La rubrique "Culture vivrière" est consacrée aux techniques innovantes de culture et d’élevage destinées à l’autoproduction alimentaire « familiale ». Dans un monde de plus en plus difficile pour les ménages, il nous paraît essentiel d’informer notre lectorat de toutes les possibilités offertes à chacun, en milieu urbain (et autres), de produire , dans la mesure du possible, un maximum d’aliments et de s’assurer ainsi, non seulement une aide sensible au bouclage des budgets mais aussi de faire bénéficier la famille d’une alimentation saine et de qualité. La vie est cyclique, le temps est venu de retrouver les bon gestes que nos anciens pratiquaient mais … en utilisant l’évolution technologique moderne. Ce n’est pas contradictoire ! LE TILAPIA Par Jérôme Lazard, chercheur au CIRAD de Montpellier Le tilapia constitue certainement indiscutablement un premier choix en application familiale d’Aquaponie à but alimentaire. Pour situer toute l’importance de ce poisson. Jérôme Lazard, chercheur au CIRAD de Montpellier, nous a confié une étude sur le Tilapia en élevage professionnel. Il nous est apparu intéressant de le publier pour sa richesse d’enseignement applicable à notre cadre d’activité. Son régime alimentaire est très plastique (de la fertilisation aux aliments composés), principalement basé sur l’utilisation de produits et de sous-produits végétaux ou d’aliments composés à faible teneur en protéines (25 %). En fonction de son régime alimentaire, le tilapia peut atteindre la taille marchande de 400 g en 8 mois. Le tilapia peut être produit partout où l’eau est disponible, certaines espèces ayant même l’aptitude de s’adapter à des Les systèmes de production L’aquaculture industrielle du tilapia correspond à des systèmes intensifs ou hyper-intensifs avec une production destinée au marché international. Ces systèmes sont caractérisés par l’utilisation de souches sélectionnées et d’un aliment composé performant. Le tilapia qui est commercialisé aux Etats-Unis ou en Europe provient essentiellement de ce type d’aquaculture. La pisciculture « vivrière rurale » met en œuvre des étangs très largement répandus en zone tropicale et gérés de façon « extensive ». Les produits de cette pisciculture sont destinés à l’autoconsommation mais en partie également aux marchés locaux. La quantité produite domine les considérations de qualité. L’utilisation généralisée d’hormones masculinisantes (17alpha methyltestostérone) pour la production de descendances mono sexes de tilapias pose problème pour la commercialisation, notamment en France où son utilisation est interdite pour des poissons destinés à la consommation. La recherche est à l’œuvre pour mettre au point des techniques alternatives : voie génétique, voie environnementale. De nombreuses prospectives positionnent le tilapia comme une des espèces susceptibles de remplacer certaines espèces marines en danger. 44 La pisciculture artisanale de « petite production marchande » correspondant à des systèmes semi intensifs qui sont omniprésents en Asie. Le tilapia remplace progressivement les carpes dans ce type de système. L’aliment utilisé est constitué d’un (ou plusieurs) sous-produit(s) tel que le son de riz et autres déchets (et effluents d’élevage). De façon très schématique, trois systèmes d’élevage du tilapia peuvent être identifiés. Photo Vitafish Le tilapia est l’un des poissons les plus largement élevés dans le monde. Sa production augmente à un rythme accéléré : 400 000 t en 1990, 1 800 000 t en 2004. Comme la carpe, le tilapia est l’un des poissons ayant fait l’objet du plus grand nombre à des fins d’élevage d’introductions et de transferts à travers le monde. Il est produit actuellement dans une centaine de pays. cultures vivrières Le tilapia est donc entrain de devenir une source majeure de produit aquatique, à la fois dans les pays développés et les pays en développement. Il ne semble pas y avoir de répercussion induite par l'approvisionnement des pays du Nord à partir des pays du Sud en termes de compétition de ressource alimentaire. La sous-famille des tilapias est constituée d’une centaine d’espèces dont une, Oreochromis niloticus, représente 85-90% de la production. Alors que le tilapia est déjà bien connu en Afrique depuis des siècles (continent d’origine de ce poisson), les pays développés ne l’ont découvert que depuis 2 décennies. La chair blanche du tilapia est « goûteuse » et il compte parmi les 10 poissons les plus appréciés aux USA. Les filets présentent une jolie coloration blanche ou très légèrement rose avec une chair ferme qui le reste àla cuisson. La qualité de la chair est souvent comparée à celle du poisson-chat américain, voire à celle de la morue. L’approvisionnement en tilapia du marché international est relativement aisé à programmer du fait que l’essentiel de la production destinée à l’Europe ou aux Etats-Unis d’Amérique provient de l’élevage. On peut estimer, très globalement que la production de tilapia aujourd’hui répond aux exigences du développement durable. Le marché international du tilapia doit s’amplifier de façon (très) significative selon les diverses projections élaborées ces dernières années et de très nombreux investissements privés (surtout) et publics sont programmés, au Nord comme au Sud, dans les prochaines années. Un poisson à croissance rapide Le tilapia est un poisson à croissance relativement rapide qui se nourrit aux niveaux inférieurs de la chaîne alimentaire. eaux saumâtres/salées. La seule contrainte majeure est d’ordre thermique : 15°C minimum – 38°C maximum (optimum : 28-32°c). Compte