M I S E A U P O I N T L’atteinte rénale chez le patient hypertendu : un risque stratégique à ne pas méconnaître ! The assessment of renal involvement in hypertensive patients is a major key of cardiovascular risk management ● C. Mounier-Vehier*, S. Duquenoy*, P. Hainaut*, A. Carré*, G. Choukroun** .../... ■ Les Points forts ■ L’HTA et l’insuffisance rénale chronique (IRC) sont fré- quemment associées et s’aggravent mutuellement. ■ L’IRC est un facteur de morbi-mortalité cardiovasculaire à part entière. ■ Les néphropathies vasculaires d’origine hypertensive représentent près de 15 % des causes d’insuffisance rénale chronique. inhibiteurs de l’enzyme de conversion et les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II (dans la néphropathie diabétique) sont le traitement de première intention chez les patients porteurs d’une néphropathie chronique, avec ou sans insuffisance rénale. Chez ces patients, les diurétiques sont indispensables dans l’association antihypertensive, qui compte le plus souvent au moins trois traitements antihypertenseurs. Mots-clés : Hypertension artérielle - Insuffisance rénale - Protéinurie - Risque cardiovasculaire - Traitement. Keywords: Hypertension - Chronic renal insufficiency Proteinuria - Cardiovascular risk - Treatment. ■ Les patients hypertendus avec atteinte rénale doivent être considérés comme des patients à très haut risque cardiovasculaire, quel que soit leur niveau de pression artérielle. ■ Le dépistage de l’atteinte rénale doit être systématique chez l’hypertendu. Il repose sur l’étude de la créatinine plasmatique et le calcul de sa clairance, ainsi que sur le dépistage de la protéinurie à la bandelette. ■ Le dépistage des facteurs de risque cardiovasculaire est essentiel : certains sont directement impliqués dans la progression de la maladie rénale. ■ La protéinurie et l’HTA sont deux facteurs de progres- sion majeurs de l’IRC. ■ La baisse de la pression artérielle (< 130/85 mmHg et < 125/75 mm Hg en cas de protéinurie > 1 g/24 heures) et la réduction de la protéinurie sont des mesures efficaces pour freiner l’évolution des néphropathies chroniques d’origine hypertensive. .../... * Service de médecine vasculaire et HTA, CHRU Lille. ** Service de néphrologie et de médecine interne, CHU Amiens. La Lettre du Cardiologue - n° 371 - janvier 2004 hypertension artérielle (HTA) est une affection très fréquente dans les pays industrialisés. Sa prévalence est très dépendante de l’âge de la population. En France, plusieurs enquêtes réalisées ces dernières années ont montré que plus de 11 % de la population globale étaient hypertendus, 16,5 % de la population de plus de 20 ans et 24 % des plus de 35 ans, soit une prévalence de 7,5 millions d’hypertendus (enquête INSEE 1991, CFLHTA-SOFRES 2002). Aucun registre de l’insuffisance rénale chronique (IRC) n’est disponible en France, et peu d’études épidémiologiques ont été réalisées. On estime qu’environ 300 000 à 500 000 Français vivent avec une insuffisance rénale, si l’on choisit comme seuil un débit de filtration glomérulaire (DFG) de moins de 60 ml/mn. Il faut souligner cependant que la valeur normale du DFG est de 80 à 120 ml/mn ; il est donc probable que plusieurs centaines de milliers de Français supplémentaires ont une IRC débutante avec un DFG compris entre 60 et 80 ml/mn. La prévalence de l’insuffisance rénale terminale (IRT) est mieux connue : environ 50 000 patients sont actuellement traités, 15 000 transplantés et 35 000 traités en dialyse chronique, hémodialyse (90 % des patients) ou dialyse péritonéale. La prévalence et l’incidence de l’IRC ne cessent d’augmenter du fait du vieillissement de la population, de la prévalence croissante L’ 31 M I S E A U P O I N T du diabète de type 2 et de la meilleure prise en charge des maladies cardiovasculaires. Notons également que, parallèlement, l’épidémiologie des maladies