Dr Colette Duez, Centre d’Ingénierie des Protéines, Université de Liège
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Les biofilms bactériens.
1. Pourquoi et comment les bactéries forment-elles des biofilms ?
Quels sont les impacts sur la santé ?
La plupart des micro-organismes sont capables de former des biofilms. Présents dans
l’organisme humain, certains biofilms bactériens sont bénéfiques mais d’autres peuvent
provoquer ou aggraver des pathologies et coloniser du matériel médical implanté, entraînant
des infections aiguës ou chroniques.
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Fig. 1 : Diversité des infections associées à des biofilms.
Legend: (1) Computed tomography scan showing chronic sinusitis. (2) Central nervous system shunt infection.
Gram stain of a cerebrospinal fluid specimen showing intracellular Gram-positive cocci. (3) Contact lens-
associated keratitis. (4) Chronic otitis media. (5) Cochlear implant infection. (6) Burn-related infection. (7)
Intravascular catheter infection (a Hickman type catheter is shown). (8) Prosthetic valve endocarditis. (9)
Pacemaker infection. (10) Electrophysiological wire endocarditis (vegetation shown in red circle). (11) Biliary
stent infection. (12) Peritoneal dialysis catheter infection. (13) Prosthetic joint infection. (14) Urinary stent
infection. (15) Intravascular stent infection. (16) Pulmonary infection in cystic fibrosis patient. Gram stain
showing Gram-negative bacilli encased in an alginate matrix. (17) Ventilator associated pneumonia. (18) Breast
implant infection. Illustration provenant de: The Challenge of Treating Biofilm-associated Bacterial Infections.
JL del Pozo and R Patel. Doi:10.1038/sj.clpt.6100247. Clin. Pharmacol. Ther. 82 (2007) 204-9
Le terme biofilm a été introduit par Costerton en 1978 pour finir une communauté
structurée de micro-organismes attachés à une surface (bactéries sessiles par opposition à
planctoniques) et protégés par une matrice (‘mucus’, ‘slime’ ou EPS pour Extracellular
Polymeric Substances) constituée d’exopolysaccharides mais aussi de protéines et d’acides
nucléiques.
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Le développement en biofilm constituerait le mode de vie habituel pour la majorité des
microorganismes. On trouve des biofilms dans de nombreux habitats et sur des substrats très
différents. Parmi les problèmes de santé associés à la formation de biofilms, je me permets de
revenir sur les pathologies à l’origine des études sur les biofilms et en particulier sur :
le cas des patients atteints de mucoviscidose qui sont généralement infectés par la
bactérie opportuniste Pseudomonas aeruginosa très peu sensible aux traitements
antibiotiques une fois installée en biofilm dans les poumons. Cette infection augmente
les difficultés respiratoires des patients et diminue leur espérance de vie.
Un autre cas connu de tous est celui de la plaque dentaire :
Fig. 3 : Révélation à l’aide d’un colorant de la présence d’un film translucide sur les dents et vue
en microscopie électronique à balayage de microorganismes présents dans la plaque dentaire. Images
provenant du site : http://www.ohdq.com/Ressources/Images/Contenu/5_Sante/5_3_2_b.jpg
Pour ne pas être éliminées par le flux salivaire et tuées par le pH très bas de l’estomac, les
bactéries de la cavité buccale n’ont pas d’autre choix que de se fixer à l’émail des dents et d’y
développer un biofilm.
Fig. 2
: biofilm formé par Staphylococcus aureus sur la surface
luminal
e d’un cathéter implanté. Source Wikipedia.org
On estime à 10
10
le nombre de microorganismes dans la cavité
buccale: principalement des streptocoques, des bactéries
lactiques et des lactobacilles. Il y aurait entre 300 et 700
espèces bactériennes différentes dans la plaque dentaire.
Certaines d’entre elles comme Streptococcus mutans
transforment les sucres en acides organiques qui vont dégrader
les tissus minéralisés des dents. D’où l’importance d’un
brossage des dents efficace pour détacher le biofilm naissant.
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Un autre exemple de pathologie liée à la formation de biofilms bactériens est illustré
par les cas de la légionellose, une maladie provoquée par la bactérie Legionella
pneumophila. Cette bactérie forme un biofilm dans les bras morts de réseaux d'eau
chaude, les ballons de stockage ou les points d’eau chaude rarement utilisés (bras
borgnes). Lors d’une prise d’eau, certaines bactéries se détachent du biofilm formé
dans la canalisation et contaminent des gouttelettes dont certaines seront inhalées.
En 2011, principalement en Allemagne, une cinquantaine de décès ont été associés à
une infection par une souche d’Escherichia coli particulièrement virulente et
s’agrégeant très rapidement sur les tissus du cæcum. Cette souche qui sécrète
plusieurs toxines a provoqué le syndrome urémique et hémolytique (HUS) à l’origine
des décès.
Outre les infections illustrées à la figure 1, il faut aussi considérer les vaginites liées à
la formation de biofilms par Gardnerella vaginalis.
Autre cas assez fréquent et sérieux : celui des patients diabétiques qui sont sujets à
des infections, en particulier au niveau de plaies aux pieds. Suite à une perte de
sensibilité, ces plaies gligées, s’infectent, ce qui nécessite de soins très longs ne
permettant pas toujours d’éviter une amputation.
