L atteinte rénale chez le patient hypertendu : un risque stratégique à

L’
hypertension artérielle (HTA) est une affection très fré-
quente dans les pays industrialisés. Sa prévalence est
très dépendante de l’âge de la population. En France,
plusieurs enquêtes réalisées ces dernières années ont montré que
plus de 11 % de la population globale étaient hypertendus, 16,5 %
de la population de plus de 20 ans et 24 % des plus de 35 ans,
soit une prévalence de 7,5 millions d’hypertendus (enquête
INSEE 1991, CFLHTA-SOFRES 2002).
Aucun registre de l’insuffisance rénale chronique (IRC) n’est
disponible en France, et peu d’études épidémiologiques ont été
réalisées. On estime qu’environ 300 000 à 500 000 Français
vivent avec une insuffisance rénale, si l’on choisit comme seuil
un débit de filtration glomérulaire (DFG) de moins de 60 ml/mn.
Il faut souligner cependant que la valeur normale du DFG est de
80 à 120 ml/mn ; il est donc probable que plusieurs centaines de
milliers de Français supplémentaires ont une IRC débutante avec
un DFG compris entre 60 et 80 ml/mn. La prévalence de l’in-
suffisance rénale terminale (IRT) est mieux connue : environ
50 000 patients sont actuellement traités, 15 000 transplantés et
35 000 traités en dialyse chronique, hémodialyse (90 % des
patients) ou dialyse péritonéale.
La prévalence et l’incidence de l’IRC ne cessent d’augmenter du
fait du vieillissement de la population, de la prévalence croissante
MISE AU POINT
La Lettre du Cardiologue - n° 371 - janvier 2004
31
L’atteinte rénale chez le patient hypertendu :
un risque stratégique à ne pas méconnaître !
The assessment of renal involvement in hypertensive patients
is a major key of cardiovascular risk management
C. Mounier-Vehier*, S. Duquenoy*, P. Hainaut*, A. Carré*, G. Choukroun**
* Service de médecine vasculaire et HTA, CHRU Lille.
** Service de néphrologie et de médecine interne, CHU Amiens.
L’HTAet l’insuffisance rénale chronique (IRC) sont fré-
quemment associées et s’aggravent mutuellement.
L’IRC est un facteur de morbi-mortalité cardiovas-
culaire à part entière.
Les néphropathies vasculaires d’origine hypertensive
représentent près de 15 % des causes d’insuffisance
rénale chronique.
Les patients hypertendus avec atteinte rénale doivent
être considérés comme des patients à très haut risque
cardiovasculaire, quel que soit leur niveau de pression
artérielle.
Le dépistage de l’atteinte rénale doit être systématique
chez l’hypertendu. Il repose sur l’étude de la créatinine
plasmatique et le calcul de sa clairance, ainsi que sur le
dépistage de la protéinurie à la bandelette.
Le dépistage des facteurs de risque cardiovasculaire est
essentiel : certains sont directement impliqués dans la
progression de la maladie rénale.
La protéinurie et l’HTA sont deux facteurs de progres-
sion majeurs de l’IRC.
La baisse de la pression artérielle (< 130/85 mmHg et
< 125/75 mm Hg en cas de protéinurie > 1 g/24 heures)
et la réduction de la protéinurie sont des mesures effi-
caces pour freiner l’évolution des néphropathies chro-
niques d’origine hypertensive.
Points forts
Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion et les anta-
gonistes des récepteurs de l’angiotensine II (dans la
néphropathie diabétique) sont le traitement de première
intention chez les patients porteurs d’une néphropathie
chronique, avec ou sans insuffisance rénale. Chez ces
patients, les diurétiques sont indispensables dans l’as-
sociation antihypertensive, qui compte le plus souvent
au moins trois traitements antihypertenseurs.
Mots-clés : Hypertension artérielle - Insuffisance rénale
- Protéinurie - Risque cardiovasculaire - Traitement.
Keywords: Hypertension - Chronic renal insufficiency -
Proteinuria - Cardiovascular risk - Treatment.
.../...
.../...
