temps Entretien Anh-Gaëlle Truong Photos Jean-Pierre Brouard – CESCM et Sébastien Laval Une société du rite ric Palazzo est directeur du CESCM et professeur d’histoire de l’art du Moyen Age. Il nous explique comment la liturgie, en tant que rite, participe à la structure de la société médiévale. E L’Actualité. – En quoi l’étude de la liturgie renseigne-t-elle sur la société médiévale ? Eric Palazzo. – Par ses liens étroits avec la théologie, Détail d’un calendrier peint sur un intrados d’arc (fin XIe), à Saint- Hilaire-le-Grand de Poitiers. qui est un domaine exclusivement réservé aux ecclésiastiques, l’étude de la liturgie et sa place dans la société médiévale ont longtemps été un thème peu exploré par les médiévistes. Or, l’étude de la liturgie est importante car, en tant que rite produit par l’Eglise, elle contribue à structurer la société médiévale. De plus c’est au Moyen Age que les producteurs de rites que sont l’Eglise, l’Etat ou les institutions commencent à les mettre par écrit, alors qu’ils étaient le plus souvent oraux et codifiés sous forme d’habitudes. Mais, s’ils sont écrits, ils ne sont pas figés. Ils sont au contraire toujours en interaction. Par exemple, la frontière entre rites profanes et rites sacrés n’était pas étanche et beaucoup de rites profanes emprunteront aux rituels liturgiques. Aussi le rite d’entrée en chevalerie reprend beaucoup au rite d’ordination des prêtres. A l’inverse, les rites de l’Eglise vont aussi évoluer en intégrant certaines données sociales. Ainsi, la liturgie reçoit de l’extérieur et transmet en retour. En ce sens, elle participe à la structuration de la société. Le temps médiéval, par exemple, est-il façonné par la liturgie ? Le temps liturgique s’est construit relativement tard par rapport à la naissance du christianisme, pas avant le VIe ou le VIIe siècle. Jusqu’alors, le temps est essentiellement cosmique avec quelques célébrations liturgiques marquant les événements de la vie du Christ. Progressivement, ces célébrations vont devenir incontournables et s’étendre à des périodes avant et après les fêtes. C’est le cas de Pâques ou de l’Avent, marqués par quatre dimanches. Ces blocs restent alors séparés par des jours sans aucune affectation particulière, les féries. Dans ce mouvement de structuration, il s’agit ensuite de faire correspondre les périodes liturgiques avec le calendrier cosmique. L’Eglise procède de fait à une inculturation en s’appropriant le temps cosmique : le calcul des périodes de Pâques se calque par exemple sur le rythme lunaire et la fête des Rogations sur les processions liées aux moissons. Pourquoi s’approprier ces fêtes ? Parce qu’elles sont utiles, parce qu’elles ont un sens social. Un peu plus tard, au IXe siècle, le théologien Alcuin invente la semaine en affectant un culte à chaque jour entre les dimanches. Dans la société médiévale, ce temps liturgique viendra s’imbriquer et se caler avec le temps du marchand qui est régi par d’autres règles, celles du commerce, et le temps du roi. Vous associez rites et histoire. Pourquoi cette approche anthropologique n’est pas plus présente dans l’enseignement supérieur ? Sébastien Laval Derniers livres d’Eric Palazzo : Liturgie et société au Moyen Age, Aubier, 2000. L’Evêque et son image. L’illustration du pontifical au Moyen Age, Brepols, 1999. La vie des moines au temps des grands abbayes, Xe-XIIIe siècle, avec Dom Anselme Davril, Hachette, 2000. 58 ■ L’ACTUALITÉ POITOU-CHARENTES ■ N° 61 ■ C’est une caractéristique de l’université française où l’anthropologie comme l’histoire des religions n’occupent pas de place aussi importante que dans d’autres pays. Je pense que nous ne sommes pas encore tout à fait prêts, à grande échelle, à appliquer le regard des mythes ou les méthodes utilisées par les anthropologues pour étudier la société chrétienne. Cela peut encore heurter des sensibilités. ■ ■ L’ACTUALITÉ POITOU-CHARENTES ■ N° 61 ■ 59