LES JOURS REDOUTABLES
Tout
maître
qui
a l'ambition
d'enseigner
le
vrai visage de
la
nature
et
de
la portée des jours redoutables
dans
notre existence
doit présenter
ses
leçons dans
l'esprit même de ces jours
; il
doit
les préparer
en puisant
dans la source de la littérature juive de tous les temps, y compris la
littérature moderne
. Tout ce qui touche à ce thème exige une étude atten-
tive et
une
réflexion approfondie à l'aide
d'un
examen
minutieux des
prières et des coutumes de ces jours.
La matière est si abondante que pour bien faire, il faudrait
pouvoir
en entamer l'étude en lasse dès le lendemain du g
Av, avant
que ne reten-
tisse k
Cho far
du mois d'Eloul
Par quoi commencer ? Le plus simple est
d'aborder
le sujet par la
lecture d'extraits de la Bible, par exemple
:
Lévitique XXIII,
2
3-3
2
et
Néhémie VIII,
i-a2
Ces versets sont
une
source
d'inspiration inépuisable
à partir de laquelle on fera découvrir la beauté et la force des jours redou-
tables dans la vie juive Un professeur capable pourra encore ajouter à ceci
son inspiration personnelle propre à susciter l
'
enthousiasme
de sa classe.
En premier lieu, il devra insister sur le fait que les mots « jours redou-
tables » n'expriment qu'un élément de la signification de ces fêtes où
ni
la
désolation
ni la tristesse n'ont leur place, mais
qui sont cependant
les
jours de l'examen de conscience le plus sérieux
. Néhémie déjà (VIII,
Io)
avait invité ses contemporains à ne pas pleurer
à
Roch-Hachama,
mais de
manger, de boire des boissons douces, d'offrir des cadeaux, « car saint
est ce jour pour notre Seigneur
; ne vous désolez pas, car l'
allégresse du
Seigneur est votre salut »
. Toutes nos fêtes comportent un certain amal-
game de joie et de sévérité, d'allégresse et d'examen de conscience, mais
c'est surtout le cas au début de l'année
. La nature même des jours redou-
tables nous enseigne que la Présence divine ne se pose pas sur le Juif dans
l'inertie et la désolation, mais dans la joie de la
mitsva
. Si
le maître sait
faire sentir cela à ses élèves, je suis sûr que leurs réactions seront enthou-
siastes et qu'ils attendront les fêtes avec une fébrile impatience.
Noue devons également montrer aux élèves que la célébration de nos
fêtes du début de l'an est d'une certaine manière une
offrande
de pré-
mices au Saint, béni soit-II, en reconnaissance de toutes Ses bontés
. Tout
comme
le
Juif a le devoir de commencer
chacune de
ses
journées par
la
tefila,
de même il consacrera les dix premiers jours de
l'an
neuf à une
méditation
spirituelle le conduisant jusqu'aux cimes de la Création
. Nos
Sages ont mis l'accent sur cette idée en enseignant que même après la
venue du
Messie l'offrande d'actions
de
grâce
(Toda)
sera
maintenue malgré
la suppression de tous les sacrifices, et Rabbi Méir pense que « tout homme
doit réciter cent bénédictions par jour », afin que louange et
te fila
soient
constamment familières dans notre bouche.
En
plus des sources bibliques, on trouvera une
abondante documen-
tation
dans les lois de
Roch-Hachana,
des jours
de
techouva
et
de
Yom-
Kir, ainsi que dans les rituels de ces fêtes
. Ces textes exposent de très
nombreuses idées relatives aux valeurs juives en général, et aux thèmes
d'ordre religieux, moral ou social en relation avec ces journées
. Aucune
difficulté pour exposer tout cela à la jeune génération, réceptive à tout
9
ce qui peut inspirer l'amour et le respect de notre Dieu, de Son peuple
et de SaTora
.
Mais à une condition essentielle
: que le professeur ait un
coeur sensible et une foi robuste capables d'embraser le coeur de ses élèves
et d'élargir leur horizon sur le plan de la connaissance de notre tradition.
Ce n'est pas en vain qu'on a comparé la
Tora au
feu
; car seul le feu peut
allumer un autre foyer
. De même, seul un maître craignant Dieu et Sa
parole peut transmettre la voix de la
Tora, au
lieu d'une « culture » sans
âme
(t)
aux enfants et aux adolescents
. Seul « ce qui vient du coeur pénètre
jusqu'au coeur »
. Telle est la règle d'or de l'éducation juive, sous toutes les
latitudes
. Sans elle, tout maître dépenserait sa peine en vain.
