Les biofilms bactériens.

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Dr Colette Duez, Centre d’Ingénierie des Protéines, Université de Liège
.
Les biofilms bactériens.
1. Pourquoi et comment les bactéries forment-elles des biofilms ?
Quels sont les impacts sur la santé ?
La plupart des micro-organismes sont capables de former des biofilms. Présents dans
l’organisme humain, certains biofilms bactériens sont bénéfiques mais d’autres peuvent
provoquer ou aggraver des pathologies et coloniser du matériel médical implanté, entraînant
des infections aiguës ou chroniques.
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Fig. 1 : Diversité des infections associées à des biofilms.
Legend: (1) Computed tomography scan showing chronic sinusitis. (2) Central nervous system shunt infection.
Gram stain of a cerebrospinal fluid specimen showing intracellular Gram-positive cocci. (3) Contact lensassociated keratitis. (4) Chronic otitis media. (5) Cochlear implant infection. (6) Burn-related infection. (7)
Intravascular catheter infection (a Hickman type catheter is shown). (8) Prosthetic valve endocarditis. (9)
Pacemaker infection. (10) Electrophysiological wire endocarditis (vegetation shown in red circle). (11) Biliary
stent infection. (12) Peritoneal dialysis catheter infection. (13) Prosthetic joint infection. (14) Urinary stent
infection. (15) Intravascular stent infection. (16) Pulmonary infection in cystic fibrosis patient. Gram stain
showing Gram-negative bacilli encased in an alginate matrix. (17) Ventilator associated pneumonia. (18) Breast
implant infection. Illustration provenant de: The Challenge of Treating Biofilm-associated Bacterial Infections.
JL del Pozo and R Patel. Doi:10.1038/sj.clpt.6100247. Clin. Pharmacol. Ther. 82 (2007) 204-9
Le terme biofilm a été introduit par Costerton en 1978 pour définir une communauté
structurée de micro-organismes attachés à une surface (bactéries sessiles par opposition à
planctoniques) et protégés par une matrice (‘mucus’, ‘slime’ ou EPS pour Extracellular
Polymeric Substances) constituée d’exopolysaccharides mais aussi de protéines et d’acides
nucléiques.
Fig. 2 : biofilm formé par Staphylococcus aureus sur la surface
luminale d’un cathéter implanté. Source Wikipedia.org
Le développement en biofilm constituerait le mode de vie habituel pour la majorité des
microorganismes. On trouve des biofilms dans de nombreux habitats et sur des substrats très
différents. Parmi les problèmes de santé associés à la formation de biofilms, je me permets de
revenir sur les pathologies à l’origine des études sur les biofilms et en particulier sur :
•
le cas des patients atteints de mucoviscidose qui sont généralement infectés par la
bactérie opportuniste Pseudomonas aeruginosa très peu sensible aux traitements
antibiotiques une fois installée en biofilm dans les poumons. Cette infection augmente
les difficultés respiratoires des patients et diminue leur espérance de vie.
•
Un autre cas connu de tous est celui de la plaque dentaire :
Fig. 3 : Révélation à l’aide d’un colorant de la présence d’un film translucide sur les dents et vue
en microscopie électronique à balayage de microorganismes présents dans la plaque dentaire. Images
provenant du site : http://www.ohdq.com/Ressources/Images/Contenu/5_Sante/5_3_2_b.jpg
Pour ne pas être éliminées par le flux salivaire et tuées par le pH très bas de l’estomac, les
bactéries de la cavité buccale n’ont pas d’autre choix que de se fixer à l’émail des dents et d’y
développer un biofilm.
On estime à 1010 le nombre de microorganismes dans la cavité
buccale: principalement des streptocoques, des bactéries
lactiques et des lactobacilles. Il y aurait entre 300 et 700
espèces bactériennes différentes dans la plaque dentaire.
Certaines d’entre elles comme Streptococcus mutans
transforment les sucres en acides organiques qui vont dégrader
les tissus minéralisés des dents. D’où l’importance d’un
brossage des dents efficace pour détacher le biofilm naissant.