rénales a évolué : les néphropathies diabétiques et vasculaires représentent les deux premières causes d’IRT (1) en Ile-de-France (soit environ 45 % des causes), le diabète de type 2 représentant à lui seul plus de 15 % des patients au stade terminal de l’IRC. Les néphropathies vasculaires représentent un ensemble hétérogène incluant les néphropathies ischémiques, conséquences des sténoses athéromateuses des artères rénales, la néphroangiosclérose, conséquence directe de l’HTA, et les maladies inflammatoires ou thrombotiques des vaisseaux intrarénaux. Il est essentiel de dépister précocement une néphropathie chez un patient hypertendu, pour au moins deux raisons : 1. L’HTA et l’IRC sont fréquemment associées et peuvent s’aggraver mutuellement. 2. l’IRC est un facteur de risque de mortalité cardiovasculaire à part entière qui va nécessiter des mesures thérapeutiques spécifiques (2-5). Les néphropathies sont dépistées trop tardivement en France : plus de 30 % des patients arrivent en insuffisance rénale terminale sans avoir jamais vu de néphrologue et sont pris en charge sur un programme d’épuration extrarénale dans les 48 heures qui suivent leur hospitalisation (1, 6). Plusieurs enquêtes françaises ont confirmé la carence suspectée en termes de dépistage de l’insuffisance rénale chronique. Dans l’enquête “PA-Rein”, en estimant le DFG par le calcul de la clairance de la créatinine selon la formule de Cockcroft, 61 % des patients vus en cardiologie libérale (2 100 patients inclus) et 89 % des malades suivis en milieu gériatrique hospitalier (941 patients inclus) avaient une insuffisance rénale modérée ; la fonction rénale était sous-estimée par le médecin dans 7 cas sur 10 (7, 8). L’enquête PHENOMEN a fourni des résultats comparables en médecine générale : parmi les 8 711 patients ayant eu un dosage récent (< 1 an) de la créatininémie, 1 sur 5 avait un insuffisance rénale modérée (< 60 ml/mn), alors que la fonction rénale était considérée comme normale par le médecin dans 9 cas sur 10 (9). ÉVALUATION DE L’ATTEINTE RÉNALE CHEZ LE PATIENT HYPERTENDU En dehors de l’HTA maligne, les complications rénales de l’HTA surviennent habituellement à un stade tardif de la maladie hypertensive ; il s’agit de la néphroangiosclérose bénigne, dont le diagnostic est histologique. Sa prévalence est inconnue, faute d’examen systématique du parenchyme rénal des patients souffrant d’HTA ; il est donc probable qu’elle est importante, mais très sous-estimée. Elle se caractérise par des lésions essentiellement vasculaires à type d’épaississement de l’intima des artères interlobulaires et par une prolifération des lames élastiques artériolaires responsable d’une fibrose fibro-élastique. Les glomérules sont souvent “ischémiques”, c’est-à-dire que le floculus est rétracté au pôle vasculaire, avec un épaississement de la capsule de Bowman. Le rein est assez souvent le siège d’une fibrose interstitielle focale. La néphroangiosclérose est très longtemps asymp32 tomatique : elle ne se manifeste que par une insuffisance rénale, d’évolution assez lente, sauf chez le sujet noir ; elle doit donc être dépistée systématiquement. Sa recherche est particulièrement importante chez les patients à risque tels que les sujets âgés et les patients diabétiques ou insuffisants cardiaques. La mise en évidence d’une atteinte rénale justifie une prise en charge thérapeutique spécifique. Elle a également des conséquences pour les explorations, en particulier iodées, et le cardiologue devra envisager une préparation spécifique chez ces patients (10). Étude de la fonction rénale La créatinine plasmatique La créatinine est le produit final du catabolisme de la créatine et de la phosphocréatine musculaire. Son élimination est essentiellement urinaire : 90 % de la créatinine est éliminée après filtration glomérulaire et 10 % par sécrétion tubulaire. Elle est