A-2006/N°14-L`hégémonie américaine et ses stratégies

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Année 2006
DOCUMENT n° 14
Analyses et études
L’HÉGÉMONIE AMÉRICAINE ET SES STRATÉGIES
DOMINANTES
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L’HÉGÉMONIE AMÉRICAINE ET SES STRATÉGIES DOMINANTES
La pression des Etats-Unis dans le monde est de plus en plus écrasante et fait l’objet de
nombreuses critiques dans les milieux culturels et de défense des droits de l’homme. Il est
dès lors légitime de se demander d’où vient une telle puissance et quelle est son éventuelle
réversibilité.
Nous vivons sous l’hégémonie des Etats-Unis. Cette hégémonie se base sur quatre
domaines interdépendants qui se renforcent mutuellement :
a) Militaire
b) Economique et Financier
c) Technologique
d) Culturel 1
Bien que chacun de ces domaines recèle des éléments de vulnérabilité, la puissance
hégémonique des Etats-Unis repose sur l’ensemble et sur l’interaction de ces éléments.
Cette hégémonie est moins concentrée qu’on ne pourrait penser à première vue 2. Les
différents acteurs de ces quatre domaines sont simultanément en coopération et en
compétition entre eux. Les acteurs ne sont même pas tous situés aux Etats-Unis. Nous,
Européens, vivons sous ce régime. Nous sommes en quelque sorte un satellite de ce
régime; nous participons au pouvoir et en tirons profit. Mais le centre se trouve aux Etats-
Unis, dans les environs de Washington DC.
1. Les 4 domaines
Passons en revue ces quatre domaines sur lesquels repose l’hégémonie américaine :
1.1- Le domaine militaire
La suprématie de l’armée américaine (surtout sur le plan technologique - puissance
nucléaire ; technologie de communication ; armement sophistiqué) est évidente. Les
dépenses militaires américaines dépassent de loin celles des autres nations. (L’Europe de
l’OTAN a profité pendant plus de cinquante ans de cette suprématie. La protection
américaine nous permet de réduire sensiblement nos dépenses militaires).
1 Basé sur les livres de Susan Strange :
- « Retreat of the State ; diffusion of Power in the World Economy »
- « States and Markets »
On pourrait justifier l’ajout d’un 5e domaine, le politique. Nous ne l’avons pas fait. Nous traitons dans
ce qui suit la politique comme un domaine dépendant des 4 autres domaines.
2 C’est le président et la branche exécutive qui ont intérêt à se baser le plus sur cette situation
d’hégémonie. Les financiers voient plus la dimension globalisante de l’économie et s’opposent à des
actions qui nuisent à ces intérêts. Même dans l’exécutif, il y a souvent désaccord entre les militaires et
les diplomates. Ces contestations font partie du système américain ; la constitution les a instituées
et a créé des moyens de les sauvegarder.
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La volonté des Etats-Unis d’employer leur puissance militaire supérieure (Afghanistan,
Iraq) agit en tant qu’élément de persuasion pour inciter les nations à se ranger du côté des
Etats-Unis lorsqu’il y a conflit ; ou au moins à se réfréner de les combattre 3.
1.2- Le domaine économique et financier
Cet aspect de la puissance des Etats-Unis est exercé structurellement. C’est en dictant les
règles du jeu que les Américains forcent les autres pays à se conformer à un système qui
sert leurs intérêts politiques et (surtout) économiques. Il s’agit ici de structures et de
règles du jeu de l’inclusion et de l’exclusion.
-Inclusion : Comment étendre les régions et les secteurs où le commerce peut opérer sans
entraves (globalisation ; software ; investissement ; financement) ?
-Exclusion : Brevets et marques ; propriétés intellectuelles, combat de la contrefaçon.
Si pendant la période coloniale les Nations européennes géraient leurs colonies plutôt par
la force (policière ou militaire), aujourd’hui les Etats-Unis se servent de ces structures
pour dominer les gens, les peuples et les organisations.