La Lettre du Cardiologue - n° 371 - janvier 2004
32
MISE AU POINT
du diabète de type 2 et de la meilleure prise en charge des mala-
dies cardiovasculaires. Notons également que, parallèlement,
l’épidémiologie des maladies rénales a évolué : les néphropathies
diabétiques et vasculaires représentent les deux premières causes
d’IRT (1) en Ile-de-France (soit environ 45 % des causes), le dia-
bète de type 2 représentant à lui seul plus de 15 % des patients
au stade terminal de l’IRC. Les néphropathies vasculaires repré-
sentent un ensemble hétérogène incluant les néphropathies isché-
miques, conséquences des sténoses athéromateuses des artères
rénales, la néphroangiosclérose, conséquence directe de l’HTA,
et les maladies inflammatoires ou thrombotiques des vaisseaux
intrarénaux.
Il est essentiel de dépister précocement une néphropathie chez un
patient hypertendu, pour au moins deux raisons :
1. L’HTA et l’IRC sont fréquemment associées et peuvent s’ag-
graver mutuellement.
2.
l’IRC est un facteur de risque de mortalité cardiovasculaire à
part entière qui va nécessiter des mesures thérapeutiques spéci-
fiques (2-5). Les néphropathies sont dépistées trop tardivement
en France : plus de 30 % des patients arrivent en insuffisance
rénale terminale sans avoir jamais vu de néphrologue et sont pris
en charge sur un programme d’épuration extrarénale dans les
48 heures qui suivent leur hospitalisation (1, 6).
Plusieurs enquêtes françaises ont confirmé la carence suspectée
en termes de dépistage de l’insuffisance rénale chronique. Dans
l’enquête “PA-Rein”, en estimant le DFG par le calcul de la clai-
rance de la créatinine selon la formule de Cockcroft, 61 % des
patients vus en cardiologie libérale (2 100 patients inclus) et 89 %
des malades suivis en milieu gériatrique hospitalier (941 patients
inclus) avaient une insuffisance rénale modérée ; la fonction
rénale était sous-estimée par le médecin dans 7 cas sur 10 (7, 8).
L’enquête PHENOMEN a fourni des résultats comparables en
médecine générale : parmi les 8 711 patients ayant eu un dosage
récent (< 1 an) de la créatininémie, 1 sur 5 avait un insuffisance
rénale modérée (< 60 ml/mn), alors que la fonction rénale était
considérée comme normale par le médecin dans 9 cas sur 10 (9).
ÉVALUATION DE L’ATTEINTE RÉNALE
CHEZ LE PATIENT HYPERTENDU
En dehors de l’HTA maligne, les complications rénales de l’HTA
surviennent habituellement à un stade tardif de la maladie hyper-
tensive ; il s’agit de la néphroangiosclérose bénigne, dont le
diagnostic est histologique. Sa prévalence est inconnue, faute
d’examen systématique du parenchyme rénal des patients souf-
frant d’HTA ; il est donc probable qu’elle est importante, mais
très sous-estimée. Elle se caractérise par des lésions essentielle-
ment vasculaires à type d’épaississement de l’intima des artères
interlobulaires et par une prolifération des lames élastiques arté-
riolaires responsable d’une fibrose fibro-élastique. Les glomé-
rules sont souvent “ischémiques”, c’est-à-dire que le floculus est
rétracté au pôle vasculaire, avec un épaississement de la capsule
de Bowman. Le rein est assez souvent le siège d’une fibrose inter-
stitielle focale. La néphroangiosclérose est très longtemps asymp-
tomatique : elle ne se manifeste que par une insuffisance rénale,
d’évolution assez lente, sauf chez le sujet noir ; elle doit donc être
dépistée systématiquement. Sa recherche est particulièrement
importante chez les patients à risque tels que les sujets âgés et les
patients diabétiques ou insuffisants cardiaques. La mise en évi-
dence d’une atteinte rénale justifie une prise en charge thérapeu-
tique spécifique. Elle a également des conséquences pour les
explorations, en particulier iodées, et le cardiologue devra envi-
sager une préparation spécifique chez ces patients (10).
