
(ii) Les polynômes FA[X]qui sont primitifs dans A[X]et irréductibles dans K[X]sont premiers
dans A[X].
Preuve. - (i) Soit pP(il suffit évidemment de considérer ce cas). Si p|FG,F,GA[X]alors
on peut écrire FG =pH,HA[X], donc, en prenant les contenus : pc(H) = c(F)c(G), donc
p|c(F)c(G)dans A, donc p|c(F)ou p|c(G)dans A(car pest premier dans A) donc p|Fou p|G
dans A[X](clair).
(ii) Soit HA[X]primitif dans A[X]et irréductible dans K[X]et supposons que H|FG,F,G
A[X]. Alors H|FG dans K[X]; comme Hest irréductible, donc premier, dans K[X], on en déduit
par exemple que H|Fdans K[X](le cas où H|Gse traitant de la même manière). On écrit donc
F=HL,HL K[X]. En prenant les contenus, on trouve que c(F) = c(H)c(L) = c(L), puisque H
est primitif. Donc c(L)A, donc LA[X], donc H|Fdans A[X].
Théorème 6.2.9 L’anneau A[X]des polynômes sur l’anneau factoriel Aest factoriel. Ses irréduc-
tibles sont d’une part les éléments irréductibles de A, d’autre part les polynômes primitifs dans
A[X]qui sont irréductibles dans K[X].
Preuve. - Tout d’abord, il est clair que tout élément irréductible de A[X]est de l’une des formes
indiquées. D’après le lemme, on voit donc que tout élément irréductible de A[X]est premier.
Soit maintenant FA[X]non nul et non inversible. Si degF=0, c’est un élément de l’anneau
factoriel A, donc un produit d’irréductibles de A, donc de A[X]. Si degF1, c’est un produit d’ir-
réductibles de K[X]:F=G1···Gk. On en déduit que ˜
F=˜
G1··· ˜
Gk; or chaque ˜
Giest irréductible
dans K[X](car associé à Gi) et primitif (par définition) donc ˜
Fest un produit d’irréductibles de
A[X]. Il en est de même de c(F)(premier cas, ou cas spécial c(F) = 1), donc de F=c(F)˜
F.
Corollaire 6.2.10 Les anneaux Z[X1,...,Xn]et K[X1,. . . , Xn]sont factoriels.
Exercice 6.2.11 Vérifier que tout élément irréductible de A[X]est de l’une des formes indiquées.
Choix d’un ensemble de représentants des irréductibles de A[X].Il suffit de prendre les élé-
ments de Pd’une part, et d’autre part les polynômes primitifs dans A[X]qui sont irréductibles dans
K[X]en imposant de plus que leur coefficient dominant soit dans P+.
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