librement filtrée, non réabsorbée et non fixée aux protéines. La créatinine plasmatique n’est pas un marqueur sensible de l’atteinte rénale débutante, puisqu’elle ne s’élève qu’après une baisse d’au moins 30 % du DFG. La créatininémie reste longtemps normale chez le sujet âgé du fait d’une diminution de sa masse maigre ; malgré la simplicité de son dosage, son interprétation est délicate, car elle est très dépendante de la masse musculaire des patients, et donc du poids, du sexe et de l’âge (11). Il s’agit toutefois du marqueur le plus utilisé en pratique clinique courante du fait de sa simplicité. Une valeur seuil de créatininémie autour de 137 µmol/l chez l’homme et de 104 µmol/l chez la femme traduit déjà une insuffisance rénale avérée avec une diminution de 50 % du débit de filtration glomérulaire (10). Mesure du débit de filtration glomérulaire L’étude du DFG permet d’évaluer de façon très précise la fonction rénale. La mesure de la clairance de l’inuline est la méthode de référence, mais elle n’est pas utilisée en routine du fait de sa lourdeur de réalisation. Plusieurs autres techniques nécessitant un traceur isotopique sont utilisables, mais elles sont habituellement réservées aux études cliniques. Clairance de la créatinine endogène Le DFG peut être estimé de façon assez fiable par la mesure de la clairance de la créatinine endogène sur un recueil des urines de 24 heures. Toutefois, pour être interprétable, ce recueil doit être rigoureux. Or, le recueil des urines se révèle souvent incomplet et, chez l’insuffisant rénal, l’augmentation de la sécrétion tubulaire de créatinine surestime la fonction rénale résiduelle (8, 10). Estimation du DFG par le calcul de la clairance de la créatinine Le calcul de la clairance de la créatinine par la formule de Cockcroft et Gault est en réalité la méthode la plus simple et la plus utilisée pour évaluer la fonction rénale (11) (tableau I). Il présente cependant des limites chez l’enfant, le patient obèse, la femme enceinte et le sujet très âgé. Il tient compte de la créatinine plasmatique, de l’âge, du sexe et du poids du patient. Il doit être effectué chaque fois qu’un dosage de la créatinine plasmatique est demandé. En effet, une créatininémie dans les valeurs hautes de la normale peut témoigner d’une insuffisance rénale sévère, notamment chez une femme âgée. La Lettre du Cardiologue - n° 371 - janvier 2004 M Tableau I. Évaluation de la fonction rénale avec la formule de Cockcroft et Gault et classification de l’insuffisance rénale [ANAES 2000 (10)]. Évaluation de la fonction rénale Clairance de la créatinine (ml/mn) Fonction rénale normale Insuffisance rénale légère Insuffisance rénale modérée Insuffisance rénale sévère Clcr (ml/mn) = ≥ 80 ≥ 60 et < 80 ≥ 30 et < 60 < 30 a* (140 – âge) x poids créatininémie Clcr = clairance de la créatinine. *a = 1,04 chez la femme et 1,23 chez l’homme. La créatininémie est exprimée en µmol/l, le poids en kilogrammes et l’âge en années. La conversion de mg/l en µmol/l se fait à l’aide d’un coefficient multiplicateur de 8,85. Dans la surveillance d’un patient hypertendu, l’ANAES préconise de doser la créatininémie et la kaliémie tous les trois ans, en y associant le calcul de la clairance de la créatinine lorsque le premier dosage est normal. Chez les patients dont le traitement peut induire des modifications de la créatinine, un dosage annuel de la créatinine et un ionogramme sanguin sont recommandés (10). Microalbuminurie et macroalbuminurie Physiologiquement, une très faible quantité d’albumine plasmatique est filtrée par le glomérule, et 95 % de cette fraction filtrée sont réabsorbés au niveau du tube contourné proximal. L’albuminurie normale ne dépasse pas 10 mg/jour. Le passage de l’albumine au niveau glomérulaire va dépendre de la pression d’ultrafiltration, mais aussi du filtre glomérulaire constitué par la cellule endothéliale