Les refus de soins en milieu rural

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Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Rapport de recherche Mai 2012 Responsable de projet, médecin et anthropologue : Caroline Després Economiste et statisticien :Thomas Renaud Géographes de la santé : Magali Coldefy et Véronique Lucas‐Gabrielli Réalisation des appels et saisie : Raphaël Dely et Marion Wiechert Institut de recherche et documentation en économie de la santé IRDES ‐ Association Loi de 1901 ‐ 10 rue Vauvenargues ‐ 75018 Paris ‐ Tél. : 01 53 93 43 00 ‐ Fax : 01 53 93 43 50 ‐ www.irdes.fr Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 Sommaire
1. Contexte et problématique ______________________________________________________________ 5 1.1. Le refus de soins à l’égard des bénéficiaires de la CMU‐C en milieu rural ____________ 6 1.2. Quelle ruralité ? __________________________________________________________ 6 1.3. Objectifs de l’étude _______________________________________________________ 7 Objectifs primaires _____________________________________________________________________ 7 Objectifs secondaires ___________________________________________________________________ 8 2. Méthodes ____________________________________________________________________________ 9 2.1. Le choix des lieux d’étude __________________________________________________ 9 2.2. Première étape : la réalisation du Testing _____________________________________ 9 Le script et le scénario _________________________________________________________________ 10 Les professionnels testés _______________________________________________________________ 11 Les réponses : qu’appelons‐nous le « refus de soins » ? _______________________________________ 11 Les variables _________________________________________________________________________ 12 Sélection de l’échantillon _______________________________________________________________ 12 2.3. Deuxième étape _________________________________________________________ 17 3. Portraits des départements choisis _______________________________________________________ 19 3.1. Description sociodémographique et sanitaire de la Nièvre _____________________________ 20 a) Démographie : la Nièvre dans la région Bourgogne ___________________________________ 20 b) Précarité (voir cartes en annexe 4) ________________________________________________ 21 c) Situation à l’égard de la santé ____________________________________________________ 22 d) De nombreux hôpitaux locaux et équipements médico‐sociaux en Bourgogne _____________ 23 3.2. Description sociodémographique et sanitaire de l’Orne ________________________________ 23 a) Démographie _________________________________________________________________ 23 b) Précarité _____________________________________________________________________ 24 c) Situation à l’égard de la santé ____________________________________________________ 24 3.3. L’accès aux professionnels de santé libéraux de la Nièvre et l’Orne ______________________ 25 3.3.1. La démographie des professionnels de santé ______________________________________ 25 3.3.2. Le vieillissement des médecins _________________________________________________ 26 3.3.3. La répartition des professionnels de santé au sein du département ____________________ 27 3.3.4. La disponibilité de l’offre ______________________________________________________ 29 3.4. La prise en charge des patients précaires ___________________________________________ 36 3.5. Stratégies des médecins pour pallier à la raréfaction de l’offre __________________________ 37 4. Résultats du testing ___________________________________________________________________ 40 4.1. Description de l’échantillon ________________________________________________ 40 Professionnels de santé non‐joints dans le testing ___________________________________________ 40 Par catégorie de professionnels __________________________________________________________ 41 Répartition géographique des professionnels de santé _______________________________________ 43 Mode d’exercice des professionnels de santé _______________________________________________ 44 4.2. Les réponses obtenues à une demande de rendez‐vous _________________________ 44 Appels effectués ______________________________________________________________________ 45 Taux de refus en globalité ______________________________________________________________ 45 Taux de refus pour les bénéficiaires de la CMU‐C ____________________________________________ 48 Délais de rendez‐vous __________________________________________________________________ 49 4.3. Modalités d’attribution de la consultation ____________________________________ 52 ‐3 ‐ Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 4.4. Les causes de refus de consultation _________________________________________ 52 Les arguments avancés par téléphone _____________________________________________________ 52 4.5. Analyse par modélisation _________________________________________________ 54 Les déterminants du refus _______________________________________________________ 54 Analyse des délais de rendez‐vous ________________________________________________ 59 4.5.1. 4.5.2. 4.6. Discussion ______________________________________________________________ 62 Sur la méthode ________________________________________________________________ 62 Sur les résultats _______________________________________________________________ 63 4.6.1. 4.6.2. 5. Résultats de l’analyse qualitative : entretiens auprès d’habitants de la Nièvre ___________________ 67 5.1. La pauvreté à la campagne ________________________________________________ 68 5.2. L’environnement sanitaire et l’organisation de l’offre de soins ___________________ 69 5.2.1. Les parcours de soins décrits montrent des situations contrastées selon le lieu de résidence __ 69 5.2.2. Les déplacements à domicile comme facteur central de l’accès au médecin généraliste pour les personnes non mobiles ________________________________________________________________ 70 5.2.3. Réduction du choix _____________________________________________________________ 70 5.2.4. L’instabilité professionnelle ______________________________________________________ 70 5.2.5. L’accès aux spécialistes ou aux structures de diagnostic _______________________________ 71 5.3. Les dimensions de la perception de l’éloignement de l’offre _____________________ 72 La dimension spatiale ne peut être déconnectée de la dimension temporelle ______________ 72 La mobilité « physique » ________________________________________________________ 73 Les ressources disponibles _______________________________________________________ 74 La mobilité culturellement construite ______________________________________________ 74 5.3.1. 5.3.2. 5.3.3. 5.3.4. 5.4. Les aspects financiers de l’accès aux soins ____________________________________ 75 Pour les bénéficiaires de la CMU‐C ________________________________________________ 76 Les coûts financiers des déplacements _____________________________________________ 77 5.4.1. 5.4.2. 5.5. L’accès aux droits ________________________________________________________ 78 5.6. Rapport à la santé et à la maladie ___________________________________________ 79 5.6.1. La construction sociale des besoins ________________________________________________ 79 5.6.2. Des résistances à la médecine ____________________________________________________ 81 6. 5.7. Les ressources sociales ____________________________________________________ 82 5.8. Les renoncements aux soins _______________________________________________ 82 Conclusion___________________________________________________________________________ 84 Bibliographie _____________________________________________________________________________ 87 Annexe 1 : Refus de soins et accessibilité aux soins dans l’espace rural : sélection des départements ruraux 88 Annexe 2 : Effectifs des bénéficiaires de la CMU‐C _______________________________________________ 89 Annexe 3a : Carte du département de la Nièvre (58) _____________________________________________ 90 Annexe 3b : Carte du département de l’Orne (61) ________________________________________________ 91 Annexe 4a : Revenu annuel moyen par unité de consommation en Bourgogne en 2007 _________________ 92 Annexe 4b : Les bénéficiaires de la Couverture maladie universelle complémentaire (Régime Général) dans les cantons de Bourgogne au 31 décembre 2009 _________________________________________________ 93 ‐4 ‐ Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 1. Contexteetproblématique
En France, des inégalités dans l’accès aux services de santé sont observées depuis plusieurs décennies. Celles-ci
ont pu être en partie réduites par l’amélioration de la couverture sociale sur le territoire, notamment depuis la
mise en œuvre de la loi du 27 juillet 1999 portant création de la Couverture maladie universelle (CMU).
L’absence de complémentaire santé est un facteur limitant l’accès aux services de santé (Raynaud, 2004, 2005)
et le rôle protecteur de la CMU-complémentaire (CMU-C) a été documenté. En effet, si le taux de renoncement
aux soins des bénéficiaires de la CMU-C est plus élevé que celui de la population générale dans l’Enquête santé
et protection sociale (ESPS) menée par l’Irdes, 22 % versus 15,4 % en 2008, il aurait été encore plus élevé en
l’absence de la CMU-C : il a été estimé à 40 % (Després et al., 2011b). Cependant, l’existence de refus de soins
à l’égard des bénéficiaires de la CMU-C constitue une limite à l’efficacité de la loi visant à réduire les difficultés
d’accès aux soins des plus précaires et contribue en partie à expliquer des renoncements aux soins chez cette
catégorie d’usagers (Després et al., 2011a).
A l’instigation du Fonds CMU, plusieurs tests de discrimination (testing) ont été réalisés antérieurement. Ils ont
permis de confirmer l’existence de refus de soins de professionnels de santé à l’égard des bénéficiaires de la
CMU-C et les taux observés dans certaines catégories de professionnels de santé ont contribué à révéler un
phénomène qui n’était ni marginal ni anecdotique (Fonds CMU, 2009). Ces professionnels testés étaient tous
installés en milieu urbain1.
Le premier testing mis en œuvre dans le Val-de-Marne (2006) confirmait des refus dans six villes, choisies sur
des critères démographiques (taille variable, d’environ 30 000 habitants pour L’Hay-les-Roses à près de 80 000
habitants pour Vitry-sur-Seine) et des taux de précarité différenciés. Les professionnels testés étaient des
médecins (généralistes, pédiatres, psychiatres, ophtalmologues, gynécologues) et des dentistes.
Le second testing s’est appuyé sur un échantillon représentatif de médecins, omnipraticiens, gynécologues,
ophtalmologues et radiologues et de dentistes parisiens, en 2009.
Ces deux études mettent en avant des différences de comportement en fonction du profil des praticiens. Les
probabilités de refus sont plus élevées parmi les médecins pratiquant des dépassements d’honoraires (secteur 2)
que chez leurs confrères en secteur 1.
Les médecins généralistes ont moins de chance de refuser que leurs confrères spécialistes dans l’étude dans le
Val-de-Marne. Cependant, ce second résultat n’est pas confirmé dans l’étude parisienne qui ciblait un profil
distinct de spécialistes. En effet, nous avions introduit les radiologues dans l’étude parisienne afin d’explorer les
spécialités d’accès non direct. A Paris, les radiologues semblent avoir un comportement différent de leurs
confrères spécialistes et les taux de refus sont faibles : 4,1 % en secteur 1 et 6 ,3 % en secteur 2 (Després et al.,
2009). De ce fait, à Paris, des différences significatives entre généralistes et spécialistes n’ont pas été confirmées
d’autant que les médecins généralistes y sont caractérisés par un taux de refus supérieur à nos attentes, ce que
nous avons expliqué par le fait qu’un nombre non négligeable d’entre eux bénéficient d’une compétence
spécifique. Leurs conduites s’apparentent plutôt à celles des médecins spécialistes.
Les dentistes se comportent de manière similaire aux médecins en secteur 2 (hors radiologues), dans les deux
études.
D’autres déterminants ont été mis en évidence :
-
-
les praticiens ayant un dispositif de lecture de la carte vitale refusent moins fréquemment que ceux
qui n’en ont pas, argument qu’ils avançaient d’ailleurs lors des échanges téléphoniques pour
justifier leurs refus,
l’environnement (en regroupant des quartiers) joue également un rôle ; les refus sont plus probables
dans les quartiers plus aisés que dans les quartiers plus populaires de la capitale, ce qui pourrait
s’expliquer tant par un effet d’environnement que par le profil des praticiens qui choisissent de s’y
installer.
Nous n’avons pas observé de différences d’attitudes entre les hommes et les femmes.
1
L’association Médecins du Monde continue à réaliser des testings qui concernent des villes de France : son dernier rapport constate la
persistance de refus à Nice (Médecins du Monde, 2010).
‐5 ‐ Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 1.1.
Lerefusdesoinsàl’égarddesbénéficiairesdelaCMU‐Cenmilieu
rural
Aujourd’hui, les remontées du terrain (acteurs locaux notamment) laissent penser que les refus de soins sont
rares en milieu rural, ce qui explique l’absence jusqu’alors d’études dans cet environnement. Cependant, le
Fonds CMU souhaitait confirmer ce fait, d’autant que cette question rejoint les débats actuels sur les inégalités
de santé territoriales ainsi que « sur les déserts médicaux ».
La question de recherche pouvait être formulée ainsi : les bénéficiaires de la CMU-C vivant en milieu rural
rencontrent-ils des difficultés pour obtenir un rendez-vous auprès d’un praticien (médecin, dentiste,
professionnel paramédical) en lien avec des refus ou des délais de rendez-vous longs ?
Les problématiques se posent différemment quand il s’agit d’explorer cette question en milieu rural par rapport
au milieu urbain. En effet, à Paris ou dans un département de la proche banlieue, les habitants disposent d’un
panel de professionnels se trouvant à proximité. En milieu rural, l’offre peut se trouver à une distance
conséquente selon les départements et le lieu de résidence au sein du département (distance qui peut être évaluée
en kilomètres ou en temps de trajet). Dans les communes de moins de 2 000 habitants, les résidants peuvent
disposer de services de proximité constitués de médecins généralistes, chirurgiens-dentistes et infirmières,
également des pharmacies mais toutes les communes n’offrent pas pour autant des services de proximité. Pour
avoir accès aux spécialistes ou à certains types de soins, les patients sont amenés à se déplacer vers une ville
moyenne ou une grande ville.
Explorer l’accès aux soins des habitants des zones rurales amenait à considérer l’offre aux alentours, incluant
donc aussi des professionnels urbains, les médecins spécialistes étant regroupés essentiellement dans les villes.
D’autre part, la raréfaction de l’offre médicale (Coldefy et al., 2011, Barlet et al., 2012) sur certains territoires
avait de fortes chances de se solder par des refus de recevoir des patients ou par un allongement des délais de
rendez-vous. Les bénéficiaires de la CMU-C subissaient-ils ces effets de la même manière que tous les autres
patients ou en étaient-ils les premières victimes ?
Des contraintes supplémentaires pouvaient s’ajouter aux difficultés déjà rencontrées par les bénéficiaires de la
CMU-C, notamment pour se déplacer, qu’ils partagent éventuellement avec d’autres groupes, comme les
personnes âgées.
Nous avons donc proposé dans cette étude une analyse comparant l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMUC en milieu rural à celui des autres usagers, comprenant un testing et une analyse qualitative, dans le cadre de
l’offre libérale ambulatoire.
1.2.
Quelleruralité?
La notion de ruralité a évolué depuis ces dernières années. L’espace rural comprend tout à la fois une dimension
géographique (un espace agricole, caractérisé par une forme d’habitat, une prédominance de l’espace naturel),
sociale (en lien avec les acteurs du secteur agricole, les habitants de cet espace et les formes de sociabilité qui y
sont rattachées) et symbolique (porteur de valeurs, de formes d’identité singulières).
Les zones rurales ont été longtemps définies en opposition aux villes, tout en ayant toujours été dans une
dialectique avec celles-ci. Jusque dans les années 1990, l’espace rural était défini selon des critères tenant à la
taille des communes et à la continuité de l’habitat2. Une commune rurale comporte moins de 2 000 habitants.
Afin de mieux définir la ville et son aire d’influence liée au développement de la périurbanisation, l’Insee a
proposé en 1996 de nouvelles catégories, qui évoluent régulièrement. Elles sont regroupées sous la dénomination
de Zonage en aires urbaines (ZAU). Fondé sur les emplois et les déplacements domicile-travail, il permet de
2
Selon ces critères, au recensement de 1999, le territoire français était composé de 30 611 communes rurales et l’espace rural représentait
près de 82 % de l’ensemble. Il accueillait 24,5 % de la population (Rapport sur le nouvel espace rural français, Sénat, annexe au procèsverbal de la séance du 15 juillet 2008).
‐6 ‐ Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 distinguer plusieurs types d’espaces. Trois ruraux et trois urbains sont différenciés ; ils s’appuient sur la
complémentarité entre les territoires de l’emploi et les zones résidentielles3.
Il s’agit donc d’analyser l’offre de soins sur un territoire (incluant des zones qui ne sont pas considérées comme
rurales) en tentant d’approcher les conduites et les déplacements des habitants du périmètre choisi. L’échelle du
département nous a paru une bonne dimension pour des raisons statistiques (nombre de médecins suffisant pour
faire des tests statistiques et échelon géographique structurant pour l’espace rural). Néanmoins, il est nécessaire
de garder en tête que les habitants du département peuvent se déplacer hors du département. Parfois, la ville du
département voisin peut être plus accessible (meilleur réseau routier, distance plus courte, etc.) que celle du
département même, en termes de temps de trajet et éventuellement de délais de rendez-vous. En effet, les limites
du département restent des limites virtuelles.
1.3.
Objectifsdel’étude
Objectifs primaires
-
Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU-C
a) Réalisation d’un testing
Il visait à explorer le refus de soins à l’égard des bénéficiaires de la CMU-C vivant en milieu rural, ainsi que de
comparer les délais de rendez-vous qui leur sont proposés à ceux des autres patients dans deux départements
métropolitains.
Du fait de la procédure de double appel qui devait être appliquée systématiquement, l’étude devrait
permettre de donner des éléments plus généraux sur l’accès aux soins dans le département (refus de soins pour
d’autres raisons que la CMU-C, délais de rendez-vous pour l’ensemble des habitants du département). Il
s’agissait pour chacun des professionnels contactés d’appeler deux fois, lors d’un premier appel en se faisant
passer pour un bénéficiaire de la CMU-C et un second appel, pour un usager ordinaire. L’ordre des appels variait
d’une fois sur l’autre.
Des entretiens devaient préciser l’analyse territoriale du point de vue des différents acteurs, professionnels de
terrain, acteurs locaux afin de mettre en perspective les données statistiques produites et mieux les interpréter.
b) Analyse qualitative des difficultés d’accès des personnes précaires dans un département rural,
incluant les refus de soins éventuels :
Il s’agissait d’explorer lors d’entretiens semi-directifs les parcours de soins pour comprendre comment ceux-ci
étaient organisés, structurés, éventuellement contraints par des problématiques propres au milieu rural. Cette
recherche visait en premier lieu les bénéficiaires de la CMU-C et de manière plus large les personnes en situation
de précarité, notamment celles qui sont au-dessus des seuils. Les résultats concernant les difficultés financières
des personnes et leur retentissement sur les parcours de soins croisent la recherche menée sur le renoncement aux
soins (Després, 2011, rapport en ligne sur le site de la DREES). Nous ne les avons pas approfondis. Par contre,
l’interaction entre problématiques rurales et aspects socio-économiques ont fait l’objet d’une attention
particulière.
Ils permettent également de comprendre les dynamiques de déplacement des populations, les habitants d’un
village pouvant préférer franchir les frontières du département si une ville plus proche et mieux équipée se
trouve dans le département voisin. Ce type d’informations permet de compléter les résultats d’une étude par
testing qui analyse une offre théorique en la rapportant à une réalité plus concrète, une offre inscrite sur un
territoire qui ne s’arrête pas aux frontières départementales.
3
Un simple seuil de population s’est avéré insuffisant pour décrire la fonction de ville. « Le taux d’emploi permet de prendre en compte le
contexte spatial. A un même niveau de population, une aire urbaine proche d’un grand pôle sera peu attractive. Elle aura un taux
d’emploi faible. Ailleurs, son taux d’emploi élevé sera le signe de son rôle de ville » (Insee, 1998).
‐7 ‐ Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 Objectifs secondaires
-
Analyse de nouveaux déterminants du refus de soins : âge, lieu d’installation du professionnel
(zonage en aire urbaine).
Elargissement de l’analyse des refus de soins des bénéficiaires de la CMU-C à de nouvelles
catégories de professionnels, spécialistes d’accès direct (autres que radiologues) et masseurskinésithérapeutes.
L’analyse globale confronte les résultats du testing, les données départementales disponibles et celles qui ont été
recueillies auprès des différents acteurs institutionnels, des professionnels de santé et des bénéficiaires de la
CMU-C.
L’analyse mobilise une approche pluridisciplinaire associant les méthodes de la statistique, de la géographie de
la santé, de la santé publique et de l’anthropologie.
‐8 ‐ Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 2. Méthodes
2.1.
Lechoixdeslieuxd’étude
Le choix des deux départements était fondé sur les critères suivants :
-
Le département devait comporter une proportion notable d’espace rural (de manière à pouvoir être
qualifié de rural), des villes moyennes et éventuellement des problématiques spécifiques au milieu
rural (éloignement et raréfaction de l’offre de soins, « désert médical »).
-
Le département devait également compter une proportion non négligeable de bénéficiaires de la
CMU-C pour que la question posée ait du sens et mérite qu’on s’y attarde.
-
Il devait bénéficier d’une bonne caractérisation de l’offre (déjà disponible) du fait du temps assez
court dont nous bénéficions pour mener l’enquête.
-
Les départements ruraux spécifiques tels que ceux bénéficiant d’une forte attraction touristique et
d’importants mouvements de population selon les périodes de l’année, ont été exclus.
-
Enfin, nous avons ajouté un facteur d’accessibilité pour réaliser les entretiens.
Nous avons ainsi sélectionné quatre départements selon ces critères (annexe 1). Il s’agissait de la Creuse, la
Haute-Marne, la Nièvre et l’Orne qui tous comportaient un territoire rural proche de 50 % de la superficie du
département, voire plus, des zones caractérisées comme du « rural isolé4 » et des zones déficitaires en
professionnels de santé. Ces quatre départements comportaient un pourcentage non négligeable de bénéficiaires
de la CMU-C (voir répartition en annexe 2).
L’organisation de l’espace s’est avérée différente pour les départements (un seul pôle ou plusieurs petits pôles
d’activité) et nous avons choisi deux départements, chacun dans l’une des catégories, un seul pôle pour la Nièvre
et plusieurs pôles pour l’Orne (voir carte en annexe 3).
2.2.
Premièreétape:laréalisationduTesting
Nous avons repris les principes méthodologiques construits lors de nos précédentes expériences.
Le testing dans le cadre d’une recherche de discrimination lors de la prise de rendez-vous chez un professionnel
de santé est maintenant une méthode éprouvée. L’ensemble des critères à respecter pour la robustesse des
résultats a fait l’objet d’un article5. Les plus importants seront rappelés ici.
La crédibilité : Le scénario doit correspondre à une réalité tangible, c’est-à-dire qu’il est crédible qu’un
bénéficiaire de la CMU-C appelle le praticien testé.
A priori, plusieurs profils de personnes vivant en milieu rural sont susceptibles de bénéficier de la CMU-C. Ils
sont moins nombreux en milieu rural, c’est pourquoi il était nécessaire de choisir des départements dont le
nombre de bénéficiaires de la CMU-C n’était pas trop faible. Ils semblent peu nombreux parmi les exploitants
agricoles (voir annexe 2). Par contre, les ouvriers agricoles saisonniers sont susceptibles d’être éligibles ainsi que
les néo-ruraux (personnes qui travaillent en ville et habitent à distance, dans la campagne pour réduire les coûts
de loyer, par exemple, ou pour d’autres raisons).
Une procédure de double appel doit être réalisée afin que des refus non reliés à la CMU-C ne lui soient pas
imputés abusivement. Cette question est cruciale en milieu rural car nous faisions l’hypothèse, dans le cadre
d’une raréfaction de l’offre, de refus à l’encontre de tout nouveau patient (bénéficiaire ou pas de la CMU-C), du
fait d’une surcharge de travail des médecins installés dans de telles zones.
4
5
Le rural isolé (RI) correspond aux unités urbaines ou aux communes rurales qui ne sont ni pôle rural, ni sous influence urbaine, ni
périphérie des pôles ruraux (Insee Inra, 1998).
Les conditions de réalisation d’un testing ont fait l’objet d’un article scientifique (Després, Couralet., 2011)
‐9 ‐ Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 L’appel doit faire l’objet d’un script, anticipant l’ensemble des questions possibles de manière à réaliser un
protocole variant le moins possible d’un appel à l’autre.
Le scénario doit être homogène d’un appel à l’autre ; Cependant, les variations sont inévitables en fonction de
la personne qui réalise l’appel (timbre de la voix, manières de poser sa voix, genre,...). Elles doivent être traitées
comme une variable (effet « appelant »). En effet, une différence significative bien que légère avait été observée
sur le testing parisien. Nous avons analysé, dans un article, les raisons pour lesquelles le médecin peut modifier
son attitude lors de l’interaction avec un patient (Després, 2010).
Le script et le scénario
Le script de démarrage était le suivant : « Bonjour, je souhaiterais prendre rendez-vous avec le Dr X… Voilà, je
voulais vous dire que j’ai la CMU6 ».
En dehors des formules de politesse variables, le plus souvent, le secrétariat demandait à l’appelant avec quel
médecin il désirait un rendez-vous de consultation (secrétariat de groupe, sur place ou à distance) et la date
souhaitée. Des professionnels n’ont pas de secrétariat et le praticien répond lui-même : dans ce cas, il pose peu
de questions (peu disponible).
Certains secrétariats ignoraient la question relative à la CMU, l’appelant relançait en demandant : « Il n’y a pas
de problèmes avec la CMU ? »
Des questions ont parfois été posées concernant à l’appelant : son adresse (certains médecins ont deux lieux de
consultation), la nature du problème de santé justifiant l’appel, l’existence d’un médecin traitant (surtout pour les
spécialistes), s’il disposait d’un courrier (spécialistes) ou d’une ordonnance, pour les masseurs-kinésithérapeutes.
Les différents praticiens ont été appelés dans le cadre de scénarios distincts selon leur spécialité :
-
Pour le médecin généraliste, le patient fictif expliquait si c’était nécessaire qu’il venait de déménager dans
le département et n’avait pas encore de médecin traitant ou qu’il était en vacances dans la région. Ce
dernier scénario a été choisi quand le praticien appelé était installé dans une petite commune, en partant
de l’idée qu’un nouveau résidant était une hypothèse plausible mais deux dans la même journée risquait
de paraître suspect.
-
Le patient était orienté par un généraliste quand il s’agissait d’un spécialiste de deuxième intention
comme le cardiologue. Nous avions toujours à portée de main, le nom d’un médecin généraliste du
département au cas où son nom serait demandé ce qui est arrivé régulièrement.
Les motifs médicaux de demande de consultation tenaient compte de l’âge des appelants, deux étudiants, ne
pouvant dissimuler la jeunesse de leur voix. Ils étaient les suivants :
Pour le médecin généraliste :
-
Mal au ventre/nausée depuis un petit moment
Renouvellement de pilule/migraine
Dentiste :
-
Dent cassée (depuis plusieurs mois)
« Je ne suis pas allé chez le dentiste depuis très longtemps »
Cardiologue :
-
Souffle au cœur entendu par le médecin généraliste
6
Il n’est pas précisé CMU-C car la plupart des personnes ne connaissent pas la différence entre CMU de base et
CMU-C : quand elles évoquent la CMU, c’est de la CMU-C qu’il s’agit. Non parlerons alors dans le texte de
scénario CMU et scénario non CMU.
‐10 ‐ Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 -
Problème d’hypertension artérielle pour l’autre
Gastro-entérologue :
-
Problème aux intestins
Gynécologue :
-
Visite de contrôle
Ophtalmologue :
-
Lunettes ne sont plus adaptées
Visite de contrôle
Psychiatre :
-
Mal-être et tristesse indéfinis
deuil
Les professionnels testés
Nous avons donc choisi d’introduire de nouvelles spécialités médicales ainsi qu’une nouvelle catégorie de
professionnels de proximité, les masseurs-kinésithérapeutes. Nous avons donc testé les catégories
professionnelles suivantes :
-
Praticiens de proximité : médecins généralistes, dentistes, kinésithérapeutes
-
Médecins spécialistes d’accès direct : gynécologues, ophtalmologues, psychiatres
-
Médecins spécialistes dans le parcours de soins : cardiologues, gastro-entérologues
Les réponses : qu’appelons-nous le « refus de soins » ?
Le type de réponses recueillies est parfois équivoque dans un testing, aussi est-il nécessaire de clarifier ce que
nous avons considéré comme un refus. Conformément aux précédents tests de discrimination, nous avons retenu
comme refus relié à la CMU-C, des refus de rendez-vous ou des refus d’appliquer le tiers payant.
Contrairement aux fois précédentes où pour des économies de moyens nous n’avions pas systématiquement
appelé une seconde fois7, nous avons cette fois réalisé systématiquement un double appel.
Nous avions également prévu de noter les restrictions quand un rendez-vous était accepté ce qui s’est avéré rare :
certains dentistes acceptent de recevoir les bénéficiaires de la CMU-C pour des soins mais refusent pour des
prothèses. Nous les avons considérées comme des refus, dans la mesure où il y a restriction des soins (donc
discrimination par rapport à d’autres patients) et non application de la loi.
Le caractère imputable à la CMU-C est la plupart du temps annoncé au téléphone. Cependant, dans quelques cas,
un rendez-vous très éloigné peut être un moyen d’éviction de ce patient. Est aussi considéré comme refus
imputable à la CMU-C tout refus pour lequel la demande de rendez-vous d’une personne n’ayant pas la CMU-C
est positive. Le double appel a été réalisé le même jour dans la majorité des cas, pour éviter des écarts de réponse
qui seraient liés à des évolutions de l’agenda du praticien. Il est cependant toujours possible qu’entre deux
appels, une annulation ait eu lieu libérant un créneau, en faveur ou pas du bénéficiaire de la CMU-C selon
l’ordre des appels.
7
Cela avait été jugé moins nécessaire quand le refus était d’emblée annoncé comme en lien avec la CMU-C
‐11 ‐ Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 Les variables
Les variables dont nous disposions étaient les suivantes :
Concernant le praticien :
-
type de professionnels : dentiste ou médecin (généraliste8 ou spécialiste) ou kinésithérapeute,
pour les médecins : secteur 1 et 2 (dépassement d’honoraire)
âge,
sexe,
lieu d’exercice (ville) et zonage en aire urbaine,
pratique en cabinet de groupe ou individuel,
exercice mixte (c’est-à-dire activité salariée en plus de l’exercice libéral),
Concernant l’appel:
-
secrétariat ou professionnel en personne qui répond
appelant
Précisons que chacun des appelants a alterné le « scénario CMU » ou le « scénario non CMU », de manière à ce
que l’effet CMU ne se superpose pas à un éventuel effet appelant.
Sélection de l’échantillon
Identification de la population de référence des professionnels de santé
La base Adeli du ministère de la Santé nous a permis de disposer de certaines informations essentielles (âge,
sexe, spécialité, mode d’exercice, exercice seul ou en groupe…) pour l’ensemble des professionnels de santé
exerçant dans les territoires retenus pour l’étude, à savoir la Nièvre et l’Orne.
Cette base de données présente certaines différences avec les listes de professionnels de santé qui peuvent être
extraites des données de l’Assurance maladie (fichier Ameli utilisé les fois précédentes). En particulier, certains
spécialistes médicaux (cardiologues et gastro-entérologues, surtout) exercent des activités libérales dans
plusieurs cabinets implantés dans différents départements du territoire. En privilégiant la base Adeli, il a été
décidé de ne pas inclure les cabinets de la Nièvre et de l’Orne qui ne constituent pas le premier département
d’implantation de l’exercice libéral des spécialistes. En effet, on peut supposer que les praticiens ayant un
cabinet secondaire dans la Nièvre y passaient moins de temps que dans le cabinet principal, ce qui pouvait
biaiser les délais de rendez-vous.
Par ailleurs, il avait initialement été envisagé de réaliser également l’enquête et le testing auprès des médecins
spécialistes salariés (en hôpital, clinique ou dispensaire) afin de prendre en compte l’offre globale de soins dans
des zones où l’offre de spécialistes libéraux est peu importante et donc d’analyser les alternatives qui se
présentent aux patients. Toutefois, ce testing individualisé auprès de ces praticiens n’a pas pu être réalisé d’un
point de vue méthodologique, du fait d’une offre centralisée par établissement ou par service et non par praticien.
Les appels ont été réalisés par structures de soins et feront donc l’objet de quelques commentaires « qualitatifs ».
8
Nous utilisons l’appellation « médecins généralistes » mais il s’agit d’omnipraticiens dont certains ont un mode d’exercice particulier,
même s’ils sont rares : angiologues, homéopathes et acupuncteurs.
‐12 ‐ Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 Au total, d’après la base Adeli, la population d’ensemble des professionnels de santé à représenter était la
suivante :
Tableau 1 : répartition des professionnels de santé dans la Nièvre et l’Orne Département Profession médicale Nièvre Orne MG 185 227 Spécialistes libéraux 49 45 Cardiologues 10
9 4
5 Gynécologues (médicaux et/ou obstétriciens) 12
8 Ophtalmologues 15
13 8
8 Gastro‐entérologues Psychiatres Dentistes 102 86 Kinésithérapeutes 116 125 Un testing exhaustif auprès de ces 933 professionnels de santé n’était pas envisageable, compte tenu des
contraintes de temps et de budget de l’étude.
La sélection des professionnels de santé à enquêter s’est appuyée sur une méthode d’échantillonnage aléatoire, le
fichier Adeli 2010 faisant office de base de sondage. Une stratification de l’échantillonnage a été mise en œuvre
selon deux critères principaux : le département d’exercice et le type de profession. Pour les médecins libéraux, le
secteur de conventionnement (1 ou 2) pourrait théoriquement être considéré comme critère de stratification
supplémentaire. Toutefois, cette information n’était pas directement disponible dans la base ADELI et ne pouvait
donc être connue qu’imparfaitement ex ante ; d’autre part, compte tenu du faible nombre de médecins libéraux
en secteur 2 dans ces deux départements, l’étude a été menée de manière exhaustive auprès de ceux-ci9.
