anesthesie et analgesie des interruptions volontaires de

OBSTETRIQUE 67
ANESTHESIE ET ANALGESIE DES INTERRUPTIONS
VOLONTAIRES DE GROSSESSES D’INDICATION
MEDICALE
J-C. Ducloy*, D. Flinois*, A-S. Valat-Rigot*, A-S. Ducloy-Bouthors *, F. Puech**,
R. Krivosic-Horber***. *Collège Anesthésie, Maternité Jeanne de Flandre, CHRU Lille
**Collège Obstétrique, Maternité Jeanne de Flandre, CHRU Lille. ***Département
Anesthésie Réanimation n°1, Hôpital Salengro CHRU Lille 59037 Lille Cedex.
INTRODUCTION
L’amélioration des techniques de dépistage anténatal induit une augmentation du
nombre des interruptions volontaires de grossesse d’indication médicale (IMG) : 1 000
à 3 000 cas annuels en France [1, 2]. L’actuelle demande croissante et légitime de la
prise en charge de la douleur nécessite une prise en charge de ces IMG par les anesthé-
sistes réanimateurs.
Le but de ce travail est de présenter les techniques obstétricales utilisées, d’exami-
ner les pratiques usuelles à la lumière des publications médicales et de proposer une
prise en charge anesthésique des IMG.
L’étude de la littérature doit être prudente et doit tenir compte de législations diffé-
rentes : ainsi en Grande-Bretagne, il existe un terme limite pour réaliser une IMG et
aux Etats-Unis, la Mifégyne® n’est pas commercialisée ce qui rend les procédures tota-
lement différentes. Les protocoles et résultats ne sont donc pas toujours comparables.
Dans les revues d’anesthésie, rares sont les publications faisant état de ce sujet
comme d’une indication à part entière. Dans les revues obstétricales, les techniques
d’anesthésie sont citées sans que les choix de techniques et que les interférences entre
les thérapeutiques soient véritablement discutées. L’anesthésie générale d’expulsion y
est parfois proposée de manière systématique [3], comme un «cache-misère» de la pri-
se en charge globale, sans discussion de la balance de risques d’une anesthésie de fin de
travail.
Comme beaucoup de pathologies douloureuses, l’IMG
nécessite une prise en charge
multidisciplinaire. Pourtant, peu de publications signalent la présence de l’anesthésiste
dans l’équipe de prise en charge [4, 5] et son rôle décisionnel dans le choix des techni-
ques et produits qui seront utilisés [4]. L’anesthésiste est pourtant au-devant de la scène
depuis le début des contractions douloureuses jusqu’à l’expulsion et c’est sur lui que
repose, en accord avec le couple, le choix et la responsabilité des techniques d’anes-
thésie et d’analgésie ainsi que la prévention des complications.
L’expérience que nous avons acquise, au sein d’une équipe multidisciplinaire, de-
puis 1992, privilégie l’analgésie de l’ensemble du travail, la sécurité anesthésique lors
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des éventuelles anesthésies pour le geste fœticide et pour l’expulsion ainsi que le choix
des parents pour le type de vécu qu’ils désirent pour chaque étape du déroulement de
cette expérience dramatique. Une étude rétrospective sur 169 cas d’IMG de plus de
12 SA, ayant accouché par voie basse en 1997 et 1998 a été réalisée dans notre établis-
sement, nous permettant de proposer un protocole d’anesthésie et d’analgésie répondant
mieux à ces objectifs [6]. L’absence de patientes de terme < 12 SA dans notre popula-
tion explique certaines différences dans nos résultats par rapport à la littérature.
1. INDICATIONS
La décision d’interruption de grossesse est le fait d’un accord entre des parents
clairement informés et un collège médical comportant, conformément à la législation,
un médecin expert auprès de la Cour d’Appel, spécialisé en médecine materno-
fœtale [2]. Les indications relèvent de causes maternelles, lorsque la grossesse met en
jeu le pronostic maternel, et de causes fœtales.
1.1. CAUSES MATERNELLES
Dans notre étude (au-dessus de 12 SA), les indications maternelles représentent
9,3 %. Dans la littérature, des chiffres de 15,3 % à 28 % sont retrouvés [5, 7]. Les auteurs
s’entendent pour affirmer que le pourcentage d’indications maternelles est en baisse,
du fait du recul des contre-indications à la grossesse. L’indication d’IMG pour cause
maternelle est en moyenne plus précoce que lors des causes fœtales car la cause mater-
nelle préexiste à la grossesse ou est dépistée au début de celle-ci. Le terme moyen dans
notre série est de 20 SA contre 24 SA pour les indications fœtales. Zimbris rapporte des
différences plus nettes : 14,5 SA contre 24 SA [5]. La pathologie maternelle indiquant
l’IMG est susceptible de complications spécifiques. L’anesthésiste est donc confronté,
en plus de la réalisation de l’IMG, à la prévention et au traitement de ces éventuelles
complications. Cette tâche supplémentaire n’est pas traitée dans cet exposé.
