Assemblée générale – Avis no 366.305 – 16 mai 2002 Notion de contrat administratif – Activités commerciales se déroulant sur les aires d’autoroute – Caractère administratif des contrats portant sur l’exploitation des installations annexes assurant les prestations de distribution de carburant et de restauration – Sous-concessions de service public – Notion de pouvoir adjudicateur Le Conseil d’État, saisi par le ministre de l’équipement, des transports et du logement, des questions suivantes : – Les activités exercées par les exploitants d’installations annexes à caractère commercial sur le réseau autoroutier concédé sont-elles, en tout ou partie, des activités de service public ? – Quelle est la nature juridique des contrats d’exploitation des installations commerciales sur le réseau des sociétés concessionnaires d’autoroutes et quel régime juridique doit en conséquence s’appliquer à leur passation ? – Quelles sont la signification et la portée de l’agrément, par le ministre chargé de la voirie nationale, du cocontractant du concessionnaire, prévu à l’article 30 des cahiers des charges de concession ? Vu le Traité instituant la Communauté européenne, notamment son article 12 ; Vu la directive no 92/50/CEE du 18 juin 1992 portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services ; Vu la directive no 93/36/CEE, du 14 juin 1993 portant coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures ; Vu la directive no 93/37/CEE, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, notamment son article 1er et son annexe I ; Vu la directive no 93/38/CEE du 14 juin 1993 portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des télécommunications ; Vu le code de la voirie routière ; Vu le code du domaine de l’État notamment son article L. 84 ; Vu le code de commerce, notamment son livre quatrième ; Vu la loi no 91-3 du 3 janvier 1991 modifiée, notamment son article 9 ; Vu la loi no 93-122 du 29 janvier 1993 modifiée notamment par la loi no 2001-1168 du 11 décembre 2001 ; Est d’avis de répondre aux questions posées dans le sens des observations qui suivent : Aux termes des dispositions de l’article L. 122-4 du code de la voirie routière : « L’usage des autoroutes est en principe gratuit. Toutefois, peuvent être concédées par l’État soit la construction et l’exploitation d’une autoroute, soit l’exploitation d’une autoroute, ainsi que la construction et l’exploitation de ses installations annexes telles qu’elles sont définies au cahier des charges. La convention de concession et le cahier des charges sont approuvés par décret en Conseil d’État. Ces actes peuvent autoriser le concessionnaire à percevoir des péages en vue d’assurer le remboursement des avances et des dépenses de toute nature faites par l’État et les collectivités ou établissements publics, l’exploitation et, éventuellement, l’entretien et l’extension de l’autoroute, la rémunération et l’amortissement des capitaux investis par le concessionnaire. » Aux termes de l’article 38 de la loi du 29 janvier 1993 susvisée, dans la rédaction que lui a donnée l’article 3 de la loi du 11 décembre 2001 susvisée : « Une délégation de service public est un contrat par lequel une personne morale de droit public confie la gestion d’un service public dont elle a la responsabilité à un délégataire public ou privé, dont la rémunération est substantiellement liée aux résultats de l’exploitation du service. Le délégataire peut être chargé de construire des ouvrages ou d’acquérir des biens nécessaires au service. Les délégations de service public des personnes morales de droit public sont soumises par l’autorité délégante à une procédure de publicité permettant la présentation de plusieurs offres concurrentes, dans des conditions prévues par un décret en Conseil d’État. / La collectivité publique dresse la liste des candidats admis à présenter une offre après examen de leurs garanties professionnelles et financières et de leur aptitude à assurer la continuité du service public et l’égalité des usagers devant le service public. / La collectivité adresse à chacun des candidats un document définissant les caractéristiques quantitatives et qualitatives des prestations ainsi que, s’il y a lieu, les conditions de tarification du service rendu à l’usager. / Les offres ainsi présentées sont librement négociées par l’autorité responsable de la personne publique délégante qui, au terme de ces négociations, choisit le délégataire. » Sur le fondement des dispositions précitées, l’État a conclu des conventions avec un certain nombre de sociétés dont certaines sont à capitaux majoritairement privés. Ces conventions, comme les cahiers des charges qui leur sont annexés, et les avenants qui les modifient, sont approuvés par des décrets en Conseil d’État. Les sociétés concessionnaires d’autoroutes, qui sont chargées par l’État d’un service