En enseignant les jours redoutables, le professeur s'efforcera de pré-
senter également une vue d'ensemble de la conception juive de l'existence
et de répondre à cette question du rituel quotidien
: « Que sommes-nous et
qu'est notre vie ? » Quel est le contenu de notre particularisme ? Certes,
nous sommes différents des « autres », mais le cadre de cet article ne se
prête pas à un exposé de toutes nos particularités
. Je voudrais simplement
souligner ceci
: les chrétiens et les musulmans, par exemple, comptent leurs
années à partir d'un événement capital de leur histoire, tel que la naissance
de leur Sauveur ,ou tel que l'Egire
; autrement dit, des événements qui
n'intéressent que les croyants de leur communauté religieuse
. Nous, Juifs,
au contraire, comptons nos années à dater de la création du monde, chose
qui concerne tous les humains
. Ceci illustre le caractère universel de notre
religion, qui se préoccupe du sort de chaque homme et proclame cette
parole du dernier prophète
: « N'avons-nous pas tous le même père ?
N'est-ce pas un Dieu Un qui nous a créés ? Et pourquoi alors l'homme
profanerait l'alliance de nos pères en trahissant son frère ? » (Malachie,
II, ro)
Et ceci encore
: ils célèbrent leur Nouvel An en s'adonnant aux plaisirs
de la table, comme s'ils voulaient exprimer que « l'homme ne vit que de
pain »
. Leurs rituels ne contiennent que des questions d'ordre secondaire ;
l'essentiel en est absent
. Les Juifs, au contraire, fêtent l'An neuf en se
rassemblant dans la maison de prières pour s'y adonner à un culte du
coeur, dans la crainte et la sévérité pendant presque toute la journée, sur-
tout au jour de
Kipour
« depuis le soir jusqu'au soir »
. N'y a-t-il pas là
une conception supérieure de l'existence, faisant du Juif le plus noble des
croyants ? Chaque année, une voix nous appelle, exigeant de nous de consa-
crer notre temps, nos préoccupations et notre argent à notre vie spirituelle et
à l'existence de notre peuple en général
. Or, ces jours redoutables ne sont
liés à aucun événement de notre Histoire, contrairement aux fêtes de pèle-
rinage, à
'Hanouca ou
à
Pourim
.
Ils sont entièrement voués à
l'épanouis-
sement du judaïsme en nous-mêmes et ceci nous invite à intensifier l'édu-
cation juive dans nos écoles.
Depuis la création du monde, Tichri est le mois d'élection des juge-
ments et des bilans de notre conduite sur terre
. Malgré le fait que Nissan
est le mois de la sortie d'Egypte, qualifié par la
Tora
de « premier de vos
mois de l'année », l'expression
Roch-Hachana
dans notre bouche désigne
toujours le
t
eT
Tichri
. C'est le jour de la création du monde, de la nm
n
"
.
(1) L'auteur se livre ici à un jeu de mots intraduisible
AK
.,
t) W,, p7
tel
&'nlln 51p,,
la
lance d'Isaac fils de Sara et de Samuel ,fils de 'Hana, ainsi qu'il ressort
de la lecture de la
Tora
et de la
Haf tara de Roch-Hachana
.
C'est ainsi que
ce mois révèle l
'
existence d'une Providence individuelle qui pourvoit aux
besoins de chaque humain
; il montre comment le Juge unique du genre
humain ouvre le Livre du souvenir, afin de récompenser Ses fidèles et
punir ceux qui sont rebelles à Sa volonté
. Tout comme le berger qui
inspecte son troupeau, Il fait comparaître
chaque
être humain
; mais dans
Sa patience infinie, il attend la pénitence de l
'
homme, même jusqu'au
dernier jour de sa vie.
LES NOMS DE
ROCH-HACHANA
ET LEURS
USAGES
La
Tora
désigne cette fête soit par « souvenir de la sonnerie » (Lévi-
tique, XXIII, 24), soit par « jour de la sonnerie » (Nombres, XXIX, i).
L'expression du Lévitique explique l'interdiction de sonner le
Chofar le
Sabbat, par crainte de violer la loi du transport dans le domaine public.
En plus de ces deux noms, on trouve dans le
tefila
:
« jour du sou-
venir » et « jour du jugement »
. Le terme « nouvel an » a son origine dans
la
michna
.
A propos du « jugement », on signalera que la place de Tichri
dans le zodiaque est marquée par le signe de la Balance, dans laquelle est
mesurée la conduite de l'homme.
Cette fête comporte des coutumes et des textes de
tefila
qui expriment
les idées les plus merveilleuses
. Dans le nom même du
Chofar,
nos Sages
voient une allusion au devoir qui nous est fait d'« embellir»
(lechaper)
et
de corriger notre conduite
. Le son du
Chofar
est particulièrement apte à
éveiller en nous d'innombrables échos, car son histoire est ancienne et
riche (r)
. Il transforme tous les accrocs
(chevarim)
de la vie de notre peuple
en éclatantes sonneries de victoire
(tekia)
Ce qu'a parfaitement exprimé le
poète Juda Halévi en faisant de nous les « captifs de l'espoir ».