Étude de la fonction rénale
La créatinine plasmatique
La créatinine est le produit final du catabolisme de la créatine et
de la phosphocréatine musculaire. Son élimination est essentiel-
lement urinaire : 90 % de la créatinine est éliminée après filtra-
tion glomérulaire et 10 % par sécrétion tubulaire. Elle est libre-
ment filtrée, non réabsorbée et non fixée aux protéines. La
créatinine plasmatique n’est pas un marqueur sensible de l’at-
teinte rénale débutante, puisqu’elle ne s’élève qu’après une baisse
d’au moins 30 % du DFG. La créatininémie reste longtemps nor-
male chez le sujet âgé du fait d’une diminution de sa masse
maigre ; malgré la simplicité de son dosage, son interprétation
est délicate, car elle est très dépendante de la masse musculaire
des patients, et donc du poids, du sexe et de l’âge (11). Il s’agit
toutefois du marqueur le plus utilisé en pratique clinique courante
du fait de sa simplicité. Une valeur seuil de créatininémie autour
de 137 µmol/l chez l’homme et de 104 µmol/l chez la femme tra-
duit déjà une insuffisance rénale avérée avec une diminution de
50 % du débit de filtration glomérulaire (10).
Mesure du débit de filtration glomérulaire
L’étude du DFG permet d’évaluer de façon très précise la fonc-
tion rénale. La mesure de la clairance de l’inuline est la méthode
de référence, mais elle n’est pas utilisée en routine du fait de sa
lourdeur de réalisation. Plusieurs autres techniques nécessitant
un traceur isotopique sont utilisables, mais elles sont habituelle-
ment réservées aux études cliniques.
Clairance de la créatinine endogène
Le DFG peut être estimé de façon assez fiable par la mesure de
la clairance de la créatinine endogène sur un recueil des urines
de 24 heures. Toutefois, pour être interprétable, ce recueil doit
être rigoureux. Or, le recueil des urines se révèle souvent incom-
plet et, chez l’insuffisant rénal, l’augmentation de la sécrétion
tubulaire de créatinine surestime la fonction rénale résiduelle
(8, 10).
Estimation du DFG par le calcul de la clairance de la créatinine
Le calcul de la clairance de la créatinine par la formule de Cock-
croft et Gault est en réalité la méthode la plus simple et la plus
utilisée pour évaluer la fonction rénale (11) (tableau I). Il pré-
sente cependant des limites chez l’enfant, le patient obèse, la
femme enceinte et le sujet très âgé. Il tient compte de la créati-
nine plasmatique, de l’âge, du sexe et du poids du patient. Il doit
être effectué chaque fois qu’un dosage de la créatinine plasma-
tique est demandé. En effet, une créatininémie dans les valeurs
hautes de la normale peut témoigner d’une insuffisance rénale
sévère, notamment chez une femme âgée.
Dans la surveillance d’un patient hypertendu, l’ANAES pré-
conise de doser la créatininémie et la kaliémie tous les trois ans,
en y associant le calcul de la clairance de la créatinine lorsque
le premier dosage est normal. Chez les patients dont le traite-
ment peut induire des modifications de la créatinine, un dosage
annuel de la créatinine et un ionogramme sanguin sont recom-
mandés (10).
Microalbuminurie et macroalbuminurie
Physiologiquement, une très faible quantité d’albumine plasma-
tique est filtrée par le glomérule, et 95 % de cette fraction filtrée
sont réabsorbés au niveau du tube contourné proximal. L’albu-
minurie normale ne dépasse pas 10 mg/jour. Le passage de l’al-
bumine au niveau glomérulaire va dépendre de la pression d’ul-
trafiltration, mais aussi du filtre glomérulaire constitué par la
cellule endothéliale du capillaire glomérulaire, la membrane
basale et le podocyte. La présence d’une quantité anormale d’al-
bumine dans les urines peut témoigner de lésions capillaires glo-
mérulaires. Dans l’HTA essentielle modérée, l’élévation chro-
nique de la pression artérielle est un des déterminants de la
microalbuminurie ; celle-ci est définie comme une excrétion uri-
naire d’albumine comprise entre 20 et 200 µg/mn, soit entre
30 et 300 mg/24 heures. Un taux supérieur définit la protéinurie
classique. Ce taux peut être influencé par l’exercice physique et
par l’orthostatisme, ou peut être faussé par une infection urinaire,
une hématurie, un syndrome inflammatoire, une poussée d’in-
suffisance cardiaque ou encore la prise d’anti inflammatoires non
stéroïdiens. Un dosage positif doit être confirmé par deux autres
examens sur une période de trois mois, en utilisant les mêmes
conditions de recueil urinaire. Le débit de protéinurie est habi-
tuellement très modéré dans l’évolution de l’HTA essentielle ;
une microalbuminurie est détectable chez 10 à 20 % des patients
(12, 13). La protéinurie évolue parallèlement à l’hyperfiltration
glomérulaire ; elle est étroitement dépendante de l’élévation de
la pression artérielle et des lésions artériolaires. Elle va induire
des lésions inflammatoires spécifiques, glomérulaires et tubu-
laires, favorisant la progression de la néphropathie.
