> Actualités Prix de thèse 2003 > La greffe striatale de neurones fœtaux peut améliorer le métabolisme striatal et cortical dans la maladie > de Huntington V. Gaura Ce travail est le fruit d’une collaboration entre l’unité CEA-CNRS 2210 du service hospitalier Frédéric Joliot, les services de neurologie et de neurochirurgie du CHU Henri-Mondor, et l’unité 421 de l’INSERM (Créteil). L a chorée de Huntington (CH) est une maladie neuro-dégénérative, autosomique dominante (1), qui se traduit par la dégénérescence des neurones du striatum. Sur le plan clinique, elle se caractérise par des troubles moteurs, comportementaux et une démence qui évoluent inéluctablement vers la mort. L’essentiel des lésions histologiques porte sur le striatum et sur ses connexions. Il n’existe actuellement aucun traitement de cette maladie, tant curatif que neuroprotecteur. Mais des essais thérapeutiques sont en cours, avec pour objectif de protéger les neurones striataux (neuroprotection) ou de les remplacer (greffe). Nous nous intéresserons ici aux greffes de neurones striataux fœtaux humains dont l’objectif est de remplacer anatomiquement et fonctionnellement les neurones striataux disparus ou non fonctionnels et de rétablir les circuits interrompus par cette dégénérescence neuronale. La validité de cette approche thérapeutique s’appuie sur les résultats expérimentaux obtenus chez le rat et le primate (2-5). L’allogreffe de cellules fœtales dans le striatum, dans un modèle phénotypique de maladie de Huntington chez le singe, entraîne une récupération de ces déficits (4, 5). L’intérêt de l’imagerie fonctionnelle (tomographie par émissions de positons ou TEP) dans la CH est de mettre en évidence, très précocement, les anomalies neurochimiques et métaboliques du striatum. En effet, le métabolisme céré- bral reflète l’activité synaptique régionale. Elle a permis de démontrer in vivo l’atteinte du striatum qui se traduit par une diminution précoce de la consommation de glucose dans le caudé et le putamen chez les sujets porteurs de l’anomalie génétique non symptomatiques, et ce, avant même que l’atrophie striatale soit visible au scanner (6, 7). La réduction du métabolisme striatal est corrélé à l’évolution motrice et cognitive de la CH (6, 8-10). Il s’accompagne d’une diminution du métabolisme cortical qui semble aussi participer à la symptomatologie des patients (9, 10). Cet hypométabolisme cortical a été attribué à un dysfonctionnement de la boucle cortico-striato-thalamo-corticale induite par la maladie striatale, mais peut aussi être dû à la dégénérescence retardée des neurones corticaux résultant du processus neurodégératif (11, 12). Le métabolisme striatal est donc un bon index évolutif de la dégénérescence neuronale, puisqu’il diminue avant la manifestation de symptômes et qu’il est bien corrélé à l’évolution lorsque ceux-ci apparaissent (6, 7). Il peut donc mettre en évidence l’effet de thérapeutiques visant à protéger ou à remplacer les neurones striataux. L’efficacité de tels traitements devrait être associée à une augmentation du métabolisme striatal et éventuellement cortical. Notre groupe a récemment rapporté les résultats de ces cinq patients greffés avec des neurones fœtaux striataux. Cette étude pilote a montré une amélioration clinique ou une stabilisation chez trois des cinq malades qui ont reçu une greffe striatale bilatérale de cellules fœtales (1). Nous rapportons ici les résultats du suivi du métabolisme striatal et cortical chez ces patients. Sujets et méthodes Cinq patients d’âge moyen égal à 43,5 ans (± 7,3 ans) ont été étudiés (13). Le protocole suit les instructions du Core Assessment Program for Intracerebral Transplantation (CAPITHD), (14). Tous les sujets ont donné par écrit leur consentement éclairé. Tous les patients inclus dans cette étude ont une CH symptomatique depuis deux à sept ans. Deux sessions de greffe ont été planifiées : la première dans le striatum droit et la seconde, un an après, dans le striatum gauche. Nous avons utilisé la mesure du métabolisme cérébral avec le [18F] Fluorodéoxyglucose (FDG). Nous avons réalisé d’une part, l’analyse statistique des données de chaque patient avec le logiciel Statistical Parametric Mapping (SPM99, Wellcome Department of Cognitive Neurology London) avec un seuil fixé à p inférieur à 0,0005. D’autre part, nous avons étudié à l’aide de régions d’intérêt (ROIs = regions of interest) les valeurs de consommation de glucose individuelle (CMRGlu). Finalement, une analyse qualitative du profil métabolique de chaque sujet dans chaque striatum a été réalisée, en utilisant une image de fusion en trois dimensions entre l’image métabolique et l’image anatomique (IRM). Résultats Les résultats cliniques complets sont détaillés ailleurs (15). SPM Le nombre de voxels hypométaboliques diminue après les greffes dans le striatum et dans le cortex chez les patients 1 et 2, en La Lettre du Neurologue - Suppl. Les Actualités au vol. VIII - n° 6 - juin 2004 25 > Actualités Prix de thèse 2003 particulier dans les lobes frontaux. Pour le patient 3, l’étendue de l’hypométabolisme striatal décroît tandis que l’hypométabolisme cortical reste très modéré. En revanche, l’hypométabolisme striatal s’aggrave après les greffes chez les patients 4 et 5, s’associant à une extension de l’hypométabolisme cortical. CMRGlu La variation de la CMRGlu dans le striatum entre T0 (avant greffe) et T2 (après greffe) diffère nettement d’un patient à l’autre. Comparées aux données initiales, les valeurs de CMRGlu augmentent en moyenne de plus 69,8 %, plus 28,8 % et plus 7,3 % respectivement chez les patients 1 à 3 dans le striatum (moyenne droit/gauche). En revanche, la consommation striatale de glucose décroît au cours des deux ans de suivi de moins 25,6 % et de moins 38,6 % chez les patients 4 et 5. 11 mm 9,5 mm 12 mm min max Figure. Profil anatomique et métabolique des greffes fœtales dans le putamen gauche du patient 1. Reconstruction en 3D de l’IRM dans laquelle le métabolisme striatal gauche a été fusionné avec la structure segmentée et reconstruite. On observe le cortex de l’hémisphère droit et le ventricule latéral gauche (bleu pâle). La ligne noire indique les deux puits de descente conduisant aux deux greffons individualisés dans le putamen gauche de ce patient. Les deux greffons sont visibles avec un métabolisme plus important que le tissu striatal environnant. La taille du greffon antérieur est indiquée. L’échelle de couleur indique le niveau du métabolisme cérébral. 26 Profil métabolique Finalement, l’analyse détaillée anatomofonctionnelle des striata greffés a été réalisée par la fusion en trois dimensions de l’IRM et des images métaboliques révélant une considérable hétérogénéité au niveau de l’anatomie et du profil métabolique du tissu greffé, chez un même patient et entre les patients. Chez les patients 4 et 5, aucune greffe n’est associée à une augmentation visible du métabolisme. Conclusion Le suivi du métabolisme cérébral chez des patients présentant une CH et greffés bilatéralement avec des cellules neuronales fœtales striatales a montré deux résultats principaux : premièrement, l’amélioration, parallèle à la clinique, des métabolismes striatal et cortical chez les patients 1 à 3, démontre que les greffes de cellules fœtales dans le striatum des patients atteints de CH peuvent reconstituer le circuit cortico-striatothalamo-cortical altéré. Ces cellules ont donc en partie remplacé les neurones dégénérés localement. Cependant, la limitation potentielle de ce traitement expérimental est l’hétérogénéité des résultats cliniques et métaboliques après les greffes. Cette hétérogénéité du profil anatomique et métabolique des greffes est en accord avec l’observation postmortem de greffons survivants (16). Il n’en demeure pas moins que la fixation de FDG est directement liée à l’activité synaptique et cette étude a montré que l’amélioration clinique n’a été observée que chez les patients dont les greffes induisent une augmentation du métabolisme striatal. Nos résultats démontrent l’utilité de la TEP avec mesure du métabolisme du glucose afin de mieux comprendre les effets des greffes de neurones fœtaux, et soutiennent la stratégie des greffes neuronales intrastriatales dans la maladie de Huntington. ■ R é f é r en c e s bi bl iog raph ique s 1. Harper PS. The epidemiology of Huntington’s disease. Hum Genet 1992;89(4):365-76. 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