Que dire à un patient atteint de maladie de Huntington (IIeme partie)

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L’éthique
au quotidien
Que dire à un patient atteint
de maladie de Huntington (II partie)
e
A.C. Bachoud-Lévi*
tifs (neuroleptiques, par
exemple) au profit d’antipermettent paromme les troubles moteurs et cognitifs, les troubles dépresseurs
fois, en réduisant l’apathie,
psychiatriques et comportementaux
de réduire l’irritabilité.
L’atteinte
ainsi
que
les
problèmes
sociaux
requièrent
une
prise
Souvent les conflits propsychiatrique et
viennent du décalage entre
en
charge
adaptée.
comportementale
les attentes de la famille (et
parfois du patient luiLes troubles psychiatriques
même) et ses capacités
vont conditionner en partie
réelles. Ne pouvoir faire ce
l’insertion professionnelle
qui lui plaît en se sachant sous la dépenassez bien le nombre élevé de tentatives de
et familiale des patients. Leur fréquence
dance de ses proches est parfaitement
suicide et malheureusement leur fort taux de
varie selon les études (tableau I).
insupportables pour le patient (et pour sa
réussite. Il faut tout de même savoir que la
famille). Il faut donc alléger cette dépendanplupart des suicides peuvent être évités par
Tableau I. Troubles psychiatriques répertoriés
ce et orienter le patient le plus possible en
une bonne prise en charge…
dans la maladie de Huntington.
dehors du cercle familial. Il ne faut pas hésiUne kyrielle de troubles du comportement et
Symptômes
Fréquence
ter, là non plus, à aborder le problème de la
du caractère doivent être systématiquement
dépendance directement avec le patient et sa
recherchés
au
cours
de
l’anamnèse
du
Dépressions justifiables
famille afin de déterminer au cas par cas
patient et de sa famille ; chaque trouble doit
d’un traitement médicamenteux 9 à 41 %
comment l’alléger.
être
évalué
afin
de
proposer
la
meilleure
États maniaques ou hypomanes
10 %
prise en charge possible et éventuellement
Les troubles obsessionnels compulsifs sont
Dysthymies
5–9%
les mesures juridiques qui s’imposent. Les
fréquents, et des études sont en cours pour
Psychoses
6 – 25 %
conduites agressives sont aussi bien dirigées
les évaluer. Ils gagneraient à être traités par
Hallucinations
<1%
contre le patient lui-même que contre autrui
des antidépresseurs sérotoninergiques ou
avec, en particulier, de nombreuses viomême parfois des tricycliques. Le rôle des
lences envers le conjoint et/ou les enfants. La
thérapies comportementales est à évaluer.
Les traitements symptomatiques (antidépresviolence n’est pas une fatalité dans la malaseurs, neuroleptiques antipsychotiques, thymoLes troubles des conduites sexuelles, bien
die ; l’expérience que nous en avons montre
régulateurs, sédatifs et anxiolytiques) et le
qu’ils soient peu abordés, touchent environ
qu’à l’instar de la population générale, c’est
recours au psychiatre doivent être précoce25 % des patients et représentent parfois un
parmi les patients “battus” qu’on trouve le
ment et largement préconisés. En effet, à ces
point crucial des conflits quotidiens ainsi
plus de patients “battants”. Par ailleurs,
symptômes psychiatriques patents s’ajoutent
qu’une des nombreuses causes de divorce
même si l’histoire familiale n’est pas explides troubles de la personnalité et du compordans cette maladie. Il peut s’agir de
cite, aborder clairement le problème de la
tement, qui réalisent chez les patients un
conduites de dégoût (semble-t-il plus fréviolence et des conflits sous-jacents, promélange détonant. L’impulsivité caractérise
quentes chez les femmes) ou au contraire
poser des psychothérapies et recourir aux
la plupart des patients et, ajoutée à la dépresd’une augmentation de la libido, avec parfois
neuroleptiques permettent le plus souvent
sion et aux problèmes de culpabilité, de
des viols intraconjugaux.
d’améliorer, voire de régler la situation.
désespoir et d’incurabilité, on comprend
Les troubles des conduites alimentaires sont
Dans la moitié des cas, les patients sont
variés, avec plutôt des comportements boulidécrits comme apathiques et irritables. Notre
miques ou de grignotage constants mais
expérience semble suggérer que ce sont les
aussi de refus alimentaire dans des contextes
mêmes patients qui sont apathiques et irridélirants de peur d’empoisonnement.
tables, et que les deux symptômes sont corLes addictions sont encore peu connues mais
rélés. Recadrer les patients dans des activités
* Service de neurologie,
infiniment variées. L’étude en cours dans
extérieures et réduire les médicaments sédahôpital Henri-Mondor, Créteil.