1.1.1.
CAUSES
PREEXISTANTES
A
LA
GROSSESSE
(
AUCUN
CAS
DANS
NOTRE
ETUDE
)
Rares sont les pathologies qui contre-indiquent définitivement la grossesse. A for-
tiori plus rares encore sont celles qui indiquent l’interruption d’une grossesse débutée.
Le plus souvent il s’agit de patientes connaissant la contre-indication et présentant une
grossesse accidentelle par échec ou oubli plus ou moins volontaire de contraception.
Parmi les étiologies les plus fréquentes, on peut citer certaines cardiopathies graves ou
instables, un infarctus récent, un diabète avec rétinopathie évolutive.
Les modalités obstétricales d’IMG sont identiques à celles employées pour les
causes fœtales (cf ci-dessous). Le terme précoce du diagnostic induit une plus grande
fréquence des curetages en dessous de 12 SA. Au-delà, on procède soit à un accouche-
ment par voie basse, soit à une dilatation-extraction. Exceptionnellement, la pathologie
maternelle contre-indique la prise de médicaments inducteurs du travail ou l’effort lié
au travail et à l’expulsion. L’IMG est alors réalisée par césarienne au cours de laquelle
la stérilisation tubaire doit être systématiquement envisagée sauf si la cause maternelle
a une chance d’être curable.
1.1.2.
CAUSES ACQUISES LORS DE LA GROSSESSE (14 CAS DANS NOTRE ETUDE = 9,3 %)
Il s’agit d’une pathologie aggravée par la grossesse ou plus souvent d’une compli-
cation précoce de celle-ci, comme le HELLP syndrome grave, précoce et instable avec
souffrance poly-viscérale et fœtale. Une cause plus rare est la découverte d’une néopla-
sie pendant la grossesse. Ces patientes bénéficient souvent d’un traitement anticoagulant
ou présentent des altérations de l’hémostase empêchant le recours à une analgésie péri-
durale.
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1.2. CAUSES FŒTALES (90,7 % DANS NOTRE ETUDE)
Ce sont des pathologies malformatives, métaboliques ou infectieuses incurables. Le
diagnostic anténatal peut être :
Programmé : examen du caryotype pour âge maternel supérieur à 37 ans ou pour
recherche de maladie génétique en raison d’antécédents personnels ou familiaux.
Fortuit : l’échographie systématique mettant en évidence une malformation ou la sur-
venue d’une infection maternelle en cours de grossesse.
Les causes fœtales ont pour caractéristique de conduire à un diagnostic plus tardif.
Les termes rencontrés sont souvent supérieurs à 26 SA. Contrairement à celle du reste
de l’Europe, la législation française autorise l’IMG sans limite de terme, alors qu’en
Grande-Bretagne et en Allemagne les dates butoirs sont de 22 et 24 SA. Cette latitude
permet d’affiner le diagnostic prénatal ou de tenter, lorsque cela est possible un traite-
ment in utero. Par contre, force est de reconnaître que plus le terme est avancé, plus les
liens parents-enfant sont tissés, plus la rupture et le vécu psychologique de l’IMG se-
ront difficiles.
2. TECHNIQUES OBSTETRICALES
Avant 12 SA une évacuation par curetage sous anesthésie générale est réalisée. Les
indications aussi précoces sont rares et sont le plus souvent le fait de pathologies mater-
nelles contre-indiquant souvent la réalisation du geste en anesthésie ambulatoire.
Au-dessus de 12 SA, un curetage n’est plus envisageable, trois techniques sont alors
possibles.
2.1. DECLENCHEMENT DU TRAVAIL
La gravité des complications a fait totalement abandonner les techniques de perfu-
sion intra-amniotique de sérum salé hypertonique et de solutions d’urée. L’ocytocine à
ce terme n’est pas efficace, sauf à des doses élevées exposant aux risques métaboliques
dus à son effet antidiurétique [1].