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•
Un autre exemple de pathologie liée à la formation de biofilms bactériens est illustré
par les cas de la légionellose, une maladie provoquée par la bactérie Legionella
pneumophila. Cette bactérie forme un biofilm dans les bras morts de réseaux d'eau
chaude, les ballons de stockage ou les points d’eau chaude rarement utilisés (bras
borgnes). Lors d’une prise d’eau, certaines bactéries se détachent du biofilm formé
dans la canalisation et contaminent des gouttelettes dont certaines seront inhalées.
•
En 2011, principalement en Allemagne, une cinquantaine de décès ont été associés à
une infection par une souche d’Escherichia coli particulièrement virulente et
s’agrégeant très rapidement sur les tissus du cæcum. Cette souche qui sécrète
plusieurs toxines a provoqué le syndrome urémique et hémolytique (HUS) à l’origine
des décès.
•
Outre les infections illustrées à la figure 1, il faut aussi considérer les vaginites liées à
la formation de biofilms par Gardnerella vaginalis.
•
Autre cas assez fréquent et sérieux : celui des patients diabétiques qui sont sujets à
des infections, en particulier au niveau de plaies aux pieds. Suite à une perte de
sensibilité, ces plaies négligées, s’infectent, ce qui nécessite de soins très longs ne
permettant pas toujours d’éviter une amputation.
Un biofilm bactérien sur du matériel implanté peut entraîner une infection chronique ou aigüe.
Fig. 4 : Schéma représentant la formation de biofilm sur un implant et les mécanismes de lutte
développés par l’organisme. J. W. Costerton et al. 1999 Science, 284, 1318.
DO10.1126/science.284.5418.1318.
Sur ce schéma : en (a) Les bactéries planctoniques (cellules représentées en blanc) sont la
cible d’antibiotiques ou d’anticorps ou sont phagocytées par les cellules du système
immunitaire. En (b) certaines bactéries ayant établi un biofilm ont acquis un nouveau
phénotype (cellules représentées en noir) qui résiste aux antibiotiques et aux mécanismes de
défense de l’hôte. En (c) le biofilm libère des bactéries planctoniques qui peuvent à nouveau
être contrôlées par les anticorps et les antibiotiques. En (d) Le biofilm mature ou vieillissant
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libère un nombre important de bactéries planctoniques ce qui génère une infection aigüe.
Quant aux cellules phagocytaires, elles produisent des enzymes qui dégradent les tissus
avoisinants l’implant et peuvent provoquer des nécroses.
Dans la nature, le mode de vie en biofilm présente de multiples avantages: le fait
d’être entouré d’une matrice de substances extracellulaires protège les bactéries de toute une
série d’agents chimiques ou physiques potentiellement délétères ou les protège de variations
importantes dans leur environnement. Si l’environnement est riche en nutriments, la bactérie a
aussi tout intérêt à s’y fixer et donc à se développer en biofilm. Dans un biofilm, on trouve
plusieurs genres et espèces de microorganismes (y compris des levures, des champignons, des
protozoaires) et ces associations génèrent des bénéfices liés à des métabolismes différents.
Fig. 5 : schéma de l’évolution d’un biofilm formé par Pseudomonas aeruginosa (Wikipedia.org)
La formation du biofilm est un processus en 5 étapes: 1. les cellules s’attachent à la surface de
manière réversible dans un premier temps. 2. Elles s’attachent à la surface de manière
irréversible et produisent une matrice extracellulaire 3. L’architecture du biofilm s’élabore. 4.
Maturation de l’architecture du biofilm (structures en forme de champignons, établissement
de canaux pour la circulation des fluides chargés de nutriments ou évacuant des déchets). 5.
Dans le biofilm sénescent, des cellules se détachent et partent coloniser une autre surface.
Fig. 6 : Biofilms formés par Pseudomonas aeruginosa. (R. Kolter & P. Greenberg. Nature 441
(2006) 300-302). Les structures en forme de champignons sont caractéristiques de beaucoup de
biofilms submergés. A droite, aspect d’un biofilm formé par P. aeruginosa sur une surface semisolide. La colonie présente des structures aériennes, ridées caractéristiques de bactéries exposées à
l’air.