du capillaire glomérulaire, la membrane basale et le podocyte. La présence d’une quantité anormale d’albumine dans les urines peut témoigner de lésions capillaires glomérulaires. Dans l’HTA essentielle modérée, l’élévation chronique de la pression artérielle est un des déterminants de la microalbuminurie ; celle-ci est définie comme une excrétion urinaire d’albumine comprise entre 20 et 200 µg/mn, soit entre 30 et 300 mg/24 heures. Un taux supérieur définit la protéinurie classique. Ce taux peut être influencé par l’exercice physique et par l’orthostatisme, ou peut être faussé par une infection urinaire, une hématurie, un syndrome inflammatoire, une poussée d’insuffisance cardiaque ou encore la prise d’anti inflammatoires non stéroïdiens. Un dosage positif doit être confirmé par deux autres examens sur une période de trois mois, en utilisant les mêmes conditions de recueil urinaire. Le débit de protéinurie est habituellement très modéré dans l’évolution de l’HTA essentielle ; une microalbuminurie est détectable chez 10 à 20 % des patients (12, 13). La protéinurie évolue parallèlement à l’hyperfiltration glomérulaire ; elle est étroitement dépendante de l’élévation de la pression artérielle et des lésions artériolaires. Elle va induire des lésions inflammatoires spécifiques, glomérulaires et tubulaires, favorisant la progression de la néphropathie. La Lettre du Cardiologue - n° 371 - janvier 2004 I S E A U P O I N T L’ANAES recommande un dépistage de la protéinurie par la bandelette urinaire ou par un examen de laboratoire au moins tous les cinq ans lorsque la première recherche est négative. Une protéinurie diagnostiquée à la bandelette doit être confirmée et quantifiée sur les urines des 24 heures. La recherche systématique de microalbuminurie n’est recommandée que chez les patients hypertendus diabétiques, où sa présence incite à renforcer la prise en charge de l’HTA et à utiliser un médicament bloquant les effets de l’angiotensine II (10). Le dernier rapport du Joint National Committee (JNC VII) a intégré des recommandations spécifiques pour le dépistage et la prise en charge de l’atteinte rénale chez le patient hypertendu. Il définit l’IRC par une baisse de la filtration glomérulaire inférieure à 60 ml/mn/1,73 m2 (soit approximativement une créatinine plasmatique > 132,6 µmol/l chez l’homme et > 114,9 µmol/l chez la femme). La protéinurie est définie par la présence d’une albuminurie > 300 mg/l ou 200 mg/gramme de créatinine. Une surveillance rénale annuelle par un néphrologue est préconisée dès le stade d’insuffisance rénale modérée (14). AUTRES ÉLÉMENTS DE L’EXPLORATION D’UN PATIENT HYPERTENDU AVEC ATTEINTE RÉNALE Le dépistage des autres facteurs de risque cardiovasculaire est essentiel chez ce type de patients, certains participant à l’aggravation des lésions rénales (2, 13, 15-17). Le bilan initial proposé par l’ANAES comporte un dosage de la glycémie à jeun, du cholestérol total, du HDL-cholestérol, des triglycérides, ainsi que la recherche d’une protéinurie et d’une hématurie à la bandelette réactive. L’étude du retentissement de l’HTA repose sur l’électrocardiogramme, l’échocardiographie en présence de points d’appel, et l’exploration des axes vasculaires. Le dosage de la glycémie et des paramètres lipidiques est recommandé au moins tous les trois ans, lorsque le premier dosage est normal (10). L’ATTEINTE RÉNALE MAJORE LE RISQUE CARDIOVASCULAIRE DU PATIENT HYPERTENDU La mortalité cardiovasculaire est plus importante en présence d’une insuffisance rénale chronique. Dans l’étude HOT, une créatininémie supérieure à 135 µmol/l était associée à un risque relatif d’accident cardiovasculaire de 2,95 et de mortalité cardiovasculaire de 4,72, comparativement aux patients dont la fonction rénale était normale (18). De plus, la survie après un événement cardiaque majeur est moindre en présence d’une