Modalités de sondage
La taille et la structure optimales de l’échantillon à enquêter ont été déterminées par le niveau (prévisionnel) de
refus de soins des patients CMU-C par les professionnels de santé et par le niveau de précision souhaité dans la
mesure échantillonnée. Une contrainte supplémentaire, liée aux déséquilibres d’effectifs entre les différentes
professions médicales, a été prise en compte dans la constitution de l’échantillon.
La théorie des sondages permet, en effet, de calculer une taille optimale (« minimale ») d’échantillon à partir du
niveau supposé d’un phénomène (ici le refus de soins aux patients CMU-C) et de la précision souhaitée pour la
mesure, c’est-à-dire de l’intervalle de confiance dans lequel on pourra situer l’estimation réalisée. Ce calcul
intègre aussi un « niveau de confiance », traditionnellement fixé à 95 %. Dans le cadre de notre échantillonnage
stratifié, ce calcul devait être réalisé séparément pour chacune des strates. Bien que théorique, ce calcul prend
également en compte les contraintes empiriques du sondage et de l’enquête comme la taille des populations de
référence à représenter et les éventuelles déperditions dues aux données erronées dans la base Adeli et aux
professionnels injoignables. La méthode du calcul est détaillée dans l’encadré 1.
9
Les très rares cas de spécialistes libéraux qui ont pu être identifiés comme « non conventionnés » ont été écartés de la population de
référence et des médecins à enquêter.
‐13 ‐ Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 Encadré 1 : calcul de la taille d’échantillon Notations
j représente une catégorie d'intérêt à échantillonner, c’est-à-dire une strate.
pj représente la prévalence supposée d’un phénomène, ici le niveau de refus des patients CMU-C attendu dans la
strate j. Cette valeur est habituellement fixée en fonction d’une estimation provenant de la littérature ou d’une
étude antérieure.
Z représente la valeur de test associée au niveau de confiance choisi. Pour un niveau de confiance usuel de 95 %,
la valeur de Z pour une loi Normale est de 1,96.
e représente le niveau souhaité, plus précisément la demi-amplitude de l’intervalle de confiance de l’estimation.
Nj est la taille de la strate j dans la population de référence.
nj est la taille de la strate j sur laquelle sera effectuée la mesure dans l’enquête.
Calcul
En adoptant les notations précédentes, une formule simplifiée et usuelle, basée sur l’approximation de MoivreLaplace, permet de calculer une taille d’échantillon optimale à niveau de prévalence (pj) et de précision (e)
donnés pour la strate j :
nj = Z² * pj * (1-pj) / e²
Toutefois, ce calcul doit être pondéré lorsque l’échantillonnage porte sur des populations de référence finies et
même, dans le cas présent, de petite taille. Un correctif est appliqué, qui permet de tenir compte de la taille de la
strate (Nj).
D’autre part, cette formule étant théorique, elle ne tient pas compte de l’éventuelle déperdition entre population
échantillonnée et population réellement enquêtée, imputable aux données erronées dans la base de sondage
(médecins n’exerçant plus ou ayant déménagé) et aux professionnels injoignables (vacances, autres motifs…).
Pour l’hypothèse de calcul, les taux de données erronées dans la base Adeli et de professionnels injoignables ont
été fixés arbitrairement à 10 %.
Au total, l’échantillon à sélectionner dans la strate j devrait être de taille n’j :
n’j = nj / (1 + (nj+1)/ Nj) * 1.10 * 1.10
‐14 ‐ Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 La principale difficulté méthodologique consistait à fixer une valeur prévisionnelle des taux de refus des patients
CMU-C pour les différentes professions médicales. Aucune donnée de référence réellement comparable n’étant
disponible, ces valeurs prévisionnelles ne pouvaient ne se référer qu’aux résultats de la littérature et notamment
de l’étude précédente menée sur Paris pour les dentistes et les médecins libéraux (Després et al., 2009).
Toutefois, la spécificité de l’offre médicale des territoires ruraux par rapport à la situation parisienne nous a
conduits à penser que le refus imputable à la CMU-C serait bien moindre dans le cas présent, en particulier chez
les médecins généralistes. Pour les kinésithérapeutes, en l’absence de référence et d’étude antérieure, nous avons
anticipé un taux de refus faible et comparable à celui des généralistes. Les niveaux de précision retenus pour
calculer les tailles d’échantillon optimales sont directement liés aux taux de refus anticipés, afin de pouvoir
exprimer des phénomènes significatifs. Par exemple, si on anticipe un taux de refus des patients CMU-C de 5 %,
le niveau de précision requis doit être inférieur à 5 % pour que la valeur mesurée dans l’échantillon puisse être
considérée comme significativement différente de 0.
Le Tableau 2 présente les taux de refus pris comme hypothèses dans l’échantillonnage.
Les échantillons ont été ainsi sélectionnés par échantillonnage aléatoire simple dans chacune des strates.
Cependant, il a été décidé d’effectuer le testing de manière exhaustive pour les médecins spécialistes libéraux
ainsi que pour les médecins généralistes de secteur 2, compte tenu de la faiblesse des effectifs.
‐15 ‐ Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 Tableau 2 : sélection de l’échantillon du testing CMU Nièvre et Orne Profession Département
médicale Secteur Méthode de sélection Médecins généralistes secteur 1 Echantillonnage secteur 2 Taux de refus Taux Taux de Echantillon Taux de Population Niveau de Echantillon imputable brut à supposé de sondage réellement sondage de précision théorique Paris refus de la 1
théorique joint réel référence souhaité (étude 2009) CMU Nj pj e n'j r'j mj sj 178 9% 3% 2.5% 110 0.62 83 0.47 Exhaustif2 7 33% ‐ ‐ 7 1.00 5 0.71 Spécialistes libéraux secteur 1 2
Exhaustif 40 ‐ ‐ 40 1.00 36 0.90 secteur 2 Exhaustif 2 9 ‐ ‐ 9 1.00 8 0.89 Dentistes Echantillonnage 102 32% 30% 10% 55 0.54 44 0.43 Kinésithérapeutes Echantillonnage 116 ‐ 4% 3.5% 73 0.63 47 0.41 Médecins généralistes secteur 1 Echantillonnage 224 9% 3% 2.5% 122 0.54 104 0.46 secteur 2 Exhaustif 3 33% ‐ ‐ 3 1.00 2 0.67 ‐ ‐ 39 1.00 27 0.69 ‐ ‐ 4 1.00 2 0.50 Nièvre 9% à 17% selon spécialité 30% à 40% selon spécialité Spécialistes libéraux secteur 1 2
Exhaustif 39 secteur 2 2
Exhaustif 4 Dentistes Echantillonnage 86 32% 30% 10% 51 0.59 41 0.48 Kinésithérapeutes Echantillonnage 125 ‐ 4% 3.5% 75 0.60 44 0.35 933 ‐ ‐ ‐ 588 0.63 443 0.47 Orne Ensemble 9% à 17% selon spécialité 30% à 40% selon spécialité Source :ADELI 2010, Després et al., 2009 1
Niveau de confiance fixé à 95 %. 2
Pour ces catégories, il a été décidé d'enquêter l'intégralité des professionnels sélectionnés dans la base Adeli compte tenu de leur très faible nombre. ‐16 ‐ Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 2.3.
Deuxièmeétape
Entretiens auprès des personnes ressources au sein d’un département
Différents acteurs impliqués dans les soins ont été interrogés, quelques uns ont pu être rencontrés. Les médecins,
pour leur part, tous médecins généralistes (dont deux ayant une formation en gérontologie), ont fait l’objet d’un
entretien téléphonique compte tenu de leur faible disponibilité, particulièrement marquée dans les deux
départements concernés. L’un d’entre eux était président du Conseil de l’Ordre des médecins de l’Orne et s’est
exprimé en tant que tel. Une autre partie de l’entretien portait sur sa pratique de médecin généraliste et est restée
anonyme. Pour les autres acteurs, il s’agissait essentiellement de travailleurs sociaux. Nous avons eu quelques
échanges avec deux représentants d’union régionale de médecins libéraux (URPS, union régionale de praticiens
de santé).
Concernant les médecins
Nous avons rencontré de grandes difficultés pour obtenir l’accord de praticiens afin de participer à l’étude et
nous accorder un peu de leur temps.
Parfois, le barrage du secrétariat n’a pas pu être franchi (refus systématique quelle que soit l’enquête). Ces refus
témoignent de la surcharge des professionnels. Les refus d’entretiens plus importants dans l’Orne, peuvent être
mis en regard avec le manque de disponibilité de ces professionnels (généralistes), notamment ceux qui ont un
exercice individuel. Nous n’avons pas obtenu d’entretiens avec des médecins exerçant en individuel sauf un, qui
est installé en péri-urbain (et non en rural) et subit moins de pression des patients de son environnement parce
que des alternatives s’offrent à eux (plusieurs praticiens).
Ceux qui ont accepté sont le plus souvent des médecins engagés dans des projets collectifs départementaux ou
régionaux (voire locaux), ou travaillant dans des maisons de santé, ce type d’organisation libérant un peu de leur
temps pour d’autres activités que cliniques.
Le manque de temps des praticiens nous a contraints à réaliser des entretiens courts (d’une demi-heure), nous
obligeant à réduire les questions et ne nous donnant pas la possibilité d’approfondir certains points.
Entretiens auprès des usagers
Il nous a également été très difficile de repérer des personnes susceptibles d’être rencontrées et qui répondaient
aux critères de sélection : habitant en milieu rural et ayant des conditions de vie difficiles économiquement.
Nous avons réalisé les entretiens auprès d’usagers dans la Nièvre, où nous avons reçu un accueil favorable de
quelques professionnels de santé qui ont accepté de nous communiquer des noms de patients (avec leur accord
préalable) ainsi que des acteurs sociaux (travailleurs sociaux) qui nous ont permis également d’accéder à des
usagers ; ensuite, par la méthode boule de neige, nous avons pu étendre le périmètre de nos entretiens. Une fois,
des contacts établis dans un village, l’interconnaissance favorise l’accès à de nouvelles personnes. La rencontre
de personnes âgées, notamment, peu enclines à ouvrir leur porte à des inconnus, a pu ainsi se faire, parce que
nous étions introduits par un interlocuteur de confiance. Les conditions propices à une recherche approfondie
supposent dans un tel contexte des temps plus importants. Par ailleurs, nous avions choisi de ne mettre en œuvre
cette étape que dans un second temps, à l’issue du testing, car il s’agissait de ne pas le dévoiler, ce qui a réduit
d’autant le temps dont nous disposions Ce volet qualitatif garde une dimension exploratoire.
Nous avons réalisé une vingtaine d’entretiens (nombre d’entretiens prévus initialement) mais situés uniquement
dans la Nièvre. Notre demande est restée sans effet dans l’Orne où les blocages n’ont pas pu être surmontés
(mails sans réponse, indisponibilité des personnes contactées, etc.).
Nous présenterons donc uniquement les entretiens auprès d’usagers du département de la Nièvre, ce qui présente
un avantage, celui de commencer à voir émerger des cohérences, des régularités, des dynamiques sans pour
autant pouvoir conclure que ce sont des spécificités locales dans la mesure où nous n’avons pas la possibilité de
comparer.
Les entretiens ont été réalisés selon les cas dans des conditions variables. Plusieurs entretiens programmés
étaient longs (une heure à deux heures) et permettaient de relier les différentes dimensions de l’accès aux soins
entre elles, de les rattacher de manière plus approfondie à l’état de santé et au rapport à la santé. Certains
‐17 ‐
Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 entretiens ont été réalisés dans des permanences (missions locales, par exemple) et duraient plutôt entre 20
minutes et une demi-heure. Dans ce cas, ils sont centrés sur les problématiques rurales et leurs liens avec les
situations économiques.
Les entretiens longs étaient centrés sur les parcours de soins des personnes.
Cette double approche quantitative et qualitative permet également de confronter deux types de recueil de
données, celui qui est issu d’un scénario basé sur un bénéficiaire fictif et celui qui s’ancre dans la réalité
rencontrée par les bénéficiaires authentiques.
‐18 ‐ Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 3. Portraitsdesdépartementschoisis
Le diagnostic territorial esquissé ici vise à mettre en perspective les résultats du testing. Il reste incomplet car
certaines données ne sont pas disponibles (pas forcément les mêmes sur les deux départements).
Ce diagnostic a été enrichi par les informations fournies par les acteurs de terrain, notamment des médecins
généralistes avec qui nous avons mené quelques entretiens téléphoniques. Une douzaine de professionnels ont
été rencontrés ou interrogés au téléphone :
Dans l’Orne :
- Trois médecins généralistes.
- Le président du Conseil départemental de l’Ordre des médecins .
- Le trésorier de l’URML Basse-Normandie.
Dans la Nièvre :
- Trois médecins généralistes travaillant dans des maisons médicales.
- Un médecin gérontologue.
- Une chargée de mission santé du Pays Bourgogne Nivernaise.
- Un travailleur social des missions locales à Clamecy.
- Une sage-femme PMI et Réseau de santé du Haut Nivernais (RSHN).
- Un élu municipal d’une petite commune du centre de la Nièvre.
- Un cadre du Réseau de Santé du Haut Nivernais.
- Un responsable de l’URPS Bourgogne (échange bref).
Certains points ont été relevés qui font consensus pour tous ces acteurs, avec quelques nuances entre les deux
départements. Notons que les médecins généralistes interrogés ne sont pas du tout représentatifs de l’ensemble
de leurs collègues départementaux, dans la mesure où ceux qui ont acceptés de nous parler sont les plus engagés
dans des dynamiques de projets, notamment dans le cadre de l’organisation des soins. Ainsi, les trois médecins
généralistes de la Nièvre travaillent dans des maisons médicales et deux des médecins de l’Orne participent au
projet de construction de pôles de santé.
‐19 ‐
Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 3.1.
Description sociodémographique et sanitaire de la Nièvre
Cette synthèse repose sur un «diagnostic des besoins » réalisé par l’ORS (Observatoire Régional de la Santé) à la
demande de l’Agence régionale de santé, en vue de la définition du plan stratégique régional de santé dans la
région (La santé des Bourguignons, ORS Bourgogne - Février 2011) ainsi que des données produites par l’Insee.
Nous avons complété ces données par des éléments qualitatifs fournis par les acteurs locaux et les médecins
interrogés par téléphone (dans ce cas, nous le précisons).
a) Démographie:laNièvredanslarégionBourgogne
La Bourgogne est une région rurale. La surface agricole occupe 60 % du territoire et les étendues boisées 30 %.
Les contrastes territoriaux sont très importants en termes de répartition de la population et d’offre de soins.
La Bourgogne est une région moyennement peuplée, avec 1,6 million d’habitants soit 2,7 % de la population
métropolitaine en 2006. La répartition de ses habitants est inégale sur le territoire. Certaines zones urbaines sont
très peuplées comme l’axe Dijon-Chalon-Mâcon, l’arc Autun-Le Creusot-Montceau-Digoin, l’ouest de la
Nièvre, et la diagonale nord-ouest/sud-est de l’Yonne. A l’inverse, des territoires comme la Bresse, le Charolais,
le nord de la Côte-d’Or, le Morvan sont peu denses. La Nièvre comporte une population de 221 486 habitants en
2006 (INSEE) et sa densité d’habitants au km2 est en moyenne plus faible que dans l’ensemble de la région (32,6
contre 99,9 en France et 51,6 en Bourgogne) mais les disparités au sein du département restent importantes.
Certaines zones urbaines sont relativement peuplées comme l’ouest du département tandis que le Morvan
(espace montagneux) l’est très peu (13 habitants au km²). Entre 1999 et 2007, la Nièvre a continué à perdre des
habitants (-1,6 %) alors que l’ensemble de la région en a gagné (+2,7 %).
La moyenne d’âge en Bourgogne est supérieure à la moyenne nationale : 25 % de la population a 60 ans ou plus
contre 22 % au niveau national. Le phénomène est encore plus accentué dans la Nièvre (Tableau 3) : près du tiers
des habitants ont plus de 60 ans.
Tableau 3 : Population de la Nièvre : 221 486 habitants en 2006 (INSEE) En pourcentage
Nièvre
Bourgogne
France
Moins de 20 ans
19,7 %
23,1 %
24,7 %
Plus de 60 ans
32,9 %
25,4 %
21,7 %
Plus de 75 ans
13,8 %
10,5 %
8,5 %
Le département se divise en deux parties. D’une part, le Val de Loire et des grands pôles de vie attractifs
(Nevers, Cosne-sur-Loire, Clamecy, Decize, La Charité-sur-Loire) qui concentrent les actifs hors du secteur
agricole. D’autre part, l’Est et le Nord, le Nivernais Central et le Morvan, dont le taux d’actifs est plus faible, les
agriculteurs ou personnes seules ou âgées plus nombreux.
La cartographie (Figure 1) confirme la forte hétérogénéité de la concentration de la population. La carte proposée
représente la densité de population par commune. Elle illustre la sur-représentation de la population vers l’Ouest
du département. Dans la Nièvre, la population se concentre essentiellement autour des trois pôles de Nevers,
Cosne-Cours-sur-Loire et Decize.
‐20 ‐ Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 Figure 1 : démographie de la Nièvre Dans la Nièvre, deux pôles urbains (autour de Nevers et de Cosne-Cours-sur-Loire) et 3 pôles d’emplois de
l’espace rural structurent les territoires de vie dans le département. L’ensemble du territoire restant, en milieu
rural, est influencé par une vingtaine de pôles plus ou moins attractifs de services intermédiaires, souvent au
chef-lieu de canton. Au total, 50 % de la population vit en milieu rural dont 39% en milieu rural isolé. Parmi les
dix plus importantes agglomérations bourguignonnes, la Nièvre ne compte qu’une seule agglomération de plus
de 50 000 habitants : celle de Nevers. Les autres agglomérations nivernaises sont de dimension modeste, de
l’ordre de 8 000 à 15 000 habitants (INSEE) : Cosne-Cours-sur-Loire est la seconde plus grande ville du
département (plus de 11 000 ha). Viennent ensuite celle de Varennes-Vauzelles qui comporte près de 10 000
habitants, Fourchambault et Decize.
b) Précarité(voircartesenannexe4)
En 2007, le revenu annuel moyen par unité de consommation s’élève à 19 397 euros en Bourgogne, ce qui est
inférieur à la moyenne nationale. La Nièvre fait partie des territoires pour lesquels les revenus sont les plus
faibles de la région (moins de 18 000 euros). En 2010, plus de 6 350 personnes sont bénéficiaires du revenu de
solidarité active (RSA) et 5083 personnes touchent l’allocation adulte handicapée (AAH).
La Nièvre enregistre la part des allocataires de minima sociaux la plus forte (8,6 % contre 6 % en Bourgogne et
6,2 % au niveau national). Fin 2009, 7 % des assurés du régime général de la Nièvre bénéficiaient de la CMU-C
contre 6 % en Bourgogne. Les bénéficiaires de la CMU-C sont proportionnellement plus nombreux dans les
centres urbains comme Nevers.
‐21 ‐
Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 Figure 2 : Part des bénéficiaires dans la population totale
La question de la précarité est peu prise en compte alors que certaines zones du département sont touchées par le
chômage et la précarité. Dans le Haut Nivernais, une analyse est en cours ; Clamecy, ancienne cité ouvrière du
Haut Nivernais constitue un pôle de précarité historique du département. Des usines, notamment la S.P.C.C.
(société de produits chimiques de Clamecy) ont prospéré de nombreuses années pour fermer dans les années 80.
Un médecin installé dans le territoire du Haut Nivernais évoque une mortalité évitable élevée, « des indicateurs
sociaux en berne », et il constate qu’un tiers des foyers n’ont pas de véhicule10, chiffre bien plus élevé que la
moyenne départementale (18 %).
c) Situationàl’égarddelasanté
Les tumeurs sont la première cause de mortalité chez les hommes (34 %) devant les maladies de l’appareil
circulatoire (26 %) en Bourgogne. Les tumeurs du larynx, de la trachée, des bronches et des poumons restent les
plus fréquentes. Environ 31 % des femmes meurent d’un accident vasculaire, infarctus ou autre maladie de
l’appareil circulatoire et 24 % d’une tumeur.
La Bourgogne est dixième sur 22 pour la mortalité infantile, quatorzième pour l’espérance de vie des hommes,
quinzième pour celle des femmes. La mortalité prématurée des femmes se situe dans la moyenne nationale pour
toutes les causes de décès. Celle des hommes est en revanche 7 % supérieure à celle de la France, 10 %
supérieure pour les maladies cardio-vasculaires et le cancer du poumon et 13 % supérieure pour les maladies
10
82 % pour le département (INSEE, 2008)
‐22 ‐ Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 digestives. La mortalité par causes associées à des comportements à risque (alcool, tabac, traumatismes et
empoisonnements11) est également plus élevée en Bourgogne.
d) Denombreuxhôpitauxlocauxetéquipementsmédico‐sociauxenBourgogne
er
Au 1 janvier 2008, les hôpitaux et cliniques en Bourgogne offrent 7 400 lits d’hospitalisation en court séjour
dont les deux tiers dans le secteur public. Le taux d’équipement en lits de court séjour reste supérieur à la
moyenne nationale (584 lits pour 100 000 habitants contre 527). Plusieurs centres hospitaliers sont présents dans
la Nièvre, dont le plus important est celui de Nevers, proposant la majorité des spécialités médicales et
chirurgicales.
La région se situe dans la moyenne pour le moyen séjour et la psychiatrie. La Bourgogne est relativement mieux
dotée que l’ensemble du territoire en équipements (lits d’EHPAD et places de SSIAD) en faveur des personnes
âgées, des adultes handicapés, de la protection de l’enfance et des adultes et familles en difficulté sociale.
Début 2008, le moyen séjour hospitalier offre une capacité d’accueil en soins de suite et de réadaptation de 2 600
lits dont la moitié relève du secteur public. La psychiatrie regroupe 2 300 lits, dont 84 % appartiennent au secteur
public.
Au 1er janvier 2008, la Bourgogne offre près de 20 000 lits dans 271 maisons de retraite et 3 300 logementsfoyers. Bien qu’en baisse depuis 2001, la Bourgogne accueille également les personnes âgées en soin longue
durée (1 600 lits proposés). Encore peu nombreux, les services de soins à domicile poursuivent leur essor : 3 100
places en 2008 contre 2 400 en 2001.
3.2.
Description sociodémographique et sanitaire de l’Orne
a) Démographie
Avec 292 879 habitants en 2006, la population de l’Orne est stable depuis 1999 (Insee). Le taux plus élevé de
naissances par rapport aux décès compense le léger déficit migratoire. Cette stabilité de la population fait suite à
une baisse continue de 1982 à 1999. Dans l’ensemble, la population augmente dans les communes de moins de
2000 habitants. L’Orne reste un département rural : c’est dans cet espace que réside plus de la moitié de ses
habitants : 62 % de la population ornaise habite dans des communes de moins de 2000 habitants, contre 25 % de
la population française, et 20 % seulement de cette population dans des communes de plus de 10 000 habitants
contre 49 % de la population française). Mais la structure démographique se redessine : les pôles urbains ne sont
plus attractifs et l’espace périurbain accueille de plus en plus d’Ornais.
L’Orne compte 505 communes, majoritairement de petite taille. La moitié d’entre elles compte moins de 240
habitants et trois comptent plus de 10 000 habitants : Alençon, Flers et Argentan.
La densité d’habitants au km² est faible avec 48 habitants au km2, contre 100 en France et 84 en BasseNormandie. Avec près de 105 000 ha, la forêt tient une place de choix dans la géographie et l'activité
économique de l'Orne. Le département compte 11,3 % de personnes âgées de 75 ans ou plus (8,6 % pour la
France et 10 % pour la région Basse-Normandie en 2009).
De même que pour la Nièvre, la carte de densité de la population montre une concentration de la population dans
certaines zones (Figure 3). Dans l’Orne, le contraste s’effectue entre le pôle urbain d’Alençon au Sud et
l’espace rural multipolaire de l’Ouest du département (Flers, La Ferté-Macé, Domfront…). Autre particularité
commune aux deux départements, les pôles qui regroupent la majeure partie de la population sont principalement
situés en bordure de département et donc proches des départements limitrophes : cela peut donc faciliter le
recours aux soins à l’extérieur du département, dans un bassin de vie proche, lorsque la situation l’exige (pour le
recours à un spécialiste surtout).
11
La catégorie « traumatismes et empoisonnements » comprend notamment les accidents de la circulation, les suicides, les chutes
accidentelles.
‐23 ‐
Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 Figure 3 : démographie de l’Orne (densité de population par commune) b) Précarité
La structure des emplois fait nettement ressortir une forte densité d’ouvriers au détriment des cadres, professions
intermédiaires et employés. Les demandeurs d’emplois présents sur le département représentent 9,1 % de la
population active au 1er trimestre 2010 (Moyenne Basse Normandie = 8,9 % / Moyenne France métropolitaine =
9,5%). Tous les territoires ne sont cependant pas touchés de la même manière. Avec un taux de chômage de
9,1% (au 1er trimestre 2010), la zone d’emploi d’Alençon - Argentan est la plus durement touchée du
département. A l’inverse, on enregistre des taux inférieurs à la moyenne régionale dans les zones d’emploi de
Flers – Condé (8,7%) et Mortagne au Perche – L’Aigle (8,6%).
En terme d’indicateurs directs et indirects de précarité, l’Orne cumule le 1er rang dans la région à la fois sur le
RMI (devenu RSA), l’API et la CMU complémentaire. En 2011, l’Orne compte 7 % de bénéficiaires de la CMUC. Ce taux dépasse les 10% à Mantilly, Flers, L’Aigle, Argentan, la Forêt-Auvray, il atteint même 20% à
Alençon et Aunay-les-Bois.
c) Situationàl’égarddelasanté
L’espérance de vie à la naissance est de 76,8 ans pour les hommes ornais et de 83,7 pour les femmes, soit
légèrement inférieure à celle observée en France (77,6 et 84,2) ou dans la région (77,1 et 84,2). Plus précisément
par causes, les hommes sont concernés par le suicide et les accidents de la circulation, la consommation
excessive d’alcool, le cancer de la prostate et surtout les cardiopathies ischémiques. En revanche, ils sont moins
touchés par les cancers des bronches ou du poumon, ou plus généralement par les maladies de l’appareil
circulatoire, ainsi que par les maladies cérébrovasculaires. Le profil de la mortalité féminine est assez voisin :
suicide et accidents de la circulation (en faible nombre) ainsi que les cardiopathies ischémiques sont des causes
plus fréquentes alors que les cancers des bronches ou du poumon et les maladies cérébrovasculaires atteignent
peu les Ornaises.
‐24 ‐ Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 L’Orne est un département où la prévalence des enfants handicapés est nettement plus élevée que sur l’ensemble
de la région. Les enfants en surpoids sont plus fréquents qu’en moyenne, mais peu d’entre eux atteignent le
niveau de l’obésité.
3.3.
L’accès aux professionnels de santé libéraux de la Nièvre et l’Orne
3.3.1.
Ladémographiedesprofessionnelsdesanté
Ces deux départements ruraux se caractérisent par une faible démographie et par une offre de soins limitée et
centrée autour des quelques pôles urbains ou ruraux des départements.
On constate (tableau 4) que la densité médicale est largement inférieure à la moyenne nationale dans ces deux
départements, pour toutes les professions médicales étudiées. Les différences avec le reste du pays sont plus
modérées en ce qui concerne les médecins généralistes de ces deux départements, avec des densités de médecins
généralistes pour 100.000 habitants respectivement de 76 et 71 dans la Nièvre et l’Orne contre une moyenne
nationale de 86.
Les médecins interrogés (généralistes) témoignent bien entendu de la difficulté à gérer le temps et à répondre à la
demande dans un contexte de faible densité démographique.
Les médecins sont fortement sollicités dans leur exercice quotidien. Certains se sentent « pris au piège » de leur
clientèle. Leur pratique s’en ressent en termes de qualité : quand un praticien accumule nuits de garde et journées
de travail intenses, sans repos compensateur ou quand il doit réduire le temps consacré à chaque patient pour
recevoir un maximum de patients. Sa santé peut en être affectée. Plusieurs décès de praticiens en exercice ont été
relevés sans qu’un lien de cause à effet ne soit bien entendu établi.
Les départs vers des régions mieux dotées, des cessations d’activité, des praticiens qui retirent leurs plaques du
jour au lendemain et sans que ses confrères en soit préalablement informés, sont des phénomènes décrits dans les
deux départements12. Ces exemples témoignent de la fragilité du tissu, avec des médecins « vieillissants » et
parfois découragés par leur charge de travail. Ceux qui restent se retrouvent plus que jamais débordés dans la
mesure où, en l’absence de remplacement ou de nouvelle installation, ils doivent absorber la patientèle de ceux
qui partent.
Dans ce contexte, tous constatent la difficulté à trouver des associés, des remplaçants. L’exercice dans de telles
conditions est peu attractif pour les nouvelles générations malgré les mesures d’incitation.
12
Ces arrêts d’activité sont justifiés également par une dévalorisation, « un harcèlement » ressenti par certains d’entre eux de la part des
caisses (médecin de l’Orne), des tracasseries administratives, un vécu au quotidien difficile, solitaire.
‐25 ‐
Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 Tableau 4 : indicateurs de démographie en matière de professionnels de santé libéraux : comparaison Nièvre et Orne vs. France entière (a)
Médecins généralistes (b)
Médecins spécialistes Dentistes Kinésithérapeutes France entière Nièvre Orne Densité (/100.000 hab) 85.9 76.3 71.3 Age moyen 52.0 52.1 53.3 % de femmes 27% 20% 21% 37.0 27.3 17.5 Age moyen Densité (/100.000 hab) 53.4 (c) 54.8 55.0 % de femmes (c)
33% 31% 18% Densité (/100.000 hab) 58.0 45.9 29.8 Age moyen 48.3 48.8 53.2 % de femmes 36% 25% 27% Densité (/100.000 hab) 78.8 52.2 40.8 Age moyen 42.3 45.8 44.2 % de femmes 41% 42% 36% (a)
Généralistes "exclusifs" (hors MEP) (b)
Pour les 5 spécialités retenues dans le testing (c)
Moyenne non pondérée sur les 5 spécialités Source : www.ecosante.fr Source : SNIR Année 2009 ou 2008 Source : www.ecosante.fr et Source : ADELI Année2009 Corollaire à la raréfaction de l’offre qui est également observée dans le secteur public, ceux qui ont été interrogés
déclarent une ou plusieurs activités annexes : consultations dans des EPHAD, gestion d’un service hospitalier à
temps partiel, activité de santé publique, formation médicale continue, représentation (Conseil de l’ordre,
URML), etc. Leur engagement dans de telles activités répond à des besoins sur le territoire mais aggrave leur
manque de temps.
La sous-dotation en médecins spécialistes, dentistes et kinésithérapeutes est plus marquée que celle de leurs
confrères généralistes, notamment dans l’Orne où la densité de professionnels est environ deux fois plus faible
que dans la France entière. Concernant les médecins spécialistes, le phénomène est particulièrement vrai pour
trois spécialités médicales : les gynécologues libéraux 4,1 vs 8,8, les psychiatres 3,4 vs 10,3 et les cardiologues
2,7 vs 6,9 en 2008. On constate ainsi que les deux départements retenus dans le testing ne présentent pas le
même niveau de carence en offre médicale, puisque la Nièvre est mieux dotée pour toutes les professions
médicales et en particulier les dentistes.
3.3.2.
Levieillissementdesmédecins
La population des professionnels de santé installés dans ces deux départements ruraux est sensiblement plus âgée
et la proportion d’hommes plus élevée qu’au niveau national. Par exemple, la moyenne d’âge des dentistes
exerçant dans l’Orne est supérieure de 5 ans à la moyenne d’âge sur la France entière (53 contre 48 ans). De
même, dans la Nièvre et l’Orne, un généraliste sur 5 et un dentiste sur 4 sont des femmes, alors que, sur le
territoire national, cette proportion est de 1 sur 4 pour les généralistes et de 1 sur 3 pour les dentistes. Le
phénomène est encore plus accentué pour l’Orne que pour la Nièvre (sauf pour les kinésithérapeutes).
Au-delà de la moyenne d’âge, une part relativement importante des médecins dans ces deux départements
approchent l’âge de la retraite, 49 % pour les médecins généralistes dans les deux départements, contre 41 % en
France. Les médecins interrogés insistent également sur les perspectives à court et à moyen terme si rien n’est
fait. Des zones particulièrement fragiles sont ainsi identifiées, par exemple quand deux praticiens sur quatre ont
plus de 70 ans (par exemple à Bellême dans l’Orne, information non confirmée).