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Le biofilm peut être comparé à une forteresse biologique. Dans la nature, les bactéries
sont des proies pour des organismes unicellulaires tels que les amibes ou les protozoaires. Le
fait de se développer en biofilms entourés de substances extracellulaires empêche leur
ingestion par des prédateurs car leur volume devient trop important. Il en est de même vis-àvis de l’attaque par des macrophages, cellules de défense des organismes supérieurs.
L’action de la matrice vis-à-vis de
molécules biocides est également
multiple: elle peut les repousser ou au
contraire les séquestrer. Des gradients
de concentrations s’établissent au
sein du biofilm permettant aux
bactéries les plus proches du substrat
de survivre. Les bactéries enfouies
présentent un métabolisme ralenti par
manque d’accès aux nutriments ou à
l’oxygène et peuvent ainsi échapper à
l’action d’antibiotiques tels que les βlactamines qui ne touchent que des
bactéries en division ou en
élongation.
Les bactéries ayant survécu à un
traitement biocide (persister cells)
reconstruiront un biofilm lorsque les
circonstances seront à nouveau plus
favorables.
Fig. 7 : Représentation schématique de l’épaisseur d’un biofilm. Illustration provenant de P. S. Stewart
& J. W. Costerton. The Lancet 358 (2001)135-138.
2. Facteurs intervenant dans la formation de biofilms.
1° le Quorum Sensing (QS) qui est un système senseur de la densité de population
bactérienne basé sur l’émission et la détection de molécules chimiques telles que des
oligopeptides, des N-AcylHomosérine Lactones (AHL), des molécules AI-1 et 2 (AI pour
AutoInducer). Une concentration élevée de ces molécules déclenche l’expression coordonnée
de gènes nécessaires par ex. à l’émission de lumière par des bactéries du genre Pseudomonas
ou au passage en biofilm de la population bactérienne.
Certaines de ces molécules servent à la signalisation intra ou inter-espèces, d’autres sont
reconnues aussi bien par des bactéries Gram négatives que Gram positives.
2° Autre facteur intervenant dans la formation de biofilms: les appendices de surface
nécessaires à la mobilité de la bactérie et en particulier les flagelles. Toutefois, dès que la
bactérie élabore un biofilm sur une surface, elle y reste immobile et cesse la synthèse des ces
structures ou les met à l’arrêt par des mécanismes élaborés d’embrayage moléculaire (cas de
Bacillus subtilis).
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Fig. 8 : Structure d’un flagelle de bactérie à Gram négatif.
Autres appendices de surface intervenant dans la formation de biofilms: certains types de
fimbriae ou de pili chez les bactéries Gram -. Ces structures sont nécessaires à l’adhésion de
la bactérie et dans le cas de souches pathogènes, certaines classes de pili servent au transfert
de facteurs de virulence:
Fig. 9: Structure of the Neisseria gonorrhoeae Type IV pilus by x-ray crystallography and
cryoEM reconstruction. (A) Pilin structure showing the postranslational modifications galactose
(a1→3) diacetamidodideoxyglucose (Gal-DADDGlc) at Ser63 and a phosphoethanolamine (PE) at
Ser68. The hypervariable loop is colored magenta. (B) CryoEM reconstruction of the pilus filament
and (C) Pseudoatomic resolution structure of the filament fit into the EM density. (D) End view of the
pilus structure showing the packing of the N-terminal α-helices and the protruding postranslational
modifications and hypervariable loop. L. Craig et al. Molecular Cell 23 (2006) 651-662.
http://www-ssrl.slac.stanford.edu/research/highlights_archive/pilin
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Les Pili de type I ou Fimbriae FI (présents chez E. coli et les entérobactéries) se
fixent aux uroplakines (des protéines présentes à la surface luminale des vessies de
mammifères). Ils constituent un facteur important de colonisation par des souches
uropathogènes d’E. coli.
Des Fimbriae P sont présents dans les souches d’E. coli associées aux cystites et
pyélonéphrites. Les Pili de Type IV (aussi abrégés en TFP) sont présents chez des
pathogènes Gram- comme Neisseria gonorrhoeae, N. meningitidis, Vibrio cholerae, P.
aeruginosa et certaines souches d’E. coli.