insuffisance rénale (19). Les insuffisants rénaux sévères ont fréquemment une pathologie cardiovasculaire associée ; 31 % d’entre eux ont une insuffisance cardiaque et 19 % ont une insuffisance coronarienne (19). La majoration du risque cardiovasculaire chez l’hypertendu insuffisant rénal s’explique par : 33 M I S E A U P O I N T ✓ la présence plus fréquente de cofacteurs de risque cardiovasculaire ; ✓ l’apparition de certains facteurs de risque spécifiques à l’IRC, comme l’hyperhomocystéinémie et l’élévation des LDL oxydées ; ✓ l’hypertrophie ventriculaire gauche, très fréquente chez ces patients (figure 1) (2, 5, 13, 15, 16, 20). Lésions vasculaires athéromateuses : sténose de l'artère rénale ++ Pression pulsée* Hypertrophie ventriculaire gauche* FACTEURS D’AGGRAVATION DE L’ATTEINTE RÉNALE Ces facteurs doivent être contrôlés dans la mesure du possible ; ils associent l’HTA, la protéinurie, les médicaments néphrotoxiques, la maladie rénale surajoutée (obstacle, pyélonéphrite aiguë), la grossesse, le régime trop riche en protides, le tabagisme, l’anémie et la dyslipidémie (10, 14). Protéinurie* ÉLÉMENTS DE PRISE EN CHARGE Tabac IRC Obésité Diabète Dyslipidémie LDL oxydés* HTA* Calcifications vasculaires* L’amélioration de la prise en charge va ainsi passer par une évaluation globale du RCV relevant d’une intervention multidisciplinaire (figures 2 et 3) (10, 14). Plusieurs éléments vont être déterminants dans l’évolution de l’atteinte rénale. * favorisée(s) par l'insuffisance rénale chronique. Figure 1. Marqueurs et facteurs de risque cardiovasculaire associés à l’insuffisance rénale chronique (IRC). La localisation rénale de la maladie athéromateuse est également un marqueur de risque cardiovasculaire indépendant (21, 22). Conlon et al ont rapporté une diminution significative de la courbe actuarielle de survie de patients coronariens ayant une sténose athéromateuse de l’artère rénale, notamment s’ils étaient dialysés ; la sténose de l’artère rénale était même le facteur prédictif le plus puissant de mortalité cardiovasculaire, supérieur aux autres facteurs tels que l’insuffisance cardiaque ou la baisse de la fraction d’éjection ventriculaire gauche (21). Une autre étude a rapporté un risque relatif de mortalité totale chez les patients hypertendus multiplié par 3,3 et un risque relatif de mortalité cardiovasculaire multiplié par 5,7 en présence d’une sténose athéromateuse de l’artère rénale (22). La microalbuminurie est un facteur de risque cardiovasculaire puissant chez l’hypertendu diabétique. Chez l’hypertendu non diabétique, elle est considérée comme un marqueur de risque cardiovasculaire ; elle est associée à une atteinte plus fréquente des organes cibles de l’HTA et à la maladie athéromateuse. Ni la valeur pronostique de l’excrétion urinaire d’albumine sur l’évolution de l’HTA, ni le bénéfice de sa prise en charge ne sont, par contre, encore établis chez l’hypertendu non diabétique (12). L’enquête de Framingham a montré qu’une protéinurie > 200 mg/ 24 h était associée à un excès de mortalité totale et cardiovasculaire (odds-ratio de 1,3 chez l’homme et de 1,7 chez la femme) ; la protéinurie était aussi fréquemment associée à la maladie vasculaire athéromateuse. Dans une étude suédoise réalisée chez 835 hypertendus, avec un suivi moyen de 10 ans, la valeur prédictive de la protéinurie sur les événements cardiovasculaires excédait largement celle des facteurs de risque habituels tels que le tabagisme et l’hypercholestérolémie (23). Le JNC VII a donc inclus la microalbuminurie et la baisse de la clairance de la créatinine plasmatique (< 60 ml/mn) dans la liste des facteurs de risque cardiovasculaire majeurs ; la néphropathie chronique est considérée comme une atteinte “organe cible” de l’HTA (12). 