1.2.1. Les institutions internationales
Les exemples les plus visibles sont les institutions internationales comme le FMI (Fonds
Monétaire International), la Banque Mondiale et l’OMC (Organisation Mondiale du
Commerce). Les sièges du FMI et de la Banque Mondiale se trouvent dans la proximité
immédiate du Treasury (Ministère des Finances des Etats-Unis). La plupart des
économistes de ces trois institutions sont formés dans les mêmes facultés économiques
aux Etats-Unis (p.ex. Chicago). A noter que d’autres institutions ont été créées à
l’instigation des Etats-Unis, mais n’ont pas réussi à imposer leur autorité. Dans ce cas,
elles subissent une stratégie d’affaiblissement. (Le cas le plus visible est celui des Nations
Unies, dont le siège est à New York, qui sont souvent contrecarrées par les Etats-Unis
qui, entre autres, refusent fréquemment de payer leur contribution).
1.2.2. La réglementation américaine devient règle internationale
Plus influents encore sont la législation économique des Etats-Unis et le comportement
des institutions officielles et semi-officielles qui dirigent les décisions des sociétés
commerciales, même lorsque leur siège se trouve à l’étranger. Il suffit que ces sociétés
aient un lien avec les Etats-Unis – parce qu’elles y vendent ou y achètent quelque chose -
ou qu’elles se servent d’une structure acceptable à la pratique américaine (p.ex. les hedge
funds qui imposent des restructurations en Allemagne. Tout en étant légales, elles ne
tiennent pas compte des pratiques culturelles allemandes et des stakeholders (les divers
acteurs, à intérêts divergents, qui font tourner l’entreprise : propriétaire, client, employés,
fournisseurs et la société commerciale elle-même). C’est la pratique américaine qui dicte
de ce qui est considéré comme légal).
3 La limitation majeure de la puissance militaire des Etats-Unis est liée au fait qu’ils ont besoin de
soldats pour mener la guerre :
- il y a pénurie de soldats professionnels qualifiés et formés pour utiliser des engins militaires de plus
en plus complexes.
- il y a la réaction de la population américaine lorsque des soldats américains meurent au combat
(Vietnam, Iraq).
Il y a une tendance aux Etats-Unis à essayer de développer une manière de faire la guerre sans
mettre en danger des soldats-citoyens : la guerre à distance. Les fautes de stratégie commises en
Iraq (moins de soldats que le minimum pour maintenir la paix après la victoire ; manque évident de
contacts entre soldats et population iraquienne) sont liées à cette approche.
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1.3 - Le domaine technologique
1.3.1. La recherche scientifique
La société américaine est parmi les plus riches. La structure socio-économique américaine
favorise le succès des individus forts, intelligents, dynamiques et/ou créatifs, souvent au
détriment des faibles (« la survie des plus forts » : le Darwinisme social). L’enjeu du succès
est énorme.
De ce fait, la société américaine attire de partout dans le monde les chercheurs qui se
conforment à ce profil. Il suffit de vérifier les prix Nobel des chercheurs qui travaillent
dans des instituts américains pour se rendre compte que le développement scientifique de
pointe se situe souvent aux Etats-Unis, même si les chercheurs viennent d’ailleurs.
1.3.2 L’application (le développement et le marketing)
En plus, il existe aux Etats-Unis une mentalité orientée vers l’application qui cherche
comment transformer de manière proactive les résultats scientifiques en technologies
commerciales pour les exploiter avec profit. C’est cette combinaison de la science de
pointe et de la recherche proactive d’applications potentielles qui produit une économie
américaine dynamique à très haut degré d’innovation. Dans un premier temps, ces
innovations sont validées aux Etats-Unis (brevets protégés), pour être exportées ensuite
dans le monde entier afin de maximaliser le profit dans le cadre de l’économie globale.
Ces interventions au plan global dynamisent et rompent l’équilibre existant. Pour les
Américains, l’avantage est évident : ils appliquent ce qu’ils ont déjà essayé. L’hégémonie
américaine se manifeste par la nécessité de réagir qu’elle impose aux autres. Les autres
peuvent combattre, suivre, imiter, améliorer ; mais l’initiative réside aux Etats-Unis.
1.4- Le domaine culturel
La définition de ce qui est « culture » est passée de l’Europe aux Etats-Unis. Avec ce
changement de régisseur, la fonction de la culture a changé fondamentalement. Notre
culture est devenue une culture de marché, une culture de consommateur, une culture de
masse, une « low culture » ; la culture qui avait jadis, du moins en principe, pour fonction
principale de développer l’esprit et la réflexion critique, est devenue divertissement (TV,
films, Hollywood; pop music).
L’hégémonie américaine est également la cause de l’avènement de l’anglais comme langue
globale dans les contacts internationaux (communication ; transport ; World Wide Web;
Windows; commerce ; tourisme).