public et tirent l’essentiel de leurs ressources des péages prélevés sur les usagers des autoroutes sont délégataires de service public. La procédure conduisant à leur sélection par l’État, autorité délégante, est donc celle prévue à l’article 38 précité de la loi du 29 janvier 1993 susvisée. Selon la rédaction habituellement retenue dans les cahiers des charges des concessions, la société concessionnaire est chargée par l’État, non seulement de la construction, de l’exploitation et de l’entretien de l’autoroute elle-même et des raccordements aux voiries existantes, mais aussi des installations annexes à caractère commercial des aires de services, telles que stations-service, restaurants, hôtels, motels et, le cas échéant, bureaux de change et parcs de stationnement. Afin de mener à bien ce dernier aspect de leur mission – obligation qui leur incombe nécessairement en vertu de leurs engagements contractuels – les sociétés concessionnaires d’autoroutes concluent avec diverses entreprises des contrats qui, s’ils comprennent à titre accessoire des clauses relatives à des travaux de construction, portent essentiellement sur l’exploitation des installations commerciales susmentionnées. Aux termes de ces contrats, les entreprises, autorisées à occuper le domaine public en échange du paiement d’une redevance, sont notamment chargées d’assurer des prestations de distribution de carburant, de restauration, d’hôtellerie ou de change de devises. Sur la première question : Il résulte des stipulations des contrats en cause que la possibilité d’exercer une activité économique sur les aires d’autoroutes est réservée aux seules entreprises titulaires de tels contrats d’exploitation. Les activités ainsi exercées qui peuvent être regardées comme des activités de service public sont celles qui, directement nécessaires aux besoins particuliers des usagers des autoroutes, répondent à des considérations d’intérêt général en contribuant à la sécurité et à l’efficacité du trafic autoroutier et qui, par suite, sont soumises par les sociétés concessionnaires d’autoroutes, à des contraintes et des conditions d’exploitation propres à assurer aux usagers un service continu et adapté. Parmi les prestations offertes sur les aires de service, seules la distribution de carburant et la restauration réunissent ces conditions et peuvent en conséquence être regardées comme des activités de service public. Sur la deuxième question : Les contrats portant sur l’exploitation des installations annexes assurant les prestations de service public susmentionnées sont conclus par des sociétés concessionnaires de service public et, ainsi qu’il a été dit, autorisent les entreprises prestataires de service à occuper le domaine public de l’État. Ces contrats sont, en conséquence et par application de l’article L. 84 du code du domaine de l’État, des contrats administratifs. Les entreprises qui, en vertu de ces contrats, sont prestataires de service, tirent l’intégralité de leurs ressources des recettes d’exploitation de leur activité : elles en supportent ainsi le risque économique. C’est pourquoi, ceux de ces contrats qui ont pour objet principal de confier, dans les conditions ci-dessus rappelées, la gestion d’un service public, doivent s’analyser comme des sous-concessions de service public. Les règles applicables à la passation de tels contrats doivent être examinées tant au regard du droit national qu’au regard du droit communautaire. I – Il résulte des dispositions du premier alinéa ci-dessus rappelé de l’article 38 de la loi du 29 janvier 1993 modifiée que, dès lors que les sociétés concessionnaires sont des personnes morales de droit privé et ne sont pas mandataires de l’État, les contrats qu’elles concluent en vue d’exploiter les installations commerciales sur les aires de service ne sauraient être soumis, pour leur passation, aux obligations de publicité et de mise en concurrence définies par cette loi. II – Il résulte des dispositions de la directive no 92/50/CEE du 18 juin 1992 portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services, ainsi que de ses travaux préparatoires, que les concessions de service public sont exclues du champ d’application de ce texte et ne sont donc soumises à aucune des règles de publicité et de mise en concurrence qu’elle fixe pour organiser la passation des marchés de services. Toutefois, par un arrêt « Telaustria Verlags GmbH et Telefonadress GmbH contre Telekom Austria AG » (no C324/98) rendu le 7 décembre 2000, la Cour de justice des communautés européennes a jugé qu’alors même qu’aucune obligation ne résultait du droit communautaire, un organisme, si du moins il pouvait être regardé comme un « pouvoir adjudicateur », devait, avant de conclure une concession de service public, mettre en œuvre un « degré de publicité adéquat », propre à assurer le respect du principe