34 Restriction protidique : 0,8 à 1,2 g/kg/j si syndrome néphrotique Anémie Arrêt tabac Risque rénal Régime hyposodé : 3-5 g de sel/jour HTA et protéinurie : – IEC – ARA II – diurétiques anse (association) – diltiazem – vérapamil – bêtabloquants Dyslipidémie : – statines +++ Vaccination contre hépatite B dès créatininémie > 132 µmol/l chez l'homme et > 114,9 µmol/l chez la femme Correction du diabète Figure 2. Éléments de prise en charge du risque rénal chez l’hypertendu. Facteurs de risque cardiovasculaire – HTA – Protéinurie – Âge – Dyslipidémie – LDL oxydées – Sexe masculin – Obésité – Diabète – Tabac – Microalbuminurie Thérapeutiques ciblées – IEC - ARA II – Statines – Antiagrégants plaquettaires Néphropathie – Clcr plasm Marqueurs RCV – Pression pulsée – HVG – Calcifications vasculaires – Hyperhomocystéinémie IRC Maladie vasculaire athéromateuse Éducation thérapeutique RCV absolu Réseaux de santé multidisciplinaires Morbi-mortalité cardiovasculaire Figure 3. Évaluation du risque cardiovasculaire (RCV) du patient hypertendu avec atteinte rénale et éléments de mise en charge. RCV : risque cardiovasculaire ● IRC : insuffisance rénale chronique ● HVG : hypertrophie ventriculaire gauche ● ClCr plasm : clairance de la créatinine plasmatique ● IEC : inhibiteurs de l’enzyme de conversion ● ARA II : antagonistes des récepteurs à l’angiotensine II M Le contrôle de la pression artérielle et de la protéinurie Le contrôle optimal de la PA est une mesure fondamentale pour réduire la pression de filtration glomérulaire, la protéinurie, et diminuer de ce fait le niveau de risque cardiovasculaire, très élevé chez ces patients (10, 14, 24). L’étude MDRD (Modification of Diet In Renal Disease Study Group) a ainsi permis d’identifier les seuils optimaux à atteindre chez l’hypertendu protéinurique à partir d’une population de 840 patients en IRC sur un suivi moyen de 2,2 ans. Cette étude a montré que les objectifs tensionnels devaient être modulés en fonction de l’importance de la protéinurie avec une cible thérapeutique < 130/85 mmHg pour une protéinurie < 0,25 g/jour, < 130/80 mmHg pour une protéinurie comprise entre 0,25 et 1 g/jour et < 125/75 mmHg pour une protéinurie > 1 g/jour (25). Ces objectifs tensionnels ont été repris par l’ANAES. En présence d’une atteinte rénale, l’objectif tensionnel sera plus strict, avec une PA < 130/85 mmHg et < 125/75 mmHg si la protéinurie est > 1 g/24 h (10). Le JNC VII préconise des chiffres de PA < 140/80 mmHg (14). Cette cible n’est souvent obtenue qu’au prix d’une polythérapie antihypertensive, qui doit être instaurée rapidement et comporter au minimum un diurétique et un agent bloqueur du système rénine-angiotensine (14). En effet, tous les antihypertenseurs n’ont pas une efficacité équivalente sur la protection néphronique. ✓ Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion ont un effet néphroprotecteur démontré chez l’hypertendu diabétique et non diabétique, indépendamment de leur effet tensionnel (14, 26-29). Ils ralentissent l’évolution des néphropathies, protéinuriques ou non, et ils diminuent de façon significative l’incidence de l’insuffisance rénale terminale [études REIN et AIPRI] (26, 30, 31). L’effet néphroprotecteur des IEC s’explique par la diminution de l’hyperfiltration glomérulaire et par l’inhibition de la synthèse d’angiotensine II et d’aldostérone. La réduction de la protéinurie apparaît parfois au-delà de 2 à 3 mois de traitement. Elle n’est pas liée à la dose utilisée, et elle augmente avec la durée du traitement (30-33). Le bénéfice néphroprotecteur des IEC est d’autant plus important que ceux ci sont prescrits précocement dans l’évolution de la néphropathie (30). L’instauration d’un traitement par un IEC chez l’insuffisant rénal nécessite une surveillance régulière de la créatininémie et de la kaliémie, surtout dans les situations d’aggravation intercurrente d’hypoperfusion rénale. ✓ Les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II ont un