FICHE À DÉTACHER
Une hypothèse majeure dans l’analyse de survie classique est que
la survenue de l’événement d’intérêt et la censure sont indépendantes :
la censure n’apporte pas d’information sur l’incidence d’événements ulté-
rieurs. Cette hypothèse est naturelle lorsque la censure est due à un arrêt de
l’observation sans raison liée à l’étude. Lorsqu’un délai est censuré du fait
de la survenue d’un autre événement empêchant l’événement d’intérêt de se
produire, on parle alors de risques compétitifs, ou d’événement compétitif,
car s’opposant à la survenue de l’événement étudié. Par exemple, dans une
étude évaluant l’efficacité d’une statine dans la prévention de la mortalité
cardiovasculaire (critère principal de l’étude), certains patients peuvent
décéder d’une autre cause (cancer, par exemple). Une mort due à d’autres
causes constitue un type d’événement de risque compétitif puisqu’elle
modifie la probabilité de survenue de l’événement d’intérêt, la mort de
cause cardiovasculaire. L’analyse de survie classique est alors inappropriée,
le recours à la méthode de Fine & Gray est recommandé, permettant une
estimation des incidences spécifiques de chaque type d’événement dans
l’analyse.
Encadré 1. La notion de risques compétitifs.
La Lettre du Pharmacologue Vol. 29 - n° 3 - juillet-août-septembre 2015 | 107
fiche
technique
Sous la responsabilité de son auteur
n° 6
La courbe de survie (partie I)
D
ans de nombreuses situations, l’objectif théra-
peutique n’est pas simplement de réduire le risque
de survenue d’un événement, mais également de
retarder sa survenue. Dans le cas du décès, cet objectif revient
à vouloir augmenter la survie des patients. La courbe de survie
est alors une simple représentation graphique del’évolution
du nombre de survivants d’une étude au cours du temps.
L’analyse serait simple si tous les patients présentaient l’évé-
nement pendant le suivi, car il suffirait de présenter les
délais moyens pour résumer les données. La particularité
des données de survie est que, à la fin de la période de suivi
(date de point ou
cutoff
), l’événement d’intérêt n’a pas été
observé chez tous les patients, car le suivi est interrompu.
On parle alors de censure de l’information.
L’analyse de survie permet d’étudier le temps d’occurrence
d’un événement lorsque l’événement d’intérêt ne s’est pas
encore produit chez tous les patients. Cet événement d’intérêt
est souvent le décès, mais il peut aussi être un événement
clinique quelconque, comme la rechute, la récidive,etc.
Onparle ainsi de survie sans récidive.
Rappels sur les principes
de l’analyse de survie
Imaginons une cohorte prospective de patients consécutifs
présentant une embolie pulmonaire (EP) dont l’objectif est
d’estimer le risque d’EP fatale à 2 ans.
Au sein de cette cohorte, plusieurs situations sont possibles:
certains patients seront décédés d’une récidive d’EP avant
la date de point, ils présentent donc l’événement d’intérêt au
cours du suivi;
certains patients seront vivants en fin de suivi, l’événement
ne s’étant pas produit;
certains patients ne seront pas évaluables à 2ans, soit
parce qu’ils sont perdus de vue au cours du suivi, soit parce
qu'ils sont non évaluables sur le critère d’intérêt (pas d’examen
diagnostique pour confirmer l’EP), soit parce qu’ils sont décédés
avant d’une autre cause, par exemple d'une hémorragie, appelée
événement compétitif
(encadré1)
.
Dans le premier cas, les patients ne feront plus partie des sujets
exposés dès lors qu’ils auront présenté l’événement. Dans
les 2derniers cas, les patients sont dits censurés car le délai
d’observation est interrompu avant la survenue de l’événement.
Dans une analyse de données de survie, le risque d’événement
est calculé avec un dénominateur évoluant donc dans le temps,
au fil des événements et des censures.
Construction d’une courbe de survie
Quelle que soit la méthode d’estimation de la fonction de
survie utilisée, elle consiste à découper l’échelle de temps en
intervalles, et à estimer la probabilité de survie sur chaque
S. Laporte*, M. Cucherat**
* Unité de recherche clinique, pharmacologie et innovation, hôpital Nord, CHU de Saint-
Étienne ; EA3065, université Jean-Monnet, Saint-Étienne.
** UMR CNR 5558, faculté de médecine Laennec, Lyon.
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fiche technique n° 6
FICHE À DÉTACHER
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intervalle de temps, en d’autres termes, la probabilité d’être
vivant en fin d’intervalle si on l’était en début. Il s’agit alors de
calculer le nombre de patients présentant l’événement sur cet
intervalle divisé par le nombre de patients exposés au risque
d’événement sur ce même intervalle. Ainsi, le dénominateur
évolue au cours du temps puisqu’un patient perdu de vue ne
fait plus partie des patients exposés, et qu’un patient décédé
est exclu également des patients encore exposés. La survie
globale (SG) est le produit des différentes probabilités de
chaque intervalle.
Nous présentons dans
l’encadré2
la méthode de Kaplan-Meier
(la différence avec la méthode actuarielle réside dans le choix
del’intervalle). La méthode consiste à réaliser une estimation
dela probabilité d’événement à chaque fois qu’un événement
seproduit. Cette méthode sous-entend que l’événement se
produit bien à la date enregistrée. Si le moment exact d’appa-
rition de l’événement est incertain, et que seule la période de
temps est connue, la méthode actuarielle est plus adéquate :
elle consiste à estimer la probabilité de survie par intervalle
de temps fixé apriori, et à considérer les événements comme
apparaissant en milieu d’intervalle.