Un biofilm bactérien sur du matériel implanté peut entraîner une infection chronique ou aigüe.
Sur ce schéma : en (a) Les bactéries planctoniques (cellules représentées en blanc) sont la
cible d’antibiotiques ou d’anticorps ou sont phagocytées par les cellules du système
immunitaire. En (b) certaines bactéries ayant établi un biofilm ont acquis un nouveau
phénotype (cellules représentées en noir) qui résiste aux antibiotiques et aux mécanismes de
défense de l’hôte. En (c) le biofilm libère des bactéries planctoniques qui peuvent à nouveau
être contrôlées par les anticorps et les antibiotiques. En (d) Le biofilm mature ou vieillissant
Fig. 4
: Schéma représentant la formation de biofilm sur un implant et les mécanismes de lutte
développés par l’organisme. J. W. Costerton et al. 1999 Science, 284, 1318.
DO10.1126/science.284.5418.1318
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libère un nombre important de bactéries planctoniques ce qui génère une infection aigüe.
Quant aux cellules phagocytaires, elles produisent des enzymes qui dégradent les tissus
avoisinants l’implant et peuvent provoquer des nécroses.
Dans la nature, le mode de vie en biofilm présente de multiples avantages: le fait
d’être entouré d’une matrice de substances extracellulaires protège les bactéries de toute une
série d’agents chimiques ou physiques potentiellement délétères ou les protège de variations
importantes dans leur environnement. Si l’environnement est riche en nutriments, la bactérie a
aussi tout intérêt à s’y fixer et donc à se développer en biofilm. Dans un biofilm, on trouve
plusieurs genres et espèces de microorganismes (y compris des levures, des champignons, des
protozoaires) et ces associations génèrent des bénéfices liés à des métabolismes différents.
Fig. 5 : schéma de l’évolution d’un biofilm formé par Pseudomonas aeruginosa (Wikipedia.org)
La formation du biofilm est un processus en 5 étapes: 1. les cellules s’attachent à la surface de
manière réversible dans un premier temps. 2. Elles s’attachent à la surface de manière
irréversible et produisent une matrice extracellulaire 3. L’architecture du biofilm s’élabore. 4.
Maturation de l’architecture du biofilm (structures en forme de champignons, établissement
de canaux pour la circulation des fluides chargés de nutriments ou évacuant des déchets). 5.
Dans le biofilm sénescent, des cellules se détachent et partent coloniser une autre surface.
Fig. 6 : Biofilms formés par Pseudomonas aeruginosa. (R. Kolter & P. Greenberg. Nature 441
(2006) 300-302). Les structures en forme de champignons sont caractéristiques de beaucoup de
biofilms submergés. A droite, aspect d’un biofilm formé par P. aeruginosa sur une surface semi-
solide. La colonie présente des structures aériennes, ridées caractéristiques de bactéries exposées à
l’air.
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Le biofilm peut être comparé à une forteresse biologique. Dans la nature, les bactéries
sont des proies pour des organismes unicellulaires tels que les amibes ou les protozoaires. Le
fait de se développer en biofilms entourés de substances extracellulaires empêche leur
ingestion par des prédateurs car leur volume devient trop important. Il en est de même vis-à-
vis de l’attaque par des macrophages, cellules de défense des organismes supérieurs.
Fig. 7 : Représentation schématique de l’épaisseur d’un biofilm. Illustration provenant de P. S. Stewart
& J. W. Costerton. The Lancet 358 (2001)135-138.
2. Facteurs intervenant dans la formation de biofilms.
le Quorum Sensing (QS) qui est un système senseur de la densité de population
bactérienne basé sur l’émission et la détection de molécules chimiques telles que des
oligopeptides, des N-AcylHomosérine Lactones (AHL), des molécules AI-1 et 2 (AI pour
AutoInducer). Une concentration élevée de ces molécules déclenche l’expression coordonnée
de gènes nécessaires par ex. à l’émission de lumière par des bactéries du genre Pseudomonas
ou au passage en biofilm de la population bactérienne.
Certaines de ces molécules servent à la signalisation intra ou inter-espèces, d’autres sont
reconnues aussi bien par des bactéries Gram négatives que Gram positives.
Autre facteur intervenant dans la formation de biofilms: les appendices de surface
nécessaires à la mobilité de la bactérie et en particulier les flagelles. Toutefois, dès que la
bactérie élabore un biofilm sur une surface, elle y reste immobile et cesse la synthèse des ces
structures ou les met à l’arrêt par des mécanismes élaborés d’embrayage moléculaire (cas de
Bacillus subtilis).
L’action de la matrice vis-à-vis de
molécules biocides est également
multiple: elle peut les repousser ou au
contraire les séquestrer. Des gradients
de concentrations s’établissent au
sein du biofilm permettant aux
bactéries les plus proches du substrat
de survivre. Les bactéries enfouies
présentent un métabolisme ralenti par
manque d’accès aux nutriments ou à
l’oxygène et peuvent ainsi échapper à
l’action d’antibiotiques tels que les β-
lactamines qui ne touchent que des
bactéries en division ou en
élongation.
Les bactéries ayant survécu à un
traitement biocide (persister cells)
reconstruiront un biofilm lorsque les
circonstances seront à nouveau plus
favorables.
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