Dans le cas de Corynebacterium diphteriae, les pili servent à établir des contacts avec
des récepteurs situés à la surface de la cellule hôte (fig. 10). Après formation d’une zone
étroite d’adhésion, la bactérie sécrète un facteur de virulence (la toxine diphtérique) qui se lie
à d’autres récepteurs, lesquels transmettent la toxine à l’intérieur de la cellule après
endocytose du récepteur et de son ligand.
Fig. 10: Schéma d’interaction de Corynebacterium diphteriae avec une cellule eucaryote.
D’après A. Mandlik et al. Trends in Microbiology 2007, 16, 33-40
3° Des protéines avec des motifs d’acides aminés GGDEF ou EAL constituent le troisième
facteur important pour la formation de biofilms bactériens: ces protéines spécifiques du
monde bactérien, interviennent dans la synthèse ou l’hydrolyse de di-guanosine
monophosphate cyclique (c-di-GMP), un messager régulant la synthèse d’exopolysaccharides.
Fig. 11 : Structure du dinucléotide cyclique c-di-GMP
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Fig. 12 : schéma représentant le changement de mode de vie de la bactérien en fonction de la
concentration intracellulaire en c-di-GMP.
Une concentration intracellulaire élevée en c-di-GMP favorise une existence sédentaire tandis que de
faibles concentrations favorisent un mode de vie planctonique. Ces protéines pourraient constituer
de nouvelles cibles pour des molécules antimicrobiennes.
4° Les matrices extracellulaires (EPS pour Extra Polymeric substances): majoritairement
des polysaccharides, par ex. l’homoglycane PNGA (β-1,6-N-acétyl-D-glucosamine)n ou PIA
(polysaccharide intercellular adhesin), la cellulose (β-1,4-glucane), l’alginate chez P.
aeruginosa, les LPS (lipopolysaccharides), l’acide colanique (E. coli), le poly-γ-DL-glutamic
acid (γ-PGA) chez Bacillus subtilis mais aussi des protéines et de l’ADN.
Il n’y a pas biofilm sans production d’une matrice extracellulaire englobant et protégeant les
microorganismes. On y trouve majoritairement des polysaccharides dont la cellulose et des
lipopolysaccharides (chez les bactéries Gram-) mais aussi des protéines qui forment des fibres
amyloïdes (comme TasA chez B. subtilis), importantes pour l’adhésion des bactéries entre
elles et du matériel nucléique également important pour le rapprochement des bactéries.
Des concentrations faibles en
antibiotiques (méthicilline 2µg/µl)
induisent une lyse partielle et la
libération d’ADN ce qui favorise
l’agrégation intercellulaire et le passage
en biofilm de S. aureus.
Un traitement à la DNase recombinante
humaine (rhDNase) empêche cette
agrégation.
Figure provenant de J. B. Kaplan et al. mBio 3(4): doi : 10.112/mBio.00198-12
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5° Les protéines de surface BAP (Biofilm Associated Proteins) ou LAP (pour Loosely
Attached Proteins) ou WAP (pour Wall Associated Proteins).
Des très grandes protéines de surface (plusieurs milliers d’acides aminés) sont nécessaires à la
formation de biofilms par les bactéries: les protéines appelées selon les auteurs, BAP ou LAP
pour Loosely Attached Proteins (appelées ainsi vu qu’elles sont facilement extraites de la
surface bactérienne par une solution de force ionique élevée) ou WAP, des protéines liées de
façon covalente au peptidoglycane de la paroi bactérienne.
Ces protéines sont constituées de plusieurs domaines dont certains possèdent des motifs
répétés un grand nombre de fois. Elles interviennent dans l’adhésion des cellules entre elles et
dans la fixation des bactéries au substrat.
Esp : Enterococcus surface protein.
Fig. 13 : Représentation schématique de différents domaines des grandes protéines à la
surface des bactéries. Illustration provenant de C. Latasa et al. C. R. Biologies 329
(2006) 849-857.
3. Les inventions de la nature pour empêcher ou combattre la formation de biofilms.
De nombreux organismes sont confrontés à la problématique des biofilms et ont développé
des moyens de lutte contre leur établissement. C’est le cas des organismes marins tels que les
algues, les éponges mais aussi des insectes dont les trachées doivent rester libres de tout
biofilm. Les microorganismes eux-mêmes se livrent une lutte pour occuper une niche
écologique et sécrètent des molécules ou des enzymes anti-biofilms.
