Clinique du workaholism Quentin Durand-Moreau Centre Ressources Maladies Professionnelles – CHU de Brest Journées de la SMSTO – Saint-Brévin-les-Pins - 13 & 14 octobre 2016 Work, work, work, work, work, work Rihanna feat. Drake Définition du workaholism Sandor Ferenczi et la Sonntagsneurosen (1919) Wayne Oates et Confessions of a workaholic (1971) Addiction to work, the compulsive and uncontrollable need to work incessantly Wayne Oates, 1971 Une addiction comportementale Dimension cognitive Dimension comportementale Craving pour le travail Wojdylo., 2014 Reprise des critères communs de Goodman (1991) : poursuite du comportement malgré les conséquences délétères. « Inner drive » Travailler de manière excessive Schaufeli et al., 2008 Pas de consensus diagnostique Pas de critères nosologiques établis (Trop) Nombreux tests psychométriques WART (Work Addiction Risk Test) - Développé par Robinson en 1989 25 items avec une échelle de Likert à 4 points Consistance interne bonne (alpha de Cronbach = 0.88) Score > 67 = addiction au travail Flowers et Robinson, 2002 BWAS (Bergen Work Addiction Scale) - Développé par Andreassen et al. en 2012 7 items avec une échelle de Likert à 5 points Consistance interne acceptable (alpha de Cronbach = 0.74) Répondre « souvent » ou « toujours » à 4 items sur 7 = addiction au travail Et également… - DUWAS (Dutch Work Addiction Scale), WorkBAT (Workaholism Battery), SNAP-Work (Schedule for Nonadaptative and Adaptative Personality – Workaholism), WAC (Workaholic Adjective Checklist), WAQ (Work Attitude Questionnaire), Andreassen et al., 2014 … Aucune échelle validée en langue française Des liens avec des entités proches Observations Schaufeli et al., 2008 Exemple de réseau nomologique Construits Elaboration du concept de workaholism davantage comme un construit psychométrique que comme diagnostic clinique Une centration sur l’individu Propositions de typologies de workaholics Compulsifs, perfectionnistes, centrés sur l’objectif, boulimiques, ayant un déficit de l’attention, enthousiastes ou non… Des propositions thérapeutiques centrées sur l’individu Travail sur la motivation Relaxation, méditation de pleine conscience (mindfulness) Thérapies Cognitivo-Comportementales (TCC) Pas d’investigation de l’activité professionnelle Pas de propositions d’aménagements Démarche d’individualisation-culpabilisation Art. L4121-2 du Code du Travail (extrait) 4° Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé. Problèmes Une réduction de la conceptualisation psychologique aux approches behavioristes Relier la clinique aux approches cliniques du travail (clinique médicale du travail, clinique de l’activité) Un « tournage en rond » avec les tests psychométriques - Ne peut pas prendre le pas sur la clinique Illusion d’une scientificité supérieure Prévoient à l’avance l’intégralité des possibles Le terme « objectif » a souvent été vulgarisé et assimilé à « véritable », tandis que « subjectif » était assimilé à « erroné » (influence de l’usage commun du mot). Lev Vygotski La signification historique de la crise en psychologie, 1927/2010, p. 291 Description de cas cliniques de patients workaholiques vus à la consultation de psychopathologie professionnelle du CRMP du CHRU de Brest Patients et méthodes - Entretiens menés dans le cadre de la clinique médicale du travail (Davezies, Deveaux et Torres) La clinique médicale du travail est une approche au cours de laquelle le médecin du travail amène le patient-salarié à s’exprimer en termes d’éléments localisables dans le temps et dans l’espace lors du colloque singulier dans le but d’instruire le lien santé-travail. Durand-Moreau, 2014 - Références théoriques à la clinique de l’activité (Clot). - Recueil d’activité de routine, pas de questionnaires systématisés. - Consultations uniques d’une heure en réponse à une question formulée par le médecin du travail du salarié. -Patients dont un diagnostic final de workaholism a été retenu dans le courrier de consultation. - Patients vus à la consultation de psychopathologie professionnelle entre novembre 2013 et juillet 2016. Considérations nosographiques Résultats 8 observations retenues sur 168 Workaholics Autres patients Femmes 4 (50%) 103 (64%) Hommes 4 (50%) 57 (36%) p > 0,05 Âge moyen 44,1 ans chez les workaholics 43,4 ans chez les patients vus en psychopathologie professionnelle Secteurs d’activités (NAF 08) 46.17B Autres intermédiaires du commerce en denrées, boissons et tabac 46.74A Commerce de gros (commerce interentreprises) de quincaillerie 46.38A Commerce de gros (commerce interentreprises) de poissons, crustacés et mollusques 85.59A Formation continue d'adultes 86.10Z Activités hospitalières 46.75Z Commerce de gros (commerce interentreprises) de produits chimiques 47.22Z Commerce de détail de viandes et de produits à base de viande en magasin spécialisé 21.20Z Fabrication de préparations pharmaceutiques Professions (CITP 08) 3323 Acheteurs 3322 Représentants et techniciens commerciaux 1324 Directeurs et cadres de direction, approvisionnement, distribution et assimilés 2142 Ingénieurs civils 3221 Personnel infirmier (niveau intermédiaire) 5223 Vendeurs, magasin 7511 Bouchers, poissonniers et assimilés 2433 Spécialistes des ventes, secteurs médical et technique (à l'exception des TIC) Homme de 41 ans, VRP dans une entreprise de vente de fournitures pour des artisans plombiers, chauffagistes, électriciens 140 clients professionnels sur un secteur géographique allant de Carhaix à Quimperlé