On présentera avec profit aux élèves quelques
midrachim
sur les fêtes.
D'après la tradition, les tables de la Loi furent brisées le 17 Tamouz
; le
z
ee
Eloul, Moïse monta à nouveau sur le Sinaï afin de recevoir de nouvelles
tables, mais après avoir donné l
'
ordre de sonner chaque jour le
Chofar
jusqu'à son retour, afin d'éviter tout nouvel égarement
. Au terme de qua-
rante jours, le ro Tichri, Moïse redescendit, porteur non seulement des
nouvelles tables gravées, mais aussi de la bonne nouvelle du pardon de
Dieu
. Cette tradition montre que cette période est particulièrement propice
à l'expiation, promise à tout celui qui revient à Dieu à la fois par son
comportement extérieur et par l'élan sincère de son coeur.
Nos Sages ont également interprété sur le plan moral la présentation
extérieure du
Chofar
qui est courbé, non ouvragé et qu'il est interdit de
revêtir d'or
. Pareillement, le Juif doit être humble, simple avec Dieu et
avec son prochain
. « L'accusateur ne peut se muer en défenseur », et c'est
pourquoi l'or dont était fait le veau est strictement proscrit du
Chofar.
Voici enfin comment expliquer la coutume de
tachli'h,
consistant à
jeter dans une rivière quelques miettes de pain, en priant Dieu qu'Il jette
ainsi nos péchés au fond de la mer
. Quel rapport entre des miettes de pain
et les fautes de l'homme ? Nos Sages ont enseigné que le responsable des
fautes est « le levain de la pâte », c'est-à-dire l'envie, la vanité, l'orgueil
(z) Voir pages
15
et
16
.
11
et la satisfaction de soi
. Jeter les miettes de pain nous invite à
nous
libérer
de ces passions et à « briser » notre coeur pour revenir, humbles et repen-
tants, vers Dieu, prêt à engloutir nos fautes.
LE JOUR DES EXPIATIONS
Tout comme le Nouvel An, la fête des expiations est un jour de joie
et de tremblement
. La
Tora
le qualifie de
chabat chabatone
.
Et
en
vérité
comment se laisserait-on aller à l'affliction pendant cette journée qui fit
s'écrier Rabbi Akiba
: « Heureux Israël qui se purifie devant son Père
céleste et qui est purifié par Lui l »
Le Talmud se fait l'écho de l'atmophère d'allégresse qui régnait à
Kipour à
l'époque où cette fête était un jour de vraie fraternité, en parti-
culier à la fin du jeûne
. On connaît cet enseignement de
Rabban
Simon,
fils de Gamliel
(Michna Ta-anit
IV,
8)
: «
Aucun jour en Israël ne valait
le xs Av et Kipour, lorsque les filles de Jérusalem sortaient vêtues de
robes blanches empruntées, afin qu'aucune ne se sente humiliée
. » Nos
ancêtres étaient tellement sûrs d'avoir obtenu le pardon
divin
que le
grand-prêtre donnait après le jeûne un grand banquet
; c'est pourquoi le
r Tichri porte parfois le nom de « jour de la joie du prêtre ».
Que dire à propos du jeûne à notre public scolaire ? Avant tout que
« l'homme ne vit pas que de pain, mais l'homme vit de tout ce
qu'exprime
la bouche de Dieu » (Deutéronome, VIII, 3)
. Car l'âme exige d'être ali-
mentée spirituellement, grâce à la
te fila
et au culte du coeur
. L'essentiel
n'est pas l'ascèse du corps, mais l'examen de conscience et la
techouva,
la
résolution d'accomplir les
mitsvot
.
L'abstinence n'est qu'un
moyen pour
faciliter la confession des péchés
. Cette confession est toujours exprimée
au pluriel (« la faute que nous avons commise
s)
parce que « tous les Juifs
sont mutuellement responsables »
; chacun a le pouvoir d'agir sur la conduite
de son prochain. La
Tora
prescrit la
mitsva
de remettre les égarés sur le
droit chemin
. Par conséquent, le jeûne a pour rôle d'épanouir l'amour et
la fraternité parmi nous et de donner une expression concrète à la
mitsva :
« Tu aimeras ton prochain comme toi-même
. »
Parmi les lois de
Yom-Kipour,
prenons l'exemple de l'ordre fait au
grand-prêtre de pénétrer dans le Saint des Saints vêtu des simples vête-
ments de lin
: tunique, pantalon, ceinture, tiare (Lévitique
XVI,
4)
. Pour-
quoi tant de simplicité et d'humilité à l'instant le plus poignant de ce grand
jour ? Certainement afin de nous enseigner la modestie dans notre vie
matérielle
. Sans elle et sans une vraie
techouva,
toutes nos
tefilot
des jours
redoutables ne seraient que vain bavardage
. Nos Sages illustrent cette atti-
tude par l'exemple de l'homme qui se livre au bain rituel, une charogne
à la main.
