La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVI - n° 5 - septembre-octobre 2011 | 181
Résumé
Depuis 1996, date de l’introduction des trithérapies antirétrovirales, l’incidence des lymphomes non
hodgkiniens (LNH) est en diminution, alors qu’il semble que l’incidence des lymphomes hodgkiniens (LH)
augmente. L’étude française OncoVIH a mis en évidence que les LNH représentent la première tumeur chez
le patient infecté par le VIH (21,5 %) et les LH la cinquième (7,6 %). Trois facteurs principaux sont impliqués
dans la lymphomagenèse : le dysfonctionnement immunitaire, les virus oncogènes (virus d’Epstein-Barr et
HHV-8) et les anomalies moléculaires. La prise en charge des patients infectés par le VIH se rapproche de
celle de la population générale quant au choix de la chimiothérapie, à la durée du traitement et au suivi.
La nécessité d’introduire ou de maintenir un traitement antirétroviral efficace parallèlement à la chimio-
thérapie tout en prenant en compte les problèmes de toxicité cumulée et d’interactions médicamenteuses
entre la chimiothérapie antitumorale et les antirétroviraux justifie une prise en charge multidisciplinaire
et concertée des ces patients, comme le recommande le rapport Yéni 2010.
Mots-clés
Lymphome
VIH
Maladie de Hodgkin
Chimiothérapie
Summary
Since 1996, when HAART was
introduced, the incidence rate
of non-Hodgkin’s lymphomas
has been decreasing while
an increase in the incidence
of Hodgkin’s lymphomas was
observed. The OncoVIH French
study shows that non-Hodg-
kin’s lymphomas represent
the first tumor (21,5 %) and
Hodgkin’s lymphomas the fifth
(7,6 %) in HIV-infected patients.
Three key factors are involved
in the lymphomagenesis: immu-
nological dysfunction, proon-
cogenic viruses (Epstein-Barr
virus and HHV-8) and molecular
abnormalities. The care of HIV-
infected patients is more and
more similar to that of the
general population regarding
choice of chemotherapy, dura-
tion of treatment and follow-
up. The necessity of introducing
or maintaining an effective
antiretroviral treatment while
chemotherapy is being intro-
duced, taking into account
the problems of accumulated
toxicity and drug interactions
between antitumoral chemo-
therapy and HAART, justifies a
multidisciplinary approach as
recommended in the Yéni 2010
report.
Keywords
Lymphome
HIV
Hodgkin’s disease
Chemotherapy
Le VIH a un rôle indirect dans la lymphomagenèse,
car il n’infecte pas les cellules tumorales. Ces voies de
lymphomagenèse ne sont pas exclusives et peuvent
se combiner. Les lymphomes associés au VIH étant
très hétérogènes, la part de ces mécanismes varie en
fonction du degré d’immunodépression et du type
histologique du lymphome.
Au cours de l’infection par le VIH, le génome de
l’EBV est retrouvé dans 30 à 70 % des cellules
tumorales de LNH. Sa mise en évidence dans les
ganglions des hyperplasies folliculaires du VIH
précédant un LNH et son caractère clonal dans
les cellules tumorales montrent que l’infection par
l’EBV précède la prolifération lymphomateuse et
plaident en faveur du rôle pathogénique de celui-
ci. L’EBV exprime des protéines virales oncogènes,
dont LMP-1, exprimé à la surface des cellules infec-
tées, qui induit, via le facteur de transcription NF-κ
B, l’expression de gènes intracellulaires qui ont
pour effet de stimuler la prolifération et d’inhiber
l’apoptose. LMP-1 est exprimé dans les latences de
type 2 (observé dans les maladies de Hodgkin liées
à l’EBV) et 3 (celle des lignées lymphoblastoïdes
et des lymphoproliférations des sujets immunodé-
primés) ; il n’est en revanche pas exprimé dans la
latence de type 1 (la forme de latence du lymphome
de Burkitt) [8].
Dans 50 à 60 % des cas, le lymphome survient
à un stade évolué, avec un taux de lymphocytes
CD4 inférieur à 200/mm3, et, dans près de 25 %
des cas, chez des patients asymptomatiques ou
présentant une polyadénopathie chronique et
ayant plus de 400 CD4/mm3. Dans 25 % des cas, la
charge virale du VIH est indétectable au diagnostic
du lymphome.
La présentation clinique classique est celle d’une
maladie extraganglionnaire avec des localisations
inhabituelles (cavité buccale, anus et rectum, nez,
peau, testicules et tissus mous).
Sur le plan pronostique, grâce à la trithérapie anti-
rétrovirale, la survie s’est améliorée ces dernières
années, avec des médianes de survie atteignant 3 à
4 ans, proches de celles retrouvées chez les patients
non infectés par le VIH [10]. Les facteurs pronos-
tiques sont bien identifiés : taux de lymphocytes
CD4 bas, charge virale du VIH élevée, âge avancé
et sexe masculin.
Sur le plan thérapeutique, grâce aux HAART, le
traitement est réalisé avec des doses standard
de chimiothérapie, sans augmenter la toxicité.
Le traitement repose sur une polychimiothérapie
de type rituximab (R)-CHOP (vincristine, adria-
mycine, cyclophosphamide, dexaméthasone tous
les 21 jours, réponse complète à 2 ans de 75 %),
éventuellement à dose densifiée (ACVBP : méthot-
rexate intrathécal, adriamycine, cyclophosphamide,
vindésine, bléomycine, prednisone, ou CHOP-14,
c’est-à-dire tous les 14 jours) ou selon le proto-
cole EPOCH (étoposide, prednisone, vincristine,
cyclophosphamide et doxorubicine) à doses
adaptées (11-15). Les dernières données publiées
pour le protocole EPOCH montrent un bénéfice
d’une double dose de rituximab (68 % de survie
à 5 ans et 85 % des patients sans progression) en
comparaison au protocole CHOP dans les LNH B
à grandes cellules (16). Les données concernant
l’utilisation du rituximab mettent en évidence un
bénéfice en termes d’efficacité, mais un surrisque
d’infections a été montré dans certaines études
chez les patients très immunodéprimés avec un
taux de lymphocytes CD4 bas (12, 15, 16). Du fait
du mauvais pronostic des lymphomes de Burkitt,
la plupart des équipes utilisent des chimiothéra-
pies dédiées de type COPADM (cyclophosphamide,
vincristine, doxorubicine, prednisone, méthotrexate
intraveineux et intrathécal), avec des résultats iden-
tiques dans une cohorte associant des patients
VIH négatifs et positifs (survie à 2 ans : 82 versus
73 % ; taux de rémission complète : 88 versus 84 %)
et d’autant meilleurs que les patients ont un bon
état général ou un taux de lymphocytes CD4 supé-
rieur à 100/mm3 (10, 17). La prise en charge des
lymphomes cérébraux repose sur une approche
classique associant des corticoïdes à forte dose à
des chimiothérapies comprenant du méthotrexate
ou de la cytarabine à forte dose. La radiothérapie
encéphalique ne se conçoit à faible dose qu’en vue
de la consolidation d’une rémission obtenue par
chimiothérapie.
En pratique, les patients VIH doivent être traités
comme des patients non infectés, pour atteindre
les mêmes courbes de survie, et bénéficier d’un
traitement antirétroviral dont il a été montré qu’il
améliore la survie des patients traités (6, 18).