L’ANAES recommande un dépistage de la protéinurie par la ban-
delette urinaire ou par un examen de laboratoire au moins tous
les cinq ans lorsque la première recherche est négative. Une pro-
téinurie diagnostiquée à la bandelette doit être confirmée et quan-
tifiée sur les urines des 24 heures. La recherche systématique de
microalbuminurie n’est recommandée que chez les patients
hypertendus diabétiques, où sa présence incite à renforcer la prise
en charge de l’HTA et à utiliser un médicament bloquant les effets
de l’angiotensine II (10).
Le dernier rapport du Joint National Committee (JNC VII) a inté-
gré des recommandations spécifiques pour le dépistage et la prise
en charge de l’atteinte rénale chez le patient hypertendu. Il défi-
nit l’IRC par une baisse de la filtration glomérulaire inférieure à
60 ml/mn/1,73 m2(soit approximativement une créatinine plas-
matique > 132,6 µmol/l chez l’homme et > 114,9 µmol/l chez la
femme). La protéinurie est définie par la présence d’une albu-
minurie > 300 mg/l ou 200 mg/gramme de créatinine. Une sur-
veillance rénale annuelle par un néphrologue est préconisée dès
le stade d’insuffisance rénale modérée (14).
AUTRES ÉLÉMENTS DE L’EXPLORATION
D’UN PATIENT HYPERTENDU AVEC ATTEINTE
RÉNALE
Le dépistage des autres facteurs de risque cardiovasculaire est
essentiel chez ce type de patients, certains participant à l’aggra-
vation des lésions rénales (2, 13, 15-17). Le bilan initial proposé
par l’ANAES comporte un dosage de la glycémie à jeun, du cho-
lestérol total, du HDL-cholestérol, des triglycérides, ainsi que la
recherche d’une protéinurie et d’une hématurie à la bandelette
réactive. L’étude du retentissement de l’HTA repose sur l’élec-
trocardiogramme, l’échocardiographie en présence de points
d’appel, et l’exploration des axes vasculaires. Le dosage de la
glycémie et des paramètres lipidiques est recommandé au moins
tous les trois ans, lorsque le premier dosage est normal (10).
L’ATTEINTE RÉNALE MAJORE LE RISQUE
CARDIOVASCULAIRE DU PATIENT HYPERTENDU
La mortalité cardiovasculaire est plus importante en présence
d’une insuffisance rénale chronique. Dans l’étude HOT, une créa-
tininémie supérieure à 135 µmol/l était associée à un risque rela-
tif d’accident cardiovasculaire de 2,95 et de mortalité cardiovas-
culaire de 4,72, comparativement aux patients dont la fonction
rénale était normale (18). De plus, la survie après un événement
cardiaque majeur est moindre en présence d’une insuffisance
rénale (19). Les insuffisants rénaux sévères ont fréquemment une
pathologie cardiovasculaire associée ; 31 % d’entre eux ont une
insuffisance cardiaque et 19 % ont une insuffisance coronarienne
(19). La majoration du risque cardiovasculaire chez l’hypertendu
insuffisant rénal s’explique par :
MISE AU POINT
33
La Lettre du Cardiologue - n° 371 - janvier 2004
Tableau I. Évaluation de la fonction rénale avec la formule de
Cockcroft et Gault et classification de l’insuffisance rénale [ANAES
2000 (10)].
Clcr (ml/mn) = a* (140 – âge) x poids
créatininémie
Évaluation Clairance de la
de la fonction rénale créatinine (ml/mn)
Fonction rénale normale 80
Insuffisance rénale légère 60 et < 80
Insuffisance rénale modérée 30 et < 60
Insuffisance rénale sévère < 30
Clcr = clairance de la créatinine.
*a = 1,04 chez la femme et 1,23 chez l’homme.
La créatininémie est exprimée en µmol/l, le poids en kilogrammes et l’âge en années.
La conversion de mg/l en µmol/l se fait à l’aide d’un coefficient multiplicateur de 8,85.
34
MISE AU POINT
la présence plus fréquente de cofacteurs de risque cardiovas-
culaire ;
l’apparition de certains facteurs de risque spécifiques à l’IRC,
comme l’hyperhomocystéinémie et l’élévation des LDL oxydées ;
l’hypertrophie ventriculaire gauche, très fréquente chez ces
patients (figure 1) (2, 5, 13, 15, 16, 20).