La prise en charge
des symptômes
C
Act. Méd. Int. - Neurologie (1) n° 6, novembre 2000
222
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notre service semble montrer un degré d’addiction plus important chez les patients
atteints de maladie de Huntington que chez
des contrôles. Dans certaines études, l’alcoolisme est présent dans 16 à 30 % des cas. Les
autres addictions (tabagisme, haschich,
Rohypnol®, drogues dures, thé, café, chocolat…) sont beaucoup moins connues mais
tout aussi avérées. On ne peut pas se battre
sur tous les fronts, l’addiction n’est pas forcément à réfréner. L’attitude que nous avons
est plutôt d’essayer d’en limiter les conséquences. L’alcool et les drogues dures induisent beaucoup d’agressivité et de situations
conflictuelles ; nous poussons les patients à
les échanger au profit d’addictions moins
dangereuses, comme le chocolat ou le sport.
Chez certains patients, le tabac peut représenter un risque d’incendie et de brûlures.
Nous proposons donc parfois aux familles de
réinventer le narguilé et d’acheter des cendriers très lourds sur lesquels il est possible
de fixer un fume-cigarette et de le relier par
une tubulure quelconque à la bouche du
patient ; celui-ci peut alors fumer les mains
libres et calmement avec un risque minime.
À noter tout de même les comportements
d’errance et de fugue, qui caractérisaient bon
nombre de patients atteints de maladie de
Huntington mais tendent à baisser actuellement dans la population que nous suivons ;
mais il n’est pas exclu que nous ayons des
biais de recrutement.
Quelques symptômes
non spécifiques
D’autres symptômes non spécifiques – épilepsie (3 à 16 %, essentiellement les formes
juvéniles), incontinence (20 %), hypersudation, amaigrissement, hypotension orthostatique) – dans la maladie de Huntington
peuvent bénéficier d’un traitement spécifique. Des mictions involontaires complètes
et inopinées sont observées au même titre
que des mictions impérieuses. Parfois l’incontinence est difficile à caractériser chez
des patients aux capacités de communication
limitées. Les anticholinergiques sont souvent
efficaces, mais, en cas de mictions involon-
taires complètes, d’autres molécules doivent
être essayées. Les fausses routes sont souvent multifactorielles, liées à la chorée orobucco-pharyngée, l’apraxie bucco-faciale, la
gloutonnerie et l’inattention des patients.
Chacun des paramètres en jeu doit être analysé et traité séparément, mais la rééducation
de la coordination pneumo-phonique en
orthophonie, à raison de deux fois par semaine, peut juguler les troubles pendant de longs
mois, voire des années. L’amaigrissement
peut être enrayé par la prise d’aliments
hyperprotidiques et surtout, comme pour les
autres symptômes, ses causes doivent être
disséquées et traitées de manière adaptée.
Une supplémentation vitaminique peut fournir un appoint intéressant. L’hypotension se
manifeste rarement fonctionnellement
(5 patients sur les 130 suivis à notre consultation). Les malaises peuvent bénéficier des
traitements habituels (bas à varices, dihydroergotamine)… et surtout d’une diminution des éventuels traitements associés pouvant contribuer au symptôme.
Un problème particulier :
la conduite automobile
Une étude anglaise a montré que les tests
attentionnels sont insuffisants pour prédire
les risques d’accident de la voie publique.
Le meilleur critère prédictif est donc la
notion de petits accrochages inexpliqués
avant des ennuis plus importants. C’est dès
le premier épisode détecté que l’arrêt de la
conduite doit être proposé aux patients,
sans attendre que le conjoint s’en mêle. Le
recours à la commission préfectorale des
permis de conduire permet de régler souvent les litiges lorsque le patient, sa famille ou le médecin ont des points de vue discordants.
La prise en charge sociale
Outre les difficultés de prise en charge
médico-psychologique des patients se pose
la question de leur devenir et de leur subsistance. Il est sans doute inutile de rappeler
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que la maladie de Huntington bénéficie
d’une prise en charge à 100 % au titre des
ALD 30, mais beaucoup de patients viennent encore en consultation sans que ce type
de procédure ait été mis en route, malgré un
diagnostic déjà connu. Diverses allocations
doivent être demandées (COTOREP, invalidité, tierce personne et allocation de logement). Le prix minimal d’un long séjour en
région parisienne étant de 12 000 à 15 000
francs, on imagine aisément la nécessité
d’avoir recours à ces allocations. Rappelons
toutefois que des prix plus modérés sont
pratiqués en province. Un certain nombre
de patients sont sous interdit bancaire, les
sauvegardes de justice et les tutelles ne sont
pas à dédaigner devant des comportements
de dépenses irrationnelles. Des assurances
sont à conseiller à un stade où la maladie
n’est pas vraiment évoluée ni déclarée. En
dernier lieu, pour les patients qui bénéficient de revenus trop élevés pour obtenir
des allocations, une demi-part peut être
déduite des impôts pour couvrir les frais de
la personne à charge, mais cela doit être
examiné avec une assistante sociale pour en
vérifier les conditions d’application.