de non-discrimination inscrit à l’article 12 du traité instituant la Communauté européenne. Il convient dès lors de rechercher dans quelle mesure les sociétés concessionnaires d’autoroutes peuvent être regardées comme des « pouvoirs adjudicateurs ». La notion de pouvoir adjudicateur est définie à l’article 1er des directives no 92/50/CEE, no 93/36/CEE et no 93/37/CEE susvisées portant coordination des procédures de passation respectivement des marchés publics de services, de fournitures et de travaux. Cette définition a fait l’objet d’une transposition en droit interne par l’article 9 de la loi du 3 janvier 1991 susvisée. Aux termes de ces dispositions législatives, est notamment un pouvoir adjudicateur au sens des directives, « un organisme de droit privé [...] satisfaisant un besoin d’intérêt général autre qu’industriel et commercial et répondant à l’une des conditions suivantes : / 1° Avoir son activité financée majoritairement et d’une manière permanente par l’État, des collectivités territoriales, des établissements publics autres que ceux ayant un caractère industriel ou commercial, ou encore des organismes de droit privé, des établissements publics à caractère industriel et commercial de l’État ou des groupements d’intérêt public, satisfaisant un besoin d’intérêt général autre qu’industriel ou commercial ; / 2° Être soumis à un contrôle de sa gestion par l’un des organismes mentionnés au 1° ; / 3° Comporter un organe d’administration, de direction ou de surveillance composé majoritairement de membres désignés par des organismes mentionnés au 1°. » Au regard de ces dispositions, il apparaît en premier lieu que les missions de construction, d’entretien et d’exploitation des autoroutes dont sont chargées à titre principal les sociétés d’autoroutes, répondent à des objectifs d’équipement et d’aménagement du territoire, d’une part et de sécurité accrue des déplacements d’autre part, qui visent à satisfaire des besoins d’intérêt général au sens des dispositions qui précèdent. En second lieu la composition de l’organe de direction des sociétés concessionnaires à capitaux majoritairement publics répond aux conditions fixées par le 3° des dispositions législatives précitées. Ces sociétés doivent en conséquence être regardées comme des pouvoirs adjudicateurs. Elles ne peuvent donc sélectionner les entreprises prestataires de service public sur les aires d’autoroutes, qu’après avoir mis en œuvre un « degré de publicité adéquat » permettant un appel à la concurrence et tenant compte des caractéristiques particulières de chaque contrat. À l’inverse, les autres sociétés concessionnaires d’autoroutes, dans la mesure où elles ne répondent à aucune des conditions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l’article 9 de la loi du 3 janvier 1991 précitée, ne peuvent être regardées comme des pouvoirs adjudicateurs. En conséquence, aucune règle ni aucun principe de droit communautaire ne leur fait obligation de mettre en œuvre des mesures de publicité avant de conclure les contrats relatifs principalement à l’exploitation des installations annexes à caractère commercial sur les aires de services des autoroutes. III. Il demeure néanmoins que, dans le cadre des relations contractuelles existant entre l’ensemble des sociétés concessionnaires et l’État, ce dernier a la possibilité d’exiger de la société concessionnaire, quel que soit le statut de celle-ci, qu’elle procède à des mesures de publicité et de mise en concurrence afin de sélectionner les entreprises qui exploiteront les activités annexes à caractère commercial situées sur les aires de service des autoroutes. Par ailleurs, l’ensemble des sociétés concessionnaires d’autoroutes, comme d’ailleurs les entreprises prestataires de services, sont soumises au respect des règles de fond du droit de la concurrence. Sur la troisième question : Dans la mesure où une convention de délégation de service public est conclue en raison de considérations propres à chaque cocontractant, le contrat par lequel la société d’autoroutes confie une partie de ses obligations à un tiers ne peut être conclu, même en l’absence d’une clause spéciale en ce sens, qu’avec l’agrément de la collectivité publique délégante. L’agrément délivré par le ministre chargé de la voirie nationale a notamment pour objet d’apprécier les garanties professionnelles et financières que doit présenter l’entreprise prestataire en vue d’assurer le bon accomplissement des missions qui lui sont confiées. La personne publique peut ainsi, afin d’évaluer ces garanties, demander la production de tout document susceptible de l’éclairer. La délivrance de l’agrément peut être conditionnée à la vérification par le ministre, que les exigences de publicité et de mise en concurrence prévues par le cahier des charges pour la sélection des sociétés prestataires ont été satisfaites.