effet néphroprotecteur démontré dans la néphropathie du diabète de type 2 [étude RENAAL avec le losartan (34) ; étude IDNT et IRMA-2 avec l’irbésartan (34-36)]. Ils doivent bénéficier des mêmes précautions d’emploi que les IEC chez l’insuffisant rénal (14). L’association des ARA II aux IEC est synergique sur le débit de la protéinurie aussi bien dans la néphropathie diabétique que non diabétique ; elle est recommandée en deuxième intention quand le débit de protéinurie reste supérieur à 1 g/24 h sous IEC, en l’absence d’hyperkaliémie et sous stricte surveillance biologique (32). ✓ L’association IEC et/ou ARAII et inhibiteur calcique est potentiellement intéressante sur la réduction de la pression d’ultrafiltration et le débit de protéinurie lorsque l’HTA et/ou la protéinurie ne sont pas suffisamment contrôlées (27, 32). Il s’agit La Lettre du Cardiologue - n° 371 - janvier 2004 I S E A U P O I N T plutôt d’une association de deuxième intention lorsque le patient présente déjà une kaliémie haute (≥ 5 meq/l) sous IEC ou ARA II (32). Une augmentation de la créatininémie de 10 à 15 % est fréquemment observée lors de l’introduction des agents bloqueurs du système rénine-angiotensine, mais elle n’impose pas leur arrêt (10). Une élévation jusqu’à 35 % des valeurs de créatinine de base est même autorisée avec ces médicaments en l’absence d’hyperkaliémie (14). Il faut donc prévoir un dosage de la créatininémie et de la kaliémie 8 jours après l’instauration d’un inhibiteur du système rénine-angiotensine. En cas de majoration de la créatininémie sous traitement, il faut savoir éliminer une pathologie vasculo-rénale sous-jacente en l’absence d’autre facteur intercurrent. ✓ Les diurétiques sont indispensables dans l’association antihypertensive, car il s’agit d’une hypertension volo-dépendante, sensible au sel. Les diurétiques hyperkaliémiants (spironolactone, amiloride, triamtérène) sont contre indiqués si la kaliémie est ≥ 5 mmol/l ou si la créatininémie est ≥ 200 µmol/l. Les diurétiques de l’anse, à fortes doses, sont préconisés dès que la créatinine plasmatique dépasse 221-265 µmol/l, soit une clairance de la créatinine inférieure à 30 ml/mn pour 1,73 m2 (14). La correction des facteurs de risque cardiovasculaire Le contrôle du LDL-cholestérol (LDLc) est une autre cible essentielle du risque cardiovasculaire et un objectif secondaire de la protection néphronique (17, 37). La diminution du risque cardiovasculaire obtenue par certains traitements hypolipémiants dépend étroitement du niveau de risque des patients traités. Le bénéfice du traitement est d’autant plus important que le risque cardiovasculaire de ces patients est élevé. Ainsi, le risque cardiovasculaire des patients hypertendus ayant une atteinte rénale est comparable à celui de patients se trouvant en situation de prévention secondaire d’infarctus du myocarde. Les statines permettraient de diminuer la protéinurie et de préserver le DFG chez les patients en IRC (17). Le traitement hypolipémiant doit être instauré dès que le LDLc dépasse 1,30 g/l pour une cible thérapeutique < 1 g/l, en privilégiant la classe des statines (10, 37). La notion de seuil d’intervention thérapeutique risque toutefois d’être remise en question dans les prochaines recommandations, avec la publication de la Heart Protection Study (38). Cette étude, dont le suivi moyen était de 5,3 ans, représente une avancée majeure pour la prévention du risque cardiovasculaire. Dans une cohorte de plus de 20 000 patients hypertendus ou non à haut risque cardiovasculaire et chez qui le LDLc était < 1,16 g/l, la simvastatine (40 mg) a permis de réduire le risque d’événements vasculaires majeurs et d’événements coronaires majeurs de 25 %, en diminuant le LDLc de 0,39 g/l, de réduire la mortalité totale de 13 %, en relation essentiellement avec une réduction de la mortalité coronarienne de 18 %. La