La prise en charge sociale n’est malheureusement pas limitée à essayer de réduire le
coût de la maladie pour un patient ou une
famille ; elle consiste aussi à trouver des
lieux d’accueil ou des structures de soins
adaptés à chaque cas. Les solutions sont
comme toujours fonction des régions, des
bonnes volontés et des moyens des intervenants. Les patients peuvent parfois être
acceptés dans des HDJ psychiatriques ou
des MAS, où de nombreuses activités leur
sont proposées. Il faut juste savoir que le
délai d’accueil en institution oscille entre
1 et 2 ans et que les éventuelles demandes
de placement doivent être anticipées, même
si les familles semblent déterminées à un
maintien du patient au domicile. Des séjours
réguliers de “soulagement” permettent
d’ailleurs de prolonger et de faciliter les
choses. Ce maintien repose sur la multiplication des passages et des intervenants, la
diversification permettant de réduire les
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conflits qui naissent de la situation de
dépendance et des troubles du caractère des
patients.
Les essais thérapeutiques
À côté de ces mesures souvent négligées,
mais qui contribuent de manière importante
à améliorer l’état des patients et de leurs
familles, sont développés des essais thérapeutiques à visée curative. Même si leur efficacité
n’est pas encore démontrée, ces essais représentent un progrès important par rapport à
tout ce qui a été fait jusqu’ici, et il est donc
nécessaire de pouvoir informer les patients de
l’avancement des différents travaux. De nombreuses molécules ont été testées (remacemide,
coenzyme Q10, OPC-14117, D-αtocophérol,
lamotrigine…) et d’autres sont en cours
d’évaluation en Europe et aux États-Unis
(coenzyme Q10 ± remacemide, riluzole…).
De nouvelles molécules sont à l’essai dans les
laboratoires de recherche, et il est vraisemblable qu’elles seront proposées en essais cliniques dans un futur proche. Il faut néanmoins
savoir que le suivi d’un protocole expérimental n’est pas chose aisée pour un patient atteint
de maladie de Huntington et que la compliance aux rendez-vous et aux tests est souvent un
critère d’entrée dans les études. De plus, la
notion de placebo est d’autant plus difficile à
gérer que les études sont longues et les patients
plus atteints. Outre ces essais thérapeutiques
médicamenteux sont développés deux types
d’approche de thérapie interventionnelle dans
la maladie de Huntington (1) : la greffe intracérébrale et la thérapie génique. La première
est fondée sur la transplantation intracérébrale
de suspensions cellulaires prélevées à partir de
tissu nerveux fœtal afin de reconstruire le tissu
striatal détruit. Certains ont essayé de greffer
des cellules de porc (Boston, États-Unis),
d’autres des cellules fœtales humaines (La
Tampa et Los Angeles, États-Unis ; Créteil,
France…). Jusqu’à ce jour, aucun résultat n’a
été publié sur l’efficacité des greffes mais seulement sur leur faisabilité.
La seconde approche est fondée sur la nécessité d’assurer la protection des neurones de
l’hôte contre les phénomènes de dégénérescence par l’introduction dans le cerveau de
facteurs neurotrophiques à effet neuroprotecteur, comme le Ciliary Neurotrophic
Factor (CNTF). Le CNTF ayant une demivie courte et induisant de nombreux effets
indésirables s’il est administré par voie générale, l’équipe du Pr Aebisher, à Lausanne
(Suisse), a mis au point une technique d’encapsulation de cellules génétiquement modifiées pour fabriquer du CNTF. Depuis avril
1998, six patients ont bénéficié de l’implantation intraventriculaire cérébrale de capsules sécrétrices de CNTF visant à établir la
tolérance d’un tel traitement chez des
patients atteints de maladie de Huntington.
Les résultats de cette étude ne sont pas encore connus.
Conclusion
La prise en charge de la maladie de
Huntington requiert une approche globale
par une équipe ou un réseau de correspondants entraînés. La prise en charge familiale
est indispensable et permet de résoudre bon
nombre de conflits et donc de maintenir les
patients le plus longtemps possible dans un
état satisfaisant. Les espoirs suscités par les
nouvelles thérapeutiques font entrer la maladie de Huntington dans une nouvelle phase.
Réfénrences
1.
Bachoud-Lévi AC, Hantraye P, Peshanski
M. Prospectives for cell and gene therapy in
Huntington’s disease. In : Van Lee Wen F,
Salehi A, Giger R, Holmaat A, Verhagen J, ed.
Progress in Brain Research, Elsevier Science
BV 1998 ; 117 : 507-20.
2. Bird ED, Coyle JT. Huntington’s disease.
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Academic Press Inc, 1986 : 1-57.
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à la maladie : la mort neuronale dans la maladie
de Huntington. Med Sci 2000 ; 16 : 57-63.
4. Brandt J. Cognitive impairments in
Huntington’s disease: insights into the neuropsychology of striatum. In : Boller F,
G ra f m a n J, e d . H a n d b o o k o f
Neuropsychology. Amsterdam : Elsevier pub
1991 ; 5 : 241-4.
LISTE DES ANNONCEURS
ASTRA ZENACA (ZOMIGORO), P. 232-233 – ESAI (Aricept), P. 202–
LAFON (MODIODAL), P. 235 – NOVARTIS PHARMA SA (Comtan), P. 207–
PARKE DAVIS (Neurontin), P. 236.
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Act. Méd. Int. - Neurologie (1) n° 6, novembre 2000
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