Réponses : J’ai peur que le droit ne puisse vous apporter de réponse
encourageante car il est, par essence, conservateur. Il me semble en effet que les
réalités s’imposent plus au juriste que le juriste ne peut les modeler. Sans doute peut-
on inventer des concepts, tel celui de droit d’ingérence ou celui de responsabilité de
protéger, mais il m’apparaît, hélas, difficile de les voir se substituer à la souveraineté.
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Jean-Claude Trichet : La discussion que nous avons actuellement me gêne
quelque peu dans la mesure où nous oscillons entre la souveraineté nationale pure, de
type westphalien et une création de la communauté internationale qui identifie des
biens supérieurs de l’humanité et, ce faisant, entre en concurrence avec la
souveraineté nationale.
S’agissant de notre continent, nous nous sommes engagés depuis deux tiers
de siècle dans une entreprise ambitieuse qui consiste à exercer un certain nombre de
dimensions de la souveraineté à un niveau multinational, et ce avec des résultats
concrets : à titre d’exemple, nous avons une cour de justice européenne, nous menons
au niveau européen nos négociations commerciales internationales, nous exerçons la
surveillance de la concurrence au niveau européen, nous avons créé une monnaie
unique. Ce sont là autant d’importants éléments de la souveraineté westphalienne qui
sont exercés au niveau européen.
J’aimerais que vous nous disiez comment vous situez cette entreprise
historique des européens qui est profondément originale. Me trompé-je en
présumant que l’Union européenne est à vos yeux une entreprise louable, mais peu
susceptible de parvenir à l’exercice d’une vraie souveraineté au sens où vous
l’entendez ?
Réponses : D’une façon générale, je vous répondrai que, personnellement,
je m’accommoderais parfaitement d’être un citoyen européen vivant dans la province
que constituerait la France. L’idée d’une fédération, dans laquelle on remet la
souveraineté à l’entité fédérale, alors que dans la confédération chacun garde ses
compétences, était du reste celle des pères de l’Europe.
Mais, sur le plan juridique, je crains que votre formulation ne soit erronée.
Les États n’ont pas abandonné des éléments de souveraineté à l’Europe, mais des
compétences. Certes il s’agit de compétences très importantes, que ce soit en matière
budgétaire, monétaire, pénale ou autre. Mais je crois que les différents Etats
membres de l’Union ont gardé leurs souverainetés respectives. Du reste, quand la
Communauté européenne est membre d’une organisation internationale – Autorité
des fonds marins, Organisation mondiale du commerce, etc. – elle se garde bien
d’exprimer une voix unique. Ce sont les Etats qui s’expriment, même si bien sûr ils
essayent d’harmoniser leur position.
L’entreprise risquée du Brexit lancée par David Cameron montre bien que
l’Europe n’est pas un Etat. Il est juridiquement tout à fait possible de sortir de l’Union.
En revanche, là où il y a un Etat souverain, une sortie n’est pas possible. Il suffit de
penser à la Corse ou à la Bretagne.
La construction européenne est à mon sens une belle entreprise, mais qui est
menacée dès lors que, précisément, la voie du transfert de souveraineté semble
bouchée.