Les éponges marines ou des algues ont développé des mécanismes prévenant la formation de
biofilm en synthétisant des molécules antagonistes des molécules du Quorum Sensing comme
les furanones, des molécules de structure proche des acyl-homosérine lactones (acyl-HSL ou
AHL) ou en sécrétant des enzymes, par ex. des AHL-lactonases qui détruisent les NAcylhomosérine lactones émises par les bactéries Gram- pour évaluer leur densité de
population empêchant ainsi l’agrégation intercellulaire et le passage au mode de vie
sédentaire. La figure suivante (provenant de m/s Médecine Sciences. A. filloux & I. Vallet
(2003) 19 : 77-83) montre clairement l’effet protecteur d’une molécule émise par une algue
marine et l’inhibition de croissance de la bactérie inoculée sur la même boîte de Petri.
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L’algue marine Delisea
pulchra produit une
furanone contenant du
brome: la (5Z)-4-bromo-5(bromométhylène)-2(5H)furanone qui inhibe la
production de C6-HSL par
Chronobacterium
violaceum
D’autres organismes synthétisent des alcaloïdes ou leurs analogues pour prévenir leur
colonisation par des biofilms bactériens (par ex. la solénopsine A produite par la fourmi
Solenopsis invicta, les bromo- et dibromoagéliférines produites par l’éponge marine Agelas
conifera…).
Certaines bactéries produisent et sécrètent des composés surfactants (par ex. la surfactine
produite par Bacillus subtilis, une molécule aux propriétés antifongique, antimicrobienne et
hémolytique). Ces biosurfactants ont pour effet d’empêcher l’occupation d’une niche
écologique favorable par d’autres microorganismes.
Ces composés sont des oligopeptides parfois cyclisés et qui contiennent des acides aminés que
l’on ne trouve dans les protéines. Ils échappent ainsi à la dégradation par les protéases et leur
synthèse est non ribosomale.
D’autres organismes (bactéries et bactériophages) produisent des polysaccharides
dépolymérases par ex.: les dispersines bactériennes qui sont des β-hexosaminidases coupant
le lien β(1,6) dans les polymères de N-acétylglucosamine, les alginate lyases bactériennes
(actives sur les matrices de Pseudomonas), les glycanases de phages….
4. Mécanismes endogènes de désintégration de biofilms bactériens.
Dans un biofilm sénescent ou lors d’un appauvrissement en nutriments, les bactéries doivent
pouvoir se libérer de la matrice et essaimer vers d’autres surfaces à coloniser. Elles utilisent
plusieurs mécanismes pour désintégrer la matrice ou détacher de la paroi l’un des constituants
de la matrice.
• En phase stationnaire, le peptidoglycane subit des modifications telles que le
remplacement de la D-alanine en quatrième position, par d’autres acides aminés D,
jamais détectés dans la phase exponentielle de croissance. Dans une bactérie en
biofilm sénescent, ces changements vont libérer des substituants du peptidoglycane
(par ex. la protéine TasA de B. subtilis, laquelle forme des fibres amyloïdes et
représente un constituant majeur de la matrice du biofilm). Après désintégration de la
matrice, les bactéries libérées redeviennent mobiles et retrouvent la sensibilité aux
antibiotiques caractéristique des cellules planctoniques.
• Certaines bactéries sécrètent des enzymes hydrolysant leurs polysaccharides comme
déjà évoqué plus haut.
• Récemment on a mis en évidence que B. subtilis sécrète une polyamine, la
norspermidine qui permet à la bactérie de se libérer du biofilm en interagissant
directement et spécifiquement avec les polysaccharides. Ce composé est aussi actif
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dans la prévention de la formation de biofilms par d’autres espèces bactériennes
comme les bactéries Gram négatives E. coli et S. aureus.
5. Comment prévenir la formation de biofilms ?
Comme dit le dicton : il vaut toujours mieux prévenir…..que guérir.
Certaines recherches portent sur l’isolement ou la synthèse de molécules perturbant le
Quorum Sensing bactérien. Il en a été question plus haut.