2.1.1. UTILISATION DES PROSTAGLANDINES ET ANALOGUES
Depuis 1970, les prostaglandines sont devenues le moyen le plus efficace et le plus
sûr pour réaliser une IMG par voie basse. Le taux d’échec est inférieur à 3 % [2]. Les
prostaglandines permettent l’évacuation d’un fœtus intact pour l’examen fœtopatholo-
gique et préservent le pronostic obstétrical de la patiente. Il convient d’apprécier pour
chaque cas l’éventuelle présence de contre-indications absolues ou relatives : asthme,
tabagisme, glaucome, hypertension artérielle, diabète décompensé, thyréotoxicose, af-
fections cardio-vasculaires, hépatiques ou rénales, infections génitales, disproportion
fœto-pelvienne, utérus distendu, utérus cicatriciel. Plusieurs produits ont été utilisés
lors des IMG :
2.1.1.1. Diprostone (Prepidil®)
Prostaglandine E2 appliquée au niveau cervical à raison de deux gels par jour. Dans
5 % des cas on observe des nausées, vomissements et diarrhée.
2.1.1.2. Géméprost (Cervagème®)
Prostaglandine dérivée de la PGE1 utilisée par voie vaginale. La posologie est d’un
ovule toutes les 6 à 8 heures. Des nausées et vomissements sont également possibles
ainsi qu’hyperthermie, troubles du rythme et syndrome vagal.
2.1.1.3. Sulprostone (Nalador®)
Dérivé de la PGE2 utilisable par voie intraveineuse, à raison d’une ampoule de 500 µg
toutes les 6 heures. La voie intramusculaire est interdite. Au-delà du terme de 32 SA,
MAPAR 200070
certains auteurs soulignent le risque accru de rupture utérine sur utérus sain [8, 9] et ne
recommandent pas l’emploi du sulprostone en première intention au profit de laminai-
res le premier jour et recours au sulprostone à partir du deuxième jour [5].
Contre-indiqué chez la patiente de plus de 35 ans, en cas de tabagisme important ou
d’antécédent cardio-vasculaire [4], ses effets secondaires sont représentés par les mê-
mes effets digestifs mais surtout des spasmes coronariens et un effet bronchoconstricteur
chez le sujet prédisposé.
2.1.1.4. Misoprostol (Cytotec®)
Dérivé de la PGE1, initialement utilisé dans le traitement de l’ulcère gastro-duodé-
nal, puis pour l’induction des contractions utérines depuis 1993, à la posologie de 2 cp
de 200 µg par voie orale toutes les 3 à 4 heures en association avec le mifépristone.
Certains auteurs ont proposé l’utilisation de ces comprimés par voie vaginale [10]. Dans
l’indication des IMG, il n’existe pas d’accident relatif à l’emploi du misoprostol [4].
C’est le produit le mieux toléré de cette classe, ses effets secondaires sont surtout di-
gestifs.
Quelle que soit sa voie d’administration, son délai d’action est court. Ceci justifie à
nos yeux que le cathéter péridural soit mis en place au bloc obstétrical avant la prise des
premiers comprimés de misoprostol.
2.1.2. UTILISATION DE LE MIFEPRISTONE OU RU486 (MIFEGYNE®)
Présentée en comprimés de 200 mg, c’est une anti-hormone bloquant les récepteurs
à la progestérone, d’abord proposée pour les IVG, puis pour l’expulsion des morts
fœtales in utero et enfin pour faciliter les IMG. La mifepristone agit en augmentant la
contractilité utérine ainsi qu’en potentialisant l’action des prostaglandines. La durée
moyenne entre la prise de prostaglandines et l’expulsion est significativement plus courte,
(13,6 contre 23,16 heures dans l’étude de Pons [11]), d’où une consommation moindre
de prostaglandines et une réduction de leurs effets secondaires [1]. Pour Maria, la dose
de 200 mg de mifepristone associée au géméprost (1 mg pour 6 heures) permet 96 %
d’expulsions en 24 heures [1].
Il existe une contre-indication à l’association Mifégine®-analogues des prostaglan-
dines en cas d’insuffisance surrénalienne, de corticothérapie, de diabète, d’insuffisance
rénale et hépatique [4].
2.1.3. DILATATION MECANIQUE DU COL
Le délai induction-expulsion peut être réduit par une dilatation cervicale au moyen
de laminaires, bâtonnets hydrophiles fabriqués à partir d’algues, dont le gonflement en
milieu humide provoque une expansion de 5 à 7 fois en 4 heures [2]. Les Dilapans®,
d’origine synthétique ont une expansion plus rapide et semblent plus aisés à poser.
