l’Institut Français du Pétrole, des économistes, les grandes compagnies pétrolières, les pays
exportateurs) le repoussent jusqu’à 2020, voire 2030.
Le débat ne porte plus tellement sur la possibilité de découvrir de nouveaux champs. Les spécialistes ont
aujourd’hui accès à l’ensemble des données géologiques sur tous les bassins pétroliers, et un
échantillonnage suffisant a permis d’évaluer les réserves selon des méthodes prédictives fiables. Certes
la majorité des forages d’exploration ont été réalisés dans des zones déjà très exploitées (le coût étant
inférieur), et l’exploration prochaine de nouvelles zones promet des découvertes. Mais les plus grands
champs accessibles du globe, étant les plus difficiles à « rater » lors de la phase d’exploration, ont
logiquement été trouvés les premiers. Les méthodes statistiques utilisées par l’ASPO pour calculer la
date du pic incluent par définition la possibilité de découvertes futures. Mais ces découvertes ne seront
vraisemblablement que les miettes du gâteau.
Le débat porte surtout sur la part des volumes récupérables à partir des ressources en place, qui est
principalement fonction de l’évolution des moyens techniques. En effet, l’exploitation commerciale d’un
champ pétrolier ne s’arrête pas quand le réservoir est vide, mais quand il n’est plus possible de faire
remonter le pétrole qui reste à l’intérieur, du fait de contraintes géologiques ou économiques.
Actuellement, les exploitants estiment ne pouvoir récupérer en moyenne qu’un tiers des volumes
disponibles. Cela correspond à un taux moyen de récupération (3) de 35% environ. Grâce aux avancées
techniques, les « optimistes » considèrent que le taux de récupération peut passer à 50%, voire 60% (ce
qui de facto augmenterait le volume des ressources ultimes récupérables de 15%, voire 25%). Les
« pessimistes » envisagent des améliorations plus limitées, concernant surtout le pétrole lourd et extra
lourd.
Ce débat sur la date du pic n’a, finalement, aucune importance dans une perspective à moyen
terme (une échéance de 5 ans ou de 15 ans, c’est moins d’une génération) : l’âge d’or du pétrole touche
à sa fin, et il faut se préparer dès maintenant pour que la transition nécessaire se fasse aussi
sereinement que possible. Ce qui oppose les « pessimistes » et les « optimistes », c’est finalement plus
une divergence de point de vue idéologique qu’une opposition sur les données géologiques : les
« pessimistes », pour la plupart des scientifiques, appliquent à la question du pic de Hubbert le principe
de précaution. En annonçant un pic imminent, ils forcent les dirigeants politiques, les chefs d’entreprise et
les économistes à prendre conscience de l’amenuisement proche et définitif des ressources pétrolières
conventionnelles, et des conséquences économiques et géopolitiques considérables que cet
amenuisement implique. En contrepoint, la motivation des « optimistes » se résume au credo : « le
business comme d’habitude ». Le problème, en effet, c’est que le système économique actuel ne
« marche » pas en l’absence de croissance. Les économistes traditionnels sont donc mus par leur
instinct de survie : ils n’ont pas d’autre choix que d’avoir une confiance aveugle en la science, comme
promesse que « les richesses naturelles sont inépuisables ». Et qu’importe si les scientifiques se
montrent en revanche très prudents sur ses possibilités.
L’offre et la demande
Réintégrons maintenant les ressources pétrolières dans l’économie. En effet, l’étude de la courbe de
production, c’est-à-dire l’offre de pétrole, n’a pas d’intérêt intrinsèque. Quel est le problème si, après avoir
passé un pic, la production de pétrole décroît définitivement? Dans l’absolu, aucun (fini les sacs en
plastique qui volent dans les campagnes). Le monde industriel est bien sorti des ères du bois et du
charbon.
Le problème, en pratique, c’est que l’économie actuelle est fortement dépendante du pétrole, tout comme
– pour faire une comparaison – le corps humain est dépendant de l’eau, dont il est composé à 70%. Le
corps d’un homme de 70 kg, par exemple, contient 50 kg d’eau. Comme l’eau est un élément crucial de
son métabolisme, l’homme n’a pas à perdre ses 50 kg d’eau pour mourir de déshydratation. Une perte
non compensée de quelques 5 kg suffira. De la même façon, notre économie basée sur le pétrole n’a pas
à vider toutes ses réserves pour s’effondrer. Un déficit d’approvisionnement (écart entre l’offre et la
demande) de 10-15% suffira.