La localisation rénale de la maladie athéromateuse est également
un marqueur de risque cardiovasculaire indépendant (21, 22).
Conlon et al ont rapporté une diminution significative de la courbe
actuarielle de survie de patients coronariens ayant une sténose
athéromateuse de l’artère rénale, notamment s’ils étaient dia-
lysés ; la sténose de l’artère rénale était même le facteur prédic-
tif le plus puissant de mortalité cardiovasculaire, supérieur aux
autres facteurs tels que l’insuffisance cardiaque ou la baisse de
la fraction d’éjection ventriculaire gauche (21). Une autre étude
a rapporté un risque relatif de mortalité totale chez les patients
hypertendus multiplié par 3,3 et un risque relatif de mortalité car-
diovasculaire multiplié par 5,7 en présence d’une sténose athé-
romateuse de l’artère rénale (22).
La microalbuminurie est un facteur de risque cardiovasculaire
puissant chez l’hypertendu diabétique. Chez l’hypertendu non
diabétique, elle est considérée comme un marqueur de risque car-
diovasculaire ; elle est associée à une atteinte plus fréquente des
organes cibles de l’HTA et à la maladie athéromateuse. Ni la
valeur pronostique de l’excrétion urinaire d’albumine sur l’évo-
lution de l’HTA, ni le bénéfice de sa prise en charge ne sont, par
contre, encore établis chez l’hypertendu non diabétique (12).
L’enquête de Framingham a montré qu’une protéinurie > 200 mg/
24 h était associée à un excès de mortalité totale et cardiovascu-
laire (odds-ratio de 1,3 chez l’homme et de 1,7 chez la femme) ;
la protéinurie était aussi fréquemment associée à la maladie
vasculaire athéromateuse. Dans une étude suédoise réalisée chez
835 hypertendus, avec un suivi moyen de 10 ans, la valeur pré-
dictive de la protéinurie sur les événements cardiovasculaires
excédait largement celle des facteurs de risque habituels tels que
le tabagisme et l’hypercholestérolémie (23).
Le JNC VII a donc inclus la microalbuminurie et la baisse de la clai-
rance de la créatinine plasmatique (< 60 ml/mn) dans la liste des fac-
teurs de risque cardiovasculaire majeurs ; la néphropathie chronique
est considérée comme une atteinte “organe cible” de l’HTA (12).
FACTEURS D’AGGRAVATION DE L’ATTEINTE
RÉNALE
Ces facteurs doivent être contrôlés dans la mesure du possible ;
ils associent l’HTA, la protéinurie, les médicaments néphro-
toxiques, la maladie rénale surajoutée (obstacle, pyélonéphrite
aiguë), la grossesse, le régime trop riche en protides, le tabagisme,
l’anémie et la dyslipidémie (10, 14).
ÉLÉMENTS DE PRISE EN CHARGE
L’amélioration de la prise en charge va ainsi passer par une
évaluation globale du RCV relevant d’une intervention multi-
disciplinaire (figures 2 et 3) (10, 14).
Plusieurs éléments vont être déterminants dans l’évolution de
l’atteinte rénale.
Lésions vasculaires
athéromateuses :
sténose de l'artère
rénale ++
Pression pulsée*
Hypertrophie
ventriculaire
gauche*
Protéinurie*
Tabac
Obésité
Diabète
Calcifications vasculaires*
* favorisée(s) par l'insuffisance rénale chronique.
HTA*
Dyslipidémie
LDL oxydés*
IRC
Figure 1. Marqueurs et facteurs de risque cardiovasculaire associés à
l’insuffisance rénale chronique (IRC).
Restriction protidique :
0,8 à 1,2 g/kg/j
si syndrome néphrotique
Anémie
Risque rénal
HTA et protéinurie :
– IEC
– ARA II
– diurétiques anse
(association)
– diltiazem
– vérapamil
– bêtabloquants
Arrêt tabac
Régime hyposodé :
3-5 g de sel/jour
Correction du diabète
Vaccination contre hépatite B
dès créatininémie
> 132 µmol/l chez l'homme et
> 114,9 µmol/l chez la femme
Dyslipidémie :
– statines +++
Figure 2. Éléments de prise en charge du risque rénal chez l’hypertendu.
