Que dire à un patient atteint de maladie de Huntington (IIeme partie)

Act. Méd. Int. - Neurologie (1) n° 6, novembre 2000 222
La prise en charge
des symptômes
L’atteinte
psychiatrique et
comportementale
Les troubles psychiatriques
vont conditionner en partie
l’insertion professionnelle
et familiale des patients. Leur fréquence
varie selon les études (tableau I).
Les traitements symptomatiques (antidépres-
seurs, neuroleptiques antipsychotiques, thymo-
régulateurs, sédatifs et anxiolytiques) et le
recours au psychiatre doivent être précoce-
ment et largement préconisés. En effet, à ces
symptômes psychiatriques patents s’ajoutent
des troubles de la personnalité et du compor-
tement, qui réalisent chez les patients un
mélange détonant. L’impulsivité caractérise
la plupart des patients et, ajoutée à la dépres-
sion et aux problèmes de culpabilité, de
désespoir et d’incurabilité, on comprend
assez bien le nombre élevé de tentatives de
suicide et malheureusement leur fort taux de
réussite. Il faut tout de même savoir que la
plupart des suicides peuvent être évités par
une bonne prise en charge…
Une kyrielle de troubles du comportement et
du caractère doivent être systématiquement
recherchés au cours de l’anamnèse du
patient et de sa famille ; chaque trouble doit
être évalué afin de proposer la meilleure
prise en charge possible et éventuellement
les mesures juridiques qui s’imposent. Les
conduites agressives sont aussi bien dirigées
contre le patient lui-même que contre autrui
avec, en particulier, de nombreuses vio-
lences envers le conjoint et/ou les enfants. La
violence n’est pas une fatalité dans la mala-
die ; l’expérience que nous en avons montre
qu’à l’instar de la population générale, c’est
parmi les patients “battus” qu’on trouve le
plus de patients “battants”. Par ailleurs,
même si l’histoire familiale n’est pas expli-
cite, aborder clairement le problème de la
violence et des conflits sous-jacents, pro-
poser des psychothérapies et recourir aux
neuroleptiques permettent le plus souvent
d’améliorer, voire de régler la situation.
Dans la moitié des cas, les patients sont
décrits comme apathiques et irritables. Notre
expérience semble suggérer que ce sont les
mêmes patients qui sont apathiques et irri-
tables, et que les deux symptômes sont cor-
rélés. Recadrer les patients dans des activités
extérieures et réduire les médicaments séda-
tifs (neuroleptiques, par
exemple) au profit d’anti-
dépresseurs permettent par-
fois, en réduisant l’apathie,
de réduire l’irritabilité.
Souvent les conflits pro-
viennent du décalage entre
les attentes de la famille (et
parfois du patient lui-
même) et ses capacités
réelles. Ne pouvoir faire ce
qui lui plaît en se sachant sous la dépen-
dance de ses proches est parfaitement
insupportables pour le patient (et pour sa
famille). Il faut donc alléger cette dépendan-
ce et orienter le patient le plus possible en
dehors du cercle familial. Il ne faut pas hési-
ter, là non plus, à aborder le problème de la
dépendance directement avec le patient et sa
famille afin de déterminer au cas par cas
comment l’alléger.
Les troubles obsessionnels compulsifs sont
fréquents, et des études sont en cours pour
les évaluer. Ils gagneraient à être traités par
des antidépresseurs sérotoninergiques ou
même parfois des tricycliques. Le rôle des
thérapies comportementales est à évaluer.
Les troubles des conduites sexuelles, bien
qu’ils soient peu abordés, touchent environ
25 % des patients et représentent parfois un
point crucial des conflits quotidiens ainsi
qu’une des nombreuses causes de divorce
dans cette maladie. Il peut s’agir de
conduites de dégoût (semble-t-il plus fré-
quentes chez les femmes) ou au contraire
d’une augmentation de la libido, avec parfois
des viols intraconjugaux.
Les troubles des conduites alimentaires sont
variés, avec plutôt des comportements bouli-
miques ou de grignotage constants mais
aussi de refus alimentaire dans des contextes
délirants de peur d’empoisonnement.
Les addictions sont encore peu connues mais
infiniment variées. L’étude en cours dans
Comme les troubles moteurs et cognitifs, les troubles
psychiatriques et comportementaux
ainsi que les problèmes sociaux requièrent une prise
en charge adaptée.
*Service de neurologie,
hôpital Henri-Mondor, Créteil.
info-patients
Info-Patients
Symptômes Fréquence
Dépressions justifiables
d’un traitement médicamenteux 9 à 41 %
États maniaques ou hypomanes 10 %
Dysthymies 5 – 9 %
Psychoses 6 – 25 %
Hallucinations < 1 %
Tableau I. Troubles psychiatriques répertoriés
dans la maladie de Huntington.