44 % des médecins spécialistes ont 55 ans et plus dans la Nièvre et 51% des médecins spécialistes exerçant dans
l’Orne.
‐26 ‐ Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 Enfin, le turn-over est faible. 17 % des nouveaux inscrits au Conseil de l’Ordre des médecins de Bourgogne
s’installent en libéral (67% sont salariés et 15 % font des remplacements). Agés en moyenne de 51 ans, les
libéraux exclusifs représentent 58% des effectifs des médecins généralistes inscrits au Tableau de l’Ordre tandis
que 17% des nouveaux entrants choisissent ce mode d’exercice (source CNOM, 2009).
Environ 25 % des spécialistes (toutes spécialités confondues et non pas seulement celles qui ont été
sélectionnées pour cette étude) sont en secteur 2 (pratiquent des dépassements d’honoraires) dans la Nièvre alors
que ce taux s’élève seulement à 8 % dans l’Orne.
3.3.3.
Larépartitiondesprofessionnelsdesantéauseindudépartement
L’offre de soins médicale disponible dans ces deux départements ruraux se répartit entre l’espace rural et les
communes urbaines de plus ou moins grande taille selon la typologie TUU13. On constate que l’offre en
médecine générale constitue bien une offre de proximité puisque près de la moitié des médecins généralistes
(MG) sont installés dans une commune rurale ou bien dans une commune de moins de 5 000 habitants, 47 %
dans la Nièvre et 56 % dans l’Orne (tableau 5). A un degré moindre, l’offre en kinésithérapie et en soins
dentaires est également disponible dans ces communes de moins de 5 000 habitants : environ 40 % des
professionnels relevant de ces catégories exercent dans de telles communes.
Tableau 5 : répartition de l’ensemble des professionnels de santé exerçant dans la Nièvre et l’Orne selon la taille de la commune (typologie TUU) MG M. spé14 Nièvre Dentistes Kinésithérapeutes Ensemble Nièvre MG M. spé Orne Dentistes Kinésithérapeutes Ensemble Orne Commune rurale 68
37%
3
6%
25
25%
34
29%
130 90
40%
1
2%
13
15%
27
22%
131 Urbain
de moins de 5.000 hab. 18
10%
2
4%
10
10%
10
9%
40 37
16%
2
4%
14
16%
22
18%
75 Urbain 5.000 à 9.999 hab. Urbain 10.000 à 19.999 hab. Urbain 20.000 à 49.999 hab. Urbain 50.000 à 99.999 hab. 36
19%
6
12%
20
20%
28
24%
90 14
6%
1
2%
9
10%
13
10%
37 13
7%
10
20%
9
9%
9
8%
41 30
13%
11
24%
17
20%
24
19%
82 0 0% 0 0% 0 0% 0 0% 0 56 25% 30 67% 33 38% 39 31% 158 50 27% 28 57% 38 37% 35 30% 151 0 0% 0 0% 0 0% 0 0% 0 Total
185
49
102
116
452
227
45
86
125
483
Les répartitions des praticiens selon cette typologie diffèrent peu des répartitions espace rural/espace urbain
selon la typologie ZAU.
13
Le classement selon la Taille d’Unité Urbaine est proposé par l’Insee afin de répartir les communes françaises selon leur nombre
d’habitants en fonction des données de recensement démographique les plus récentes.
14
Médecins spécialistes
‐27 ‐
Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 Tableau 6 : répartition de l’ensemble des professionnels de santé exerçant dans la Nièvre et l’Orne selon le niveau d’urbanisme/ruralité de la commune (typologie ZAU) MG M. spé Nièvre Dentistes Kinés Ensemble Nièvre MG M. spé Orne Dentistes Kinés Ensemble Orne Communes appartenant à un pôle urbain Communes monopolarisées
63
34%
38
78%
47
46%
44
38%
33
18%
5
10%
14
14%
14
12%
192 66 86
38%
41
91%
50
58%
63
50%
240 Communes appartenant à un pôle d'emploi de l'espace rural 23
12%
6
12%
13
13%
20
17%
62 17
7%
1
2%
1
1%
6
5%
25 Autres communes de l'espace à dominante rurale 66 36% 0 0% 28 27% 38 33% 132 31
14%
2
4%
19
22%
23
18%
75 185
49
102
116
452
93 41% 1 2% 16 19% 33 26% 143 Total
227
45
86
125
483
Source : AMELI 2009
La répartition géographique de l’offre en médecine générale est assez morcelée, en particulier dans l’Orne. Cela
permet toutefois un certain accès de proximité à la médecine générale dans des communes qui ne comptent
qu’un ou deux généralistes : 25 communes de la Nièvre et 55 communes de l’Orne sont dans cette situation. Cela
permet de réduire les temps d’accès (théoriques) au médecin généraliste le plus proche. Les préfectures
comptent, elles, entre 30 (Alençon) et 40 (Nevers) généralistes en exercice.
Même si elle est plus tendue, l’offre en médecine générale reste une offre de proximité. Par contre, les problèmes
se posent pour la réalisation d’examens complémentaires ou l’orientation vers un spécialiste, les services ou
professionnels étant avant tout regroupés dans des villes.
Logiquement, l’implantation des médecins spécialistes est, elle, circonscrite à quelques communes (7 pour la
Nièvre et 9 pour l’Orne) : il n’existe pas d’offre « de proximité » pour la médecine spécialisée, et tous les
spécialistes installés se regroupent dans quelques communes qui comptent plus de 5 spécialistes (jusqu’à 30
spécialistes installés). Les médecins spécialistes sont très majoritairement installés dans des pôles urbains, 80 %
pour la Nièvre et leur concentration urbaine est encore plus forte pour l’Orne (plus de 90 %). Dans la Nièvre,
57 % d’entre eux exercent leur activité dans la seule commune de plus de 50 000 habitants, Nevers. Dans l’Orne,
trois-quarts d’entre eux exercent dans l’une des deux plus grandes unités urbaines à savoir Alençon et Flers (dans
la tranche de 20 000 à 50 000 habitants). Cette différence entre les deux départements était attendue puisque
nous avions choisi ces deux départements en raison notamment de cette configuration différenciée (un seul pôle
pour la Nièvre et plusieurs pour l’Orne).
Par ailleurs, les analyses départementales ont leurs limites car elles ne captent pas les phénomènes de flux de
patients qui traversent les frontières départementales.
Les cartes suivantes illustrent les densités de médecins généralistes par bassins de vie et non plus circonscrits au
département. Elles tiennent compte alors de la présence de médecins installés en bordure de département mais
hors département. Dans les cartes présentées, les densités sont rapportées à la démographie du département et
non à celle du bassin de vie.
‐28 ‐ Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 Densité de Médecins Généralistes par Bassin de Vie (pour 1.000 hab)
Nièvre
dens_mg
0.00 - 0.50
0.55 - 0.65
0.67 - 0.82
0.90 - 1.05
1.10 - 4.08
Densité de Médecins Généralistes par Bassin de Vie (pour 1.000 hab) dans l’Orne
dens_mg
3.3.4.
0.00 - 0.00
0.32 - 0.62
0.66 - 0.76
0.79 - 0.82
0.89 - 3.99
Ladisponibilitédel’offre
La raréfaction n’est pas seulement le fait de la réduction du nombre de médecins libéraux sur les territoires
considérés (certaines spécialités ne sont plus dès lors exercées) mais aussi inclut également la fermeture de
services publics hospitaliers. Elle a pour corollaire l’éloignement des structures de diagnostic sur les
départements pour obtenir un avis spécialisé ou réaliser des actes techniques.
‐29 ‐
Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 Les répartitions distinctes entre médecins généralistes et spécialistes ont des effets sur les temps d’accès aux
soins (tableau 7et tableau 8).
Tableau 7 : comparaison du pourcentage de communes concernées par des temps élevés dans la Nièvre avec la Bourgogne et la France % communes et population à plus de 15 minutes MG % communes et population à plus de 45 minutes Gynécologues‐obstétriciens Hépato‐Gastro‐entérologues Cardiologues Ophtalmologues Psychiatres Nièvre Bourgogne 10 5 France entière 4 14 60 14 2 48 10 15 4 2 12 8 11 6 4 9 Tableau 8 : Comparaison du pourcentage de communes concernées par des temps de trajet élevés dans l’Orne Basse‐
Normandie Orne % communes et population à plus de 15 minutes MG Chirurgiens‐dentistes Massuers‐kinésithérapeutes % communes et population à plus de 45 minutes Gynécologues‐obstétriciens Hépato‐Gastro‐entérologues Cardiologues Ophtalmologues Psychiatres 0 24 70 France entière 0 12 71 4 23 12 0 8 0 0 2 ‐30 ‐ 0 3 0 0 1 8 11 6 4 9 Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 Le Tableau 9 ci-dessous synthétise les données de façon à comparer les deux départements.
Tableau 9 : Tableau comparatif des temps d’accès aux praticiens Nièvre
Orne
France
Avec temps d’accès moyen
MG
Gynéco-obs
Hépato-gastro
Cardio
Ophtalmos
Psychiatres
3mn
18 mn
31 mn
18 mn
15 mn
28 mn
3mn
15 mn 49
22 mn 15
17mn 30
15 mn 12
18mn41
1mn
11mn
13mn
10mn
9mn
11mn
Dentistes
Masseurs-kinésithérapeutes
5 mn
24 mn
6 mn 30
16 mn
2mn
2 mn
% de communes à plus de
15 mn du MG
Hépatogastro à plus de 45
mn
Psychiatres à plus de 45 mn
10 %
0
60 %
8%
48 %
2%
Malgré des distances moyennes plus élevées que dans le reste du pays, les zones concernées par des temps
d’accès très longs au professionnel (supérieur à 45 minutes pour les spécialistes) sont peu nombreuses. La
situation paraît cependant problématique pour l’accès aux professionnels de santé de proximité comme les
masseurs-kinésithérapeutes ou, dans une moindre mesure, les dentistes.
L’analyse comparative des deux départements montre une moindre disponibilité globalement de l’offre de soins
dans l’Orne comme nous l’avions vu plus haut mais une meilleure accessibilité géographique au vu des temps de
trajets qui sont tous plus courts sauf pour les dentistes.
A ces chiffres, il faut ajouter que 85 % des ménages disposent d’un véhicule dans l’Orne et 82 % dans la Nièvre
(données INSEE 2008).
Les deux cartes suivantes illustrent les zones déficitaires (région Basse-Normandie en 2006 et région Bourgogne
en 2007).
‐31 ‐
Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 Neuf cantons étaient définis par la Mission Régionale de Santé (regroupant l’ARH et l’URCAM) sur des critères
de densité médicale et d’activité (en nombre d’actes) comme déficitaires en 2007 sur 24 en Bourgogne (Cf carte
ci-dessous).
‐32 ‐ Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 Source : ARS Bourgogne
Les entretiens auprès des médecins permettent de saisir une dynamique territoriale qui n’apparaît pas dans les
descriptions à partir des données strictement départementales, soit l’orientation secondaire réalisée par les
‐33 ‐
Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 médecins généralistes vers des services ou des professionnels hors du département de manière à s’ajuster à
l’offre de l’environnement.
Par exemple, la fermeture de la maternité de Clamecy a pour conséquence un report des accouchements des
femmes du bassin de vie sur Auxerre et Nevers (40 à 45 mn de trajets en voiture depuis Clamecy).
Exemple d’organisation territoriale : la périnatalité
Les accouchements se font pour les femmes nivernaises dans diverses maternités en fonction du lieu où elles
habitent et éventuellement leurs préférences, plus souvent des contraintes liées à la distance. Il s’agit des
maternités d’Autun ou Semur-en-Auxois pour le secteur du Morvan, d’Auxerre pour Clamecy (40 mn en voiture
depuis Clamecy), Cosne-Cours-sur-Loire pour le secteur de Varzy, Nevers pour le centre (Corbigny) et l’ouest
du département. Pour l’instant, les accouchements sont suspendus à la maternité de Decize depuis 201015. La
maternité de Clamecy a fermé en 2008 malgré les mobilisations visant à lutter contre cette fermeture. Seulement
deux maternités restent fonctionnelles dans le département. Une partie des accouchements sont donc réalisés
hors du département avec des distances à parcourir importantes, en kilomètres et en temps de trajet.
Le suivi de la grossesse est fréquemment réalisé jusqu’au 7e mois par le médecin traitant, éventuellement un
gynécologue libéral : ils sont presque tous à Nevers et les délais de rendez-vous sont d’environ 3 mois (à deux
exceptions près). A partir du 7e mois, la maternité choisie prend le relais ; certaines femmes ne réalisent qu’une
seule visite à la maternité compte-tenu des déplacements.
Le centre de périnatalité de proximité de Clamecy assure également le suivi de grossesse (échographies,
monitoring, examens, cours de préparation à l’accouchement...). Le Réseau de santé du Haut Nivernais (RSHN)
qui était déjà structuré avant la fermeture de la maternité organise un entretien prénatal précoce (vers le 4e mois)
et un entretien post-natal. Ce réseau vise à mobiliser et coordonner les acteurs du champ socio-sanitaire autour
de projets visant à améliorer l’offre de soins sur le territoire.
Pour les femmes ne pouvant pas se déplacer, les sages-femmes assurent des visites à domicile mais comme elles
le disent, « c’est du dépannage » car elles ne peuvent pas réaliser d’échographies. La PMI est à Nevers et les
sages-femmes de PMI rayonnent dans tout le département. Il arrive parfois que les femmes se fassent suivre par
une maternité tout au long de la grossesse.
Les sages-femmes libérales sont au nombre de 4 dans la Nièvre et ne sont pas suffisantes en nombre pour assurer
le suivi de toutes les femmes dans le cadre des sorties précoces (après accouchement). Certaines politiques de
réduction des coûts hospitaliers en fermant des sites et des services par recherche d’économies de moyens
amènent à un surcroît de travail pour certains types de professionnels comme les sages-femmes et elles sont alors
en difficultés pour pallier à d’autres besoins créés par la réduction des temps d’hospitalisation.
Cette distance des structures d’accouchement peut amener à des difficultés en cas de problème urgent, mais dans
tous les cas, elle n’est pas propice à un bon suivi. Des renoncements à certaines consultations ou examens dans le
cadre du suivi de la femme enceinte sont observés. Ainsi, par exemple, certaines échographies de contrôle
peuvent ne pas être réalisées du fait de l’éloignement des structures, par réelle difficulté à trouver un moyen de
se rendre dans les lieux où elles sont pratiquées ou par négligence (renforcée par le coût moral et financier du
déplacement) comme en témoignent les acteurs de terrain (sages-femmes, travailleurs sociaux en contact avec
des jeunes femmes).
15
Cependant, les interruptions de grossesse continuent pour l’heure à être pratiquées.
‐34 ‐ Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 Pour les IVG16, le nombre de lieux où il est possible d’en réaliser est restreint sur le département : Cosne,
Auxerre, Decize (pour l’instant) et ils sont surchargés ce qui peut amener à des délais importants et le
dépassement de la date d’autorisation. A Nevers, plus aucun médecin ne la pratiquait, situation qui a perduré
quelques années mais l’activité est à nouveau disponible. Dans le Nord du département, aucun gynécologue n’en
réalise (un seul gynécologue sur Clamecy qui refuse de la pratiquer).
Autre exemple : le diagnostic et la prise en charge de la maladie d’Alzheimer
Il existe un seul neurologue dans toute la Nièvre. Les IRM peuvent être réalisées à Nevers, les scanners à
Avallon. Il existe deux centres mémoire labellisés, l’un à Cosne en passe de perdre sa labellisation, l’autre à
Nevers regroupé avec le centre de recherche sur la mémoire de Dijon.
Une réhabilitation cognitive à domicile prévue dans le plan Alzheimer (12 à 15 séances) comportant également
un volet formation de l’aidant familial a été mise en œuvre dans le département à titre expérimental.
Enfin à noter dans le département la mise en place par le Conseil Général d’un dossier unique d’admission et de
placement. Les délais d’attente varient en fonction des EHPAD.
En gériatrie, les prises en charge médico-sociales sont particulièrement difficiles parce que « on n’ouvre pas sa
porte à une personne étrangère à la famille. » L’acceptation des services d’aide à domicile n’est donc pas
toujours aisée. Les personnes ont l’habitude de se débrouiller par elles-mêmes, On s’occupait de toute la famille
dans la ferme. Il y a donc aussi un fort degré de tolérance des symptômes de la maladie d’Alzheimer : « c’est
normal parce qu’ils sont vieux » et les professionnels sont sollicités devant des troubles du comportement qui
deviennent dérangeants ou dangereux (chutes, fugues). Les diagnostics sont donc portés tardivement. Ces
éléments nous ont été communiqués par un médecin gérontologue.
Le Réseau de santé du Haut Nivernais a développé un volet gérontologie qui a permis la coordination des acteurs
médicosociaux autour des personnes âgées et la mise en place de consultations gérontologiques sur le territoire
du RSHN.
Cet éloignement pose problème pour tous les habitants mais il touche plus particulièrement les plus vulnérables
dans la mesure où fréquemment les patients précaires ou les personnes âgées ne disposent pas de véhicule. Un
médecin de la maison médicale de Clamecy constate qu’environ 30 % des foyers (dans sa patientèle) n’ont pas
de véhicule. Les transports publics ne sont pas suffisamment efficients pour combler ces difficultés d’autant que
de nombreuses lignes ont été supprimées.
Même dans une ville comme Alençon, les plus pauvres sollicitent de préférence l’offre de proximité du fait de
déplacements difficiles car la ville est mal dotée en transports en commun, selon un médecin. Les patients n’ont
donc souvent pas réellement le choix de leur praticien, comme tout un chacun, et sont relativement captifs. Cet
élément a été par ailleurs mis en évidence dans l’étude sur le renoncement aux soins dans le Nord de la France,
dans des petits hameaux mal desservis en transports.
En l’absence de CMU ou d’ALD, les médecins doivent donc gérer « des problèmes de logistique » (selon les
termes utilisés par l’un d’entre eux) afin d’assurer une prise en charge du transport. Des stratégies d’entraide
entre proches et voisins permettent parfois de suppléer à des manques, sinon certains examens prescrits ne sont
pas réalisés.
Un médecin généraliste de la Nièvre souligne, à titre d’exemple, l’impact négatif pour la prévention de la
fermeture du service de chirurgie de Clamecy. Dans le cadre du dépistage du cancer du colon, les patients
doivent désormais effectuer un trajet de 50 kilomètres pour aller jusqu’à Auxerre afin de réaliser une coloscopie
et le patient doit prendre en charge lui-même ces frais de déplacement. Cela peut constituer un frein sérieux à la
réalisation du dépistage qui n’est par ailleurs pas toujours bien accepté.
16
Problème évoqué par un travailleur social des Missions locales
‐35 ‐
Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 Les déficits en correspondants varient selon les lieux : une forte disparité au sein d’un même département est
constatée au vu de ce que dit chaque praticien. On peut supposer aussi que chacun n’a pas les mêmes besoins, en
fonction des profils de clientèle.
Les lieux d’orientation secondaire (spécialistes libéraux ou du publics, services hospitaliers) sont également très
variables selon les lieux d’implantation des médecins généralistes.
Les réseaux de correspondants des médecins généralistes, spécialistes libéraux et établissements hospitaliers,
dans un grand nombre de cas (pour les médecins interrogés), sont fréquemment situés hors du département.
Leurs choix sont fondés sur les distances de trajet réelles et ne tiennent pas compte des limites administratives du
département. Les axes autoroutiers par exemple pour se rendre au Mans permettent encore de réduire le temps de
trajet ; à l’inverse, le relief montagneux du Morvan constitue un obstacle qui augmente la durée du déplacement.
L’autoroute A6 à l’Est du Morvan contribue en partie à désenclaver ce secteur. Aller hors département permet de
réduire les temps de trajet. Selon un praticien de Montsauche les Settons (secteur du Morvan), seulement 5 %
seulement des patients se rendent à Nevers pour consulter un spécialiste libéral). Parfois aussi les motifs
invoqués font état d’une recherche d’une meilleure qualité des soins. Par exemple, un médecin de St Amand en
Puisaye envoie à l’Institut Gustave Roussy en région parisienne pour la cancérologie. Les lieux d’attraction
dépendent de la localisation du médecin (ou du patient) au sein du département. Quelques praticiens peuvent
bénéficier de correspondants spécifiques, du fait de leur réputation ou parce qu’il s’agit d’un lieu où ils ont euxmêmes travailler... Les patients peuvent aussi témoigner de leurs préférences.
Les entretiens avec les professionnels soulignent donc une des limites des études départementales liée aux flux
de « patients » qui traversent les limites administratives. Soulignons qu’aussi bien les villes de Nevers, Cosne sur
Loire (Nièvre) qu’Alençon (Orne) se situent près de la frontière départementale ce qui contribue à attirer des
patients d’ailleurs. Cela renforce la surcharge de clientèle de certains des professionnels.
3.4.
La prise en charge des patients précaires
Les médecins interrogés ont peu de bénéficiaires de la CMU-C dans leur patientèle ce qui parait logique car nous
avons privilégié l’entretien auprès de médecins ayant de préférence un exercice rural et les bénéficiaires de la
CMU-C sont plutôt regroupés dans les grandes villes, sauf exception comme Clamecy ancien pôle industriel qui
comporte une population ouvrière, ou ses descendants.
Du point de vue des médecins interrogés, les problèmes financiers d‘accès aux soins les plus importants
concernent plutôt les personnes aux revenus modestes, au-dessus du seuil de la CMU-C. Ce constat est une
manière implicite d’admettre les effets protecteurs bénéfiques de la CMU-C pour les plus vulnérables socioéconomiquement. L’un des médecins de la Nièvre notait que « les gens se taisent, ils ne disent pas s’ils ont un
problème pour payer ! Ils n’osent pas parler de leurs problèmes financiers.» Les médecins ne seraient donc pas
nécessairement les mieux placés pour évaluer la situation économique de leurs patients. Néanmoins, l’exercice
de la médecine rurale pour quelques uns d’entre eux, reste proche du modèle du médecin de famille, ayant une
connaissance globale ; les visites à domicile contribuent à la connaissance du milieu de vie du patient et de ses
conditions d’existence.
De manière générale, les médecins généralistes constatent que leurs patients consultent de plus en plus tard, pour
des pathologies plus sérieuses ce qui témoignerait de plus fortes contraintes budgétaires, éventuellement d’une
plus grande mise à contribution des ménages pour se soigner. Certains constatent une érosion des revenus, une
augmentation des contrats précaires, à temps partiel et une tendance à reporter des soins : « on voit les gens tard
au niveau de la pathologie, à un stade plus évolué », « ils consultent quand vraiment ils vont pas bien. » Les plus
grandes difficultés concernent les personnes âgées, plus que les bénéficiaires de la CMU-C quand elles ne
bénéficient pas de remboursement de leurs déplacements, ni de tiers payant (sauf ALD). Des renoncements aux
soins sont constatés par plusieurs praticiens. Les dépassements d’honoraires ou le fait d’avoir à faire l’avance de
frais peut constituer un problème pour les personnes dont les revenus sont modestes, notamment les retraités
bénéficiant d’une petite retraite. L’ouverture dans la nouvelle convention médicale du Tiers payant (auquel
avaient droit les bénéficiaires de la CMU-C) devrait permettre d’améliorer cette situation.
Concernant, l’accessibilité géographique des soins, dans la Nièvre, les médecins interrogés ont maintenu une
activité de visite importante (par exemple, un médecin installé dans Morvan fait environ 140 kms par jour) qui
leur parait cruciale pour leurs patients sans véhicule. Nous verrons ce qu’il en est du point de vue des habitants
de la Nièvre interrogés. Les problèmes se posent plus quand il s’agit d’une orientation secondaire pour réaliser
‐36 ‐ Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 des actes techniques ou consulter les spécialistes. L’éloignement des structures de diagnostic est particulièrement
difficile à gérer pour ces populations.
Enfin, quelques praticiens sont inquiets pour l’avenir quant à l’assurance pour leurs patients d’être remboursés.
Pour des patients en situation de précarité mais au-dessus du seuil de la CMU-C, en dehors des ALD (affection
longue durée), le transport n’est pas remboursé et les médecins sont confrontés parfois à des situations
inextricables. Ces problèmes de logistique sont pointés par plusieurs d’entre eux.
Un médecin de l’Orne relate qu’un patient pour qui avait été découverte une masse dans le Pancréas a été adressé
au CHU de Caen. La prise en charge a été refusée en l’absence d’anatomopathologie.
Autre exemple, un médecin gérontologue explique les difficultés liées au coût du transport des accueils de jour
organisés pour les malades d’Alzheimer ce qui a pour effet de décourager certains, d’autant que ce sont des
trajets effectués plusieurs fois par semaine. Les EHPAD reçoivent un forfait de 12 euros qui ne couvre pas les
frais dans la majorité des cas.
Le remboursement des frais de transport
Ils peuvent être appliqués au décours d’une hospitalisation mais rarement dans le cadre d’une consultation (de
diagnostic ou de suivi). Il faut noter que les frais de transport sont remboursés intégralement pour les femmes
enceintes à plus de 6 mois de grossesse et jusqu’à 12 jours après la date de l’accouchement.
En cas d’ALD, les remboursements ne sont pas toujours acquis à l’individu concerné mais seulement si
« l’incapacité ou la déficience ne leur permet pas de se déplacer par leur propre moyen. » (Décret du 10 mars
2011, JO).
Enfin, les bénéficiaires de la CMU-C sont remboursés intégralement.de leurs frais de transport.
3.5.
Stratégies des médecins pour pallier à la raréfaction de l’offre
Les stratégies individuelles
Un certain nombre d’entre elles visent à réguler la saturation du carnet de rendez-vous des professionnels
aboutissant à un allongement des délais de rendez-vous ou une sélection de clientèle. Chaque médecin adopte
une attitude qui lui est propre. L’un des médecins explique qu’il ne consulte pas au-delà de 19h afin de ménager
ses forces : « je me limite ! » (Médecin généraliste de la Nièvre) Un autre dans le cadre d’un exercice rural
essaye de répondre aux appels du jour, le jour même, quitte à allonger ses journées (sauf s’il s’agit d’un
renouvellement de médicament) (également dans la Nièvre).
Aucun des médecins généralistes interrogés ne refuse spécifiquement les patients bénéficiaires de la CMU-C.
Aucun d’entre eux n’a été informé par ses patients de refus d’être reçus mais l’un d’entre eux évoque des refus
d’appliquer le tiers payant (ce qui correspond pour nous à une forme de refus), ce plutôt hors département. Il faut
noter que quelques uns sont attentifs à adresser ces patients à des confrères en secteur 1. Par exemple, l’un
d’entre eux dans l’Orne, évite le Mans en envoyant les bénéficiaires de la CMU-C plutôt sur Caen pour cette
raison. Ajoutons qu’aucune saisine n’est arrivée au niveau du Conseil de l’Ordre des médecins de l’Orne.
Un médecin généraliste de la Nièvre nous a informé d’un courrier qu’il avait reçu d’un confrère lui demandant
de ne plus lui envoyer de patients ayant la CMU-C. ce procédé constitue une stratégie de contournement à
l’application de la Loi et de sélection de la clientèle.
En revanche, deux médecins de l’Orne interrogés déclarent ne plus prendre de nouveaux patients car ils sont
arrivés à saturation. L’un d’entre eux est installé en péri-urbain. En effet : « je ne prends plus de nouveaux
patients sauf de ma commune ». Il explique que du fait de son exercice proche de la ville il se sent autoriser à
refuser « parce qu’ils seront pris en charge soit par des collègues, soit aux urgences ». Ainsi, il justifie ses
choix : « mon moteur, ce n’est pas l’argent, c’est la qualité des soins. » Un autre médecin ornais explique qu’il
est arrivé à saturation : « je les prends s’ils insistent. » Enfin, le troisième médecin ornais exerce un certain
filtrage de manière à stabiliser sa patientèle. Il est installé dans une commune de 6000 habitants. Il ne déclare pas
‐37 ‐
Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 refuser les nouveaux patients, appréciant un certain renouvellement de sa patientèle mais depuis cinq ans en a
très peu. Les quelques nouveaux qui passent les mailles sont souvent recommandés (par un autre patient, un
confrère). Il a mis en place un contrôle des rendez-vous non honorés. Il reçoit exclusivement sur rendez-vous.
Les patients (bénéficiaires de la CMU-C ou non) ayant manqué deux rendez-vous sont alors « radiés. »
Les consultations sans rendez-vous mises en place par certains permettent une certaine liberté pour gérer le
temps en fonction des besoins médicaux mais il faut affronter une forme de pression psychologique quand la
salle d’attente est pleine. De plus, constate un médecin « on est redevable au patient du temps qu’il attend. »
Celui-ci a préféré instaurer des consultations avec rendez-vous.
La consultation sans rendez-vous est parfois aussi un moyen d’éviter une surcharge du secrétariat ou de réduire
les frais.
A noter que bien que cette pratique soit peu fréquente, certains médecins (généralistes ou spécialistes) ont deux
lieux de consultation afin de préserver une offre de proximité.
Les stratégies de regroupement dans les deux départements
Il peut s’agir communément d’une association entre plusieurs praticiens. Les médecins interrogés (non
représentatifs de l’ensemble) mettent l’accent sur les effets positifs de l’organisation sur le territoire, notamment
en maisons médicales dans la Nièvre, - trois des médecins interrogés en faisaient partie -, et en pôles de santé
dans l’Orne, dynamiques en cours de réalisation. Au-delà d’une mutualisation des moyens, une dynamique de
projets permet d’être aussi attrayant pour de nouveaux praticiens.
Les changements de modalités d’exercice pour ceux qui ont bénéficié des deux sont visibles et perceptibles et
ont amélioré tant leur qualité de vie que la qualité de leur exercice professionnel (de leur point de vue). « Avant,
on était esclaves, on faisait que des visites... On faisait n’importe quoi. On n’avait pas de repos compensateur. »
(médecin de l’Orne)
‐
Les maisons médicales ou maisons de santé
Il faut noter une dynamique de regroupement professionnel, impulsée depuis quelques années en Bourgogne en
maisons médicales. Cette organisation professionnelle dépasse la seule visée de gestion d’une offre qui se raréfie
mais permet également de construire des projets et engager des dynamiques de santé publique et de prévention.
La maison de santé (pluridisciplinaire) de St Amand a ouvert ses portes en 2005. Elle a permis de concevoir des
projets d’équipe fondés sur des besoins locaux, de stabiliser ou attirer des médecins et d’assurer une permanence
des soins. Elle dispose de trois médecins généralistes, un dentiste, deux infirmières, une sage-femme, un
pédicure-podologue, un kinésithérapeute, une orthophoniste, une ergothérapeute, une diététicienne, des
secrétaires. Ces différents professionnels médicaux ou paramédicaux exercent à temps partiel ou complet. La
dynamique enclenchée permet également d’attirer d’autres professions. De plus, un partenariat a été mis en
œuvre avec une association d’aide à domicile ce qui permet une plus grande réactivité des équipes médicales en
cas de problème, dans un contexte d’isolement de certaines personnes (vieilles personnes, notamment). Une
société de taxis assure les déplacements de personnes pour réduire les visites à domicile des médecins : une
partie est prise en charge par le Conseil Général.
La maison médicale de Montsauche a ouvert en 2008 portée par la municipalité.
Elles ont plusieurs avantages du point de vue des praticiens mais concrètement, allègent leur charge de travail.
Les tâches administratives, certains actes peuvent être délégués. Les moyens sont mutualisés. Elles offrent des
avantages en termes de qualité des soins. Dans les maisons de santé pluri-professionnelles, une prise en charge
globale des patients est autorisée, une meilleure réactivité par exemple entre professionnels médicaux et services
de soins à domicile. Les praticiens évoquent également une rupture de l’isolement professionnel (échanges,
verbalisation des émotions dans les cas difficiles, etc.). Enfin, cela leur permet de consacrer plus de temps à leurs
patients.
Enfin, ce type d’offres est plus attractif pour les jeunes et permet un recrutement plus facile.
‐38 ‐ Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 Une dynamique similaire vient d’être impulsée en Basse-Normandie autour de pôles de santé.
‐
Le réseau de santé du Haut Nivernais
Créé initialement pour défendre les structures hospitalières de ce territoire rural isolé, les professionnels de santé
du bassin d’attraction du centre hospitalier de Clamecy (incluant des professionnels de l’Yonne au Nord de ce
territoire) ont cherché à coordonner leurs pratiques. Cette association s’est constituée en réseau de santé, autour
de la thématique de la périnatalité puis d’autres thématiques ont été développées.