Facteurs de risque
cardiovasculaire Néphropathie Marqueurs RCV
Maladie vasculaire
athéromateuse
Morbi-mortalité cardiovasculaire
RCV absolu
Éducation thérapeutique
IRC
– HTA
– Protéinurie
– Âge
– Dyslipidémie
– LDL oxydées
– Sexe masculin
– Obésité
– Diabète
– Tabac
– Microalbuminurie
– Pression pulsée
– HVG
– Calcifications vasculaires
– Hyperhomocystéinémie
– Clcr plasm
Réseaux de santé
multidisciplinaires
Thérapeutiques ciblées
– IEC - ARA II
– Statines
– Antiagrégants
plaquettaires
Figure 3. Évaluation du risque cardiovasculaire (RCV) du patient hypertendu avec
atteinte rénale et éléments de mise en charge.
RCV : risque cardiovasculaire IRC : insuffisance rénale chronique
HVG : hypertrophie ventriculaire gauche ClCr plasm : clairance de la créatinine plasmatique
IEC : inhibiteurs de l’enzyme de conversion ARA II : antagonistes des récepteurs à l’angiotensine II
La Lettre du Cardiologue - n° 371 - janvier 2004
35
Le contrôle de la pression artérielle
et de la protéinurie
Le contrôle optimal de la PA est une mesure fondamentale pour
réduire la pression de filtration glomérulaire, la protéinurie, et
diminuer de ce fait le niveau de risque cardiovasculaire, très élevé
chez ces patients (10, 14, 24). L’étude MDRD (Modification of
Diet In Renal Disease Study Group) a ainsi permis d’identifier
les seuils optimaux à atteindre chez l’hypertendu protéinurique
à partir d’une population de 840 patients en IRC sur un suivi
moyen de 2,2 ans. Cette étude a montré que les objectifs ten-
sionnels devaient être modulés en fonction de l’importance de la
protéinurie avec une cible thérapeutique < 130/85 mmHg pour
une protéinurie < 0,25 g/jour, < 130/80 mmHg pour une protéi-
nurie comprise entre 0,25 et 1 g/jour et < 125/75 mmHg pour
une protéinurie > 1 g/jour (25). Ces objectifs tensionnels ont été
repris par l’ANAES. En présence d’une atteinte rénale, l’objec-
tif tensionnel sera plus strict, avec une PA < 130/85 mmHg et
< 125/75 mmHg si la protéinurie est > 1 g/24 h (10). Le JNC VII
préconise des chiffres de PA < 140/80 mmHg (14). Cette cible
n’est souvent obtenue qu’au prix d’une polythérapie antihyper-
tensive, qui doit être instaurée rapidement et comporter au mini-
mum un diurétique et un agent bloqueur du système rénine-angio-
tensine (14).
En effet, tous les antihypertenseurs n’ont pas une efficacité équi-
valente sur la protection néphronique.
Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion ont un effet
néphroprotecteur démontré chez l’hypertendu diabétique et non
diabétique, indépendamment de leur effet tensionnel (14, 26-29).
Ils ralentissent l’évolution des néphropathies, protéinuriques ou
non, et ils diminuent de façon significative l’incidence de l’in-
suffisance rénale terminale [études REIN et AIPRI] (26, 30, 31).
L’effet néphroprotecteur des IEC s’explique par la diminution de
l’hyperfiltration glomérulaire et par l’inhibition de la synthèse
d’angiotensine II et d’aldostérone. La réduction de la protéinu-
rie apparaît parfois au-delà de 2 à 3 mois de traitement. Elle n’est
pas liée à la dose utilisée, et elle augmente avec la durée du trai-
tement (30-33). Le bénéfice néphroprotecteur des IEC est d’au-
tant plus important que ceux ci sont prescrits précocement dans
l’évolution de la néphropathie (30). L’instauration d’un traite-
ment par un IEC chez l’insuffisant rénal nécessite une surveillance
régulière de la créatininémie et de la kaliémie, surtout dans les
situations d’aggravation intercurrente d’hypoperfusion rénale.