L’appartenance commerciale du concept de « culture » est renforcée par le discours
néolibéral de la démocratisation 4 . Ce discours est répandu par la publicité, d’origine
commerciale, et ses techniques s’appliquent partout dans le domaine public, donc aussi au
niveau de la culture. Ce qui se vend sur le marché est considéré comme acceptable.
4 Ce discours dit « démocratique » met l’accent sur la liberté d’initiative ‘égale pour tout le monde’, où
tous ont soi-disant les mêmes chances de réussite. Un discours romantique qui ne se préoccupe point
des limitations réelles, imposées par la pauvreté, l’éducation ou l’origine sociologique. Selon ce
discours ‘chacun parmi nous peut réussir et devenir riche’. En fait, la réalité américaine est beaucoup
plus dure ; c’est plutôt une société de classes hautement stratifiée, avec un régime policier qui met en
prison un pourcentage élevé de pauvres, surtout des hommes jeunes. Changer de classe économique
est exceptionnel, peut-être plus qu’en Europe où la classe dirigeante a (avait) la réputation d’être
rigide, cloisonnée.
La tenacité de ce discours démocratique parmi la classe moyenne américaine est due à sa bonne
stratégie de vente plus qu’à la réalité.
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La manière de mener la politique culturelle de nos pays commence également à se
conformer à ces techniques de vente développées et testées aux Etats-Unis et exportées
ensuite. C’est cette synergie commercialo-culturelle qui renforce l’hégémonie
Américaine 5.
2. L’interaction entre ces quatre domaines.
C’est dans l’interaction que l’hégémonie des Etats-Unis est renforcée, qu’elle augmente sa
puissance.
2.1- Le domaine militaire :
2.1.1 - en interaction avec l’économie américaine. Il y a 30 à 40 ans, on parlait du « MIC-
complex », le complexe militaro-industriel. Un nombre important d’industries et de
sociétés commerciales vivent en symbiose étroite avec le système militaire. Ces deux
groupes se soutiennent mutuellement dans le lobbying à Washington DC pour obtenir un
budget militaire élevé et pour développer et renouveler des systèmes d’armes innovants.
Les financements provenant du budget militaire sont des revenus importants pour les
sociétés qui se spécialisant dans les technologies de pointe (aviation ; communication ;
espace). Sans constituer officiellement un subside d’état, ces revenus leur donnent un
avantage sérieux au niveau de la compétition internationale dans ces secteurs (p. ex.
Boeing vs Airbus)
2.1.2 – en interaction avec le développement technologique. La suprématie militaire des Etats-Unis
se base sur leur supériorité technologique. Une symbiose similaire à ce qui est décrit au
point 2.1.1 ci-dessus s’installe entre les trois partenaires: le système militaire, les instituts
d’application militaire et les industries d’armement. Le financement de ces instituts se
justifie par une course aux armements sans répit, il permet d’attirer des spécialistes de 1re
classe.
2.1.3en interaction avec le domaine culturel. La société américaine est caractérisée par un
profil dur, qui a son origine dans le passé pionnier des Etats-Unis. Que quelqu’un puisse
se défendre soi-même et sa famille, et donc porter des armes, est ressenti comme un droit
civil qui garantit la liberté, pas seulement individuelle, mais aussi collective. La société
5 Notre tradition européenne sur la fonction de la culture est différente.
Il y a eu le règne de la culture du citoyen, basée sur la Lumière et les idéaux de la révolution
française, définissant la « culture » comme un domaine indépendant, en tension critique avec le
monde commercial. (Le conflit entre la TV commerciale et la TV publique est un bon exemple du choc
de nos deux interprétations de la culture. La TV commerciale semble gagner).
La culture avait une fonction critique de jugement et de correction, défendant les valeurs humaines.
Cette fonction devait être exécutée de trois manières :
- par la responsabilité, surtout de l’élite, qu’il s’agisse d’une élite d’autorité ou de jugement
- par une certaine distance critique pour se former une opinion de ce qui était valable.
- par un style de vie discipliné (noblesse oblige).
Ceci dit, la pratique était souvent moins qu’idéale, quand la force brutale remplaçait l’analyse.
A présent, il existe d’autres alternatives qui contredisent la culture de marché et qui constituent la
base de conflits actuels (alternative de la religion, alternative de l’idéologie nationaliste, traditionaliste
ou marxiste.)
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