Le RSHN a aidé à la mise en place de cabinets secondaires à Dornecy et Brinon sur Beuvron. Il s’agissait de
faciliter les conventions entre professionnels de santé et Communes, de fournir du matériel médical, de faciliter
le fonctionnement de ces cabinets.
Enfin, le RSHN a soutenu les projets de maison de santé de Clamecy (fonctionnelle), Varzy (fonctionne depuis
2009), Corbigny (en phase de préparation pour 2013) et Entrains sur Nohain.
D’autres projets sont soutenus par le RSHN.
‐
Les pôles de santé en Basse-Normandie
Concernant les pôles de santé, il s’agit d’une dynamique régionale de regroupement sur un lieu unique. Le but
est de réunir sur un territoire où il existe des problèmes de démographie médicale, médecins et paramédicaux
(infirmières, kinésithérapeutes) pour développer un projet de santé et un projet professionnel. Cela permet de
gérer la continuité des soins et de mutualiser les moyens en se fixant des objectifs de santé précis.
Il s’agit de créer un pôle central organisé autour de projets de bassin de vie. Ce qui existe à côté est conservé : ce
sont des pôles satellites. Plusieurs projets sont en cours. Une charte régionale a été élaborée afin de définir les
principes fondamentaux de la mise en œuvre des pôles de santé libéraux et ambulatoires.
Plusieurs pôles sont opérationnels, d’autres sont en cours de réalisation à des niveaux différents (construction
immobilière, phase de projet professionnel ou de projet de santé).
‐39 ‐
Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 4. Résultatsdutesting
4.1.
Descriptiondel’échantillon
Sauf mention contraire, la description de l’échantillon porte sur les données brutes recueillies.
Professionnels de santé non-joints dans le testing
Un total théorique de 588 professionnels de santé à enquêter a été sélectionné dans l’échantillon. Cependant,
145 d’entre eux n’ont pas été inclus dans le protocole de testing et pour diverses raisons. Il faut distinguer les
professionnels :
-
qui n’exercent plus d’activité libérale dans le département (N=48), ce qui signale un défaut
d’actualisation des informations du fichier ADELI. Il peut s’agir de départs en retraite, de départs
vers d’autres départements ou du choix d’une activité exclusivement salariée,
-
qui sont en période de congés, qu’ils soient ou non remplacés (N=12),
-
qui sont injoignables par téléphone pour des raisons inconnues (N=85)17.
Au total, cela représente 25% de l’échantillon ce qui excède les hypothèses quantitatives sur lesquelles nous
avons fondé le calcul de taille d’échantillon (10 % de données erronées dans ADELI et 10 % supplémentaires de
professionnels injoignables). Le nombre important de professionnels, et notamment de kinésithérapeutes, qui
sont demeurés injoignables par téléphone en dépit de tentatives réitérées interpelle particulièrement. Cela peut
être le fait de kinésithérapeutes qui n’exercent une activité libérale qu’à temps partiel. Le fait que nombre de
généralistes n’exercent plus (18 dans la Nièvre et 9 dans l’Orne) pourrait être lié à une certaine instabilité de
cette profession : le même phénomène avait déjà été observé lors du testing auprès d’omnipraticiens parisiens. Il
pourrait s’agir de déménagements ou des changements d’activité ou encore de départs à la retraite sans mise à
jour de la base de données. Dans le cadre de cette étude, les médecins interrogés ont témoigné de départs parfois
sans préavis de leurs confrères.
17
Nous avons pu noter que certains médecins partent en vacances sans laisser de message sur leur répondeur. Il est très
probable qu’un certain nombre rencontrent des difficultés pour trouver un remplaçant.
‐40 ‐ Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 Tableau 10 : détail des professionnels de santé non joints par téléphone dans le protocole d’enquête MG Nièvre Orne N'exercent plus En congés et/ou (d'activité libérale remplacés dans le département) 18 3 Motif inconnu Ensemble 8 29 M. spé libéraux 1 0 4 5 Dentistes 6 1 4 11 Kinésithérapeutes 0 0 26 26 Ensemble Nièvre 25 4 42 71 MG 9 4 6 19 M. spé libéraux 5 0 9 14 Dentistes 9 1 0 10 Kinésithérapeutes 0 3 28 31 Ensemble Orne 23 8 43 74 48 12 85 145 Ensemble Le protocole de testing a donc été conduit auprès de 443 médecins, dentistes et kinésithérapeutes qui ont
répondu au moins une fois lors des appels.
Par catégorie de professionnels
L’âge moyen des professionnels contactés est de 51 ans, ce qui recouvre une faible différence entre les deux
départements de l’étude : 50,5 ans dans la Nièvre et 51,8 dans l’Orne. On constate certaines disparités d’âge,
classiques selon le niveau d’études et la catégorie professionnelle : l’âge moyen des généralistes et des dentistes
est environ de 52 ans, contre 55,4 ans pour les spécialistes libéraux et seulement 45,5 ans pour les
kinésithérapeutes. Ces taux sont très proches des moyennes départementales décrites avant tirage au sort pour les
médecins généralistes et les dentistes de l’Orne. La moyenne d’âge des dentistes nivernais est un peu inférieure
avant tirage au sort (près de 49 ans).
La répartition par sexe des professionnels de santé testés est fournie dans le graphique ci-dessous Figure 4).
Schématiquement, les dentistes et médecins (généralistes et spécialistes) se caractérisent par un taux de
féminisation de 20 à 25 %. La profession de kinésithérapeute semble légèrement plus féminisée dans ces deux
départements avec un tiers de femmes parmi les professionnels de l’échantillon dans les deux départements.
‐41 ‐
Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 Figure 4 : répartition par sexe des professionnels de santé enquêtés La répartition des professionnels contactés selon la nature de leur profession médicale est fournie dans le tableau
2 (avant dernière colonne « Echantillon réellement joint »).
Les spécialistes libéraux ayant fait l’objet de l’enquête se répartissent comme suit :
Tableau 11 : répartition des médecins spécialistes selon leur spécialité et leur secteur de conventionnement Spécialité Cardiologue Secteur de conventionnement
Secteur 1 Secteur 2 Nièvre Orne 8 1 6 ‐ Gastro‐entérologue Secteur 1 Secteur 2 4 ‐ 5 ‐ Gynécologue Secteur 1 Secteur 2 8 2 5 1 Ophtalmologue Secteur 1 Secteur 2 10 4 8 1 Psychiatre Secteur 1 6 3 Secteur 2 1 ‐ Il est à noter que les rares médecins non conventionnés ont été identifiés ex ante et ont été exclus dès la
constitution de l’échantillon. N’ayant pas de convention avec les organismes de sécurité sociale, ces praticiens
ont la majorité du temps constitués une clientèle très sélective dans la mesure où les patients ne sont pas
remboursés de leurs prestations quelles qu’elles soient.
‐42 ‐ Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 Répartition géographique des professionnels de santé
Le Tableau 12 propose une vision synthétique de la répartition des professionnels de santé enquêtés sur ces deux
territoires en fonction de la taille de la commune dans laquelle est implanté leur cabinet libéral. La typologie
TUU (Taille d’Unité Urbaine) a été mobilisée.
Tableau 12 – Répartition des professionnels de santé selon la Taille d’Unité Urbaine de leur commune d’exercice MG M. spé Nièvre Dentistes Kinésithérapeutes Ensemble Nièvre MG M. spé Orne Dentistes Kinésithérapeutes Ensemble Orne Urbain de Urbain Urbain Urbain Urbain Commune moins 5.000 à 10.000 à 20.000 à 50.000 à Total rurale de 9.999 19.999 49.999 99.999 5.000 hab. hab. hab. hab. hab. 31
9
21
7 20 88
35%
10%
24%
8% 23% 2
2
6
9 5%
5%
14%
20% 8
5
10
4 18%
11%
23%
9% 11
3
9
4 23%
6%
19%
9% 52
19
46
24
0 39
17
7
16
27 37%
16%
7%
15%
25% 0
1
1
6
21 0%
3%
3%
21%
4
9
5
6
17 10%
22%
12%
15%
41% 4
10
5
10
15 9%
23%
11%
23%
34% 47
37
18
38
25 44
57% 17 44
39% 20 47
43% 82 106
29
72% 80 223
41
44
220
Dans l’échantillon, la répartition des professionnels en fonction de la taille des communes est relativement
respectée, avec une légère sous-représentation des communes rurales dans la Nièvre et dans l’Orne ; cependant,
elle ne constituait pas un critère d’échantillonnage.
‐43 ‐
Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 Mode d’exercice des professionnels de santé
En moyenne, un professionnel testé sur deux exerce dans un cabinet de groupe (voir. tableau 7). Toutefois, cela
ne signifie pas que les autres membres du cabinet de groupe exercent la même profession médicale ou qu’ils ont
également été inclus dans l’échantillon dans le cadre du tirage au sort.
Par ailleurs, près d’un médecin spécialiste enquêté sur deux exerce une activité salariée en plus de sa pratique
libérale (rappelons qu’ils ont tous été testés sauf s’ils n’ont pas pu être joints). On constate que de ces deux
points de vue, l’organisation des soins médicaux offerts est totalement similaire dans la Nièvre et dans l’Orne :
les proportions de professionnels exerçant en groupe ou ayant une activité salariée d’après le répertoire ADELI
sont quasiment identiques.
Tableau 13 : Proportions de professionnels exerçant dans un cabinet de groupe et ayant une activité salariée en plus de leur pratique libérale (dans l’échantillon) MG M. spé Nièvre Dentistes Kinésithérapeutes
Ensemble Nièvre MG M. spé Orne Dentistes Kinésithérapeutes
Ensemble Orne 4.2.
Exerce en cabinet de groupe Exerce une activité salariée (en plus de l'activité libérale) 43 49% 20 45% 24 55% 23 49% 110 49% 52 49% 16 55% 16 39% 26 59% 110 50% 12 14% 19 43% 1 2% 2 4% 34 15% 15 14% 13 45% 0 0% 6 14% 34 15% Lesréponsesobtenuesàunedemandederendez‐vous
Le nombre total de professionnels enquêtés étant de 443, le nombre d’appels passés devrait théoriquement être
de 886 en raison du double protocole de recueil mis en place pour comparer les scénarii CMU et non-CMU.
Toutefois, seuls 871 appels ont été menés à bien.
La principale raison qui a conduit à ne pas mener à terme le protocole réside dans le fait qu’une partie des
praticiens (médecins généralistes et spécialistes) gère son activité à travers un important secrétariat médical. Il a
fallu laisser passer un moment entre les appels pour que la voix des appelants ne soit pas reconnue et même
ainsi, nous courrions ce risque. Nous avons donc décidé en cours de protocole de ne pas réaliser de double appel
dans quelques cas (donc de réserver les appels au scénario CMU-C) afin d’éviter que le testing ne soit découvert.
‐44 ‐ Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 Il s’agissait exclusivement d’appels avec acceptation de la CMU. Ainsi, nous faisions l’hypothèse que le
« patient standard » obtiendrait également un rendez-vous. Ainsi, pour les 15 appels qui n’ont pas été menés
dans le scénario « patient standard », la réponse a été considérée comme une acceptation, en nous fondant sur ce
qui a été constaté par ailleurs : l’analyse des acceptations/refus de rendez-vous portera donc bien sur un total de
886 réponses.
Contrairement à la section précédente, l’analyse prendra ici également en compte les poids de sondage de
l’échantillonnage, notamment dans le calcul des taux de refus globaux et imputables à la CMU-C.
Appels effectués
L’analyse ne porte ici que sur les 871 appels aboutis. Les réponses aux appels et donc l’attribution ou le refus de
rendez-vous sont essentiellement assurés par un secrétariat médical. Dans plus de 90% des appels à destination
des spécialistes et des dentistes, c’est le secrétariat qui répond. Cette proportion n’est que de 75% pour les
médecins généralistes. Quant aux kinésithérapeutes, dans un peu plus d’un appel sur deux lors du testing, c’est le
praticien lui-même qui répond.
Figure 5 : identité du répondant lors des appels du testing Taux de refus en globalité
Tous scénarios confondus (« patient CMU-C » et « patient standard »), environ 11,5 % des demandes de
consultation effectuées ne peuvent pas donner suite à une prise de rendez-vous ou une acceptation de soins (cf.
Tableau 8). Ce taux brut varie fortement selon la nature de la profession médicale et le département concerné : il
est nul ou très faible chez les kinésithérapeutes, marginal chez les spécialistes dans la Nièvre (seulement 2 cas de
refus) alors qu’il est plus significatif dans l’Orne (8 cas de refus). On relève des taux bruts entre 11 et 14 % chez
les généralistes et autour de 24 % chez les dentistes.
‐45 ‐
Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 Tableau 14 : bilan (brut) des refus de consultations Nièvre Orne Nb total d’appels Nb total de refus de consultation 24 % de refus de consultation MG 176 13.6% M. spé 88 2 2.3% Dentistes 88 20 22.7% Kinésithérapeutes 94 4 4.3% Ensemble Nièvre 446 50 11.2% MG 212 23 10.8% M. spé 58 8 13.8% Dentistes 82 20 24.4% Kinésithérapeutes 88 0 0.0% Ensemble Orne 440 51 11.6% Toutefois, ces chiffres constituent des pourcentages bruts calculés sur l’ensemble des appels aboutis et doivent
être affinés à plusieurs titres. En l’état, ils ne prennent en compte ni les différentiels éventuels entre scénario
CMU et non CMU, ni les situations moins tranchées parmi lesquelles peuvent se trouver des « refus de soins
déguisés », des acceptations de soins « sous condition », etc.
Les figures 5 et 6 donnent une représentation cartographique des cas de « refus » qui agrège l’ensemble des
refus pour toutes les professions médicales et pour tous les appels aboutis ; y sont ainsi comptabilisés tous les
appels qui n’ont pas pu donner lieu à la prise d’un rendez-vous quel que soit le scénario utilisé lors de l’appel
(« patient standard » ou « patient à la CMU-C »). Enfin, pour des raisons évidentes de confidentialité des
résultats et de protection de l’anonymat des praticiens, ces comptages sont présentés au niveau global des bassins
de vie et non au niveau des communes.
Dans la Nièvre, la tendance au phénomène de refus est quasiment exclusivement le fait du bassin de vie de
Nevers (32 refus constatés sur 202 appels aboutis, soit près de 16 %). Dans l’Orne, même si les cas de refus se
distribuent entre plusieurs bassins de vie, la tendance est similaire. Ce sont dans les bassins de vie où l’offre
médicale est la plus importante que les nombres de refus sont les plus élevés et que ce phénomène est le moins
marginal : bassins de vie de la Ferté-Macé (22 % de refus), d’Alençon, Argentan et Flers (environ 13 % de
refus).
‐46 ‐ Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 Figure 6 : répartition par bassin de vie des Refus de rendez‐vous dans la Nièvre (sur N=446 appels aboutis)18 Figure 7 : répartition par bassin de vie des Refus de rendez‐vous dans l’Orne (sur N=440 appels aboutis) 18
L’histogramme représente les refus alors que les différentes couleurs représentent des nombre d’appels.
‐47 ‐
Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 Taux de refus pour les bénéficiaires de la CMU-C
Le Tableau 15 présente les taux pondérés (par le poids de sondage réel, voir dernière colonne du tableau 2) de
« refus » de consultation, par profession médicale et selon le scénario utilisé lors de l’appel. Ainsi, on mesure le
nombre et le taux de refus dans les deux scénarios du protocole. Enfin, une analyse différentielle des refus
constatés entre le scénario CMU-C et le scénario « patient standard » permet de mesurer un taux de refus
imputable à la CMU-C (dernière colonne du tableau) : il s’agit d’une estimation de la proportion de patients
auxquels on a refusé une consultation en raison de leur statut de bénéficiaires de la CMU-C. Il s’agit donc d’un
taux de discrimination.
Tableau 15 : taux de refus de consultations selon le scénario utilisé lors de l’appel Refus dans le scénario CMU‐C Nb Nb refus appels(*) % Refus dans le scénario standard (non CMU‐C) Nb Nb refus appels(*) % Taux de refus imputable à la CMU‐C MG 88 16 18.2% 88 8 9.1% 9.1% M. spé 44 1 2.3% 44 1 2.3% 0.0% 44 13 29.5% 44 7 15.9% 13.6% Kinésithérapeutes
47 2 4.3% 47 2 4.3% 0.0% Ensemble Nièvre 223 32 14.3% 223 18 8.1% 6.3% MG 106 12 11.3% 106 11 10.4% 0.9% M. spé 29 4 13.8% 29 4 13.8% 0.0% Dentistes 41 11 26.8% 41 9 22.0% 4.9% Kinésithérapeutes
44 0 0.0% 44 0 0.0% 0.0% Ensemble Orne 220 27 12.3% 220 24 10.9% 1.4% Ensemble Nièvre + Orne 443 59 13.3% 443 42 9.5% 3.8% Nièvre Dentistes Orne (*)
Ici les 15 appels qui n’ont pas été effectués dans le scénario « patient standard » sont considérés par défaut
comme n’ayant pas engendré de refus de consultation (puisque les appels en scénario CMU menés chez les
mêmes médecins ont démontré que ces derniers acceptaient de recevoir en consultation…)
Rappelons, en préambule, que ces taux de refus doivent être considérés avec précaution, compte-tenu des faibles
effectifs enquêtés.
Le nombre brut d’appels suivis d’un refus est de 101 (50 dans la Nièvre et 51 dans l’Orne), soit 11,4 % des
appels qui se répartissent entre 59 appels lors du scénario CMU et 42 pour le scénario standard.
Affiner ainsi l’analyse permet de différencier nettement les comportements des professionnels de soins entre les
deux départements. En effet, aucun phénomène de refus de soins spécifique envers les patients à la CMU-C ne
peut être mis en évidence dans l’Orne : les taux de refus imputables à la CMU-C ne peuvent pas être considérés
comme significatifs d’un point de vue statistique pour aucune des professions médicales enquêtées.
Dans la Nièvre, le fait de prendre un rendez-vous en précisant son statut de bénéficiaire de la CMU-C ne génère
aucun refus de soins supplémentaire chez les médecins spécialistes et les kinésithérapeutes. Seuls les médecins
généralistes (9,1%) et les dentistes (13,6%) refusent significativement plus les patients à la CMU-C que les
autres.
Parallèlement, cette analyse met en évidence la fréquence assez élevée à laquelle les praticiens « refusent » la
consultation pour la population générale. En effet, les taux de refus non imputables à la CMU-C sont importants,
‐48 ‐ Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 chez les dentistes, soit 16% et 22% et les généralistes, dans 10% des cas, il n’est pas possible de consulter le
généraliste sollicité. Cette constatation traduit sans doute en partie un engorgement de l’offre de soins, primaires
notamment, dans ces zones rurales sous-dotées en médecins libéraux. En effet, parmi les motifs de « refus »
cités, les secrétaires médicaux font souvent état lors de l’échange téléphonique, du fait que le médecin ne prend
pas de nouveau patient en raison d’une surcharge de travail. Cette situation peut apparaître comme préoccupante
pour un accès à des soins de premier recours. Enfin, en utilisant le scénario du « patient standard » lors de l’appel
chez les médecins spécialistes, les taux de refus se différencient très fortement entre la Nièvre (3%) et l’Orne
(14%).
Ces premiers résultats appelleraient une analyse plus fine des différences observées entre les deux départements,
d’autant que le département où les praticiens semblent le plus débordés (l’Orne) n’est pas celui où les
discriminations à l’égard des bénéficiaires de la CMU-C sont les plus importantes.
Délais de rendez-vous
Dans les précédentes études, nous avons constaté l’existence de « refus déguisés », évitant ainsi à certains
professionnels de refuser de recevoir des patients à la CMU-C ce qui est illégal et leur permet donc de
contourner la loi, en leur proposant des délais de rendez-vous très longs destinés à les décourager (en tout cas, on
peut le supposer). Une analyse descriptive a été menée sur les délais d’obtention des rendez-vous dans le cadre
du protocole d’enquête (voir tableau 16).
Cette analyse portait sur les appels effectivement menés à bien et pour lesquels il y a eu attribution d’un rendezvous de la part du professionnel de santé. La précision de la mesure est basée sur la journée calendaire, c’est-àdire sans tenir compte des heures d’appel et d’attribution du rendez-vous.
La durée calculée et analysée ici comptabilise le nombre de jours ouvrés19 écoulés entre la date du coup de fil et
la date du rendez-vous obtenu, en considérant les samedis, dimanches et jours fériés comme des jours non
ouvrés. Il s’agit d’une approximation car certains médecins généralistes consultent le samedi, plus rarement des
spécialistes (psychiatres).
Par ailleurs, cette analyse masque une réalité liée aux soins primaires qui veut que de nombreux généralistes
assurent leurs consultations médicales sans rendez-vous, en particulier dans des zones rurales comme la Nièvre
et l’Orne. Dans ce cas, le délai attribué est de 0 jour ou de 1 jour selon les précisions données par le cabinet
médical lors de l’appel (« Venez aujourd’hui » ou bien « Venez demain »).
19
Certains appels du testing ont été passés le samedi ; de même, certains rendez-vous peuvent être attribués un samedi matin : dans ce cas,
les délais calculés sont les délais réels (date de rendez-vous – date d’appel). Cependant, le mode de calcul générique des délais en jours
ouvrés exclut dans les faits les samedis (en plus des dimanches) afin de lisser le phénomène sur l’ensemble des praticiens : ainsi, dans le cas
où un rendez-vous est attribué la semaine suivant le coup de fil, le délai réel est amputé de 2 jours pour prendre en compte le week-end.
‐49 ‐
Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 Tableau 16 : délais d’attente avant l’obtention du rendez‐vous en nombre de jours ouvrés MG M. spé Nièvre Dentistes Kinésith. Ensemble Nièvre MG M. spé Orne Dentistes Kinésith. Ensemble Orne Scénario CMU Scénario standard Scénario CMU Scénario standard Scénario CMU Scénario standard Scénario CMU Scénario standard Scénario CMU Scénario standard Scénario CMU Scénario standard Scénario CMU Scénario standard Scénario CMU Scénario standard 1 90e centile 9 1.8 4.3 3.6 1 9 2.1 4.6 44.5 48.1 29 112 28.5 60.5 50.1 60.9 29 112 29.8 70.3 24.7 14.4 15 55 16.5 32.9 19.9 12 14.5 48.5 13 26.7 3.5 1.6 4 6 2.8 4.2 3.9 1.6 4 6 3.1 4.7 20.8 27.2 5 57 15.5 26.2 22.4 32.9 6 57 16 28.8 2.1 2.4 1 4 1.3 2.9 2 2.4 1 4 1.3 2.8 40.1 36.1 24 119 22.1 58.1 38.4 36.7 18 119 20 56.7 34.4 18.1 24.5 72 24.3 44.6 33 18.3 23 72 22.7 43.2 6 6.1 3.5 13 2.9 9.1 4.2 2.1 3.5 8 3.1 5.3 15.4 19 3 51 11.4 19.5 14.5 18.8 3 51 10.5 18.5 N Moyenne
Obs 3.1 70 3.3 41 30 45 186 86 25 28 44 183 Ecart‐
type 3.6 Médiane
IC95% Les délais d’obtention des rendez-vous sont de l’ordre de 2 à 3 jours en moyenne chez les généralistes, ce qui
constitue des durées relativement élevées pour un recours en soins primaires. La médiane est toutefois de 1 jour
pour les généralistes, la forte dispersion pouvant s’expliquer par les délais longs imputables aux périodes de
congés20. Obtenir un rendez-vous chez le dentiste prend plus de temps dans l’Orne (environ 34 jours ouvrés) que
dans la Nièvre (entre 20 et 25 jours selon le scénario employé). Enfin, les délais de rendez-vous chez les
spécialistes excèdent 40 voire 50 jours ouvrés selon les cas.
On note peu de différences dans les délais de rendez-vous moyens entre scénarios CMU et non-CMU dans
l’Orne. Une différence de 1,8 jour ouvré est observée chez les kinésithérapeutes (différence non significative à
95 %) dans le délai moyen, alors que les valeurs médianes sont équivalentes (3,5 jours) : la distorsion importante
en moyenne n’est donc due qu’à quelques rendez-vous attribués avec un délai très important dans le scénario
CMU. A l’inverse, dans l’Orne, les délais d’attribution d’un rendez-vous chez les spécialistes dans les scénarios
CMU et non-CMU sont plus similaires en valeur moyenne qu’en médiane (40,1 contre 38,4 et 24 contre 18
respectivement).
Dans la Nièvre, on constate une différence moyenne de 5 jours chez les dentistes. Enfin, et de façon contreintuitive, une différence de plus de 5 jours en moyenne apparait dans l’obtention d’un rendez-vous auprès des
spécialistes de la Nièvre, mais en faveur des patients à la CMU qui, dans l’échantillon, obtiendraient une
consultation plus rapidement que les autres. Ce constat paradoxal demande à être clarifié par des éléments de
contexte qui pourrait expliquer cet écart. Les appels ont été plus souvent réalisés en commençant par le scénario
CMU et le créneau est donc rendu indisponible tant que le rendez-vous n’a pas été annulé (ce qui est réalisé le
20
Cependant, l’étude qualitative montre que dans certains cabinets médicaux, il faut parfois une à deux semaines
pour obtenir un rendez-vous hors urgence.
‐50 ‐ Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 lendemain en général) ; cet aspect méthodologique peut, en partie, expliquer ces délais supérieurs lors des
rendez-vous attribués aux « patients non CMU-C »21.
Les graphiques suivants complètent cette analyse du délai de rendez-vous dans le cas des médecins généralistes
et spécialistes.
Figure 8 : délais d’attente d’un rendez‐vous auprès des médecins généralistes de la Nièvre et de l’Orne Figure 9 : délais de rendez‐vous des médecins spécialistes de la Nièvre et l’Orne 21
A cet égard, il serait intéressant dans un prochain testing de noter l’ordre d’appel ou les heures d’appel et éventuellement d’annulation
des rdv.
‐51 ‐
Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 4.3.
Modalitésd’attributiondelaconsultation
Lors des appels téléphoniques, certaines caractéristiques relatives à l’organisation de la pratique et à la prise de
rendez-vous des professionnels ont été relevées par les enquêteurs. Les chiffres fournis ci-dessous sont basés sur
les professionnels de santé qui ont pu être joints et qui ont donné leur accord pour une consultation (N=384).
En premier lieu, dans ces départements ruraux que sont la Nièvre et l’Orne, une proportion significative de
médecins généralistes proposent des consultations sans rendez-vous, avec toutefois une différence dans
l’importance de ce phénomène entre les 2 départements. Parmi les généralistes contactés, 17 proposent des
consultations sans rendez-vous dans la Nièvre (22 %) et 12 dans l’Orne (11 %). Ce phénomène est inexistant
pour les autres professions médicales étudiées. On peut se demander s’il ne s’agit pas d’un mode de gestion
d’une demande forte et qui suppose d’assumer la prise en charge de tous ceux qui attendent. Cela permet une
certaine maîtrise de la longueur de leur journée de travail. Cela n’empêche pas toutefois d’insérer des urgences
entre les rendez-vous programmés, si nécessaire.
A l’inverse, d’autres médecins gèrent leurs rendez-vous par téléphone et évaluent l’urgence de la demande, ce
qui aboutit dans certains cas à allonger le délai de rendez-vous. Certains partagent leur temps et reçoivent en
fonction du problème dans un cadre différent, entre consultation sans rendez-vous et avec rendez-vous.22 Ces
dernières étaient plus réservées à des consultations plus longues, prévention ou prise en charge d’un problème
complexe (maladie chronique, grave) ou à certaines catégories de personnes (familles avec enfants, personnes
qui travaillent et ont des contraintes horaires strictes). Les autres à l’inverse sont dédiés aux problèmes
immédiats, urgents, notamment syndromes infectieux.
La consultation sans rendez-vous a pour corollaire l’absence de sélection de la clientèle, quelle que soit le
problème médical et quelque soit le statut du patient, nouveau, type de protection sociale, etc.
En second lieu, lors de la prise de rendez-vous par téléphone dans le « scénario CMU » un certain nombre de
recommandations peuvent être effectuées par le médecin ou le secrétariat. Il s’agit en particulier du rappel des
« obligations légales » et de précautions visant à assurer le paiement du médecin : on rappelle au patient
bénéficiaire de la CMU-C de se munir de sa carte vitale et/ou de son attestation CMU à jour. Elles sont toutefois
loin d’être systématiques : elles sont effectuées dans près d’un appel sur 5 chez les médecins spécialistes et les
dentistes dans la Nièvre, un appel sur 6 chez les dentistes dans l’Orne, et dans un appel sur 8 chez les spécialistes
dans l’Orne. Ces recommandations ne sont quasiment jamais faites par les généralistes.
4.4.
Lescausesderefusdeconsultation
Les arguments avancés par téléphone
La plupart des appels aboutis ont donné lieu à l’attribution d’un rendez-vous. Ainsi, le « refus » de consultation
est globalement rare – dans 11,4% des cas, l’appel s’est soldé par un refus – et, par ailleurs, faiblement
imputable à la CMU-C – 13,3% dans le scénario CMU contre 9,5 % dans le scénario standard.
Cependant, il est nécessaire d’analyser plus finement les modalités et les motivations de ces « refus » de
consultation pour, d’une part, connaître les raisons invoquées par les praticiens et, d’autre part, identifier
d’éventuels effets ou régularités statistiques qui permettraient d’expliquer ce refus.
Dans la grande majorité des cas, le refus de consultation est argumenté par une surcharge de travail et la volonté
de la part du praticien de ne pas recevoir de nouveaux patients : c’est le cas dans 87 appels parmi les 101 au
cours desquels un refus de consultation a été signifié. Le Tableau 17 confirme qu’il s’agit de la principale
explication donnée au refus de consultation et que ce phénomène n’est pas négligeable en soins primaires, chez
les dentistes et chez les médecins spécialistes dans l’Orne. Ainsi, dans plus de 10 % des appels chez un médecin
généraliste, le refus est justifié par le fait que le médecin n’accueille pas de nouveaux patients (les résultats sont
exprimés tous scénarios confondus). Cette proportion est supérieure à 13% dans l’Orne. Cet argument est
également fréquemment avancé chez les dentistes, mais cela ne représente pas le même poids dans les deux
départements. Dans l’Orne, la quasi-totalité des refus de soins opposés par les dentistes est énoncée comme le
souhait de ne pas prendre en charge de nouveaux patients : ainsi, dans 22 % des cas, cet argument est avancé lors
22
Nous nous appuyons sur des modes d’organisation décrites par les médecins en entretiens, et observées dans d’autres études (Intermède,
pas exemple ayant donné lieu à une observation des pratiques de médecins généralistes).
‐52 ‐ Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 de l’appel téléphonique. Dans la Nièvre, si la proportion globale de refus de la part des dentistes est comparable,
cet argument est moins souvent avancé (15 % des appels tout de même).
Enfin, nous avions montré que les refus chez les spécialistes n’étaient pas imputables à la CMU-C, mais à une
probable surcharge de travail. Les refus sont donc logiquement justifiés par l’unique argument « de ne pas
recevoir de nouveaux patients » avec une très forte fréquence chez les spécialistes dans l’Orne, un refus plus
rare chez les spécialistes de la Nièvre.
Tableau 17 : proportions de refus de consultations justifiés par le fait de « ne pas accueillir de nouveaux patients » Nièvre Orne Scénarios CMU‐C et standard confondus % Réponses "Pas de nouveaux patients" 13.6% Nb appels aboutis % Refus de consultation MG 176 13.6% M. spé 88 2.3% 2.3% Dentistes 88 22.7% 14.8% Kinésithérapeutes 94 4.3% 2.1% Ensemble Nièvre 446 11.2% 9.2% MG 212 10.8% 9.4% M. spé 58 13.8% 13.8% Dentistes 82 24.4% 22.0% Kinésithérapeutes 88 0.0% 0.0% Ensemble Orne 440 11.6% 10.5% 886 11.4% 9.8% Ensemble Nièvre + Orne Ces résultats illustrent la réalité des difficultés d’accès aux soins, notamment primaires. Couplés à des délais
d’obtention de rendez-vous élevés et donc de la création de listes d’attente implicites, ces éléments démontrent la
saturation de l’offre médicale disponible dans ces départements ruraux.
Dans le scénario CMU, les autres motifs avancés par les médecins pour justifier le refus de recevoir un patient
sont les suivants :
-
« Trop de paperasse ! »
« Non, je ne peux pas vous recevoir, je pratique le dépassement d’honoraires… »
Le refus est parfois une restriction de la proposition de soins et non un refus total :
-
« CMU uniquement pour des soins, pas pour prothèses » (dentiste)
« Uniquement de la rééducation ; je ne reçois pas pour des problèmes de dos » (kinésithérapeute)
En l’occurrence, dans les deux cas, les refus portent sur des soins qui sont inclus dans le panier de soins alloués
aux bénéficiaires de la CMU-C.