Que dire à un patient atteint
de maladie de Huntington (IIepartie)
A.C. Bachoud-Lévi*
L’éthique
au quotidien
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notre service semble montrer un degré d’ad-
diction plus important chez les patients
atteints de maladie de Huntington que chez
des contrôles. Dans certaines études, l’alcoo-
lisme est présent dans 16 à 30 % des cas. Les
autres addictions (tabagisme, haschich,
Rohypnol®, drogues dures, thé, café, choco-
lat…) sont beaucoup moins connues mais
tout aussi avérées. On ne peut pas se battre
sur tous les fronts, l’addiction n’est pas for-
cément à réfréner. L’attitude que nous avons
est plutôt d’essayer d’en limiter les consé-
quences. L’alcool et les drogues dures indui-
sent beaucoup d’agressivité et de situations
conflictuelles ; nous poussons les patients à
les échanger au profit d’addictions moins
dangereuses, comme le chocolat ou le sport.
Chez certains patients, le tabac peut repré-
senter un risque d’incendie et de brûlures.
Nous proposons donc parfois aux familles de
réinventer le narguilé et d’acheter des cen-
driers très lourds sur lesquels il est possible
de fixer un fume-cigarette et de le relier par
une tubulure quelconque à la bouche du
patient ; celui-ci peut alors fumer les mains
libres et calmement avec un risque minime.
À noter tout de même les comportements
d’errance et de fugue, qui caractérisaient bon
nombre de patients atteints de maladie de
Huntington mais tendent à baisser actuelle-
ment dans la population que nous suivons ;
mais il n’est pas exclu que nous ayons des
biais de recrutement.
Quelques symptômes
non spécifiques
D’autres symptômes non spécifiques – épi-
lepsie (3 à 16 %, essentiellement les formes
juvéniles), incontinence (20 %), hypersuda-
tion, amaigrissement, hypotension ortho-
statique) – dans la maladie de Huntington
peuvent bénéficier d’un traitement spéci-
fique. Des mictions involontaires complètes
et inopinées sont observées au même titre
que des mictions impérieuses. Parfois l’in-
continence est difficile à caractériser chez
des patients aux capacités de communication
limitées. Les anticholinergiques sont souvent
efficaces, mais, en cas de mictions involon-
taires complètes, d’autres molécules doivent
être essayées. Les fausses routes sont sou-
vent multifactorielles, liées à la chorée oro-
bucco-pharyngée, l’apraxie bucco-faciale, la
gloutonnerie et l’inattention des patients.
Chacun des paramètres en jeu doit être ana-
lysé et traité séparément, mais la rééducation
de la coordination pneumo-phonique en
orthophonie, à raison de deux fois par semai-
ne, peut juguler les troubles pendant de longs
mois, voire des années. L’amaigrissement
peut être enrayé par la prise d’aliments
hyperprotidiques et surtout, comme pour les
autres symptômes, ses causes doivent être
disséquées et traitées de manière adaptée.
Une supplémentation vitaminique peut four-
nir un appoint intéressant. L’hypotension se
manifeste rarement fonctionnellement
(5 patients sur les 130 suivis à notre consul-
tation). Les malaises peuvent bénéficier des
traitements habituels (bas à varices, dihy-
droergotamine)… et surtout d’une diminu-
tion des éventuels traitements associés pou-
vant contribuer au symptôme.
Un problème particulier :
la conduite automobile
Une étude anglaise a montré que les tests
attentionnels sont insuffisants pour prédire
les risques d’accident de la voie publique.
Le meilleur critère prédictif est donc la
notion de petits accrochages inexpliqués
avant des ennuis plus importants. C’est dès
le premier épisode détecté que l’arrêt de la
conduite doit être proposé aux patients,
sans attendre que le conjoint s’en mêle. Le
recours à la commission préfectorale des
permis de conduire permet de régler sou-
vent les litiges lorsque le patient, sa famil-
le ou le médecin ont des points de vue dis-
cordants.
La prise en charge sociale
Outre les difficultés de prise en charge
médico-psychologique des patients se pose
la question de leur devenir et de leur sub-
sistance. Il est sans doute inutile de rappeler
que la maladie de Huntington bénéficie
d’une prise en charge à 100 % au titre des
ALD 30, mais beaucoup de patients vien-
nent encore en consultation sans que ce type
de procédure ait été mis en route, malgré un
diagnostic déjà connu. Diverses allocations
doivent être demandées (COTOREP, invali-
dité, tierce personne et allocation de loge-
ment). Le prix minimal d’un long séjour en
région parisienne étant de 12 000 à 15 000
francs, on imagine aisément la nécessité
d’avoir recours à ces allocations. Rappelons
toutefois que des prix plus modérés sont
pratiqués en province. Un certain nombre
de patients sont sous interdit bancaire, les
sauvegardes de justice et les tutelles ne sont
pas à dédaigner devant des comportements
de dépenses irrationnelles. Des assurances
sont à conseiller à un stade où la maladie
n’est pas vraiment évoluée ni déclarée. En
dernier lieu, pour les patients qui bénéfi-
cient de revenus trop élevés pour obtenir
des allocations, une demi-part peut être
déduite des impôts pour couvrir les frais de
la personne à charge, mais cela doit être
examiné avec une assistante sociale pour en
vérifier les conditions d’application.