Un article récent (E. Wexselblatt et al. PLOS Pathogens 8 (2012) issue 9, e1002925) décrit la
synthèse d’un composé, la relacine qui inhibe la production de ppGpp par l’enzyme
bactérienne ubiquiste RelA, défavorisant ainsi le passage au mode de vie sédentaire et la
fixation sur un substrat.
Fig. 14 : structure de la Relacine
Outre son effet inhibiteur sur la formation de biofilm, cette molécule empêche la sporulation
de bactéries produisant des endospores (par ex. du genre Bacillus). Elle entraîne également la
désintégration du biofilm et provoque une mort cellulaire dans le biofilm à des concentrations
de l’ordre du mM.
Dans le cas d’implants ou prothèses, de nombreuses recherches portent sur la mise au
point de nouveaux matériaux limitant ou empêchant leur colonisation par des bactéries
pionnières, première étape de la formation de biofilms : il s’agit de développer des surfaces
avec des propriétés antiadhésives par modifications chimiques ou physiques, dépôt d’agents
antimicrobiens en surface des implants par ex. : nisine, ammoniums quaternaires, argent…ou
enzymes dégradant des composants de la matrice entourant les bactéries….
Toutefois, la surface idéale empêchant tout biofilm de se former n’a pas encore été
trouvée.
6. Comment éradiquer un biofilm ?
Plusieurs recherches portent sur la mise au point de procédés physiques : champs électriques
ou magnétiques pulsés, UV, laser, ultrasons, lumière pulsée, ionisation, plasmas non
thermiques…. ou chimiques : emploi de désinfectants comme l’eau oxygénée, l’eau de javel,
le chlorure de benzalkonium, l’acide peracétique (PAA)… mais ces traitements entraînent
aussi l’apparition de résistance chez certains microorganismes s’ils ne sont pas appliquées
pendant des temps bien plus longs que pour éliminer des cellules planctoniques.
Une conclusion s’impose : un seul de ces moyens arrive rarement à bout du problème.
Un traitement antibiotique ?
Là aussi, un seul antibiotique arrive rarement à bout d’un biofilm. L’action combinée de deux
antibiotiques est souvent nécessaire pour éradiquer un biofilm en raison des différences de
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métabolisme entre les sous-populations bactériennes, différences générées par la position des
bactéries dans l’épaisseur du biofilm.
Les extraits de plantes au secours des cliniciens ?
De nombreuses molécules d’origine végétale (contenues en particulier dans les huiles
essentielles) permettent un contrôle du développement bactérien en biofilm. C’est le cas
avec :
• l’extrait d’ail
• le carvacrol, un terpène naturel extrait du thym et de l’origan
• le casbane diterpène du Croton nepetaefolius
• la thymoquinone de la graine de Nigella sativa
• Des huiles essentielles (eucalyptus, théier...)
• L’α-terpinéol,
• Des dérivés naphtalènes
• ….composés qui inhibent la formation de biofilms formés par plusieurs espèces
bactériennes.
Employées en synergie avec des antibiotiques, ces molécules augmentent l’efficacité de ces
derniers comme cela a été montré in vitro sur des biofilms de Pseudomonas aeruginosa traités
à la tobramycine.
La lutte biologique contre les biofilms ?
Certaines bactéries flagellées péritriches (du genre Bacillus par ex.) sont à même de creuser la
matrice d’un biofilm, facilitant ainsi l’accès de molécules antibiotiques à la base du biofilm ou
d’enzymes dégradant la paroi bactérienne (par ex., la lysostaphine, une endopeptidase
spécifique de la paroi de S. aureus).
Des cellules nageuses de Bacillus (B. licheniformis, B.
subtilis, B. thuringiensis) sont capables de former des
pores dans un biofilm de S. aureus, E. faecalis,
Yersinia enterolitica, P. aeruginosa ou Listeria
monocytogenes. L’infiltration de ces bactéries à la
base du biofilm sensibilise les cellules aux
antimicrobiens et aux enzymes lytiques.
Fig. 15 : Perforation du biofilm par des bactéries.
Illustration provenant d’A. Houry et al. PNAS 109 (2012) 13088-93.