Certains praticiens orientent les bénéficiaires de la CMU-C vers des praticiens non libéraux : « Allez consulter un
dentiste mutualiste » 23
23
Il existe quelques centres dentaires de la Mutualité française à Argentan, Alençon, Flers pour l’Orne, Nevers pour la Nièvre.
‐53 ‐
Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 4.5.
Analyseparmodélisation
4.5.1.
Les déterminants du refus
Une modélisation du phénomène de « refus de consultation » a été menée afin d’identifier les éventuels
déterminants ou causes de ces refus.
Compte tenu des effectifs relativement faibles de professionnels de santé, tous les appels téléphoniques ont été
agrégés afin de constituer une unique base de données (N = 886). En effet, les analyses montrent que le
phénomène de refus de consultation est relativement rare et qu’il semble faiblement attribuable au statut « CMUC » du patient, la modélisation porte donc sur l’ensemble des refus de consultation (et non pas uniquement sur
les refus spécifiquement attribuables à la CMU-C).
La variable modélisée est binaire (0/1) : elle prend la valeur 1 lorsqu’un refus de consultation est signifié durant
l’appel et la valeur 0 sinon. La méthode de régression retenue est donc de type logistique, adaptée à la nature
binaire de la variable expliquée et aux corrélations qui existent entre la plupart des variables explicatives que
nous souhaitions tester.
Deux éléments complémentaires de méthode doivent être précisés :
-
-
24
Une méthode spécifique sur données répétées a été utilisée dans la modélisation afin de contrôler la
corrélation entre les deux appels passés aux mêmes médecins et corriger les biais potentiels qui
pourraient en découler dans l’estimation24.
Compte-tenu du protocole de testing, il peut exister un effet « appelant », c’est-à-dire une différence de
résultats selon l’identité de la personne qui a effectué l’appel, toutes choses égales par ailleurs. Nous
souhaitions pouvoir contrôler et corriger ce phénomène dans l’estimation ; toutefois, comme l’enjeu
n’était pas de produire un résultat sur l’influence d’un appelant par rapport à un autre, mais au contraire
de généraliser nos résultats à tout type d’appelant potentiel, cette variable a été intégrée comme un effet
aléatoire dans le modèle. Pour protéger l’anonymat des personnes impliquées dans ce travail, les 3
personnes ayant passé les appels ont été simplement nommés A, B et C.
Le fait d’utiliser les couples d’appels dans la population, c’est-à-dire les deux coups de fil passés au professionnel de santé en utilisant
successivement le scénario standard et le scénario CMU-C, permettent effectivement d’avoir une taille d’échantillon plus importante
pour la modélisation, mais cela induit a contrario une corrélation potentiellement problématique entre les résultats des deux appels. En
effet, il est probable que deux réponses effectuées par un même médecin soient plus « ressemblantes » que deux réponses effectuées par
deux médecins différents. Cette corrélation risquerait alors de fausser les estimations. Toutefois, elle peut être prise en compte par une
structuration spécifique de la matrice de variance-covariance.
‐54 ‐ Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 Les variables explicatives testées sont celles présentées dans le tableau ci-dessous :
Tableau 18 : variables testées dans la modélisation du refus de consultation Variable considérée Modalités testées Modalité de référence Département Spécialité Structure du cabinet Mode d'exercice Sexe Age Secteur Nièvre Kiné / Dentiste / Spécialiste Cabinet seul Libéral pur Femme variable continue Secteur 2 Orne Généraliste Cabinet de groupe Exercice mixte Homme Secteur 1 (ou non sectorisé) Taille d'Unité Urbaine (TUU) Zonage en Aires Urbaines (ZAU) Commune rurale / commune de plus de 20.000 hab. Espace rural /commune monopolarisée commune de 5.000 à 20.000 hab. espace urbain Identité de l'appelant Répondant à l'appel Scénario d'appel A Praticien CMU‐C B et C Secrétariat Patient standard Compte tenu de leur niveau de corrélation potentiellement élevé et du faible nombre de degrés de liberté25, une
sélection des variables les plus significatives a été réalisée pour parvenir à un modèle parcimonieux, à la fois à
l’aide d’une sélection automatique et d’une sélection « manuelle ». Ainsi, plusieurs spécifications restreintes
(c’est-à-dire impliquant uniquement certaines variables) sont testées afin de faire apparaitre d’éventuels effets
masqués dans le modèle global. En particulier, les typologies TUU et ZAU sont testées de manière
concurrentielle et non introduites simultanément en raison de leur importante corrélation ; de même, pour le
secteur de conventionnement et la nature de la profession médicale qui sont totalement déterminés.
Les résultats sont présentés sous forme d’odds ratios (rapport de cotes) qui peuvent, compte tenu de la faible
fréquence des refus, être interprétés comme des risques relatifs, c’est-à-dire comme la majoration du risque de
refus de consultation induite par la variable considérée.
Le Tableau 19 présente les résultats de trois spécifications différentes de la modélisation :
-
La 1e colonne introduit comme variables explicatives : le département, la profession médicale et le
scénario utilisé lors de l’appel.
-
La 2e colonne propose une vision d’ensemble sur les variables explicatives testées en introduisant la
plupart d’entre elles simultanément dans un modèle global.
-
La 3e colonne présente la spécification produite par une sélection automatique26 des variables.
25
Le nombre de degrés de liberté est lié au nombre de variables explicatives introduites (et au nombre de modalités de
celles-ci) ainsi qu’à la taille de l’échantillon sur lequel est réalisée la régression.
26
La méthode de sélection automatique utilisée ici est une méthode de type Backward fondée sur la contribution à la
vraisemblance (au seuil de 10 %) de chacune des variables explicatives testées. Il a été vérifié que des méthodes
alternatives (de type Stepwise) amenaient à une sélection identique des variables.
‐55 ‐
Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 Dans les trois cas de figure, l’effet aléatoire « identité de l’appelant » est maintenu dans la spécification du
modèle.
Cette modélisation démontre que de nombreuses caractéristiques de l’activité du professionnel de santé et du
contexte de l’appel téléphonique ont un impact sur la probabilité du refus de consultation.
Rappelons qu’il s’agit ici d’une modélisation de l’ensemble des cas de « refus » et non uniquement des refus
imputables à la CMU-C. Toutefois, le scénario utilisé lors de l’appel est bien sûr contrôlé dans le modèle, ce qui
permet d’exprimer des résultats « toutes choses égales par ailleurs », notamment en termes de patient (standard
vs. CMU-C).
‐56 ‐ Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 Tableau 19 : modélisation de la probabilité de refus de consultation lors de l’appel chez un professionnel de santé (N = 886) Variable Département Profession médicale Composition du cabinet Département = Nièvre Prof = M.Spé Prof = Dentiste Prof = Kinésith. Cabinet = Groupe Exercice = Libéral uniquement Médecin = Femme Répondant = professionnel lui‐même Scénario = CMU ZAU = espace rural ZAU = commune monopolarisée Mode d'exercice Sexe Age du médecin Répondant à l'appel Scénario ZAU Identité de l'appelant Appelant = A (effet de contrôle) Degrés de liberté Critère d'information d'Akaike(a) *** : p< 1%
** : p< 5%
Odds‐
ratio 0.98 0.55 2.26 0.18 Signif. Ecart‐type Odds‐ratio Signif. Ecart‐type
ns ns *** ** 1.48 *** Odds‐ratio Signif.
Ecart‐type 0.300 0.523 0.321 0.752 0.98 0.35 1.78 0.17 1.34 ns * * ** ns 0.318 0.575 0.342 0.766 0.338 0.37 1.77 0.17 ** * ** 0.534 0.332 0.759 1.01 ns 0.496 1.30 0.97 ns ns 0.347 0.019 0.97 * 0.017 0.25 *** 0.522 0.22 *** 0.512 0.096 1.52 0.41 *** ** 0.105 0.366 1.52 0.43 *** ** 0.104 0.351 0.64 ns 0.558 1.37 ** 0.133 1.42 ** 0.143 1.42 ** 0.143 6 592.00 13 563.97 8 558.17 * : p < 10%
(a) Le critère d’information d’Akaike (à interpréter selon la règle “la plus faible valeur est préférable”) est calculé sur la spécification du modèle sans contrôle des
données répétées.
Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Raphaël Dely, Marion Wiechert Irdes – Juin 2012 Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 Scénario (CMU vs. « patient standard »)
L’enseignement principal est que le scénario utilisé a un impact non négligeable et significatif (à 1 %), sur le
refus de consultation. Cette influence demeure identique que le modèle soit restreint (1e colonne) ou que
plusieurs variables soient contrôlées simultanément (2e colonne). Toutes professions considérées, une demande
de rendez-vous a, en moyenne, 1,5 fois de chances d’être refusée lorsque l’on est à la CMU-C. Ainsi, même si le
niveau brut de discrimination envers les patients à la CMU-C est faible, cette situation majore tout de même le
risque de ne pas voir accès à l’offre de soins.
Profil et activité du professionnel de santé
La nature de la profession médicale contactée a un impact très important sur la probabilité de refus, toutes choses
égales par ailleurs. S’il semble exister, au niveau des statistiques descriptives brutes, une différence de
comportement entre médecins généralistes et spécialistes, celle-ci n’apparait pas significativement dans le
modèle : l’odds-ratio est bien de 0.55 mais la p-value est d’environ 20 %, soit au-delà des critères de
significativité usuels. Par rapport aux médecins généralistes, les refus sont 2 fois plus fréquents chez les dentistes
et apparaissent 5 fois moins fréquents chez les kinésithérapeutes27. Ce résultat confirme les enseignements des
analyses descriptives brutes (Tableaux 8 et 9) ; en particulier, l’absence de différence significative de taux de
refus entre spécialistes et généralistes masque en réalité la très forte disparité de situation qui existe entre la
Nièvre et l’Orne. Alors que dans la Nièvre, les différences entre généralistes et spécialistes sont très accusées
avec des taux de refus plus importants des généralistes, dans l’Orne, les différences entre ces deux catégories de
médecins est moindre et ce sont à l’inverse, les spécialistes qui refusent plus fréquemment.
L’âge du professionnel est également légèrement significatif (modèle n°3), avec une tendance à moins refuser
chez les professionnels de santé les plus âgés.
En revanche, ni le sexe du médecin, ni ses modalités d’exercice (seul ou en groupe, en exercice libéral pur ou
mixte) n’influent sur le niveau de refus, quelle que soit la configuration de modèle testée.
Contexte géographique
Nous avions souligné des tendances très différentes entre les deux départements, en données brutes et selon la
spécialité médicale considérée. Toutefois, dans la modélisation, et à spécialité égale par ailleurs, que l’appel ait
lieu dans la Nièvre ou dans l’Orne est totalement neutre sur le risque de se voir notifier un refus. L’impact du
département devrait être couplé avec celui de la profession médicale (par un terme d’interaction), mais
l’échantillon ne permet pas suffisamment de puissance statistique pour réaliser une telle analyse.
En revanche, le niveau d’urbanisation de la commune dans laquelle exerce le praticien a bien un impact sur le
niveau de refus : les refus sont 2,4 fois moins nombreux dans les zones et communes rurales que dans les zones
urbaines28 toutes choses égales par ailleurs. Ce résultat corrobore les analyses descriptives et cartographiques
menées précédemment ; il apparait cependant paradoxal dans la mesure où la saturation de l’offre de soins et de
la patientèle des médecins est a priori plus sensible dans les zones rurales, ce qui devrait conduire à refuser plus
souvent les rendez-vous. Néanmoins, il faut garder à l’esprit que cette tendance se couple avec une pratique plus
répandue de consultation sans rendez-vous en zone rurale, qui constitue un mode d’organisation de la pratique
visant à gérer une forte demande mais qui n’autorise pas de sélection de clientèle.
Il faudrait y voir selon certains acteurs de terrain, un effet de génération ; les médecins installés depuis
longtemps auraient tendance à faire de plus longues journées et à répondre plus rapidement aux demandes de
leurs patients. Les acteurs de terrain ainsi que les usagers du système de soins constatent une évolution des
pratiques des médecins de proximité qui seraient moins enclins à faire des visites, à allonger leur journée de
travail. De plus, les jeunes médecins préfèrent s’installer en ville, anticipant la charge de travail qui leur
incomberait en s’installant dans une zone rurale isolée.
27
28
Toutefois, le résultat concernant les kinésithérapeutes est sujet à caution vu le très faible nombre de refus constaté pour cette profession.
Le résultat présenté ici se base sur un découpage selon la typologie ZAU, mais les résultats sont similaires si on utilise la typologie TUU
qui couple niveau d’urbanisation et taille de la commune.
‐58 ‐ Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 Répondant lors de l’appel
Enfin, la variable la plus significative dans les modèles testés est l’identité de l’interlocuteur lors de l’appel
téléphonique : toutes choses égales par ailleurs, la probabilité de refus est 4 fois moins élevée lorsque le praticien
répond lui-même que lorsque c’est un secrétariat médical qui s’en charge.
Cet effet marquant suggère un effet d’organisation de la pratique, voire de filtrage à travers le secrétariat.
Toutefois, il ne signifie pas forcément qu’une discrimination plus grande est pratiquée systématiquement par les
secrétariats médicaux. Nous avions montré dans l’étude du Val de Marne (Desprès et al., 2009) en nous
appuyant sur l’analyse des interactions téléphoniques que le fait que ce soit le praticien lui-même qui réponde
ouvrait des marges de négociation, même si elles restaient marginales dans l’étude (statistiquement non
significatives) et ne se répercutaient pas sur l’ensemble des résultats. Nous avions souligné l’enjeu de
l’interrogatoire d’un patient ayant la CMU-C avant de lui octroyer un rendez-vous :
« Celui-ci visait à évaluer la situation clinique, l’existence d’une maladie avérée justifiant alors la légitimité de
la demande de rendez-vous mais il donnait aussi l’occasion au praticien d’apprécier les mérites et qualités du
patient »29.
Ce résultat pourrait masquer aussi des effets d’organisation dans la pratique des professionnels : par exemple, un
praticien moins débordé a le temps de répondre lui-même au téléphone et aura plus de chances d’accorder un
rendez-vous. De manière opposée, les praticiens exerçant dans des maisons médicales économisent du temps en
déléguant différentes tâches et mutualisant leurs moyens (secrétariat). Il en est de même pour les organisations
de groupe mais les résultats ne sont pas significatifs à cet égard.
Identité de l’appelant
Enfin, la dernière caractéristique testée dans le modèle à des fins de contrôle met en évidence un effet
« appelant » toutes choses égales par ailleurs. Cet effet vaut uniquement pour l’appelant « A » qu’il soit opposé
aux deux autres appelants simultanément ou séparément. Le taux de refus lors des appels passés par « A » est
entre 30 et 40 % supérieur aux autres appels.30
Cet effet est problématique dans une perspective de généralisation méthodologique du testing : toutefois, il ne
parasite pas les résultats de la modélisation, puisque les spécifications testées avec ou sans cette variable de
contrôle produisent des résultats très similaires.
4.5.2.
Analyse des délais de rendez-vous
Outre le refus de consultation, l’offre de soins disponible lors du testing se caractérise par des délais de rendezvous parfois importants et très variables selon le département ou la profession médicale.
Une analyse plus approfondie du délai de rendez-vous a été menée par le biais d’une modélisation statistique.
Elle portait sur 753 réponses positives lors des appels31. Le délai de rendez-vous considéré et modélisé est le
nombre de jours ouvrés entre la date du contact téléphonique et la date du rendez-vous attribué. Dans les
nombreux cas de médecins généralistes consultant sans rendez-vous, le délai affecté est de 0 jour ou de 1 jour
selon les précisions données lors de la conversation.
La principale difficulté de la modélisation résidait dans la distribution particulière du délai, difficile à paramétrer
selon une loi de probabilité usuelle. En effet, cette variable de délai agrège en réalité plusieurs « sous-variables »
issues chacune d’une sous-distribution : le délai pour obtenir un rendez-vous diffère fondamentalement chez un
médecin généraliste, un spécialiste ou un dentiste. On constate parfaitement ces différences fondamentales dans
la représentation graphique des délais de rendez-vous de la Figure 9.
29
Desprès C. (2010), La couverture maladie universelle : une légitimité contestée. Analyse des attitudes de médecins et de dentistes à
l’égard de ses bénéficiaires, Pratiques et organisation des soins, 41 (1), p.33-43.
30
Ce taux peut paraître important mais il faut rappeler globalement le faible taux de refus dans cette étude.
31
Appels menés à bien, professionnel de santé joint, acceptation de recevoir le patient et attribution d’un rendez-vous à une date précise.
‐59 ‐
Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 L’agrégation de toutes ces informations dans une même variable rend la distribution complexe. D’autre part, la
distribution de cette variable se caractérise par une proportion élevée de 0 (13,8 % des cas) et une concentration
importante sur les valeurs de 0 à 3 : plus de 50 % des appels débouchent sur un rendez-vous dans les 3 jours. A
contrario, la distribution présente quelques valeurs extrêmes qui excèdent 100 jours (2 % des cas).
Il est donc plus pertinent d’effectuer une modélisation séparée pour les 4 professions médicales analysées, même
si cela conduit à perdre de la puissance statistique.
La modélisation a été réalisée par un modèle linéaire généralisé (MLG) en utilisant une loi de Poisson en
corrigeant la sur-dispersion potentielle des distributions.
Les mêmes variables explicatives ont été testées que dans la régression du refus de rendez-vous (voir tableau 18)
et les mêmes méthodes sont employées respectivement pour corriger la nature répétée des données (deux appels
par professionnel) et pour contrôler l’identité de l’appelant à travers un effet aléatoire.
Les résultats de la modélisation sont détaillés dans le Tableau 20.
Profil et activité du professionnel de santé
On peut constater que les résultats sont assez différents dans les 4 modèles correspondant aux 4 professions
médicales. Les modèles sont de meilleure qualité pour les médecins spécialistes et les dentistes. Le modèle ne
produit pas de résultat satisfaisant pour les kinésithérapeutes. Concernant les médecins généralistes, c’est le
contrôle des mesures répétées qui augmente sensiblement les « p-values » des tests de significativité en dépit de
coefficients ayant une amplitude conséquente. La majorité des variables introduites sont significatives au moins
dans l’un des modèles32.
Contrairement au phénomène de refus de soins, il apparait que les modalités d’exercice du praticien influent sur
les délais de consultation. Le fait d’exercer dans un cabinet de groupe augmente significativement, et dans des
proportions similaires, le délai d’obtention d’un rendez-vous chez les médecins spécialistes et les dentistes. Le
fait d’exercer une activité libérale exclusive (par opposition aux praticiens qui ont une autre activité salariée
annexe) a également une influence pour les spécialistes et les kinésithérapeutes33 : ceux qui ont une activité
libérale exclusive ont des délais de rendez-vous plus élevés.
Chez les médecins spécialistes, le secteur de conventionnement n’a pas d’impact sur les délais de rendez-vous.
Enfin le sexe et l’âge du praticien sont parfois significatifs dans les modèles, notamment pour les généralistes et
spécialistes : les médecins généralistes et spécialistes femmes ainsi que les médecins spécialistes les plus jeunes
affichent des délais de rendez-vous plus importants.
Contexte géographique
L’impact du département est plus sensible pour les autres professionnels de santé que pour les médecins : les
délais sont, en moyenne, plus courts dans la Nièvre pour les dentistes et les kinésithérapeutes. A l’inverse, on
relève des délais plus élevés dans la Nièvre chez les généralistes, toutes choses égales par ailleurs (mais
faiblement significatifs). Cette tendance est globalement cohérente avec les résultats de l’analyse des « refus de
consultation » (voir Tableau 19). Par contre, elle n’est pas cohérente avec une plus forte densité de généralistes
dans la Nièvre que dans l’Orne. Ces résultats concernent le niveau départemental et ces résultats pourraient
s’expliquer par une répartition différenciée de ces professionnels entre les deux départements, ainsi que les
modalités d’exercice, tenant compte par exemple du temps passé à d’autres activités que directement cliniques et
dédiées aux patients.
32
33
Toutes les variables sont présentées simultanément dans le Tableau 14en dépit des contraintes de degrés de liberté pouvant exister.
Néanmoins, des validations sur des spécifications alternatives ont été conduites afin de vérifier la robustesse des résultats présentés.
Variable non testée pour les dentistes car il y a trop peu de cas (cellule grisée dans le Tableau).
‐60 ‐ Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 Tableau 20 : modélisation du délai de rendez‐vous chez les 4 professions médicales (N = 753) Variable Constante Département Composition du cabinet Mode d'exercice Secteur Sexe Age du médecin Répondant à l'appel Scénario ZAU Identité de l'appelant (effet de contrôle) N = *** : p< 1%
MG Estimateur Signif.
Département = Nièvre 1.17 0.34 ns * Cabinet = Groupe 0.39 ns ‐0.38 ns 0.92 0.00 *** ns ‐0.48 * 0.13 ‐0.39 * * ‐0.93 *** ‐0.11 ns Exercice = Libéral uniquement Secteur = 2 Médecin = Femme Répondant = Médecin lui‐
même Scénario = CMU ZAU = espace rural ZAU = commune monopolarisée Appelant = A ** : p< 5%
322 M. spé Estimateur Signif.
* : p < 10%
‐61 ‐
5.56 0.04 *** ns 0.38 * 0.64 ** 0.34 0.50 ‐0.05 ns ** *** ‐1.29 * ‐0.05 0.13 ns ns 0.45 ns 0.26 ** 134 Dentistes Kinésithérapeutes
Estimateur Signif.
2.38 ‐0.50 *** ** 0.43 ** 0.29 0.02 * * ‐0.59 ** 0.12 ‐0.04 ** ns 0.72 *** ‐0.10 ns 119 Estimateur Signif. 0.77 ‐0.39 * ** 0.05 ns 0.66 *** ‐0.07 0.00 ns ns ‐0.03 ns 0.11 0.14 ns ns ‐0.25 ns 0.57 *** 178 D’autre part, on note un impact important du niveau de ruralité/urbanisation de la commune dans laquelle sont
installés les médecins généralistes : les généralistes exerçant dans des zones rurales ou dans des petites
communes « monopolarisées » ont des délais très significativement plus courts que leurs confrères exerçant en
zone urbaine. Ce constat est conforme à l’organisation des soins primaires dans l’espace rural où, en dépit d’une
raréfaction de l’offre, les consultations sont effectuées rapidement, souvent sans rendez-vous comme nous avons
pu le noter lors de la prise de rendez-vous. En revanche, le constat s’inverse chez les dentistes où le délai pour
obtenir un rendez-vous est, en moyenne, plus long chez les rares dentistes installés dans des zones
monopolarisées que chez leurs confrères en zone urbaine.
Identité de l’appelant et du répondant
Lorsque le médecin, généraliste ou spécialiste, répond lui-même au téléphone, les délais de rendez-vous sont
généralement plus courts. Cependant ce cas de figure est rare chez les spécialistes, représentant moins de 10%
des cas. Le même phénomène est observé pour les kinésithérapeutes, alors qu’il s’agit là d’une situation
classique puisque peu d’entre eux bénéficient d’un secrétariat.
On constate également dans cette modélisation des délais de rendez-vous un effet « identité de l’appelant » lors
de l’appel chez les médecins spécialistes et les kinésithérapeutes : l’appelant A (qui avait déjà généré plus de
refus de rendez-vous) se voit ici attribuer des rendez-vous avec des délais plus longs que les autres appelants,
toutes choses égales par ailleurs.
4.6.
Discussion
4.6.1.
Sur la méthode
Par rapport aux précédents tests réalisés pour le Fonds de financement de la CMU, nous avons modifié quelques
éléments de la méthode.
Tout d’abord, nous avons mobilisé une base de données différente, en l’occurrence la base ADELI du ministère
de la santé. Elle comporte certaines limites (notamment en termes d’actualisation des données) ce qui était
également le cas de la base AMELI de l’assurance maladie. Par exemple, nous avions observé qu’un nombre
conséquent de médecins généralistes avaient cessé leur activité mais restaient encore dans la base. Nous avons
fait les mêmes constats dans cette étude, à propos de la base ADELI, particulièrement pour les médecins
généralistes et les masseurs kinésithérapeutes. Le nombre de professionnels injoignables malgré des essais
d’appels répétés, sans que nous ayons pu connaitre la raison s’est avéré important, à mettre en lien probablement
avec la période de congés d’été. En effet, certains d’entre eux ne se font pas remplacer et ne laissent pas non plus
de message d’information sur un répondeur.
Notre choix d’utiliser cette base ADELI était motivé essentiellement par le fait que les données relatives aux
praticiens comportaient des codes de communes qui permettaient directement la transposition vers les typologies
de l’INSEE, la typologie par Taille des Unités Urbaines (TUU) et le zonage en aire urbaine (ZAU), afin de
réaliser une analyse territoriale.
En second lieu, nous avons procédé à un double appel systématique ce que nous n’avions pas fait auparavant
pour des raisons d’économie de moyens. Dans cette nouvelle étude, nous souhaitions comparer les délais
proposés aux bénéficiaires de la CMU-C à ceux des autres patients mais nous voulions également profiter de
cette opportunité d’appels pour recueillir des données sur les délais de rendez-vous en milieu rural, pour tous les
usagers. Nous faisions l’hypothèse de délais variables selon la densité de l’offre de soins, certains « déserts
médicaux » de ces deux départements pouvant participer aux difficultés d’accès aux soins en milieu rural.
Par rapport aux précédents testings, de nouvelles catégories de praticiens ont été introduites, d’une part de
nouvelles spécialités médicales, cardiologues et gastro-entérologues et d’autre part, les masseurskinésithérapeutes car lors de recherches auprès de bénéficiaires de la CMU-C, des refus de cette catégorie de
professionnels nous avaient été rapportés. De plus, ces derniers font partie de la catégorie des professionnels de
proximité. Nous avons fait l’hypothèse de l’absence de refus parmi les infirmières libérales ; nous avions donc
choisi de ne pas tester cette autre catégorie de professionnels de proximité. L’analyse qualitative auprès des
Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 usagers dans la Nièvre confirme à posteriori notre hypothèse. Par ailleurs, ces derniers ne relatent pas de
difficultés importantes pour accéder aux services des infirmières qui paraissent relativement disponibles de leur
point de vue quand ils en ont besoin, qu’il s’agisse de soins, de prélèvements sanguins à domicile pour ceux qui
ne peuvent se déplacer.
Nous n’avons pas rencontré de problèmes spécifiques lors de la mise en œuvre du testing. Les scénarios choisis
étaient crédibles. Simplement, de manière assez récurrente, les professionnels ou leurs secrétariats ont semblé
étonnés qu’un bénéficiaire de la CMU-C vérifie l’acceptation du rendez-vous, considérant que ça allait de soi :
les réponses étaient assorties de commentaires du type, « évidemment », « bien-sûr », « c’est la loi », propos que
nous avions entendu bien plus rarement sur les terrains franciliens. L’acteur, bénéficiaire fictif de la CMU-C,
justifiait sa question par le fait qu’ayant habité dans une grande ville, c’est une situation qu’il avait déjà
rencontrée.
Les échanges téléphoniques n’ont pas fait l’objet d’analyse spécifique, en partant du principe que nous n’aurions
pas de nouveaux éléments qualitatifs par rapport aux deux tests précédents. A posteriori, ce choix s’est avéré
justifié par le faible nombre de refus. L’analyse plus systématisée des échanges n’aurait pas produit de résultats
nouveaux. Nous avons seulement noté l’argument délivré lors d’un refus, s’il y avait lieu. Nous avons constaté
les éléments suivants :
-
-
-
Comme les fois précédentes, certains professionnels demandent aux bénéficiaires de la CMU-C de
ne pas oublier leur carte vitale ou leur attestation, cette pratique visant à sécuriser leur
remboursement.
Des questions étaient parfois posées par les répondants (le plus souvent les secrétaires) sur le motif
de la demande de rendez-vous. C’était le plus souvent le cas pour les médecins généralistes. D’une
manière générale, on demande plus souvent aux bénéficiaires de la CMU-C quels sont les motifs de
consultation. Il semble qu’il y ait dans certains cas, un certain contrôle de la légitimité de la
demande. Dans d’autres cas, il y aurait au contraire une certaine sollicitude ou une compassion.
Les questions sur les problèmes médicaux à l’origine d’une demande de consultation visaient le
plus souvent à évaluer le caractère d’urgence de la demande de consultation. Elles étaient
systématiques lors de la prise de rendez-vous chez un cardiologue, quelque soit le scénario (patient
CMU ou non CMU). Nous avons choisi de ne pas présenter des symptômes qui pourraient évoquer
un contexte d’urgence. Nous l’aurions fait les délais de rendez-vous auraient alors probablement été
modifiés (rendez-vous dans les jours qui suivent).
Ajoutons que les résultats produits concernent un testing reposant sur le scénario d’un nouveau patient, qu’il ait
ou non la CMU. Les délais de rendez-vous sont à interpréter dans ce contexte. On peut supposer qu’un patient
connu a plus de marges de négociation sur une date de rendez-vous.
Enfin, on constate comme dans le testing parisien, un effet appelant qui ne remet pas en cause la validité du
testing, les déterminants du refus de soins mais fait varier sensiblement les taux de refus ou les délais de rendezvous.
4.6.2.
Sur les résultats
Les refus de soins dans les départements de l’Orne et de la Nièvre
Rappelons que les résultats du testing en l’état répondent à la question : peut-on observer une discrimination (en
termes de refus de délivrance de rendez-vous, ou de délais des rendez-vous octroyés) à l’égard des bénéficiaires
de la CMU-C dans un département rural qui propose une offre de soins mixte, rurale et urbaine ?
Les taux de refus de consultation apparaissent relativement similaires dans les deux départements (tous scénarios
confondus). L’analyse plus fine en fonction du scénario montre toutefois une réalité quelque peu différente dans
ces deux départements.
L’enseignement frappant est que les taux de refus concernant l’ensemble des patients (quelque quoi le scénario
employé) ne sont pas marginaux ; le taux global est de 11,6 % dans l’Orne et 11,2 % dans la Nièvre. La
différence entre départements n’apparait pas significative dans le modèle, toutes choses égales par ailleurs. Le
taux de refus pour un nouveau patient (scénario standard) est de 22 % pour les dentistes de l’Orne – on n’est pas
très loin d’un quart de refus – et de 15,9 % pour les dentistes de la Nièvre ; près de 10 % pour les médecins
‐63 ‐
généralistes des deux départements. Les taux sont plus contrastés pour les médecins spécialistes : 2,3 % dans la
Nièvre et 13,8 % dans l’Orne.
Dans les deux départements, aucun refus spécifique n’a été notifié aux bénéficiaires de la CMU-C par des
médecins spécialistes et des kinésithérapeutes. Pour les deux autres catégories de professionnels, dans l’Orne, les
taux de refus imputables au fait que le patient bénéficie de la CMU-C ne sont pas significatifs sur le plan
statistique (4,9 % pour les dentistes ; 0,9 % pour les médecins généralistes). Par contre, dans la Nièvre, ces deux
catégories de professionnels refusent significativement plus que pour les autres patients, avec des taux de refus
imputables à la CMU-C de 9,1 % pour les médecins généralistes et de 13,6 % pour les dentistes.
La différence non significative entre les deux départements dans le modèle pourrait s’expliquer par les effets
compensés d’un département à l’autre entre la Nièvre où les refus à l’égard de la CMU-C sont plus notables et
des refus pour réguler la file d’attente dans un contexte de surcharge dans l’Orne. Les deux phénomènes ne sont
pas de même nature mais se compensent dans le modèle.
Dans la Nièvre, les patients bénéficiaires de la CMU-C semblent souffrir « d’une double peine » : ils se voient
opposés des refus comme les autres patients car les dentistes et les médecins généralistes refusent les nouveaux
patients et parce qu’ils ont la CMU-C : les taux de refus sont alors respectivement de près de 30 % et 18,2 %.
L’absence de refus imputable à la CMU-C chez les médecins spécialistes contraste avec les résultats des
précédentes études.
A Paris, les refus liés à la CMU étaient de l’ordre de 9 % chez les ophtalmologues de secteur 1, 17,4 % chez les
gynécologues alors qu’en secteur 2, ces taux atteignaient respectivement 31,3 % et 40,2 % pour ces deux types
de spécialistes. Dans le Val-de-Marne, la différence entre médecins généralistes et spécialistes (ophtalmologues,
gynécologues, pédiatres et psychiatres) était significative mais il s’agissait de praticiens d’accès direct. Dans
l’étude parisienne, nous avons introduit les médecins radiologues qui avaient moins de probabilité de refuser que
leurs collègues généralistes. Ces effets opposés expliquaient probablement l’absence de différence entre
généralistes et spécialistes parisiens d’accès direct. Ici, nous avons également introduit des spécialités d’accès
non direct, les cardiologues et les gastro-entérologues. Les refus chez les spécialistes franciliens étaient en partie
expliqués par la proportion importante parmi eux de praticiens en secteur 2.