L’utilisation de la dilatation mécanique réduit la durée de l’IMG ainsi que le risque de
rupture utérine ou de déchirure cervicale [4]. Toutefois le risque accru d’infection est à
prendre en compte [4].
Pour Maria, l’amniotomie ou rupture de la poche des eaux, n’est en principe pas
nécessaire, sauf pendant la phase de dilatation [1]. Hoffer propose une application de
laminaires la veille du déclenchement puis, le lendemain, après la pose du cathéter
péridural, l’ablation des laminaires est suivie de l’amniotomie [12]. Ce protocole lui
permet de réduire la durée de la phase de dilatation à 4 h 45 en moyenne. La réalisation
de l’amniotomie est un facteur supplémentaire d’infection et justifie à notre sens, la
réalisation d’une antibioprophylaxie.
Une dernière technique de dilatation mécanique est la pose intra-cervicale d’une
sonde à ballonnet de Dufour. Dans notre étude, la dilatation mécanique a été utilisée
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20 fois (13 %). La durée moyenne de l’IMG était de 19 h 27 à 17 h 20 (mini 2 h 30,
maxi 99 h 30).
2.2. DILATATION EXTRACTION
Cette technique décrite en 1972 était surtout employée pour des grossesses de moins
de 17 SA [2, 4]. Le morcelage du fœtus ne permet pas d’examen fœtopathologique. Au
cours de cette technique, on effectue dans un premier temps une dilatation mécanique
du col au moyen de laminaires. Schneider propose une première pose de 3 laminaires
de taille 4 mm, puis ablation de ceux-ci après 6 heures et repose de 6 laminaires de
taille 5 mm.
L’extraction se fait par morcelage guidé par échographie. La plupart des auteurs
réalisent cette extraction sous anesthésie générale. Warren utilise un bloc para-cervical
à la lidocaïne 1 % parfois précédé en début de dilatation par un premier bloc avec de la
bupivacaïne 0,25 % [13]. Si l’anesthésie générale nous semble ici une bonne indica-
tion, il faut signaler que le geste obstétrical est plus difficile et plus long qu’un curetage
pour grossesse arrêtée de 10 SA ce qui nous conduit à préconiser l’intubation oro-trachéale
.
Schneider précise que la technique dilatation-extraction présente un risque plus fai-
ble de mortalité que l’emploi des prostaglandines (4,9/100 000 versus 9,6/100 000)
selon le Center of Disease Control and Prevention [3]. Il est important de signaler que
ces chiffres sont issus des centres américains où le RU 486 n’est pas utilisé et donc les
posologies de prostaglandines administrées sont plus importantes.
2.3. CESARIENNE
Souvent ce sont les parents eux-mêmes qui la demandent d’emblée «pour en finir
au plus vite». Il faut savoir résister à cette demande en expliquant qu’une césarienne à
un stade précoce obligera, du fait de la fragilité de la cicatrice, à une césarienne pour
toute grossesse ultérieure. Ses indications actuelles sont réduites aux échecs ou contre-
indications de déclenchement dont les utérus présentent un haut risque de rupture.
3. DOULEUR MATERNELLE
3.1. DOULEUR PHYSIQUE
La douleur physique causée par le travail et l’expulsion est identique à celle des
autres accouchements justifiant au moins, une prise en charge analgésique identique.
Elle est ici potentialisée par la souffrance psychique. Son aboutissement à l’échec fait
qu’elle est ressentie comme totalement inutile par la patiente. La demande en analgésie
est donc plus importante. Dans notre série, seule une patiente n’a pas désiré d’analgésie
pour le travail et l’accouchement.
3.2. SOUFFRANCE PSYCHOLOGIQUE
L’analgésie ne soigne que la douleur physique de la patiente. En supplément, un
soutien psychologique du couple est indispensable. Il doit être effectué par l’ensemble
de l’équipe : obstétricien, sage-femme, anesthésiste et psychologue. Enfin, comme lors
de tout autre travail et accouchement, la présence du conjoint est un élément fondamen-
tal de réussite de ce soutien.
Parmi les facteurs de douleur psychologique conditionnant habituellement un ac-
couchement, Guicheney signale l’angoisse de la séparation, de la culpabilité et le
narcissisme morbide [14].
3.2.1. ANGOISSE DE LA SEPARATION
Lors de tout accouchement, un éloignement de la mère et de l’enfant s’effectue. La
relation privilégiée entretenue pendant la grossesse se rompt brutalement.
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