Des cellules mobiles de B. thuringiensis porteuses d’un plasmide produisant un biocide sont
capables d’éradiquer et de supplanter un biofilm de S. aureus, ce que ne peuvent faire des
mutants dépourvus de flagelles ou les bactéries dépourvues du plasmide codant pour la
lysostaphine, une enzyme de clivage du peptidoglycane de S. aureus.
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Le retour de la phagothérapie ?
Dans les années 1920-1930 plusieurs microbiologistes se sont intéressés au pouvoir lytique
des bactériophages (virus se répliquant en grand nombre dans une bactérie qui finit par lyser)
pour soigner des épidémies. L’apparition des antibiotiques dans les années 40 a supplanté
l’utilisation de phages sauf à l’Est du rideau de Fer. En effet, contrairement aux phages dont
la spécificité est assez étroite, les antibiotiques, du moins dans un premier temps, permettaient
de traiter des espèces bactériennes de genres très différents. L’émergence de nombreuses
résistances aux antibiotiques remet à l’honneur la phagothérapie et en particulier les
caudovirus (photo ci-dessus) pour lutter ou compléter d’autres modes d’action contre les
biofilms.
Un bactériophage adopte soit un cycle de vie lysogénique (s’intégrant dans le chromosome de
la bactérie hôte et étant répliqué en même temps que ce dernier) soit un cycle lytique au cours
duquel de très nombreuses particules de virions seront formées, encapsidées et libérées de la
cellule hôte dont la paroi sera détruite. La lysogénie du phage ne présente pas d’intérêt pour la
thérapie et constitue même un risque de transmission de marqueurs acquis dans des bactéries
résistantes aux antibiotiques par ex.
Tout comme il est intéressant de combiner des moyens physiques ou chimiques avec des
antibiotiques pour venir à bout d’un biofilm installé, la combinaison d’un phage et d’un
antibiotique permet à ce dernier d’atteindre sa cible. En effet, de nombreux phages codent
pour des glycanases qui s’attaquent à la matrice polysaccharidique, réduisent son épaisseur et
permet la progression à la fois du phage et de l’antibiotique vers l’intérieur du biofilm.
La prophylaxie en milieu hospitalier ?
Il existe d’ores et déjà des crèmes dans lesquelles des bactériophages ont été incorporés. Un
lavage des mains par ces crèmes diminue le nombre de bactéries.
Fig. 17 : illustration tirée de S. O’Flaherty et al.
In Applied and Environmental Microbiology 71 (2005) 1836-1842.
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Sur une boîte de Pétri (A), on distingue clairement une plage de lyse du tapis bactérien autour
du dépôt central de crème enrichie en phages. Dans un milieu de culture (B), cette crème
(image de droite) empêche la formation d’un trouble, témoin d’une croissance bactérienne.
Dans la figure suivante, on voit l’efficacité d’un hydrogel chargé en phages pour éviter
l’établissement de biofilms de P. aeruginosa sur des cathéters.
Fig. 18: (a) Scanning electron micrograph of the luminal surface of a section of an untreated Lubri-sil
hydrogel-coated all-silicone Foley catheter after biofilm formation by P. aeruginosa M4 for 24 h (b)
Scanning electron micrograph of the catheter luminal surface pretreated with P. aeruginosa phage M4
and exposed for 24 h to P. aeruginosa M4.
W. Fu et al. Antimicrobial Agents & Chemotherapy 54 (2010) 397-404.
En conclusion :
Mieux vaut prévenir la formation de biofilms que de devoir les éradiquer.
Pour éradiquer des biofilms installés, utiliser une combinaison de techniques sous
peine d’échec.
Si l’installation d’un biofilm indésirable n’a pu être évitée, il faut utiliser simultanément
plusieurs modes d’action pour traiter une surface couverte de bactéries sous peine de renforcer
les mécanismes de résistance de bactéries survivantes.
Fort heureusement, de nombreux biofilms nous sont bénéfiques ainsi qu’aux animaux et aux
plantes, voire indispensables mais cela ferait l’objet de nombreuses pages supplémentaires.
Dr Colette Duez, Chercheur Qualifié FRS-FNRS ULg – Novembre 2012.
Les illustrations présentées dans ces pages proviennent de l’encyclopédie Wikipedia ou
d’articles en accès libre (open access).
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