simvastatine a reçu l’AMM pour la prévention des complications cardiovasculaire pour ces patients à haut risque, notamment les insuffisants rénaux, a fortiori s’ils sont hypertendus et diabétiques, et ce indépendamment du taux de LDL-cholestérol. La normalisation du bilan lipidique n’est pas toujours possible, notamment en cas de syndrome néphrotique associé. La surveillance des enzymes musculaires est particulièrement importante chez l’in35 M I S E A U P O I N T suffisant rénal en raison du risque plus élevé de rhabdomyolyse, en cas d’atteinte rénale évoluée (10, 14). Le traitement sera donc instauré à demi-doses chez ce type de patients. L’arrêt du tabac est impératif, de même que le contrôle des apports sodés (3 à 5 g de sel/j) et l’équilibration du diabète (10, 14). 8. Hanon O, Rigaud AS, Forette F. Difficulté de l’évaluation de la fonction réna- Les autres mesures associent principalement (10, 14, 25) 10. Recommandations pour la pratique clinique. Prise en charge des patients adultes atteints d’hypertension artérielle essentielle. Recommandations cliniques et données économiques. ANAES avril 2000. htpp ://www.anaes.fr/ ✓ l’éviction des traitements néphrotoxiques et l’adaptation des dosages des médicaments à la clairance de la créatinine ; ✓ la préparation des patients à risque pendant la période précédant et suivant l’injection de produits iodés, avec un protocole associant une hydratation (sérum salé ou bicarbonate de sodium), en l’absence de contre-indication cardiaque, et de la N-acétylcystéine ; ✓ la vaccination contre l’hépatite B, si la sérologie est négative, dès que la créatininémie dépasse 133 µmol/l ; ✓ la restriction protidique (0,8 à 1,2 g/kg/j), indiquée en présence d’un syndrome néphrotique ; elle aurait une action bénéfique sur la protection néphronique (étude MDRD) (25). le chez l’hypertendu âgé. Presse Med 2002 ; 31 : 1071-80. 9. Mounier-Vehier C, Amah G, Duquenoy S, Fontaine P, Phan TM. L’évaluation de l’atteinte rénale est-elle satisfaisante chez l’hypertendu essentiel ? Observatoire en médecine générale. 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Effect of lipid reduction on the progression of renal disease : a L’atteinte rénale, qu’elle se manifeste par une albuminurie ou par une insuffisance rénale, doit être considérée comme un facteur d’aggravation majeur du risque cardiovasculaire chez le patient hypertendu. Son dépistage repose sur le dosage de la créatinine plasmatique et le calcul de sa clairance rénale et sur la recherche de protéinurie à la bandelette. Il s’avère que les médecins sousestiment encore trop souvent l’atteinte rénale de leur patient. L’éducation du patient et le développement des réseaux de santé pluridisciplinaires sont des éléments d’action qui pourraient améliorer le dépistage de l’atteinte rénale, homogénéiser les prises en charge, améliorer le dépistage des facteurs de risque cardiovasculaire et de ceux de la maladie athérothrombotique, renforcer la compliance au traitement et aider à la formation des professionnels de santé. ■ Bibliographie 1. Jungers P, Choukroun G, Robino C et al. 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Lancet 2002 ; 360 : 7-22. 83 ● Var L’HÔPITAL LÉON-BÉRARD CENTRE DE RÉÉDUCATION FONCTIONNELLE (260 lits adultes) PSPH à Hyères RECHERCHE UN MÉDECIN-ADJOINT TEMPS PLEIN CARDIOLOGUE • Service de réhabilitation cardiaque de 76 lits • Activité fortement médicalisée • 3 postes de cardiologue temps plein Adresser lettre manuscrite de candidature + CV à : Monsieur le Président du Conseil d’Administration BP 121 HYÈRES CEDEX Renseignements complémentaires auprès de M. le Directeur Tél. : 04 94 38 05 05 - Fax : 04 94 38 05 26 E-mail : [email protected] Pour réserver votre emplacement, contactez dès maintenant Franck Glatigny. Tél. : 01 41 45 80 57. Fax : 01 41 45 80 45 La Lettre du Cardiologue - n° 371 - janvier 2004 37