La validité de l’estimation de la fonction de survie dépend des
censures liées à un suivi incomplet, avant la date de point :
patients perdus de vue, refus de la visite, de l’examen, ou
ayant présenté un autre événement compétitif. Lepronostic de
ces patients est supposé être le même que celui des patients
évaluables restant dans la cohorte. Cette hypothèse paraît
correcte si les raisons qui expliquent que les patients sont
perdus de vue sont indépendantes de la pathologie (déména-
gement, par exemple), mais incorrecte si le patient est perdu
de vue du fait d’un événement compétitif, comme un décès
d'une autre cause, puisque l’on censure un patient à risque,
en tout cas plus à risque qu’un patient qui a déménagé…
(encadré1, p. 107)
.
Conclusion
L’estimation de la courbe de survie est un outil statistique
puissant qui permet d’exploiter l’ensemble de l’information
apportée par la dynamique de survenue des décès au cours du
temps. L’outil d’estimation permet aussi d’exploiter au maximum
le suivi incomplet (censure). Mais, point fondamental, toutes
les censures non liées à la fin du suivi (comme les perdus
de vue) sont susceptibles de biaiser l’estimation de la courbe
de survie (par un biais d’attrition). Il convient donc de bien
documenter les 2types de censure :
censored, follow-up ongoing
et
censored, follow-up ended
. La méthode statistique d’esti-
mation des courbes de survie prend en compte les censures, mais
ne corrige absolument pas le biais qu’elles peuvent engendrer
si elles ne sont pas uniquement liées à la fin du suivi.
Soit une cohorte de 100 patients ayant une EP,
l’objectif est d’estimer le risque d’EP fatale à 2 ans.
Quelle que soit la date d’inclusion sur le calendrier,
le jour de l’inclusion a été noté J1 pour tous les
patients et le suivi a été compté en jours. Zoomons
sur les 3 premiers mois, on a enregistré 4 EP fatales
dans cette population très à risque : 1 patient 2 jours
après son EP initiale (J2), 2 à J5 et 1 à J25. De plus,
4 patients sont perdus de vue à J10, J12, J12 et J25.
Enfin, 2 patients sont décédés d’une insuffisance
cardiaque (J3) et d’un cancer (J66).
Pour les calculs de survie, il s’agit d’abord d’établir
les intervalles de temps correspondant aux événements
et censures ci-dessous
(tableau)
, soit J2, J3, J5, J10,
J12, J25 et J66 (colonne ) et de remplir l’état des
patients (colonnes
). Bien sûr, au fil de survenue des
événements et censures, nous observons une attrition
de la cohorte (colonne
), le nombre de patients à
risque, appelé nombre de patients exposés, diminuant
au cours du temps. La survie sans EP fatale, intervalle
par intervalle, correspond à la colonne
. La fonc-
tion de survie S(t) consiste à multiplier ces probabi-
lités intantanées temps par temps avec S(t)=S(t-1)xP(t)
[colonne ]. La courbe de survie par définition
retrace la probabilité de survie au cours du temps,
mais on peut tout aussi bien représenter la rétro fonction
(colonne ). Tout dépend du critère étudié et de la
fréquence de l’événement. Lorsque la pathologie est
sévère et la mortalité importante, on présente souvent
les succès, c’est-à-dire la survie. Lorsqu’on s’intéresse
à un événement peu fréquent, on représente de pré-
férence les échecs au traitement pour un problème
de lisibilité graphique, mais aussi pour une traduction
clinique immédiate. On préfère parler de risque d’EP
fatale de 4 % plutôt que de survie sans EP de 96 %…
Encadré 2. Exemple de calcul d’une fonction de survie par la méthode de Kaplan-Meier.
Tableau. Calcul d’une fonction de survie par la méthode de Kaplan-Meier.
❺ ❻
Temps EXPosés endébut
d’intervalle
EVT
(EP fatale)
PdV Événement
compétitif
Probabilité de survie instantanée (surl’intervalle)
P(t)= (EXP-EVT)/EXP
Fonction desurvie
S(t)
1 - S(t)
[%]
J1 100 1 1 0
J1-J2 100 1 0 0 (100-1)/100 = 0,9900 0,99 1
J2-J3 99 0 0 1 99/99 = 1 0,99 1
J3-J5 98 2 0 0 (98-2)/98 = 0,9795 0,9698 3,02
J5-J10 96 0 1 0 96/96 = 1 0,9698 3,02
J10-J12 95 0 2 0 95/95 = 1 0,9698 3,02
J12-J25 93 1 1 0 (93-1)/93 = 0,9892 0,9594 4,06
J25-J66 91 0 0 1 91/91 = 1 0,9594 4,06
J66-… 90
EP : embolie pulmonaire ; EVT : événement ; PdV : perdus de vue.
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
Retrouvez la deuxième partie consacrée à la courbe de survie :
Lecture
d’une courbe de survie etprécautions d’interprétation
dans le numéro
de décembre de
La Lettre du Pharmacologue
.
Pour en savoir plus…
+
Biau DJ, Latouche A, Porcher R. Competing events influence
estimated survival probability - When is Kaplan-Meier analysis
appropriate? Clin Orthop Relat Res 2007;462:229-33.
+ Bland JM, Altman DG. Survival probabilities (the Kaplan-Meier
method). BMJ 1998;317(7172):1572.
+
Gooley TA, Leisenring W, Crowley J, Storer BE. Estimation
of failure probabilities in the presence of competing risks: new
representations of old estimators. Stat Med 1999;18(6):695-706.
+ Fine JP, Gray RJ. A proportional hazards model for the
subdistribution of a competing risk. J Am Stat Assoc 1999;
94:496-509.
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