LES PRIERES DE
KIPOUR
Cinq
tefilot
rythment la journée du Pardon, depuis
Col nidré
jusqu'à
Neïla,
à l'heure où les ombres s'allongent sur le sol
. Le spectacle offert à
Col nidré
par toutes les maisons de prières, d'un bout du monde à l'autre,
est extraordinaire
. Il n'est presque pas de Juif qui n'entende les prières de
cette nuit
. Mais nos Sages nous ont enseigné
: « Bien que pécheur, il est
juif », et Dieu reste attentif, jusqu'à la
techouva.
.12
L'explication de Col
nidré
et son histoire passionnent toujours les élèves.
L'introduction d'abord
: «
. .
.nous autorisons de prier avec les rebelles »,
doit nous inspirer la vertu de miséricorde et faire de nous des disciples
d'Avraham,
qui ne repoussait jamais personne
. Si nous refusions notre
pitié à autrui, pourquoi le Seigneur nous accorderait-Il la Sienne ?
Le texte de
Colnidré
a
pour but de rendre nuls les voeux et les inter-
dits que l'homme n'a pas honorés, afin d
'
aborder ce jour sacré innocent de
toute faute
. Ceci ne signifie pas, comme nous en accusaient nos ennemis
pendant de longs siècles, que le Juif se dispense de cette manière d'honorer
les engagements pris vis-à-vis d'autrui Car la
Toradit de ceux-ci
: « Il fera
tout ce qu'exprime sa bouche
. » (Nombres
XXX,
3
.)
Col
nidré
se rapporte
exclusivement aux voeux prononcés vis-à-vis de Dieu
. Telle est l'explication
donnée par Manassé ben Israël à Olivier Cromwell en 1656, lorsqu'il
plai-
dait le retour des Juifs en Grande-Bretagne.
La prière de
Amida
contient la confession
(vidouy)
composée suivant
l'ordre alphabétique, afin d'en faciliter la récitation de mémoire, à l'épo-
que où les rituels étaient rares et chers
. Ceci est d
'
ailleurs le cas d
'
autres
prières et ne doit pas induire à penser que la confession a un caractère
artificiel et machinal
. Certaines prières suivent d'ailleurs l'ordre alphabé-
tique inversé, comme par exemple
ya-alé
qui suit immédiatement la
Amida
de
Col
nidré, ou tikaneta chabat
dans le
moussai
du Sabbat.
Il est bon, à mon avis, de donner aux élèves quelques indications bio-
graphiques sur les plus célèbres auteurs de
pioutim
tels que José, fils de
José (à qui est attribué
ya-alé,
qui vivait il
y
a mille trois cents ans ou
Rabbi Meir de Rottenbourg, ou Rabbi Yom Tov de York, qui périt en
190
dans le massacre de la tour de Clifford (on trouvera de la documen-
tation sur ces auteurs dans les encyclopédies)
. Chaque texte du rituel peut
fournir l'occasion d'intéresser les élèves à l'histoire juive
. Tout est dans
le
ma'hzor
:
histoire, valeurs juives, extraits essentiels de la
Tora.
Après les prières du soir, pourtant bien longues, les Juifs ne se hâtent
pas de rentrer chez soi
. Ils s'attardent encore à réciter des psaumes, à étudier
le traité
yoma,
et les croyants les plus fervents passent la nuit entière à
étudier et prier
. En vérité,
mi keame'ha Israël ?
L'atmosphère de
neila
est comparable à celle de
Colnidré
;
l'armoire
sainte reste ouverte, comme pour se pénétrer de l'influence de la
Tora
pour l'année entière
. Qui n'a jamais été témoin d'une assemblée célébrant
net
la,
proclamant d'une seule voix vibrante de ferveur et d'extase
:
hachem
hou haelohim
à
sept reprises, ne saura jamais ce qu'est la montée
d'une
âme
. Pour finir, la sonnerie du
Cho far
emporte au ciel toute la sainteté
de ce jour qui plaidera pour les enfants d'Israël.
Le rabbin I
.M
. LEHRMANN (Londres).
Rabi Abahou enseigne
: Pourquoi une corne de
bélier ? Le Saint, béni soit-ii, dit
: Afin que je me
souvienne du sacrifice d'Isaac, fils d'Avraham.
(Roch Hachana,
16 A)
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