En effet, les phénomènes de refus étaient dans ces deux études marqués chez les médecins de secteur 2 et les
dentistes. La répartition de l’offre de médecins en fonction du secteur de conventionnement (secteurs 1 ou 2) est
bien différente de ce qui est observé dans les grandes villes, notamment Paris. Dans les deux départements
ruraux étudiés, la proportion de médecins en secteur 2 est faible : 8 % dans l’Orne et 25 % dans la Nièvre (toutes
spécialités confondues), Les médecins spécialistes de secteur 2 sur les spécialités sélectionnées et dans les deux
départements considérés ne sont que 8 (18 %) dans la Nièvre et 2 dans l’Orne (6 %), mais en tout état de cause,
aucun spécialiste n’a opposé de refus ciblant les patients bénéficiant de la CMU-C. Les médecins généralistes de
secteur 2 sont encore moins nombreux (une dizaine pour les deux départements sur près de 400 médecins
généralistes) : 3 dans l’Orne et 6 dans la Nièvre (source Ameli). Cette variable n’a donc pas été intégrée dans le
modèle d’analyse sur le refus de consultation.
Par contre, les médecins interrogés témoignent de refus rencontrés par leurs patients dans le cadre d’orientations
secondaires vers des grandes villes comme Le Mans ou Auxerre (Yonne) donc hors du département. Si les
bénéficiaires de la CMU-C ne rencontrent pas de refus au sein de leur département, la raréfaction de l’offre au
sein du département les oblige à en sortir et ils sont donc amenés à se voir opposer des refus. Les autres patients
devant également se déporter vers les grandes villes extérieures, doivent de leur côté payer des dépassements
d’honoraires alors qu’ils doivent déjà prendre en charge les frais de déplacement.
L’analyse, par la modélisation statistique (ensemble des refus), est relativement limitée compte-tenu des faibles
taux de refus dans les départements étudiés. Elle confirme néanmoins les plus grandes chances de se voir
opposer un refus quand on est bénéficiaire de la CMU-C.
Elle montre que les dentistes refusent significativement plus que les médecins généralistes. Les taux de refus
restent néanmoins bien inférieurs aux deux études précédentes, notamment à Paris où les taux s’élevaient à
31,6 %. A l’inverse, les masseurs-kinésithérapeutes refusent moins que les médecins généralistes.
L’âge qui ne figurait pas dans la base AMELI a pu être testé et montre une moindre probabilité de refus pour les
professionnels les plus âgés (tous patients). Le sexe et le mode d’exercice (cabinet de groupe ou seul) n’influent
pas sur la propension des professionnels à refuser un rendez-vous.
Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 Les refus de soins en milieu rural
La modélisation permet de mettre en évidence que les refus sont moins probables quand les praticiens sont
installés dans des zones rurales. Plusieurs hypothèses explicatives non exclusives les unes des autres peuvent être
mobilisées. Tout d’abord, les praticiens installés en zone rurale sont conscients de la raréfaction de l’offre et ne
veulent pas que leurs patients soient amenés à renoncer à se soigner, sachant qu’il n’y a pas d’offre alternative.
Cela concerne tant les patients démunis que les autres. Concernant les premiers, les quelques remarques lors des
interactions téléphoniques, renvoyant les patients vers des structures mutualistes par exemple, concernaient des
professionnels installés dans des communes appartenant à un pôle urbain (Nevers, Argentan). D’autre part,
l’interconnaissance plus forte en milieu rural pourrait nuire à la réputation d’un professionnel qui ferait de la
discrimination. On peut penser aussi qu’en milieu rural, il y a moins de craintes de voire la salle d’attente
« envahie » par les bénéficiaires de la CMU-C, ceux-ci n’étant pas nécessairement regroupés dans une même
zone géographique contrairement aux villes où peuvent être observés des effets de quartier. Enfin, la
connaissance des médecins de campagne de leur environnement pourrait les rendre plus à l’écoute de la
paupérisation de travailleurs agricoles voire de certains exploitants. La proximité géographique et sociale
favorise également une plus grande connaissance des trajectoires de vie et une plus grande empathie
Une majorité des médecins spécialistes exerce dans l’une des deux plus grandes communes urbaines (Alençon et
Flers, communes de 20 000 à 50 000 habitants) alors que dans la Nièvre, on ne trouve pas de commune de cette
taille et plus de la moitié des spécialistes sont regroupés sur Nevers. Il faut noter que Nevers se trouve proche de
la frontière du département et répond à des demandes des usagers du département voisin.
Les délais de rendez-vous
Les délais calculés incluent fréquemment les périodes de vacances d’été, notamment pour les spécialistes
(fréquemment d’une durée d’un mois), le rendez-vous ayant pu être donné à leur retour de congé. Les délais
calculés auraient donc été sans doute plus bas à une autre période de l’année.
Ceux-ci varient légèrement selon le scénario. Les données descriptives montrent qu’ils sont en général plus
courts pour les usagers non CMU (tous les professionnels dans l’Orne, les kinésithérapeutes et les dentistes dans
la Nièvre). Pour les médecins (généralistes et spécialistes) de la Nièvre, les délais sont plus courts dans le cadre
du scénario CMU. Ce résultat pourrait s’expliquer par des effets de méthode (ordre d’appel entre les deux
scénarios).
Le modèle montre des différences de délais statistiquement significatives pour les dentistes et les médecins
généralistes dans une moindre mesure. Elles laisseraient entendre que certains d’entre eux pratiquent des refus de
soins masqués ou traitent différemment les patients bénéficiaires de la CMU-C en leur donnant des rendez-vous
plus tardifs.
La différence observée entre les deux départements est significative pour les dentistes, les médecins généralistes
et les kinésithérapeutes. Les délais de rendez-vous restent globalement plus élevés dans l’Orne pour les dentistes
et les kinésithérapeutes, et dans la Nièvre pour les médecins généralistes.
Les refus à l’encontre de l’ensemble des usagers, – de prendre des nouveaux patients - , relèvent en partie d’une
stratégie des praticiens afin de garder la maîtrise de leur carnet de rendez-vous, et notamment d’une forme de
régulation des délais de rendez-vous. Les refus de prendre des nouveaux patients très marqués chez les médecins
spécialistes dans l’Orne mais les différences de délais de rendez-vous ne sont pas significatives. Les dentistes
opposent plus de refus dans ce même département et les délais de rendez-vous y sont plus longs que dans la
Nièvre.
Les délais de rendez-vous sont plus importants chez les médecins femmes, généralistes ou spécialistes. On peut
penser que les femmes acceptent moins facilement d’augmenter leur temps de travail. Ce même phénomène est
significatif chez les médecins spécialistes les plus jeunes. Des effets de génération ont été signalés dans de
nombreux travaux qui vont dans le sens d’un souci des plus jeunes de garder du temps personnel, pour la vie de
famille, des activités de loisirs… On n’explique pas pour autant que ce phénomène ne soit visible que pour les
spécialistes…
Le mode d’exercice en cabinet de groupe (versus seul) augmente les délais de rendez-vous pour les médecins
spécialistes et les dentistes. Une hypothèse serait que le mode d’exercice en cabinet de groupe serait plus
‐65 ‐
fréquent en ville où les délais sont plus longs. De même, ce délai augmente quand le praticien est une femme
(sauf pour les kinés).
Le fait d’avoir une activité mixte réduit les délais de rendez-vous pour les médecins spécialistes et les kinés (non
testés chez les dentistes en nombre insuffisant). Une hypothèse est qu’ils pourraient mieux gérer leur patientèle
en jouant sur leur double activité, privée libérale et salariée. Ainsi il est fréquent que les médecins spécialistes
aient une activité hospitalière et ils pourraient gérer le « trop plein » de patients en en transférant une partie sur
l’hôpital. Une autre hypothèse, à l’opposé, serait fondée sur une approche différenciée de leur métier : ceux qui
ont une activité mixte aurait un certain sens de la mission de service public. Quelques entretiens qualitatifs
réalisés en région parisienne ainsi que l’analyse des interactions téléphoniques allaient plutôt dans le sens de la
première hypothèse. Seuls des entretiens prolongés avec des praticiens des départements concernés pourraient
permettre de les confirmer. A l’inverse, les médecins généralistes ayant une activité mixte ont des délais de
rendez-vous plus réduits ce qui marquerait un moindre investissement dans leur activité libérale et une patientèle
plus réduite ce qui va dans le sens de ce que nous ont dit quelques médecins interrogés au téléphone.
Les délais des médecins généralistes ruraux plus faibles
Les délais sont significativement plus courts chez les médecins généralistes exerçant en zone rurale. Ceci
pourrait s’expliquer par un mode d’organisation sous la forme de consultation sans rendez-vous.
Les entretiens téléphoniques auprès de responsables (URML) semblent plutôt l’expliquer par un effet de
génération : ce sont des praticiens plus âgés qui sont installés dans les communes isolées et qui acceptent de plus
s’investir en termes de temps ce à a quoi se refusent les plus jeunes. D’ailleurs, il est actuellement difficile de les
attirer dans ces zones. Cependant, les tests réalisés ne valident pas ces informations. Le tableau ci-dessous
présente la moyenne d’âge des professionnels selon la taille de la commune où ils exercent.
Nièvre Orne Age moyen selon la commune Test d'exercice (Satterthwaite) Petite Autre F‐
commune Différence
Signif. commune
valeur rurale 52.1 52.8 0.7 1.150 NS 54.2 58.4 4.2 ‐3.740 ** 51.1 49.9 ‐1.3 0.690 NS 42.3 47.7 5.4 ‐3.260 *** 49.6 51.2 1.6 ‐2.340 ** MG M. spé libéraux + Dentistes Kinésithérapeutes Ensemble Cependant, l’analyse sur des moyennes a ses limites et on peut imaginer que si une partie d’entre eux est
effectivement plus âgée que dans des villes plus grandes, les nouveaux médecins généralistes qui s’installent
sont probablement jeunes ce qui amène à réduire les moyennes.
Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 5. Résultatsdel’analysequalitative:entretiensauprèsd’habitants
delaNièvre
Des entretiens ont été menés auprès d’une vingtaine d’habitants de la Nièvre, sur plusieurs secteurs : le Morvan,
le Haut Nivernais, (région de Clamecy et St Amand en Puisaye), le centre du département (Corbigny). La région
environnant Nevers n’a pas été explorée, dans la mesure où elle était moins intéressante pour analyser les
problématiques rurales.
Toutes les personnes rencontrées résidaient dans l’espace rural : deux à Clamecy (4800 habitants), commune des
pôles d’emploi de l’espace rural ; pour tous les autres, il s’agissait de rural isolé.
Les parcours de soins sont polymorphes et structurés en fonction de multiples dimensions, déjà analysées dans
une précédente recherche (Desprès, 2011) auxquelles se superposent des caractéristiques propres aux
départements ruraux. Elles orientent, restreignent, limitent l’accès aux soins, parfois le facilitent. Rappelons que
les entretiens portaient exclusivement sur les parcours de soins de personnes résidant dans la Nièvre.
D’une part, l’accès aux soins dépend de la manière dont l’offre de soins est organisée et structurée sur un
territoire. Des difficultés apparaissent notamment quand elle se réduit parce que les praticiens qui cessent leur
activité ne sont pas remplacés, du fait de la fermeture progressive de services de proximité, hôpitaux et/ou
services mais aussi du fait de l’évolution des pratiques. Ainsi, les médecins récemment installés sont moins
enclins à réaliser des visites à domicile ou à élargir leurs journées de travail ce qu’observent les patients. Ces
questions concernent l’ensemble de la population mais elles touchent plus les populations vulnérables : les plus
pauvres, les personnes âgées, handicapées... La raréfaction de l’offre publique et privée produit des effets
multiples, notamment des distances plus importantes à parcourir et donc une dépendance à la voiture, inscrite
plus globalement dans une « motorisation des modes de vie » (Dirn, 1995). En effet, les territoires ont tendance à
s’organiser autour d’une logique d’utilisation d’un véhicule qui a tendance à exclure ceux qui n’en possèdent pas
et/ou ne conduisent pas. D’ailleurs, les temps de trajet sont souvent mesurés en fonction d’un déplacement en
voiture (
Tableau 8). Or, les alternatives à la conduite d’un véhicule se raréfient également (transports publics) et
réduisent d’autant la mobilité des personnes notamment les plus vulnérables socialement et médicalement.
L’allongement des délais de rendez-vous constitue également un autre effet de l’organisation de l’offre ; la faible
densité de praticiens sur un territoire donné affecte leur disponibilité.
Aux problématiques d’accessibilité et de disponibilité des services et des professionnels de soins, il faut ajouter
des composantes socioculturelles propres à l’espace rural et ses habitants :
‐
‐
‐
‐
L’existence de personnes ayant une activité agricole (exploitants et ouvriers agricoles) et les
contraintes qui y sont associées : activités saisonnières, manque de disponibilité, faibles ressources pour
une majorité d’entre eux.
Leur inscription sur un territoire et leur rapport à l’espace et au temps donnent lieu à des pratiques
spécifiques (notamment en termes de mobilité).
L’isolement de certains villages donne lieu à des modalités de sociabilité spécifiques pouvant favoriser
ou non une certaine solidarité.
Une culture du corps donnant lieu à des conduites relatives à la santé, à la maladie et aux soins
particulières.
Les difficultés d’accessibilité aux services de soins sont renforcées par la précarité, comme nous le verrons,
notamment du fait d’une moindre mobilité de cette catégorie d’usagers pour des raisons économiques mais aussi
socioculturelles. Certaines ressources juridiques ou institutionnelles comme la CMU-C peuvent néanmoins
compenser en partie ces handicaps.
Des dimensions à la fois financières, d’accès aux droits, de ressources sociales et culturelles viennent également
expliquer les difficultés à se soigner des personnes les plus démunies au-delà de la distance à parcourir.
Cette recherche qualitative garde une dimension exploratoire car la complexité des dynamiques socioterritoriales, les multiples dimensions qui organisent les parcours de soins qui viennent s’imbriquer aux
problématiques spécifiquement rurales, demandent un plus grand nombre d’entretiens, permettant de mieux
‐67 ‐
saisir notamment comment les logiques interagissent entre elles. A la complexité socioculturelle des territoires
choisis, viennent s’ajouter des dynamiques professionnelles et institutionnelles qui structurent les parcours de
soins des habitants de ces départements.
5.1.
Lapauvretéàlacampagne
La majorité des études qualitatives explorant les liens entre pauvreté et santé, porte sur les univers urbains,
notamment parce que la misère s’y concentre. Néanmoins, elle existe bel et bien dans les campagnes, moins
visible statistiquement, parce que éparpillée, morcelée et moins visible sociologiquement parce qu’elle prend des
formes diverses.
Neuf personnes de notre corpus bénéficiaient de la CMU-C. Quatre personnes étaient probablement éligibles à
l’ACS ou à la CMU-C (au vu des ressources décrites). Enfin, cinq personnes étaient à la retraite.
La pauvreté dans un département rural comme la Nièvre prend divers visages.
Le plus commun est celui du paysan du Morvan qui a du mal à faire tourner sa petite exploitation agricole dont
les revenus suffisent à peine à le faire vivre.
Marie-Josée a 50 ans. Elle est mariée. Le couple n’a pas eu d’enfants. Elle était une enfant de la DDASS34 et a
été élevée dans le Morvan par une famille d’accueil. Son mari est né dans un village du Morvan où ils habitent et
qu’il n’a jamais quitté. Elle s’est mariée vers 19 ans ; le couple possède une petite exploitation agricole de 35
hectares avec une trentaine de bovins (Charolais). Elle aide son mari dans la mesure de ses capacités, limitées
par des problèmes de santé. Les ressources qu’ils tirent de cette exploitation sont faibles mais du fait d’une
pension d’invalidité qu’il reçoit pour une maladie professionnelle du poumon, ils sont un peu au-dessus du seuil
de la CMU-C.
Autre figure possible de la précarité dans le département, on trouve les artisans comme par exemple, les
céramistes, nombreux dans les environs de St Amand en Puisaye (sous-sol argileux propice à cette activité).
Evelyne a 54 ans35. Elle n’a pas poursuivi ses études du fait d’un grave accident de voiture dont elle garde des
séquelles encore aujourd’hui. Elle a fait une école de céramiste et vit de la vente de poteries et dans une moindre
mesure de ses peintures. Elle touche l’ASS (allocation de solidarité spécifique) qui vient compléter ses revenus
irréguliers sur l’année.
Enfin, les néoruraux36 ne sont pas seulement les membres des classes moyennes et aisées qui choisissent un
environnement de vie plus agréable, plus sain mais aussi les plus pauvres, attirés par des loyers plus faibles. Le
taux de migration des chômeurs vers les espaces ruraux est deux fois plus élevé que pour les actifs (Sencébé,
Lepicier, 2007). Sans doute aussi, les plus précaires sont influencés par les représentations dominantes de la vie à
la campagne, « une fiction à travers laquelle les néoruraux pauvres parviennent à sublimer la relégation sociospatiale dont ils sont l’objet. » (Monde diplomatique, août 2010)
34
L’accueil d’enfants « de l’assistance publique », la DDASS » aujourd’hui, fait partie de la culture morvandelle (Cadoret, 1990). Elle
apportait une source de revenus supplémentaires à des familles aux faibles moyens. L’enfant pouvait aussi constituer une force de travail..
35
Elle aussi est née en région parisienne mais a été élevée par une famille d’accueil dans la Nièvre.
36
Notion qui fait référence à une population qui a vécu en milieu urbain et a fait le choix de vivre en permanence en milieu rural, pour des
motifs d’ordre individuel, socio-économique, esthétique ou environnemental
Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 François a eu un parcours professionnel changeant, caractérisé par plusieurs reconversions professionnelles, la
dernière dans le secteur social, et entrecoupées de périodes de chômage. Actuellement, il touche le RSA et
réalise quelques travaux au domicile de personnes âgées ou handicapées. Il a le statut de travailleur handicapé.
Au cours de sa vie, il a vécu dans différentes régions de France en fonction des emplois qu’il occupait. Il avait eu
l’opportunité à un moment où il gagnait correctement sa vie d’acheter une petite maison dans la Nièvre. Celle-ci
lui a permis une position de repli lors de périodes de chômage ce qui permet une économie de loyer associée à un
environnement plaisant bien qu’isolé. Cet isolement est relatif puisqu’il dispose d’une voiture et d’une vieille
moto. Il bénéficie de la CMU-C.
Madeleine a 58 ans. Elle est revenue s’installée dans la Nièvre où elle avait habitée quand elle était enfant quand
elle est devenue veuve. Elle a vécu une partie de sa vie en région parisienne et travaillait comme aide ménagère.
Elle s’est remariée depuis qu’elle est dans le département. Elle ne travaille plus et son mari, bucheron est au
RSA. Il alterne périodes sans emploi (en hiver, notamment) et services payés en chèques emploi-service. Lui n’a
jamais quitté la région. Le couple bénéficie également de la CMU-C.
Les nouveaux arrivants, retraités ou actifs, précaires ou issus de la classe moyenne ou aisée, vont recomposer la
vie des villages, les formes de sociabilité ce qui n’est pas sans conséquence sur les ressources locales et les
solidarités.
5.2.
L’environnementsanitaireetl’organisationdel’offredesoins
5.2.1.
Les parcours de soins décrits montrent des situations contrastées selon le lieu de résidence
Les difficultés dont rendent compte les personnes pour se soigner varient considérablement selon le lieu où elles
habitent et leur environnement sanitaire. Dans les récits des personnes, elles varient également en fonction de
leur état de santé : plus leurs besoins augmentent, plus ils sont amenés à explorer l’offre et à en découvrir les
insuffisances.
A titre d’exemple, deux personnes de la région de St Amand sont suivies par des médecins de la maison
médicale de St Amand qui propose également les services d’autres professionnels de santé, notamment
infirmière, sage-femme, psychothérapeute, kinésithérapeute (voir plus haut). Evelyne a perçu le changement
depuis que la maison de santé fonctionne et ne ressent pas de problèmes liés à l’éloignement de structures de
soins contrairement à ce qu’il en était, il y a une dizaine d’années. A l’époque, elle était amenée à se déplacer à
Nevers ou à Gien (dans le Loiret). « Moi je trouve que là, maintenant, y a tout à proximité, c’est complet, quoi.
Pratiquement complet. On ne peut pas... Il peut pas tout y avoir. Ça existe pas, c’est pas possible. Mais...
véritablement... »
Les délais de rendez-vous sont en général relativement courts pour le médecin généraliste selon les personnes
rencontrées. Cependant, pour l’une des maisons médicales, ce délai se monte fréquemment à deux semaines
selon deux informateurs. Cependant, ces médecins gèrent les urgences et se déplacent dans les créneaux de visite
si cela s’avère nécessaire.
Dans les environs de Brinon sur Beuvron dans le centre du département, deux personnes, toutes deux à la CMUC, habitant à une dizaine de kilomètres de distance décrivent des situations très différentes. Ces divergences
d’analyse s’expliquent parce que l’une est jeune, 32 ans, a plutôt une bonne santé et trouve autour d’elle les
services dont elle a besoin, alors que l’autre, Violaine, 60 ans, a des besoins de soins plus complexes qui
n’existent pas à proximité. D’une manière paradoxale, c’est la seconde, la plus mobile, qui décrit le plus de
difficultés : elle conduit facilement, dispose d’un véhicule alors que l’autre, n’a pas le permis et se déplace avec
une voiture sans permis, ce qui limite les distances qu’il est possible de parcourir. Ainsi, elle ne peut pas se
rendre à Nevers avec ce véhicule.
‐69 ‐
5.2.2.
Les déplacements à domicile comme facteur central de l’accès au médecin généraliste pour
les personnes non mobiles
Si l’exploration des territoires du Morvan et autour de St Amand où existent des maisons médicales, loin d’être
exhaustive, ne révèle pas de problème majeur dans l’accès aux médecins généralistes, la situation apparait plus
délicate au vu des propos des personnes rencontrées dans le centre du département. Ainsi, l’accès à un médecin
généraliste est malaisé pour les personnes ne disposant pas d’un véhicule car il peut arriver que les médecins
refusent de se déplacer. Dans un contexte d‘urgence, les situations peuvent être problématiques.
Par exemple, une femme âgée de 87 ans, Odette, vivant un hameau du centre de la Nièvre était suivie par un
médecin qui a cessé son activité. Odette est veuve et vit seule mais ses sept enfants sont tous installés dans les
environs. Le plus éloigné est à Dijon. Habituellement, Odette consultait un médecin à P. à une dizaine de kms de
là où elle se rendait avec une de ses voisines, plus âgée qu’elle, qui conduisait. Odette n’a jamais appris. Depuis
quelques mois, sa voisine ne conduit plus du fait d’une fracture du col du fémur, opérée. Récemment, Odette a
souffert d’une bronchite aigue. Ses proches ont appelé plusieurs médecins qui tous ont refusé de se déplacer.
Finalement, en désespoir de cause, ils ont appelé le 15 qui les a dirigés vers les urgences de Clamecy (40 mn) où
ils ont du se rendre en début de soirée. Elle commente : « ça fait loin pour une visite de médecin. »
En miroir à cet événement qui a choqué les gens du village, Lise (bénéficiaire de la CMU-C) est restée alitée
pendant 5 jours avec une forte grippe. Elle conduit mais son état ne lui permettait pas d’aller consulter un
médecin et sachant que ceux des environs (au vu de l’expérience vécue par sa voisine) ne font pas de visites à
domicile, elle est restée alitée jusqu’à ce que ça aille mieux... Elle est par ailleurs suivie par un médecin hors du
département, nous y reviendrons.
5.2.3.
Réduction du choix
L’analyse des parcours de soins permet également de repérer un autre effet de la restriction, de la raréfaction de
l’offre, soit la réduction du choix des personnes. Certaines personnes expriment une insatisfaction à l’égard de
leur médecin et ne sont pas en mesure d’en changer. Elles subissent une situation qui peut les amener parfois à
préférer gérer la situation par elle-même. Ces insatisfactions peuvent concerner tant la qualité technique des
soins que la qualité de la relation avec un praticien.
Ainsi, Blandine a 26 ans. Elle vit près de Clamecy chez son père qui est au chômage. Elle avait un CAP dans la
restauration mais a cessé cette activité pour des problèmes de dos à la suite d’une chute. Elle a le même médecin
traitant à Clamecy depuis qu’elle est petite. Elle ne rencontre pas de difficultés à se soigner à ses dires. Elle va
régulièrement chez le gynécologue même si elle explique qu’elle n’aime pas trop parce que « c’est désagréable »
; il en reste un à Clamecy. Elle préférerait une femme mais elle n’a pas le choix puisqu’il y en a qu’un. Elle
considère qu’il faut le faire, d’autant qu’elle prend la pilule. Elle arrive à vaincre ses réticences en se faisant
accompagner par son petit ami...
5.2.4.
L’instabilité professionnelle
Conséquence des contraintes propres à l’exercice en milieu rural, particulièrement dans les lieux où la
démographie médicale est réduite, ainsi que liée au vieillissement des médecins, l’instabilité des médecins
généralistes est constatée par les personnes et parfois plutôt mal ressentie. Les personnes âgées, nombreuses dans
le département sont en général fidèles à leur médecin traitant et n’aiment pas en changer :
« Moi, je ne suis pas trop une personne à changer de médecin comme... C’est vrai ! » (Odette, 87 ans)
J’espère qu’on ne va plus en rechanger ! Parce que ça, c’est pénible ! » (Yvonne, 92 ans)
L’évolution des pratiques professionnelles contraste avec l’expérience des personnes âgées qui ont connu le
modèle du médecin de famille, modèle stable, où le médecin connait ses patients, est inscrit socialement dans
son environnement, se déplace selon les besoins. Ce phénomène dans l’expérience de ces deux vieilles dames est
récent. « Jusqu’à maintenant, les médecins avaient jamais refusé ! (de venir à domicile). Y a que de ces annéesci qu’ils refusent. Autrement avant.... »(Odette)
Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 Ces changements engendrent un certain degré d’insécurité, va-t-il se déplacer ou non ?, et parfois des
modifications dans les routines installées, le nouveau médecin reçoit sur rendez-vous alors que le précédent ne le
faisait pas (sauf une journée pour les personnes qui travaillent).
5.2.5.
L’accès aux spécialistes ou aux structures de diagnostic
Les problèmes d’accessibilité se posent plus pour l’accès aux spécialistes et aux structures de diagnostic
(radiologie) qui demandent de parcourir des distances plus importantes. Les maisons de santé, comme celle de
Montsauche Les Settons répondent en partie à ce problème, notamment parce qu’elle dispose d’une radiologie
permettant quelques examens de routine.
Quand il s’agit de réaliser des examens plus spécialisés ou de consulter un spécialiste, les personnes doivent se
rendre dans les deux pôles principaux du département, essentiellement à Nevers ou Cosne, où sont concentrés les
médecins spécialistes, ou alors dans des villes hors du département.
Les lieux où les personnes sont envoyées dépendent en partie des préférences des médecins généralistes, comme
le précise Odette : « ça dépend de quels médecins, mais c’est principalement à Nevers ».
Différents types de soins spécialisés nécessitent de sortir du département. Les soins spécialisés qui font défaut
dans le département varient selon les zones du département, ce qui ressortait des entretiens avec les médecins
généralistes qui étaient chacun dans des lieux différents et faisaient des constats de difficultés d’orientation de
leurs patients assez différents.
La prise en charge des cancers constitue un exemple de soins demandant de sortir du département. La
périnatalité est dans une situation intermédiaire en fonction du lieu de résidence de femmes enceintes au sein du
département.
L’exemple du cancer
Différents types de problèmes ont été identifiés dans les entretiens, dans le cadre de la prise en charge des
cancers.
‐
‐
En termes de diagnostic : retards au diagnostic du fait des délais de rendez-vous pour des examens
radiologiques, ce à quoi les médecins généralistes peuvent pallier en prenant leur téléphone pour
négocier un meilleur délai quand ils jugent qu’il ne faut pas laisser trainer37.
La prise en charge peut se faire à Dijon ou à Auxerre, les transports sont pris en charge mais il faut
signaler les limites de ce fonctionnement :
o pour des personnes aux ressources modestes, les remboursements peuvent être relativement
longs,
o dans le cadre d’une chimiothérapie, réalisée habituellement en ambulatoire, les allers-retours
sont très fatigants,
o quand il s’agit d’aller rendre visite à un parent, notamment un enfant, il n’y a pas de prise en
charge
Une enfant de 15 ans souffrant d’une maladie de Hogdkin a été mise en chambre stérile pendant 2 mois à Dijon,
du fait du déficit immunitaire provoqué par la chimiothérapie. Sa mère allait la voir tous les après-midis et n’était
37
Ce que nous ont effectivement confirmé des médecins
‐71 ‐
pas remboursée de ses frais. Elle habite près de Clamecy. Cette situation était d’autant plus problématique pour
la famille que la mère avait du également réduire son temps de travail pour être disponible pour son enfant
pendant la durée du traitement de son cancer. Cette situation ne concerne pas une famille que l’on peut
considérer comme relevant de la catégorie des précaires sur le plan socio-économique mais même pour des
revenus moyens, le passage à temps partiel et les frais supplémentaires occasionnés par la maladie rendent la
situation tendue sur le plan budgétaire pour la famille.
Trois personnes dans notre corpus ont eu à suivre des soins dans le cadre d’un cancer. Dans les deux autres
situations, on retrouve la problématique de l’isolement lors des séjours hospitaliers, l’entourage ne pouvant pas
faire les allers retours tous les jours, et dans un cas, le conjoint ne conduisait pas.
Les trajets pour le malade étaient pris en charge et réalisés en véhicule sanitaire ou taxi.
La question des urgences
Il est clair que la distance géographique à parcourir jusqu’à une structure de prise en charge (ou le temps
d‘arrivée du SMUR) en urgence est décisive sur les suites de certaines pathologies, comme un infarctus du
myocarde.
Un homme, habitant Dornecy à 10 mn de Clamecy, ressentait des douleurs dans la poitrine depuis une semaine.
Ses douleurs persistant, il se décide à se rendre aux urgences de Clamecy (avec sa voiture personnelle).
L’infarctus va se déclarer alors qu’il est aux urgences ce qui va permettre une prise en charge immédiate, à la
suite de quoi, il sera transféré aux USI d’Auxerre. Si dans son cas, la chance a joué, on peut se demander quelles
auraient été les suites de cet épisode s’il avait été chez lui, le temps que le SMUR arrive.
D’autres exemples nous ont été donnés de prise en charge tardive ayant abouti à des décès. Le caractère
rétrospectif des narrations, le manque de connaissances médicales précises (diagnostic parfois flou) des
personnes ne permettent pas, bien entendu, d’évaluer objectivement les situations sur le plan médical. Ces
retards de prises en charge, aux conséquences parfois fatales ou entrainant des dommages irréversibles, sont
doublés d’une tendance à consulter quand les symptômes s’aggravent, « au dernier moment » d’un certain
nombre de personnes.
Le choix du lieu de soins dépend de la disponibilité des professionnels, de leur accessibilité qui se mesurent
notamment en temps de parcours plus qu’en distance kilométrique (en lien avec les axes routiers et leur qualité).
5.3.
Lesdimensionsdelaperceptiondel’éloignementdel’offre
5.3.1.
La dimension spatiale ne peut être déconnectée de la dimension temporelle
Le temps de parcours est un facteur qui renvoie à la disponibilité des personnes. Quand le lieu de soins est
éloigné, dans certains métiers, il est difficile de prendre une journée parfois même une demie journée : soit du
fait du manque à gagner financier, soit parce qu’on est contraint à une présence quotidienne (éleveurs par
exemple). Cet aspect avait d’ailleurs été évoqué par un médecin confronté à des refus d’hospitalisation de
personnes âgées « qui ne peuvent laisser leurs bêtes ».
Ce temps de parcours varie avec le type de transport : ainsi, se rendre à Nevers depuis le Morvan peut prendre
une heure, une heure et demie ; par les transports en commun, à condition de rallier une ville de desserte (se faire
déposer ou aller en voiture), il faut une journée entière car le car part tôt le matin et revient le soir, ce pour une
consultation à l’hôpital qui durera 15 minutes...
En dehors des contextes d’urgence, les délais d’attente importants auprès des médecins spécialistes demandent
d’anticiper largement les rendez-vous. On sait que c’est difficile pour des personnes vivant des situations de
précarité qui sont largement organisées autour de la gestion des problèmes immédiats. Si les spécialistes gardent
des créneaux pour les urgences, la notion d’urgence est sans doute différemment perçue du point de vue du
médecin versus celui du patient.