Véhicule et téléphone portable de fonction (appels téléphoniques entrants pendant les congés) Passionné, adore son travail Bonnes relations avec le chef des ventes Discordances entre les objectifs à atteindre pour le salaire (sur le coefficient de la marge, avec réduction de la marge de manœuvre pour lui) et les objectifs fixés par l’employeur (sur le CA et le volume). Par exemple : il pouvait marger peu pour faire plus de vente, et marger plus sur des produits de niche… Challenges Répercussions dans la vie de couple (sa femme lui reproche de ne « jamais être là ») Consommation problématique de boissons alcoolisées. Inaptitude aux postes avec ce mode de rémunération. Prise en charge en addictologie. Proposition de passage en CRRMP. Femme de 51 ans, infirmière dans un hôpital périphérique en service de soins continus – cardiologie – gastroentérologie. A été accusée de faute professionnelle (a retiré la VNI d’un patient sans avis médical). Ne parvient pas à s’expliquer cette faute qu’elle reconnaît. Le médecin du travail a également connaissance d’un certain nombre d’autres fautes professionnelles (modification d’une prescription de GDS pour un iono, benzodiazépine administrée à un patient BPCO) Souhait de vouloir être affectée sur la neurologie qui ne s’est pas concrétisé malgré l’obtention d’un DU de pathologie neuro-vasculaire. Hyperinvestissement professionnel depuis plusieurs années. « Plus c’est lourd, mieux c’est » Cumule 600 heures supplémentaires. Réalise tous les remplacements dans le service. Entretien violent avec le chef de service ayant fait écho à son vécu de femme battue. Divorcée depuis 4 ans. Emprise de son ex-mari : sa seule liberté était de pouvoir aller travailler. Antécédents d’anorexie mentale. Depuis son arrêt de travail, s’est mise à la gym (6 heures par semaine). Ambivalence entre le fait de vouloir rester à son poste et décrire des IDS avec scénarios envisagés sur lieu de travail (injection de KCl, d’HYPNOVEL…) Arrêt de travail. Prise en charge thérapeutique en addictologie (mais réticente à un suivi). Préparer une reprise sans soins. Revoir la patiente régulièrement. Prise de nouvelles 6 mois après : persistance de l’ambivalence entre acceptation et refus de soins. Proposition d’un repositionnement comme AS par le médecin du travail, mais non validé par la DS et la psycho du travail. A fini par accepter une hospitalisation en psychiatrie. Excellente alliance thérapeutique avec le médecin du travail qui la voit tous les mois. Femme de 30 ans, magasinier-vendeuse dans une coopérative agricole Réalise de la vente, mise en rayon, caisse, réponse téléphonique. Magasin de produits agricoles particuliers ou professionnels. S’arrangeaient très bien à trois sur un seul magasin. Collectif disloqué. Elle est amenée à intervenir sur deux magasins avec une activité différente. Le second magasin a une activité de vente de matériel de construction, avec davantage de manutention et un intérêt moindre pour elle : elle doit y aller à mi-temps. Nécessité de ces arrangements pour coller à son autre activité : la tenue de la ferme de sa grandmère (130 bovins-viande). A été élevée par ses grands parents. A renoncé à partir dans la Vienne pour aider à la ferme. Y travaille avant d’aller au magasin, puis après. Amplitude horaire totale : 7h – 23h. Consommation de boissons alcoolisées excessive. Utilisation importante de Candy Crush. Période de séparation conjugale et construction de sa maison. Son ex-conjoint est toujours au domicile. Projet de se mettre en GAEC Inaptitude au poste à la coopérative. Vigilance à avoir sur l’activité libérale et sur les transferts de dépendance. Discussion Eléments cliniques que l’on peut retrouver dans une situation de workaholism - Rémunération à la part variable - Voiture et téléphone de fonction - Utilisation de son domicile personnel à des fins professionnelles (stockage) Dimension impersonnelle du métier favorisante - Ambivalence entre la reconnaissance du fait que le travail rend malade et la volonté d’y rester malgré tout Critères des addictions de Goodman (1991) Forcer à l’arrêt de travail Durand-Moreau et al., 2013 - Co-morbidités addictives : tabac, alcool, TCA, jeu… Orientation addictologue pour évaluation et prise en charge - Cas de souffrance au travail avec d’excellentes relations avec l’encadrement Pathognomonique du workaholism ? Discussion Droit à la déconnexion Prévu dans la « Loi El Khomri ». On ne s’intéresse qu’à l’instrument de l’activité et pas à son objet. Aboutira à une concentration de l’activité par rajout d’une contrainte temporelle à une activité non ré-interrogée. Pour faire quoi ? Internet, smartphone… Triangle de l’activité dirigée (Yves Clot) Discussion Approche psychosociologique du travail (Dominique Lhuilier) Refus du psychologisme et du sociologisme Lhuilier, 2006 ; Durand-Moreau, 2014 Prise en compte du sujet dans son entier, ce qui n’est permis que par l’entretien individuel - L’histoire de vie entre en résonnance avec l’histoire professionnelle - Les cloisonnements ne sont pas hermétiques A court terme, prise en charge individuelle : consultation en addictologie, psychothérapie, hospitalisation en psychiatrie, … Proposer une action thérapeutique sur le travail : réinterroger les modes de rémunération, la charge de travail, changement de poste, repositionnement à un poste avec moins de responsabilités, avec un mode de rémunération « traditionnel », bilan de compétences… Merci à vous… … et merci à Dominique Dupas