Les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II ont un
effet néphroprotecteur démontré dans la néphropathie du diabète
de type 2 [étude RENAAL avec le losartan (34) ; étude IDNT et
IRMA-2 avec l’irbésartan (34-36)]. Ils doivent bénéficier des
mêmes précautions d’emploi que les IEC chez l’insuffisant rénal
(14). L’association des ARA II aux IEC est synergique sur le débit
de la protéinurie aussi bien dans la néphropathie diabétique que
non diabétique ; elle est recommandée en deuxième intention
quand le débit de protéinurie reste supérieur à 1 g/24 h sous IEC,
en l’absence d’hyperkaliémie et sous stricte surveillance biolo-
gique (32).
L’association IEC et/ou ARAII et inhibiteur calcique est
potentiellement intéressante sur la réduction de la pression d’ul-
trafiltration et le débit de protéinurie lorsque l’HTA et/ou la pro-
téinurie ne sont pas suffisamment contrôlées (27, 32). Il s’agit
plutôt d’une association de deuxième intention lorsque le patient
présente déjà une kaliémie haute (5 meq/l) sous IEC ou ARA II
(32).
Une augmentation de la créatininémie de 10 à 15 % est fré-
quemment observée lors de l’introduction des agents bloqueurs
du système rénine-angiotensine, mais elle n’impose pas leur arrêt
(10). Une élévation jusqu’à 35 % des valeurs de créatinine
de base est même autorisée avec ces médicaments en l’absence
d’hyperkaliémie (14). Il faut donc prévoir un dosage de la créa-
tininémie et de la kaliémie 8 jours après l’instauration d’un inhi-
biteur du système rénine-angiotensine. En cas de majoration de
la créatininémie sous traitement, il faut savoir éliminer une patho-
logie vasculo-rénale sous-jacente en l’absence d’autre facteur
intercurrent.
Les diurétiques sont indispensables dans l’association anti-
hypertensive, car il s’agit d’une hypertension volo-dépendante,
sensible au sel. Les diurétiques hyperkaliémiants (spironolactone,
amiloride, triamtérène) sont contre indiqués si la kaliémie est
5 mmol/l ou si la créatininémie est 200 µmol/l. Les diuré-
tiques de l’anse, à fortes doses, sont préconisés dès que la créa-
tinine plasmatique dépasse 221-265 µmol/l, soit une clairance de
la créatinine inférieure à 30 ml/mn pour 1,73 m2(14).
La correction des facteurs de risque cardiovasculaire
Le contrôle du LDL-cholestérol (LDLc) est une autre cible essen-
tielle du risque cardiovasculaire et un objectif secondaire de la
protection néphronique (17, 37). La diminution du risque car-
diovasculaire obtenue par certains traitements hypolipémiants
dépend étroitement du niveau de risque des patients traités. Le
bénéfice du traitement est d’autant plus important que le risque
cardiovasculaire de ces patients est élevé. Ainsi, le risque car-
diovasculaire des patients hypertendus ayant une atteinte rénale
est comparable à celui de patients se trouvant en situation de pré-
vention secondaire d’infarctus du myocarde.
Les statines permettraient de diminuer la protéinurie et de pré-
server le DFG chez les patients en IRC (17). Le traitement hypo-
lipémiant doit être instauré dès que le LDLc dépasse 1,30 g/l pour
une cible thérapeutique < 1 g/l, en privilégiant la classe des sta-
tines (10, 37). La notion de seuil d’intervention thérapeutique
risque toutefois d’être remise en question dans les prochaines
recommandations, avec la publication de la Heart Protection
Study (38). Cette étude, dont le suivi moyen était de 5,3 ans, repré-
sente une avancée majeure pour la prévention du risque cardio-
vasculaire. Dans une cohorte de plus de 20 000 patients hyper-
tendus ou non à haut risque cardiovasculaire et chez qui le LDLc
était < 1,16 g/l, la simvastatine (40 mg) a permis de réduire le
risque d’événements vasculaires majeurs et d’événements coro-
naires majeurs de 25 %, en diminuant le LDLc de 0,39 g/l, de
réduire la mortalité totale de 13 %, en relation essentiellement
avec une réduction de la mortalité coronarienne de 18 %. La sim-
vastatine a reçu l’AMM pour la prévention des complications car-
diovasculaire pour ces patients à haut risque, notamment les insuf-
fisants rénaux, a fortiori s’ils sont hypertendus et diabétiques, et
ce indépendamment du taux de LDL-cholestérol. La normalisa-
tion du bilan lipidique n’est pas toujours possible, notamment en
cas de syndrome néphrotique associé. La surveillance des
enzymes musculaires est particulièrement importante chez l’in-
MISE AU POINT
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