Madeleine, 58 ans, n’a pas changé de lunettes depuis plusieurs années, pour des raisons financières. Elle
bénéficie depuis un an de la CMU-C. Cependant, les derniers mois ont été largement dédiés aux soins relatifs à
Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 son cancer. Elle reprend peu à peu sa vie de tous les jours et commence à conduire à nouveau ce qui n’était pas
le cas tant qu’elle était sous chimiothérapie du fait de sa fatigue intense. Elle s’est rendue compte du fait qu’elle
voyait très mal et craint de conduire dans ses conditions. Attendre 6 mois pour se procurer de nouvelles lunettes
a pour conséquence de réduire sa mobilité et de lui faire courir des risques ; elle est gênée pour parcourir des
distances importantes mais continue néanmoins de se rendre dans le bourg voisin. La prescription de nouvelles
lunettes apparait essentielle dans la gestion de la vie quotidienne pour ce couple où seule la femme conduit. Cette
situation ne constitue pas une catégorie « urgente » du point de vue médical.
La perception de l’éloignement des services et notamment des services et des professionnels de soins varie
également en fonction de la manière dont les personnes s’approprient leur espace et également de leur mobilité.
Les appropriations différenciées de l’espace peuvent être concrétisées par le périmètre parcouru à partir du lieu
d’habitation et de la configuration que prend le pourtour de leurs itinéraires. On peut décrire chez certains des
itinéraires en étoile, pluridirectionnels : à partir d’un point central, les personnes explorent le territoire qui les
environne, ce, en fonction de leurs besoins et selon leur mobilité. Le périmètre s’élargit d’autant plus qu’elles
disposent d’un véhicule. Des besoins pointus, hyperspécialisés obligent à élargir le périmètre.
Marie-Josée a du subir une intervention neurochirurgicale pour hernie discale. Deux choix lui ont été soumis :
Clermont-Ferrand et Paris. Ses soins n’étaient pas disponibles dans des services plus proches.
Ailleurs, les soins se font dans une direction unique, vers un pôle important où seront concentrés les différents
types de soins (Nevers, par exemple). Le médecin généraliste joue un rôle dans la structuration de ces itinéraires,
en proposant à ses patients des correspondants mais aussi parce qu’il est fréquent qu’il décroche son téléphone
pour négocier un rendez-vous plus proche quand cela s’avère nécessaire.
Le médecin traitant de Marie-Josée soupçonnait une pancréatite et l’a envoyé faire une échographie en urgence à
Nevers. La maison des spécialistes à Avallon, beaucoup plus proche ne pouvait pas la prendre. Son médecin a
réussi alors à obtenir un rendez-vous d’échographie le jour même et comme elle est en ALD lui a fait un bon de
transport. Elle n’est pas sure néanmoins d’être remboursée (lien à faire avec son diabète).
La propension à se déplacer pour aller réaliser un examen ou consulter un professionnel dépend de l’importance
accordée au problème de santé (et sa gravité intrinsèque). Elle revêt une dimension subjective.
5.3.2.
La mobilité « physique »
La mobilité est la propriété de se déplacer dans un espace. Cet espace peut prendre différentes figures, espace
social, physique, voire virtuel (par le net). Dans le cadre de l’accès aux soins, il s’agit de la capacité des
personnes à se déplacer sur un territoire donné. Cette mobilité revêt une première dimension, physique,
proprement dite, soit la capacité par une personne de se déplacer. Une maladie, un accident peuvent provoquer
une incapacité permanente de marcher (maladie ostéo-articulaire) ou provisoire (fracture ou maladie ou
traitement à l’origine d’une fatigue intense). Ce cas concerne des populations vivant tant en ville qu’en milieu
rural.
Jeannette à qui on a découvert un cancer du colon doit subir des cures de chimiothérapie, à l’hôpital d’Auxerre
où elle est suivie. Elle habite un hameau situé dans le centre du département. Son mari ne conduit pas et elle
possède une vieille voiture qu’elle conduit. Cependant, depuis qu’elle est malade, elle n’est plus en état de
conduire, sauf les quelques kilomètres qui la séparent du plus gros bourg où elle peut faire des courses. Pour se
rendre à Auxerre, elle est transportée en ambulance, transport qui est remboursé dans le cadre de sa maladie. Par
ailleurs, elle bénéficie de la CMU-C. Pendant son hospitalisation, des voisins ont amené son mari afin qu’il lui
rende visite. Ils l’ont également emmené faire des courses.
En fonction de l’âge, de l’état de santé, le périmètre de marche varie considérablement. En milieu rural, il est
relativement fréquent qu’il ne soit pas possible de se rendre à pied pour consulter un médecin ou tout autre
professionnel de santé.
‐73 ‐
5.3.3.
Les ressources disponibles
La mobilité dépend alors du fait de disposer de moyens de locomotion personnels, automobile, éventuellement
mobylette, scooter ou de la disponibilité de transports publics. La possession d’une voiture personnelle qui est la
solution qui offre la meilleure mobilité peut être limitée par des raisons de santé (problèmes de vision, contreindications dans certaines maladies, problèmes ostéo-articulaires) comme nous venons de le dire mais aussi par
le manque de moyens financiers. Dans le cas des bénéficiaires de la CMU-C, le problème se pose relativement
fréquemment du fait d’une insuffisance de revenus pour acheter une voiture, parfois aussi pour payer
l’assurance. Nous avons rencontré plusieurs jeunes qui n’avaient pas les moyens de financer le permis de
conduire ou l’assurance alors qu’ils auraient pu emprunter la voiture d’un parent ou disposaient d’une vieille
voiture (offerte, récupérée ou acquise dans un moment où leur situation était meilleure). Dans certains cas, ils
obtiennent des aides (Conseil Général, par exemple), l’absence de mobilité étant un facteur limitant dans la
recherche et dans l’obtention d’un emploi au-delà des questions de santé. Les frais d’essence viennent également
grever des budgets réduits et contraints.
Les alternatives à l’absence de véhicule sont restreintes. Elles s’appuient sur les solidarités familiales et de
voisinage. Il est assez fréquent que, pour les catégories de personnes en situation de précarité, les travailleurs
sociaux soient amenés à conduire des personnes. Les agents des missions locales nous ont décrit des situations
fréquentes de jeunes qu’il est nécessaire d’accompagner pour faire leurs démarches administratives ou de soins.
Des projets sont mis en œuvre dans le département pour gérer ces problèmes, covoiturages, par exemple.
5.3.4.
La mobilité culturellement construite
La mobilité est reliée au sentiment subjectif de l’éloignement et à la difficulté à se rendre en des lieux non
familiers, à sortir de chez soi, de son environnement. Des études montrent qu’avec l’âge, l’environnement
extérieur peut apparaitre comme hostile et un repli sur le domicile est fréquent au-delà des questions de
handicaps physiques (Caradec, 2007).
La mobilité apparait culturellement différenciée. Il est fréquent que certaines personnes n’aient jamais quitté le
département. : Odette vit dans la maison où elle est née. Le monde au-delà d’un périmètre donné apparait
étranger, voire hostile. De même, certains jeunes qui ne sont presque jamais sortis de leur village ont des réelles
difficultés à se déplacer sur le département pour effectuer des soins et des démarches administratives.
A l’inverse, ceux qui ont l’habitude de voyager, ou simplement viennent d’un autre département, qui ont
apprivoisés des univers différents ont une appréhension différente des distances.
Ces différences liées également à des modes de vie, des histoires familiales sont aussi socialement situées : les
plus pauvres ont moins de ressources pour bouger. Cependant, les parcours migratoires peuvent aussi
transformer le rapport à l’espace ; certains émigrés ne partagent pas alors ce rapport contraint à l’espace depuis
qu’ils ont quitté leur terre natale.
Certains travailleurs sociaux ont témoigné de blocages culturels : des jeunes qui ne sont pratiquement jamais
sortis de l’environnement le plus proche. Ces travailleurs sont amenés parfois à accompagner certains usagers
dans des démarches de soins parce qu’ils n’ont pas de permis, ni d’argent pour payer le transport mais au-delà
parce qu’ils opposent une certaine résistance à aller à distance de chez eux : pour conduire une jeune fille à une
consultation de suivi de grossesse, ou le mari de Madeleine à Nevers à Pole emploi, pendant l’hospitalisation de
sa femme. Ces difficultés sont mises sur le compte du sentiment d’insécurité à sortir du périmètre restreint qu’ils
connaissent autant que de la difficulté à rencontrer des personnes non connues, non familières.
Enfin, conduire requiert des ressources spécifiques dont certains parfois ne disposent pas : ressources cognitives
pour maitriser le véhicule (coordination de certains gestes, attention à l’environnement, etc.), pour s’approprier
l’espace, s’y repérer, comprendre la signalisation, lire une carte routière, anticiper des événements sur la route et
avoir les réflexes pour y faire face, etc. Certaines personnes ne disposent probablement pas de la confiance en
eux-mêmes nécessaire à la maîtrise d’un véhicule, plus que des capacités cognitives proprement dites ; des
différences de genre sont fréquentes, notamment, couplées à des effets de génération. Ainsi, plusieurs femmes
déclarent conduire sur des trajets restreints. Une expérience traumatisante a pu les amener à perdre confiance
(accident). Les conditions climatiques rendant la conduite en hiver particulièrement dangereuse (sur neige)
expliquent également cette inquiétude fréquente chez les femmes.
Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 Marie-Josée qui gère avec son mari une exploitation agricole conduit très peu aussi. Elle a peur depuis qu’elle a
eu un accident. Elevée dans la région dans laquelle elle est arrivée depuis l’âge de 2 ans (enfant de la DDASS),
elle s’y est mariée et se déplace très peu même dans la région. Les 21 kms à parcourir pour consulter au centre de
santé de Montsauche sont déjà problématiques pour elle ; elle a abandonné le médecin qui la suivait depuis
qu’elle était petite pour un autre plus proche, même si elle continue à le solliciter en cas de besoin quand les
autres sont indisponibles. Elle conduit mais n’effectue que des courts trajets, périmètre lui permettant d’aller
éventuellement jusqu’à la maison médicale. Au-delà, elle prend un car, par exemple pour se rendre à Nevers afin
de consulter des spécialistes. Des lignes de car ont été supprimées et donc elle doit s’absenter toute la journée
pour une consultation unique en début d’après-midi à l’hôpital. Elle se fait accompagner parfois par sa sœur mais
ne peut la solliciter régulièrement, cette dernière gérant déjà sa vieille mère handicapée.
Jacqueline vient d’emménager dans un village du Morvan depuis quelques mois. Elle habitait auparavant à
Autun, dans le département voisin mais son mari a trouvé un emploi municipal. Sa mère est elle-même installée
depuis quelques années dans ce bourg. Elle peut se rendre à pied chez le médecin généraliste qui exerce dans ce
village. Elle a changé de médecin traitant d’autant qu’elle a trois enfants dont un bébé de quelques mois et donc
des besoins fréquents. Elle conduit mais jamais en hiver, quand il neige. Quand il s’agit de consulter des
spécialistes, elle se rend à Autun où elle a gardé ses habitudes. La distance est importante, mais ce n’est pas une
terre inconnue pour elle. Elle peut laisser ses enfants en garde avec sa mère. Bien au contraire, aller à Autun
revêt une dimension affective, lui permet de se ressourcer ; cet espace lui est familier et elle y trouve des repères
qu’elle n’a pas encore dans son nouveau lieu de résidence. Elle met une bonne heure pour se rendre à Autun,
dans des conditions normales de circulation, ce qui par ailleurs est bien moins que pour rejoindre Nevers depuis
certains lieux du département. Pour l’ophtalmologue, elle se rend jusqu’à Beaune, près d’une heure et demie de
route. Elle refuse de voir celui d’Autun se référant à un mauvais diagnostic réalisé pour quelqu’un de sa famille,
remontant à de nombreuses années. Le délai de rendez-vous est de 6 mois, un an et elle prend rendez-vous d’une
année sur l’autre. Pour l’instant, elle ne connait pas les opportunités de son nouveau lieu de résidence qu’elle ne
s’est pas encore approprié. Elle est donc rassurée d’aller à Beaune ce qui relève aussi d’une attitude socialement
située, même si elle a des revenus modestes pour l’instant. En effet, pour certaines personnes les professionnels
de santé sont tous équivalents et interchangeables alors que pour d’autres personnes, il s’agit de trouver le bon
interlocuteur, celui qui va prodiguer des soins de qualité et ou avec qui on aura une qualité de relation
satisfaisante.
Elise parcourt la France, née en Côte-d’Or, elle a fait une partie de ses études à Paris, et dans d’autres villes de la
métropole. Elle s’est installée il y a un an dans un petit village du centre du département mais est encore amenée
à voyager dans le cadre de sa profession artistique. Elle conduit aisément. Ainsi, elle continue à se faire suivre
par son médecin de famille en Côte-d’Or : ce qui est particulièrement intéressant c’est qu’elle dit qu’il « est
d’ici ». Compte-tenu de sa mobilité, de sa géographie personnelle, sa manière singulière de s’approprier le
territoire, les 90 kms à parcourir lui apparaissent comme « proches ». Elle précise : « Non, il n’est pas ici. Mais
pour moi 90 kms, c’est la porte à côté ! » Si la distance revêt peu d’importance pour elle, - elle se décrit comme
mobile - , il faut également y voir, comme pour Jacqueline, la dimension affective attachée à ce lieu. Ses parents
y sont toujours. Elle reste attachée également à son médecin traitant, en qui elle a confiance, qui la connait
depuis longtemps, la soigne comme elle le souhaite en mobilisant l’homéopathie comme ressource alternative
dans certains cas. Elle est suivie régulièrement par un médecin ostéopathe à Paris, qu’elle voit tous les 3 mois et
essaye de faire coïncider un déplacement parisien avec d’autres rendez-vous, notamment dans le cadre
professionnel.
Ces deux exemples montrent que la perception de la distance est subjective et reliée à la connaissance du lieu où
l’on se rend.
5.4.
Lesaspectsfinanciersdel’accèsauxsoins
Les parcours de soins les plus problématiques concernent des personnes ne bénéficiant pas de la CMU-C,
comme l’ont fait remarquer plusieurs médecins interrogés. Il s’agit essentiellement de personnes au dessus du
‐75 ‐
seuil, comme Evelyne. Elle est restée longtemps sans complémentaire santé malgré de nombreux problèmes de
santé mais en a souscrit une depuis une dizaine d’années ; pour des raisons financières, elle a pris une mutuelle
proposant une couverture médiocre, « pas la plus basique mais juste au dessus ». Son parcours de soins est donc
ponctué de renoncements aux soins, de reports.
Evelyne comme nous l’avons dit est artisan, céramiste. Elle souffre de rhumatismes et d’arthrose peu
compatibles avec son métier qui l’oblige à plonger ses mains dans l’humidité. L’atelier est peu chauffé en hiver,
alors que les hivers sont rigoureux. Elle n’a pas le choix. Elle n’a pas d’autre formation et s’est découvert une
passion pour ce métier. « Il arrive que je sois obligée véritablement de m’arrêter parce que vraiment j’ai trop
mal. » L’accident qu’elle a subi à l’âge de 18 ans a provoqué une fragilisation de ses dents.
« J’en ai perdues au fil du temps. Parce qu’avec le... le traumatisme... (il y a eu) probablement comme disait
mon dentiste heu... des micro-fissures. Donc, régulièrement, je perdais, comme ça, un morceau de dent... Donc
il m’en manque... Il m’en manque, heu... Voilà. Et je vis avec ça. Donc j’ai très peu de surface de mastication.
Ça c’est pas très bon, »
Elle est suivie régulièrement par un dentiste mais elle n’a pas les moyens de faire remplacer ses dents
manquantes, d’autant qu’elle doit gérer aussi des problèmes de vue qu’elle privilégie. En effet, elle a besoin de
lunettes car elle réalise un travail de précision pour lequel la vue est essentielle mais qui a du également fatiguer
ses yeux, selon elle. Mais les lunettes... je suis très très peu remboursée. Les dents, j’avais fait un devis : rien
que pour le haut, j’en avais pour 1600 et quelques euros. Pas un truc compliqué, hein... juste un appareil à...
enclencher, vous voyez ? Je crois que... la sécu me remboursait pff... gaillardement (léger rire) 200 euros ! Et la
mutuelle devait rembourser dans les 400 euros. Donc voyez, sur 1600 euros... Voilà. Moi j’étais à peu près (j’en
avais à peu près) pour 1000 euros, quoi. Donc 1000 euros, je peux pas. »
Lors de l’entretien, il lui est suggéré qu’elle puisse être bénéficiaire de la CMU-C. Elle n’a pas envie de
demander la CMU qui pourrait lui permettre de réaliser un certain nombre de soins qu’elle n’a pas les moyens de
réaliser pour l’instant. Elle ne connait pas clairement la CMU, « c’est pour les gens en recherche d’emploi ou en
réinsertion ? ». Elle refuse ce qu’elle considère comme une aide. L’ASS lui assure un minimum, les mois où elle
n’a pas d’activité et elle considère qu’elle peut bien se débrouiller toute seule pour le reste. Finalement au fil de
l’entretien, on apprend qu’elle bénéficie de l’Aide complémentaire santé. Elle a rempli un dossier que lui avait
envoyé la sécurité sociale.
Evelyne paye régulièrement des dépassements d’honoraires (notamment le rhumatologue et l’ophtalmologue).
« Puis assez... ouais, importants ! Alors moi j’y connais rien, je sais pas pourquoi. Ça veut dire quoi «
dépassements d’honoraires »... On paye. On se pose pas de questions, quoi !»
Ne sachant pas ce qui les justifie et qui peut les appliquer, elle n’a pas les moyens de les éviter. De plus, en
général, ces dépassements sont découverts à l’issue d’une consultation. Enfin, il est dificile de les contourner en
l’absence d’alternatives.
« Par exemple, le rhumatologue, y en a pas 36 000... Vous voyez ? Heu... C’est pas évident quoi, de... changer...
Puis c’est vrai que moi j’ai un peu tendance - à tort ou à raison - à être fidèle quoi, quand... je vois quelqu’un...
À moins vraiment que la personne soit... Et encore, faudrait vraiment qu’elle soit désagréable, pour que je
veuille en changer ! J’ai tendance un petit peu à continuer. » (Evelyne)
Un autre exemple illustrant les dificultés à se soigner de cette catégorie socio-économique de personnes sera
fourni dans un paragraphe concernant les renoncements aux soins. (Marie-Josée)
Par contre, les obstacles financiers aux soins apparaissent beaucoup moins fréquents et récurents pour les
bénéficiaires de la CMU-C. Celle-ci joue bien un rôle protecteur à l’égard des renconcements aux soins pour
raisons financières.
5.4.1.
Pour les bénéficiaires de la CMU-C
Ceux-ci aparaissent donc relativement protégés. En effet, ils n’ont pas à faire l’avance de frais, les transports
sont théoriquement remboursés et ils sont épargnés par les refus de soins sur le département.
Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 En effet, les personnes interrogées ne rapportent pas de refus de soins à leur égard dans le département. Une
partie d’entre eux sont installés depuis longtemps et ont donc leur médecin traitant, même s’ils sont amenés à en
changer régulièrement du fait des départs à la retraite ou des fermetures.
Une seule expérience notable de refus déguisé nous a été rapportée : il s’agissait de soins chirurgicaux hors du
département, sachant que ce type de soins n’est pas disponible dans la Nièvre.
François relate une expérience en tant que bénéficiaire de la CMU-C où il n’a pu faire respecter ses droits que
par une épreuve de force. Il se coupe deux doigts lors d’un accident domestique avec sa tondeuse à gazon. Son
voisin appelle les pompiers qui, après avoir réalisé des soins de première urgence, l’emmènent à l’hôpital de
Cosne s/Loire. S’agissant de soins chirurgicaux délicats, après discussion avec un des pompiers, un rendez-vous
est pris immédiatement dans une grande ville des environs (hors département) dans une clinique privée
bénéficiant d’un service spécialisé en chirurgie de la main. Il est transféré depuis Cosne s/Loire et opéré en
urgence le soir même. La prise en charge administrative ne sera faite que le lendemain. A cette occasion,
François annonce qu’il bénéficie de la CMU-complémentaire. Au décours de celle-ci, le chirurgien vient prendre
de ses nouvelles et lui propose de rentrer chez lui immédiatement alors que son bras est encore sous anesthésie et
qu’il est sous morphine. François est sidéré sur le coup et ne réagit pas. Finalement, il fait appeler l’infirmière
chef et déclare qu’il refuse de sortir immédiatement. Il va être autorisé à rester 48 heures grâce à son attitude
déterminée. Il décrit ses premières vingt-quatre heures comme extrêmement douloureuses lors du réveil de
l’anesthésie et une prise en charge par des analgésiques forts sera nécessaire. Il considère qu’il n’aurait pas été en
mesure de gérer cette situation, sans environnement médical, et d’autant qu’il vit seul dans un hameau isolé.
Finalement, les douleurs régressent le lendemain et il sortira de l’hôpital. Il relie explicitement cette sortie
prématurée qu’il a refusée avec le fait qu’il bénéficie de la CMU-C.
Quelques personnes du corpus expriment le sentiment d’avoir été mal reçues, mal soignées du fait de la CMU-C
mais il est toujours difficile d’établir le lien entre le fait d’être bénéficiaire de la CMU-C et l’attitude d’un
praticien. Quelques patients comparent le temps qu’ils sont reçus par rapport aux autres patients (en observant
ces délais pendant qu’ils sont en salle d’attente).
Enfin, Violaine se considère en très mauvaise santé. Elle souffre de nombreux problèmes rhumatologiques
(polyarthrite rhumatoïde) et ostéoarticulaires qui l’ont conduite à consulter de nombreux spécialistes, à subir
plusieurs interventions chirurgicales. Elle relate des dépassements d’honoraires qu’elle a du payer.
5.4.2.
Les coûts financiers des déplacements
Angélique est une jeune femme de 24 ans, mère d’une petite fille d’un an. Elle est maintenant séparée du père de
son enfant. Elle explique qu’elle ne rencontre plus de difficultés à se soigner depuis qu’elle a la CMU-C. Elle l’a
demandée au cours de sa grossesse, informée par la sécurité sociale du fait qu’elle pouvait y prétendre. Elle ne
dispose pas de ressources. « C’est pour ça que j’avais demandé la CMU à l’arrivée de ma fille parce que je ne
pouvais plus payer les vaccins tous les mois, le pédiatre donc j’ai demandé la CMU et elle a été acceptée tout de
suite. »
Elle n’a rencontré aucune difficulté depuis qu’elle en bénéficie : « La CMU, elle permet de rembourser à peu
près tous les médicaments déjà, les médecins on les paye pas, c’est intéressant ! Tout ce qui est dépense
hospitalière, on paye pas non plus. Certains plafonds, faut pas abuser non plus, comme tout ! Forcément ! La
CMU, c’est génial ! Moi, je sais que j’ai jamais eu de problèmes avec la CMU. »
Elle explique qu’elle utilise essentiellement la CMU-C pour sa fille : « je prenais plus la CMU pour ma fille
parce que les dépenses, c’était quand même énorme. Les vaccins, ils coûtent énormément cher. Je me suis vue
payer un vaccin 46 euros. Juste un vaccin, en plus de la vaccination chez le médecin pour qu’il puisse faire les
vaccins, les rendez-vous chez le pédiatre. » Par contre, pour des soins la concernant personnellement, elle
consulte peu les médecins et a tendance à gérer les problèmes par elle-même.
Angélique habite à 15 minutes de Clamecy ; elle a fait suivre sa grossesse au centre périnatal de l’hôpital de
Clamecy. Ensuite, le relais a été pris par la maternité de Nevers : deux choix se présentaient à elle, Nevers était
un peu plus près puisqu’elle habite au sud de Clamecy. Il lui fallait deux heures aller-retour, en voiture pour s’y
rendre. Elle évalue l’aller–retour à 30 euros. Elle devait réaliser une visite par mois et à la fin de la grossesse,
deux. « C’est un coût, oui, oui ! Surtout quand on a une voiture qui consomme un petit peu. C’est un gros trou
dans le... » Par contre, elle était suivie par une sage-femme qui venait à domicile et a pu assurer la préparation à
l’accouchement et à la naissance. Cette dernière a assuré également les soins post-nataux.
‐77 ‐
Ce coût aurait dû être remboursé à double titre, parce qu’elle était en fin de grossesse et parce qu’elle bénéficiait
de la CMU-C.
Le discours d’Angélique est ponctué d’exclamations sur sa satisfaction à l’égard de la CMU-C et du fait qu’elle
n’a observé aucun dysfonctionnement. Cet exemple illustre la protection qu’apporte la CMU par rapport au coût
direct des soins. L’ensemble des personnes bénéficiant de la CMU-C rend compte indirectement d’une bonne
acceptation de la CMU par les médecins. Le faible taux de refus a été confirmé par le testing, mais aussi à travers
le vécu des personnes qui rapportent peu de remarques désobligeantes, d’attitudes humiliantes à l’inverse de ce
qui nous avait été rapporté dans l’étude réalisée dans le Nord de la France.
Elise, bénéficiaire de la CMU-C a fait une demande auprès d’une assistante sociale pour obtenir une aide
financière pour payer son assurance de voiture. En attendant une réponse, elle a négocié un délai avec son
assureur. Jeanne, bénéficiaire de la CMU-C, n’avait pas les moyens de financer le permis de conduire. Violaine a
du cesser de payer son assurance de voiture pendant quelques mois du fait de problèmes financiers graves, en
grande partie liés aux dépassements d’honoraires illégitimes puisqu’elle bénéficie de la CMU-C. Pendant cette
période, ne pouvant se déplacer elle s’est soignée par elle-même ne pouvant se rendre chez son médecin
généraliste à Nevers.
5.5.
L’accèsauxdroits
La question de l’accès aux droits se pose pour les populations précaires, comme nous avions montré dans l’étude
lilloise. En effet, les personnes vivant des situations de précarité ne sont pas toujours informées correctement de
leurs droits, ce qui est un facteur de moindre efficacité des politiques sociales visant à les protéger. Ces
difficultés d’accès aux droits sont entre autre reliées à un rapport difficile aux administrations, aux institutions
parfois à des expériences de violence symbolique subies dans ces espaces sociaux.
Ici, l’élément central apparait plutôt un moindre accès à l’information qui circule moins bien. Les réseaux
associatifs ou les services sociaux ont plus de mal à accomplir leurs missions, à repérer les personnes qui
ont des besoins car ces dernières sont dispersées. Des formes d’isolement social expliquent également ce
manque d’information sur leurs droits des plus vulnérables.
Blandine (26 ans, bénéficiaire de la CMU-C) interrogée sur a santé explique que pour ses dents, « ça va ! » Il lui
manque deux dents mais elle a refusé qu’il lui pose des couronnes à cause du prix. Elle en a discuté avec son
père qui lui a expliqué que c’était cher. Elle ne sait pas que la CMU–C prend en charge la pose de prothèse
dentaire.
Jeanne a 21 ans et habite Clamecy depuis deux ans. Auparavant, elle a habité 18 ans à Varzy. Elle est en contrat
d’insertion. Elle est la mère d’un petit garçon de deux ans et touche l’allocation parent isolé. A ce titre, elle
bénéficie de la CMU-C. Elle vit chez son frère. Elle a du changer de médecin traitant depuis qu’elle a déménagé
car elle ne conduit pas (faute de moyens). Elle explique qu’elle n’a pas de soucis de santé. Elle va chez le
médecin essentiellement pour son fils qui a des petits rhumes ou pour des vaccins. Pendant sa grossesse, elle
habitait encore Varzy et était suivie à Clamecy : son père l’emmenait pour ses consultations de suivi. C’est au
moment de l’accouchement à l’hôpital de Nevers qu’elle a appris qu’elle pouvait bénéficier de la
CMU-C.
Ces deux jeunes femmes sont suivies par les services sociaux et notamment la Mission locale de Clamecy.
Enfin, Angélique ne savait pas qu’il fallait renouveler la CMU-C ce qui a causé une rupture dans ses droits, le
temps de régulariser sa situation. Par ailleurs, elle a besoin d’un accompagnement pour remplir le dossier ce
qu’ont réalisé les travailleurs sociaux des Missions locales de Clamecy.
« La sécurité sociale m’a renvoyé vers une assistante sociale pour pouvoir remplir correctement le dossier parce
que je ne savais pas comment remplir le dossier. Des fois, c’est un peu compliqué. Y a des questions un peu
compliquées. C’est mieux d’avoir une aide. Et bon, une fois que j’ai compris qu’il fallait renouveler le dossier,
Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 je l’ai renouvelé. C’est vrai que pendant 6 mois, j’ai pas eu la CMU, je l’ai ressenti sur le plan financier ; c’est
vrai que ça fait un trou ! » (Angélique)
L’éloignement des structures administratives et institutionnelles constitue un facteur rendant plus difficile
la connaissance de leurs droits par les usagers. Pour prendre l’exemple de l’Aide complémentaire santé,
moins connue de ceux-ci que la CMU-C, nous avons pu noter que les personnes qui en ont bénéficié, ont été
informées par les caisses d’assurance maladie. Celles-ci, en ville, sont des structures de proximité où ils peuvent
aller chercher une information alors qu’en milieu rural, tout démarche est plus compliquée. Le recours à une
assistante sociale en cas de difficultés permet éventuellement d’accéder aux informations et aux droits.
Cet éloignement des structures d’accueil (caisses d’allocations familiales, caisses primaires d’assurance maladie)
contribue à une moindre connaissance des droits par les usagers. Par ailleurs, quand ceux-ci veulent les faire
valoir, ils sont obligés de se déplacer et peu de structures de proximité sont disponibles. La maison de la
Solidarité à Château Chinon regroupe plusieurs organismes, notamment UTAMS, Pole emploi, la CAF, la MSA
(Mutualité sociale agricole). Une personne à l’accueil délivre des informations concernant l’accès à l’assurance
maladie mais ne fait pas partie du personnel spécialisé de la CPAM et ne peut donc donner des renseignements
trop pointus.
« Pour la CMU, il faut aller à Nevers, la maison de la solidarité comporte une antenne sécurité sociale qui en
fait est une borne et la dame de l’accueil qui prend les courriers, la dame de l’accueil, elle travaille pas à la
sécurité sociale. Elle est pas au fait... c’est la même chose pour la CAF. Et cette antenne-là dont je dépends, elle
est plus loin pour moi que Nevers. » (Elise)
Les assistantes sociales et plus généralement les travailleurs sociaux qui maillent le territoire comblent comme
ils peuvent les manques. Au-delà de l’information et de l’aide pour se retrouver dans les différents dispositifs
disponibles, ils sont amenés régulièrement à véhiculer des personnes qui n’ont pas de voiture ou de permis de
conduire, sans quoi celles-ci ne pourraient faire valoir leurs droits. Les personnes interrogées témoignent de ces
services rendus, hors du champ strict de leurs missions.
Des personnes peuvent ne pas accéder à leurs droits, en raison également des difficultés à réaliser les démarches
et de la non coordination entre services. Par exemple, Elise (CMU-C) qui n’arrive pas à financer son assurance
auto qui lui garantit le non enfermement et incidemment l’accès aux soins, a fait plusieurs demandes à diverses
institutions, Conseil Général, Caisses d’allocations familiales, Pôle emploi, ce qui a nécessité des déplacements
couteux : Nevers, Château Chinon... Ces différentes institutions et services ne se trouvent pas tous au même
endroit. « Il y a tellement de dispositifs dans tous les sens que l’on ne sait plus à qui s’adresser et quel dossier
faire. » (Elise)
Il faut noter qu’une trop grande proximité est préjudiciable à la sollicitation de certains droits. Ce phénomène
avait été observé dans le cas d’une recherche dans le Nord de la France (Wittwer et al., 2010). Une famille
éligible à la CMU-C l’avait refusée car le chef de famille travaillait occasionnellement pour la mairie pour des
travaux paysagers et le stigmate produit par la CMU-C risquait selon lui de porter préjudice à ses relations
professionnelles dans un village de la grande couronne lilloise. On retrouve un exemple similaire chez MarieJosée (voir page 80).
Elle et son mari tiennent une petite exploitation agricole et vivent dans un village de moins de 300 habitants situé
dans le Morvan (dans un hameau du village en question). Elle a commencé à faire un dossier pour l’allocation
adulte handicapée mais n’a pas mené au bout sa démarche car un voisin a laissé entendre qu’ils étaient des « cas
sociaux ».
« Je l’ai pas envoyé ! Elle a promené ça partout... qu’on était des cas sociaux, que je touchais ceci, cela... Vous
vous faites regarder de travers ! Vous savez, c’est ça le problème des campagnes. (...) Dans le coin, ils aiment
pas les cas sociaux. Autrement, vous êtes montrés du doigt, vous êtes regardés différemment. Et puis les ragots...