La prise en charge sociale n’est malheureu-
sement pas limitée à essayer de réduire le
coût de la maladie pour un patient ou une
famille ; elle consiste aussi à trouver des
lieux d’accueil ou des structures de soins
adaptés à chaque cas. Les solutions sont
comme toujours fonction des régions, des
bonnes volontés et des moyens des interve-
nants. Les patients peuvent parfois être
acceptés dans des HDJ psychiatriques ou
des MAS, où de nombreuses activités leur
sont proposées. Il faut juste savoir que le
délai d’accueil en institution oscille entre
1et 2 ans et que les éventuelles demandes
de placement doivent être anticipées, même
si les familles semblent déterminées à un
maintien du patient au domicile. Des séjours
réguliers de “soulagement” permettent
d’ailleurs de prolonger et de faciliter les
choses. Ce maintien repose sur la multipli-
cation des passages et des intervenants, la
diversification permettant de réduire les
info-patients
Info-Patients
Act. Méd. Int. - Neurologie (1) n° 6, novembre 2000 224
conflits qui naissent de la situation de
dépendance et des troubles du caractère des
patients.
Les essais thérapeutiques
À côté de ces mesures souvent négligées,
mais qui contribuent de manière importante
à améliorer l’état des patients et de leurs
familles, sont développés des essais thérapeu-
tiques à visée curative. Même si leur efficacité
n’est pas encore démontrée, ces essais repré-
sentent un progrès important par rapport à
tout ce qui a été fait jusqu’ici, et il est donc
nécessaire de pouvoir informer les patients de
l’avancement des différents travaux. De nom-
breuses molécules ont été testées (remacemide,
coenzyme Q10, OPC-14117, D-αtocophérol,
lamotrigine…) et d’autres sont en cours
d’évaluation en Europe et aux États-Unis
(coenzyme Q10 ± remacemide, riluzole…).
De nouvelles molécules sont à l’essai dans les
laboratoires de recherche, et il est vraisem-
blable qu’elles seront proposées en essais cli-
niques dans un futur proche. Il faut néanmoins
savoir que le suivi d’un protocole expérimen-
tal n’est pas chose aisée pour un patient atteint
de maladie de Huntington et que la complian-
ce aux rendez-vous et aux tests est souvent un
critère d’entrée dans les études. De plus, la
notion de placebo est d’autant plus difficile à
gérer que les études sont longues et les patients
plus atteints. Outre ces essais thérapeutiques
médicamenteux sont développés deux types
d’approche de thérapie interventionnelle dans
la maladie de Huntington (1) : la greffe intra-
cérébrale et la thérapie génique. La première
est fondée sur la transplantation intracérébrale
de suspensions cellulaires prélevées à partir de
tissu nerveux fœtal afin de reconstruire le tissu
striatal détruit. Certains ont essayé de greffer
des cellules de porc (Boston, États-Unis),
d’autres des cellules fœtales humaines (La
Tampa et Los Angeles, États-Unis ; Créteil,
France…). Jusqu’à ce jour, aucun résultat n’a
été publié sur l’efficacité des greffes mais seu-
lement sur leur faisabilité.
La seconde approche est fondée sur la néces-
sité d’assurer la protection des neurones de
l’hôte contre les phénomènes de dégénéres-
cence par l’introduction dans le cerveau de
facteurs neurotrophiques à effet neuropro-
tecteur, comme le Ciliary Neurotrophic
Factor (CNTF). Le CNTF ayant une demi-
vie courte et induisant de nombreux effets
indésirables s’il est administré par voie géné-
rale, l’équipe du Pr Aebisher, à Lausanne
(Suisse), a mis au point une technique d’en-
capsulation de cellules génétiquement modi-
fiées pour fabriquer du CNTF. Depuis avril
1998, six patients ont bénéficié de l’implan-
tation intraventriculaire cérébrale de cap-
sules sécrétrices de CNTF visant à établir la
tolérance d’un tel traitement chez des
patients atteints de maladie de Huntington.
Les résultats de cette étude ne sont pas enco-
re connus.
Conclusion
La prise en charge de la maladie de
Huntington requiert une approche globale
par une équipe ou un réseau de correspon-
dants entraînés. La prise en charge familiale
est indispensable et permet de résoudre bon
nombre de conflits et donc de maintenir les
patients le plus longtemps possible dans un
état satisfaisant. Les espoirs suscités par les
nouvelles thérapeutiques font entrer la mala-
die de Huntington dans une nouvelle phase.
Réfénrences
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psychology of striatum. In : Boller F,
Grafman J, ed. Handbook of
Neuropsychology. Amsterdam : Elsevier pub
1991 ; 5 : 241-4.
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Info-Patients
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©en cours - Médica-Press International S.A.
LISTE DES ANNONCEURS
ASTRA ZENACA (ZOMIGORO), P. 232-233 – ESAI (Aricept), P. 202–
LAFON (MODIODAL), P. 235 – NOVARTIS PHARMA SA (Comtan), P. 207–
PARKE DAVIS (Neurontin), P. 236.
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