C’est ça, le problème des campagnes ! ».
5.6.
Rapportàlasantéetàlamaladie
5.6.1.
La construction sociale des besoins
Les difficultés relatées pour se soigner dépendent des besoins des personnes et de leur état de santé. Cependant,
les besoins ressentis ne sont pas toujours reliés directement à l’état de santé mais dépendent du rapport au corps,
‐79 ‐
à la maladie et à la santé. Ces dimensions sont elles-mêmes forgées tout au long de l’existence en fonction des
expériences et des significations culturelles qui y sont rattachées.
Les usages notamment professionnels qui sont faits du corps viennent orienter les pratiques de soins. Pour les
artisans ou les exploitants agricoles, être malade, cesser de travailler provisoirement peut mettre en danger
l’entreprise ou l’exploitation, surtout quand elle est de faible taille et que l’on ne peut être remplacé. Cet univers
est très éloigné de celui des salariés. Certains exploitants ne prennent jamais de vacances, les éleveurs ne
pouvant pas laisser leurs animaux sans soins. Dans cette logique, la maladie, une hospitalisation ou la
prescription d’examens auxquels on ne pourra pas se dérober sont une hantise et contribuent à éloigner ces
personnes des cabinets médicaux.
Par exemple, les conditions de travail d’Evelyne détériorent ces problèmes rhumatismaux. La médecine ne
propose pas de réponses réellement efficaces. Alors, elle affronte ses douleurs et a appris à vivre avec. Quelques
expériences auprès des médecines parallèles, restreintes par son manque de moyens financiers n’ont pas été plus
concluantes. Depuis qu’elle a une vingtaine d’années, elle a développé des formes de résistance. Elle réalise
différentes activités qui lui font plaisir (la randonnée, la danse), même si elles sont contre-indiquées
médicalement et en assument les effets douloureux. Le mari de Marie-Josée a développé une maladie du poumon
en lien avec son travail. Il n’a pas d’autres possibilités que continuer son activité d’élevage qui l’oblige à brasser
du foin. Il utilise désormais des masques. Il évite au maximum de consulter les médecins qui pourraient lui
annoncer une dégradation l’obligeant à cesser la seule activité professionnelle qu’il puisse développer.
Elise de son côté est trapéziste et prend soin de son corps, sachant que tout incident ou accident risquerait de
compromettre la poursuite de cette passion, dont elle a fait un métier. Elle a conçu tout un « système » afin d’être
suivie au mieux. Si elle se déplace facilement et régulièrement sur Paris pour voir son ostéopathe par exemple,
cela s’inscrit dans un rapport soucieux de sa santé physique, de tout ce qui touche de près à l’usage qu’elle fait
de son corps dans son métier.
« Je pense que je suis plus soucieuse du fonctionnement physique de mon corps... que par exemple... j’ai
tendance à pas du tout m’inquiéter quand j’ai une petite grippe avec un peu de fièvre. Et pas forcément
consulter. Par contre, effectivement dès que j’ai mon poignet... Y a des choses qui me semblent plus gênantes
que d’autres. C’est étonnant, hein ? »
C’est aussi à travers l’usage professionnel de son corps que l’on explique qu’Evelyne arbitre entre différentes
dépenses de soins, la vue versus les dents, même si elle se plaint d’une surface de mastication réduite...
L’attention portée aux problèmes de santé varie donc en fonction du type de problèmes et de leur incidence dans
la vie quotidienne et professionnelle.
Elise n’a pas besoin de se rendre très souvent chez le médecin. Elle a choisi de continuer à se faire suivre par
son médecin de famille en Côte-d’Or. Pour Elise, il y a néanmoins des limites : une urgence possible comptetenu de son métier.
« Parce que y a ça aussi, au niveau du sportif mais en général, là c’est, quand vraiment y a une urgence, j’ai
jamais eu de gros accidents. Mais quand y a une urgence, ça se fait plutôt sur le lieu où je travaille, forcément et
ici, ça m’est pas encore arrivé. Il faudra que je le fasse, d’avoir quelqu’un en référence ici au cas où parce que
quand même... » . (Elise)
Par ailleurs, malgré sa grande mobilité, le système qu’elle a mis en place trouve des limites comme le montre
l’épisode de fièvre de cet hiver. Elle était trop malade pour se lever et conduire. Cette distance à parcourir qu’elle
juge toute relative influe sur certains suivis jugés moins importants. Dans la même logique, elle a consulté un
gynécologue parisien à plusieurs reprises mais n’y va pas dans le cadre d’un suivi régulier. « Ça c’était bien
passé et puis, elle est sur Paris et c’est vrai que j’y pense pas particulièrement en fait. (...) Je pense que si
j’avais eu plus de facilités, j’aurais peut-être fait plus facilement la démarche d’y aller... si j’entendais parler
d’un gynéco bien ici, j’irais sans problème. »
La distance joue malgré tout pour Elise qui se définit comme « très mobile », quand le besoin est moins
important. De nombreuses situations de « renoncement » à des soins jugés non indispensables ponctuent les
parcours de soins, la distance jouant dans ce cas un rôle central.
Odette (87 ans) ne va chez le dentiste que lorsqu’elle en a besoin, le plus souvent dans l’urgence. Récemment, il
y a deux-trois ans, elle a consulté pour un abcès dentaire. Le dentiste a du l’envoyer à l’hôpital du fait du stade
évolué de l’infection. Par ailleurs, elle explique qu’il lui manque plusieurs dents. Elle a refusé qu’elles soient
Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 remplacées : « J’ai pas voulu les remplacer ! Je crains des dents. » Certaines dents ont été arrachées, d’autres
sont tombées toutes seules et elle n’a pas jugé nécessaire de consulter. Elle avoue être un peu gênée pour manger
mais s’est habituée : « je ne m’en plains pas... question de mes dents. »
Cet autre exemple montre l’articulation entre plusieurs logiques :
‐
‐
‐
‐
Elle a peur du dentiste et de la douleur provoquée lors des soins,
Elle n’a pas les moyens de réaliser des prothèses dentaires, et elle a arbitré entre prothèse auditive et
prothèse dentaire.
Une certaine culture de la privation : on ajuste ses besoins à ses moyens, elle est un peu dérangée pour
mastiquer mais elle s’en arrange,
La dimension esthétique et fonctionnelle car elle explique que s’il s’était agi de dents de devant, elle
aurait peut-être envisagé les choses différemment,
Cette crainte d’aller chez le dentiste est relativement fréquente, notamment chez les femmes.
Jeanne (21 ans) ne va jamais chez le dentiste et n’a pas le souvenir d’y avoir jamais été. Elle souffre pourtant
d’abcès dentaires récurrents et se plaint de problèmes de gencives (gingivites ?).
Elle explique : « j’ai pas trop envie d’y aller mais je sais qu’il faut que j’y aille. » Elle est consciente que ces
problèmes s’aggravent mais continue à fuir ce professionnel : « le dentiste, ça reste un dentiste, ça fait mal ! j’ai
pas trop, trop envie d’avoir mal ! » Elle gère ses douleurs récurrentes en prenant « des cachets ». Dans ce cadre,
il lui arrive de prendre des antibiotiques en automédication si elle en a (reste d’anciens traitements). Elle
explique qu’elle finit très vite la plaquette jusqu’à résolution de la douleur. Si non, elle se replie sur les
antalgiques qu’elle peut se procurer en pharmacie. « En général, ça m’évite d’aller chez le médecin. (...) C’est
beaucoup de boites par jour ; parce que j’arrive pas à contrôler ma douleur donc... ».
5.6.2.
Des résistances à la médecine
Si une distance à la médecine avait été montrée dans les milieux ouvriers, en partie inscrite dans une forme de
résistance de classe, on retrouve une culture assez proche chez les « ruraux ». Une méfiance est décrite à l’égard
des médecins. La croyance que les choses vont revenir dans l’ordre naturellement ou que les médecins ne vont
faire que les aggraver ou dans le meilleur des cas sont impuissants et inefficaces, viennent renforcer cette
distance. Ces discours sont plutôt retrouvés chez les hommes. Les consultations chez un médecin interviennent
que dans le cas d’accidents (c’est le cas d’un bucheron), quand la maladie a atteint un stade très évolué : le mari
de Marie-Josée (éleveur) n’a consulté que quand il commençait à suffoquer (maladie professionnelle du poumon
diagnostiquée).
François a 87 ans et habite dans le Morvan. Il bénéficie plutôt d’une bonne santé qu’il relie à son mode de vie,
notamment au fait qu’il ne boive pas d’alcool et mange sainement. Il était agriculteur et a cessé pour reprendre
un commerce dans un village. Vu son âge, il consulte de temps en temps le médecin mais à ses dires, le médecin
viendrait le voir sans qu’il l’appelle. Dans une logique financière... Notons que le médecin en question est
installé dans la région depuis plusieurs dizaine d’années et a une activité surchargée. Il est peu probable qu’il
« cherche des clients. » On peut supposer que le médecin « force » un peu pour assurer le suivi de ce vieil
homme. En dehors du médecin traitant, François ne voit pas de spécialistes. Il relate avoir consulté une fois un
ophtalmologue à Avallon une fois. La plupart du temps, il va chez un pharmacien qui lui fait essayer plusieurs
types de lunettes (ou un opticien) ; il choisit la paire qui lui convient. Il considère qu’il sait mieux que le
spécialiste : « c’est mes yeux, pas les siens. Je sais ce qui est bon pour moi. »
Jean-Marc a 52 ans. Il habite dans le Morvan. Il a été opéré à Dijon d’un cancer de la gorge lié à son tabagisme.
A la fin du traitement, il était convoqué à l’hôpital où il s’est rendu. Au bout de deux heures d’attente, il s’est
impatienté et est parti. Il est alors rentré en stop chez lui et n’est jamais revenu. Son cancer n’est donc pas suivi.
Il n’a pas bénéficié de rééducation à la suite de la trachéotomie. Il a toujours le cathéter posé il y a 13 ans. Il s’est
‐81 ‐
rendu compte par hasard qu’il ne bénéficiait plus de l’assurance maladie parce qu’il ne touchait plus sa pension
d’invalidité non plus38. Il conclue : « la médecine, c’est un commerce ! »
Bien qu’apparaissant caricatural, cet exemple est loin d’être isolé et marginal.
Blandine (26 ans), par exemple si elle se déplace facilement chez le médecin pour son fils n’en fait pas autant
pour elle-même. Néanmoins, elle n’est pas souvent malade, « Les petits rhumes, je les laisse passer. Je prends
pas de cachets. Par contre, j’ai des grosses migraines mais je ne vais pas voir de médecin. Je prends sur moi
aussi ! » Sa résistance à aller chez le dentiste est sans doute à expliquer aussi par une résistance à consulter de
professionnels de santé quels qu’ils soient. On voit qu’elle se refuse à consulter des médecins pour ses migraines.
Les renoncements aux soins apparaissent fréquents, notamment chez les plus âgés mais aussi chez les plus
jeunes. Ils sont majorés par la distance à parcourir quand un problème survient ce qui renforce la tendance à
attendre et voir comment les choses évoluent avant de recourir au système de soins.
Ainsi, par exemple, Jeanne a perdu sa mère il y a 6 ans ; elle était diabétique, avait une cinquantaine d’années. A
la suite d’une chute sur la tête, elle rentre chez elle mais refuse catégoriquement d’aller consulter. Elle s’enfonce
alors dans un coma et quand les pompiers arrivent il est trop tard (il s’agissait d’un hématome intracrânien).
5.7.
Lesressourcessociales
La société rurale n'est plus constituée seulement de communautés unies par l'interconnaissance et l'autochtonie.
Celle-ci existe encore dans certains hameaux ou villages, pouvant parfois aussi revêtir des aspects négatifs : les
conflits sont exacerbés ; on dissimule certains faits à ses voisins pour se protéger des ragots et de certains
stigmates sociaux.
Le caractère homogène tend à disparaitre face à des habitants dont l’installation répond à différentes logiques :
elle relève d'un choix de vie pour certains, d'un arbitrage "économique" pour d’autres, donc d'une ruralité plus
subie que choisie pour ces derniers.
La diversité des dynamiques locales est à noter mais une certaine solidarité à minima fonctionne au vu des
entretiens réalisés: quand il s’agit d’emmener un voisin aux urgences quand aucune autre possibilité ne se
présente.
Les situations apparaissent très diversifiées. François relate des tensions dans son village et de divisions qui sont
ancrées dans l’histoire du village pendant la seconde guerre mondiale et l’occupation par les Allemands.
Ailleurs, un couple de retraités se sont installés dans un hameau où ils possédaient leur résidence secondaire,
conquis par l’ambiance de celui-ci et les solidarités fortes qui fonctionnent. L’isolement pour eux était plus
important en région parisienne où ils habitaient pendant leur vie active.
Les solidarités familiales continuent à s’exercer et semblent à première vue relativement efficaces. On l’a vu
pour Odette qui trouve toujours une fille ou un gendre pour l’emmener à des examens médicaux.
5.8.
Lesrenoncementsauxsoins
De multiples formes de renoncements aux soins ont été repérées dans les entretiens tout au long de cette
recherche. Différentes logiques se superposent, plus souvent se renforcent les unes les autres pour concourir à
des conduites où les personnes ne sollicitent pas les services de soins et les professionnels. Ces conduites
d’évitement de la médecine, voire de refus sont plus importantes, plus nombreuses chez les personnes les plus
pauvres. Elles sont majorées par l’éloignement géographique des structures de soins, le peu de mobilité des
personnes, leur manque de disponibilité professionnelle, la résistance à la médecine, etc.
Les renoncements financiers aux soins concernent plutôt les personnes sont les revenus sont situés dessus du
seuil de la CMU-C. L’exemple qui suit en donne une illustration :
38
Il s’agissait d’une erreur administrative.
Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 Du fait de sa situation financière et géographique, Marie-Josée a affronté plusieurs formes de renoncements aux
soins... Le couple a choisi une mutuelle « bas de gamme », pour reprendre ses propres mots. Ils sont remboursés
pour les médicaments, le forfait journalier, les soins dentaires (hors prothèses) et une faible part des lunettes.
Marie-Josée anticipe un renoncement pour raisons financières à la suite de la consultation d’ophtalmologie où
elle doit se rendre dans les jours qui viennent : « c’est vrai qu’il y a des moments, on est obligé de renoncer à
cause des moyens. Là, je vais chez l’ophtalmo, il faut que j’attende un moment pour me faire des lunettes parce
que les montures, les verres... s’il faut des verres progressifs... C’est pas donné... On fait pas beaucoup de
revenus. Faut faire quand même attention... »
Elle doit se faire opérer de varices mais hésite car elle craint de ne pouvoir financer les dépassements
d’honoraires. Lors d’une précédente intervention en 2006, elle se rappelle avoir du payer plus de 240 euros de
dépassements. Son phlébologue lui a conseillé une nouvelle intervention mais elle n’a toujours pas été voir le
chirurgien à cause des dépassements que sa mutuelle ne prend pas en charge. « C’est pareil, les dépassements
d’honoraires... ça je ne suis pas d’accord ! Comment ils font les gens qui ne peuvent pas ? Alors vous ne pouvez
pas vous soigner ? Là, c’est pareil, il faut que je me fasse réopérer parce que j’ai encore de grosses varices à
enlever. Je ne peux pas le faire à la Clinique V. à cause des dépassements d’honoraires. »
Pour les dents, elle est restée de longues années sans consulter parce qu’elle n’avait pas de problèmes. Elle ne
réalisait pas de visites de routine. Par contre, quand elle a commencé à ressentir des douleurs, elle n’a pas
consulté de peur du coût des soins qu’elle pensait non pris en charge. Elle a été obligée finalement de consulter à
la suite d’un abcès. « Il a fallu que j’attende 47 ans pour savoir ce que c’est qu’un mal de dents. Au niveau des
dents, je savais pas que c’était pris les soins dentaires. Après on m’a dit non.»
Pour son obésité, elle est essentiellement prise en charge par son médecin traitant qui lui propose un régime
associé à un traitement homéopathique. Elle a perdu 16 kgs, en a repris une partie car elle trouvait que c’était
contraignant et le régime couteux pour le budget familial : « c’est pareil pour les régimes. Des fois, je suis
obligée de renoncer. Ça coute cher les yaourts de chèvre, de soja... vous en avez tout de suite pour des notes pas
possibles ! ».
Ces renoncements dits financiers ne sont jamais purement financiers mais le résultat d’arbitrages entre diverses
dépenses, éventuellement plusieurs dépenses de santé. L’importance accordée à la santé, la gravité, les
répercussions fonctionnelles du problème (notamment en termes professionnels) viennent peser dans les choix
réalisés.
Evelyne décrit de nombreux renoncements dans son parcours de vie, anciennement et plus récemment. Nous en
prendrons un seul exemple. Ses amis lui ont fait remarqué qu’elle faisait répéter tout le temps. Elle explique
qu’elle n’est pas très gênée sauf dans des ambiances bruyantes. Son médecin traitant lui a conseillé de consulter
un spécialiste. : « Bon, ben, ça je le fais pas, parce que... spécialiste, tout de suite... Je vois bien les
spécialistes...! Ne serait-ce que les dépassements d’honoraires, quoi ! C’est tout de suite cher, quoi ! C’est... Et
puis tout n’est pas remboursé en plus. C’est pas remboursé à 100%... Y a des fois... Je fais un chèque de 90
euros... Tu vas te retrouver avec presque 50 euros à payer pff... Ça fait lourd, quoi. C’est... C’est pas évident!
C’est-à-dire que... y aurait qu’une chose comme ça mais... tout mis bout à bout... »
Au-delà des renoncements, c’est la qualité des soins qui joue, quand les alternatives sont réduites, sachant que
les usagers choisissent plus souvent la proximité. Nous avons vu que ce n’est pas nécessairement l’option que
choisissent les médecins.
Enfin, les conditions des soins en lien avec l’éloignement des établissements est une dimension peu évoquée
mais qui marque le vécu des personnes hospitalisées, quand elles restent un certain temps sans visite, pouvant
entrainer des sorties précoces.
Pour une hernie discale, opérée il y a une dizaine d’années, Marie-Josée devait choisir entre Clermont-Ferrand et
Paris, elle a choisi de se faire opérée dans un grand CHU parisien et elle est revenue faire la rééducation à
Nevers ; du fait de la distance, elle est restée près de 2 mois à Nevers sans recevoir de visite.
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Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Raphaël Dely, Marion Wiechert Irdes – Juin 2012 6. Conclusion
Ce nouveau test de discrimination réalisé dans deux départements ruraux permet d’enrichir l’analyse des
attitudes des praticiens à l’égard des bénéficiaires de la CMU-C. La mise en œuvre systématique d’une
procédure de double appel permet en outre de produire des résultats complémentaires en termes de délais de
rendez-vous qui sont intéressants dans le cadre de la problématique des inégalités territoriales d’accès aux soins.
Les principaux résultats de l’étude quantitative sont l’absence ou le faible nombre de refus de soins selon la
catégorie de praticiens et le département pour les bénéficiaires de la CMU-C dans les deux départements ciblés.
Il faut noter un taux relativement important de refus de prendre en charge des nouveaux patients (tous usagers),
plus prononcé dans l’Orne où les praticiens semblent plus débordés.
En termes de délais de rendez-vous, le résultat montre des délais significativement plus importants chez les
médecins généralistes de la Nièvre que dans l’Orne ; le phénomène est inversé pour les dentistes et les masseurskinésithérapeutes. Résultat intéressant, les délais sont plus courts auprès de médecins ruraux, allant dans le sens
d’un exercice différent : plus grande amplitude de travail, consultations sans rendez-vous parfois, etc.
Néanmoins, le choix de l’échelon départemental pour cette étude trouve ses limites dans la mesure où il ne
recoupe pas les frontières naturelles, obstacles éventuels aux déplacements, ni les bassins de vie qui rendent
compte des dynamiques socio-économiques, ni encore les territoires sanitaires. En effet, les parcours de soins
décrits en entretiens par les médecins et par les usagers (étude qualitative) ne sont pas contraints par les limites
administratives. Ils mettent en exergue une des limites du testing réalisé à l’échelon départemental et liée aux
flux de « patients » qui traversent les frontières des départements. L’exploration la plus juste aurait donc
nécessité de tester certaines villes des départements voisins où les habitants des départements de la Nièvre et de
l’Orne sont amenés à se rendre pour se soigner dans le cadre de besoins spécifiques. L’obstacle méthodologique
résidait dans la difficulté à mesurer ces flux de patients.
L’étude qualitative montre que les patients sortent du département pour réduire les délais d’attente mais les
personnes interrogées étaient dans des situations plus ou moins importantes de précarité. Un tel phénomène
concerne l’ensemble des catégories sociales.
Le recours à des praticiens hors département est plus relié à l’absence de certains types de spécialistes dans le
département ou parce que le département voisin est plus proche (en distance kilométrique et/ou en temps de
trajet).
Soulignons qu’aussi bien les villes de Nevers, Cosne-Cours sur Loire (Nièvre) qu’Alençon (Orne) se situent près
de la frontière départementale ce qui contribue à attirer des patients d’ailleurs, ce qui renforce la surcharge de
clientèle de certains des professionnels. Les bassins de vie dépassent les limites départementales.
Les problématiques des départements ruraux sont centrées sur plusieurs éléments. Tout d’abord, la démographie
médicale est faible dans ces deux départements, avec des risques futurs d’aggravation du fait de l’âge des
praticiens dont une large partie approche de la retraite. Le remplacement de certains praticiens (médecins
généralistes ou spécialistes) résiste aux mesures d’incitation. Les projets collectifs de maisons de santé ou de
pôles de santé apparaissent plus prometteurs en créant une dynamique professionnelle et créatrice de projets de
santé. La fermeture de services hospitaliers vient renforcer l’isolement des médecins généralistes sur leur
territoire, et génère un risque de non continuité des soins pour le patient qui doit aller dans telle ville pour
réaliser tel examen, et telle autre pour un autre examen.
La surcharge de clientèle, la difficulté de l’exercice en milieu rural conduit à une instabilité des professionnels ;
d’autres ajustent leur pratique en refusant des nouveaux patients ; d’autres encore essayent de répondre à la
demande en mettant en péril leur santé ou la qualité des soins (pas assez de temps pour chaque patient, fatigue
pouvant générer des risques d’erreurs).
Les bénéficiaires de la CMU-C subissent ces effets comme les autres usagers. L’éloignement des structures de
soins peut parfois entrainer des renoncements à certains soins (nous en avons vu de multiples exemples tirés de
l’étude auprès des usagers). Il peut entrainer des risques (en cas d’urgence). Les délais de rendez-vous élevés
peuvent aussi provoquer des problèmes d’accès à certains types de soins : les retards peuvent influer sur la
mortalité dans certaines pathologies, comme le cancer. La place du médecin généraliste est cruciale pour
négocier des délais meilleurs quand il est face à des symptômes suspects.
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Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 L’absence de refus ciblés des médecins spécialistes et leur rareté chez les autres praticiens évitent un effet de
double peine pour les bénéficiaires de la CMU-C. Ces résultats suggèrent que les praticiens pourraient ajuster
dans une certaine mesure leurs attitudes à l’égard des bénéficiaires de la CMU-C en fonction de leur
environnement. Les spécialistes notamment ne peuvent refuser une consultation alors que souvent aucune
alternative ne se présente pour ces patients.
Les difficultés financières aux soins sont souvent évoquées, pour des personnes aux ressources modestes,
concernant notamment les soins prothétiques (dentaires ou auditives), les coûts supplémentaires générés par les
dépassements d’honoraires, dans le département ou hors département comme l’ont montré de nombreuses
études. Au-delà de ces facteurs bien connus, nous avons observé, concernant les bénéficiaires de la CMU-C, que
les difficultés d’accès aux soins sont en grande partie liées à leur manque de mobilité. Comme le montre l’étude
qualitative, cette mobilité revêt un aspect financier, quand ils n’ont pas les moyens d’acheter une voiture, ou de
payer l’assurance. Mais nous avons montré que cette mobilité est aussi socioculturelle, aspect qu’ils partagent
avec certains habitants des espaces ruraux. Enfin, l’absence de mobilité peut être aussi à mettre en lien avec la
maladie, le handicap, le grand âge.
Pour des personnes peu mobiles (socialement et culturellement) mais aussi dans l’incapacité physique de se
déplacer, les visites à domicile du médecin traitant restent la solution la plus efficace.
Au total, plusieurs critères déterminent l’accessibilité aux soins. Nous avons relevé :
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L’organisation de l’offre de soin et les modalités d’exercice des professionnels de santé et notamment la
distance entre le lieu d’habitation et l’offre disponible.
Les ressources socio-économiques des personnes et leurs familles.
Les ressources sociales (personnes pouvant remplacer dans l’activité professionnelle ou conduire).
La mobilité des personnes.
Les types de besoins de santé.
Le rapport au corps et à la santé.
Ces différents facteurs se superposent et interagissent entre eux. Certains sont plus spécifiques à la ruralité.
L’étude auprès des usagers de soins, appartenant aux catégories sociales précaires permet d’affiner les difficultés
d’accès aux soins dans le département de la Nièvre dans leurs multiples dimensions qui se conjuguent et se
renforcent.
Ainsi, les distances sont à la fois spatiales mais aussi temporelles : combien de temps faut-il pour se rendre
auprès d’un professionnel de santé ou d’un service, ce en fonction du type de transport ? La disponibilité faible
des personnes ayant une activité agricole ou des artisans a été notée ainsi que les difficultés de certaines
catégories à s’éloigner des lieux bien connus.
Les distances à parcourir ont un impact autre que le coût financier : elles peuvent augmenter les risques en
termes de mortalité (grossesse, retards au diagnostic, urgences). Elles induisent souvent des formes d’isolement
quand un malade est hospitalisé et qu’il ne reçoit pas de visites. Enfin, la raréfaction de l’offre aboutit à une
restriction du choix du médecin que certaines personnes doivent subir en l’absence d’alternative : avec des effets
sur la qualité de la relation et éventuellement la qualité des soins (en partant du principe que si le médecin fait
des erreurs son patient va aller voir ailleurs).
**********************
Les difficultés géographiques d’accès aux soins apparaissent majorées par la précarité. Elles peuvent contribuer
au processus de paupérisation des personnes, soit lorsqu’elles entraînent un surcoût significatif (éloignement
géographique), soit lorsqu’elles accentuent l’isolement d’individus déjà placés en situation de fragilité (isolement
social). La maladie et le handicap aggravent alors l’isolement en réduisant la mobilité.
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Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Raphaël Dely, Marion Wiechert Irdes – Juin 2012 L’éloignement ou la présence insuffisante de services et d’équipements sur un territoire peuvent aussi obérer en
partie son attractivité et, de facto, son dynamisme. La redynamisation locale de la vie des villages et des petites
villes pourrait être attractive pour des professionnels de santé, comme elle l’est pour d’autres cadres, à condition
que les conditions de travail soient bonnes. Plus que des attractions financières, c’est probablement les
dynamiques locales qui peuvent séduire de nouveaux médecins, dynamiques de projet professionnel associée à
des formes de qualité de vie que l’on trouve plus difficilement en ville.
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Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Raphaël Dely, Marion Wiechert Irdes – Juin 2012 Bibliographie
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Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 Annexe1 : Refus de soins et accessibilité aux soins dans l’espace
rural:sélectiondesdépartementsruraux
Critères
Zonage en aires
urbaines
Nièvre
Un unique pôle
urbain important
autour de Nevers
Haute-Marne
3 pôles moyens
(Chaumont,
Langres,
Saint-Dizier)
47%
Creuse
Un unique
pôle moyen Guéret
50%
Orne
4 pôles de petite
taille (Flers,
Argentan, Alençon,
L’Aigle)
53%
% population de
l’espace rural
Dont rural isolé
% de CMU-C
Zones déficitaires
39%
5,4%
8 communes
42%
5,4%
34 communes
39%
5,5%
8 cantons
Distances d’accès
élevées
Maisons de santé
Infos territoires
+++
+
+++
64%
6,1%
1 zone de 10
communes
+++
7
++
0
++
1
++
Infos santé
Déplacements
Caroline
Contacts Irdes
+++
++
1
+++ (typologie
espace rural)
+++
++
+++
++
++
--
+++
++
++
?
77%
Concernant la part de bénéficiaires de la CMU-C, la moyenne nationale (France métropolitaine) s’élève à 5,7 %,
la médiane est à 5 %. Les taux les plus élevés se rencontrent dans les départements fortement urbanisés et
densément peuplés.
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Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Raphaël Dely, Marion Wiechert Irdes – Juin 2012 Annexe2:EffectifsdesbénéficiairesdelaCMU‐C
CNAMTS
Départe
ment
58 Nièvre
61 Orne
CMUC_RO
7 986
12 079
CMU-C_OC
3 343
2 629
MSA
Total_
CMU-C
11 329
14 708
CMUC_RO
232
309
CMUC_OC
73
210
RSI
Total_
CMU-C
305
519
‐89 ‐
CMUC_RO
502
715
CMUC_OC
159
353
CNAMTS - MSA - RSI
Total_
CMU-C
661
1 068
CMUC_RO
8 720
13 103
CMUC_OC
3 575
3 192
Total_
CMU-C
12 295
16 295
Pop°
228 969
302 554
CMU-C
Pop°
5,4%
5,4%
Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 Annexe3a:CartedudépartementdelaNièvre(58)
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Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Raphaël Dely, Marion Wiechert Irdes – Juin 2012 Annexe3b:Cartedudépartementdel’Orne(61)
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Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Irdes – Juin 2012 Annexe 4a: Revenu annuel moyen par unité de consommation en
Bourgogneen2007
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Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Raphaël Dely, Marion Wiechert Irdes – Juin 2012 Annexe 4b: Les bénéficiaires de la Couverture maladie universelle
complémentaire(Régime Général)danslescantonsdeBourgogneau
31décembre2009
Source ORS Bourgogne
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Résumé
Analyse territoriale des obstacles à l’accès aux soins des bénéficiaires de la CMU complémentaire dans les départements de l’Orne et de la Nièvre Caroline Després, Thomas Renaud, Magali Coldefy, Véronique Lucas‐Gabrielli, Raphaël Dely,Marion Wiechert
Ce nouveau test de discrimination réalisé dans deux départements ruraux, la Nièvre et l’Orne,
permet d’enrichir l’analyse des attitudes des praticiens à l’égard des bénéficiaires de la CMU-C. Il
révèle l’absence ou le faible nombre de refus de soins (selon le type de praticiens et le
département) pour les bénéficiaires de la CMU-C dans ces deux départements. Il faut noter un taux
important de refus de prendre en charge des nouveaux patients (tous usagers), plus prononcé dans
l’Orne où les praticiens semblent moins disponibles.
En termes de délais de rendez-vous, les moyennes apparaissent relativement élevées,
particulièrement pour les médecins spécialistes et les dentistes. Ils sont significativement plus
importants chez les médecins généralistes de la Nièvre que dans l’Orne ; le phénomène est inversé
pour les dentistes et les masseurs-kinésithérapeutes.
Les modèles mettent en évidence que les médecins installés en milieu rural refusent
significativement moins et ont des délais plus courts que leurs confrères urbains.
L’étude qualitative confirme que les patients franchissent les frontières départementales pour
réduire les délais d’attente ou les temps de parcours ce qui pose les limites d’une telle étude
(testing). Elle montre également l’impact financier de ces déplacements, même si les bénéficiaires
de la CMU-C sont en partie remboursés des frais de déplacement pour leurs soins.
Les parcours de soins épousent des configurations variées, en fonction de différents critères :
‐
‐
‐
‐
‐
‐
L’organisation de l’offre de soin et les modalités d’exercice des professionnels de santé,
notamment la distance entre le lieu d’habitation et l’offre disponible.
La mobilité des personnes.
Les ressources socio-économiques des personnes et leurs familles.
Les ressources sociales (personnes pouvant remplacer dans l’activité professionnelle ou
conduire).
Les types de besoins de santé.
Le rapport au corps et à la santé.
Les difficultés d’accès aux soins des personnes précaires sont en grande partie liées à leur manque
de mobilité (dans ses dimensions physique, sociale, culturelle) qui se conjugue avec d’autres
facteurs et les renforcent (manque d’information sur leurs droits, rapport à la santé et aux
professionnels). Ainsi, les distances sont à la fois spatiales mais aussi temporelles : combien de
temps faut-il pour se rendre auprès d’un professionnel de santé ou d’un service, ce en fonction du
type de transport ? La disponibilité faible des personnes ayant une activité agricole ou des artisans
a été notée ainsi que les difficultés de certaines personnes à s’éloigner des espaces qui leur sont
familiers.
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