tenu des bonnes conditions de commercialisation du tilapia dans les pays développés, on assiste actuellement à une tendance à l’installation de fermes aquacoles de tilapia dans les pays du Nord en eaux réchauffées (géothermales, aval de centrales électriques, etc.) : elle est encore limitée, mais les projets se multiplient. Le manque de notoriété, frein au développement Un handicap majeur au développement de cette filière, particulièrement en Europe, est la relative absence de connaissance du produit de la part du consommateur : son origine, ses méthodes d’élevage et, plus que tout, la manière de le cuisiner. Comme pour les autres espèces « exotiques », le tilapia doit être « expliqué » au consommateur au moyen de campagnes publicitaires concrètes et claires. Cependant, le tilapia provient fréquemment de petites exploitations qui ne s’intéressent guère aux actions promotionnelles. 45 Le Tilapia, poisson roi de l’Aquaponie "production maison" cultures vivrières Alimentation et composition corporelle des tilapias La composition des aliments usuellement utilisés pour l’élevage du tilapia Oreochromis niloticus est donnée dans le tableau 1. Durant la phase de grossissement (à partir de 35g), le tilapia requiert en élevage intensif un aliment comportant 25 à 35% sans nécessité d’y incorporer des protéines d’origine animale. Des essais réalisés en Israël (Viola and Arieli, 1983) avec supplémentation de l’aliment (25% de protéines) avec des huiles de diverses origines (végétales, animales terrestres et de poissons) à raison de 4 à 8 % ont tous conduit au même résultat : les lipides supplémentaires n’ont pas induit de meilleure croissance ni un meilleur taux de conversion. Par ailleurs, le stockage des lipides complémentaires s’effectue sous forme de dépôt périviscéral (comme pour le Pangasius). et de la Tilapias péchés dans le lac Hora, Ethiopie auteur Niall Crotty La composition corporelle du tilapia du Nil en élevage avec un aliment à 30 % de protéines (20 % de farine de poisson) après 6 mois d’élevage et un poids moyen de 400 g, est donnée dans le tableau 2. C’est pourquoi il est très utilisé dans les fermes de production aquaponiques qui fleurissent un peu partout à travers le monde. La ferme expérimentale de l’université des Iles Vierges aux Etats-Unis élève avec succès ces poissons depuis 25 ans, ce qui offre aux « Aquaponistes » du monde entier une base solide d’informations et de données sur cette association vertueuse plantes tilapias. La teneur en lipides de la chair est de 8.4% contre 42.4% dans les viscères. A titre de comparaison, la carpe commune présente une composition corporelle très voisine pour ce qui concerne les muscles (carcasse) et une teneur en lipides entre 3 et 4 fois inférieure au niveau des viscères. Conclusion C’est aussi le poisson idéal pour une petite unité de production/maison pour les passionnés qui désirent, dans un même système, élever des poissons comestibles et des plantes alimentaires. On peut, avec une cuve d’élevage de 500 litres produire en moyenne 1 Kg de tilapia par semaine (50 Kg à l’année) et coupler cet élevage à un système hydroponique de 2 m2 qui peut produire tout au long de l’année force plantes aromatiques et quelques tomates. Les tilapias constituent le groupe de poissons qui a connu la plus forte croissance ces dix dernières années toutes espèces aquatiques confondues. Il est produit aujourd’hui dans plus de 100 pays. Ses caractéristiques biologiques en font un poisson adaptable à tous les systèmes d’élevage et son régime alimentaire correspondant aux niveaux les plus bas de la chaîne alimentaire (phytoplancton, détritus) en fait un poisson peu coûteux à produire. Son aspect lui permet en outre, à la différence des poissons chats, d’être commercialisé entier. 46 Le Tilapia est un poisson très intéressant pour l’élevage. Il a surtout l’avantage d’être très vigoureux et résistant aux maladies, de très bien supporter la promiscuité. Il est maigre et très riche Léon-Hugo BONTE en protéines, sa chair est ferme et goûteuse. Il a un très bon ratio de transformation alimentaire, aux alentours de 1,6. Autrement dit, il faut 1,6 kg de nourriture pour obtenir 1 Kg de poisson. (En comparaison, le bœuf a un ratio de 7 à 8). Enfin, ce poisson est assez tolérant sur les variations physico-chimiques de l’eau. Le développement d’un marché international de ce poisson à des prix compétitifs pour le consommateur et rémunérateur pour le producteur laisse présager une augmentation de la production de ce poisson. Ce type de culture d’autoproduction permettant d’obtenir protéines animales et végétaux frais chez soi est très en vogue en Australie, ou il est désigné sous le nom de Backyard aquaponics. Dans le prochain numéro de Cosmoponia, nous vous présenterons un jardin de ce type en culture d’intérieur sous lampes fluorescentes. La température idéale pour le tilapia est comprise entre 28 et 32 °Celsius, mais il s‘accommode bien d’une température de 22 ou 23°C qui convient aux racines en hydroponie. En application industrielle ou amateur, l’élevage du tilapia en Aquaponie est une très bonne alternative à la pêche. Cette production est économe en eau et en nourriture (très faible ratio de conversion alimentaire). De plus, une alimentation exclusivement végétale peut lui convenir, à la différence de beaucoup d’autres poissons qui nécessitent d’être nourris avec une grande quantité de protéines animales, le plus souvent issues de la pêche en mer. Enfin, il n’y a pas d’effluents liquides qui sont déversés dans l’environne- ment, seulement des boues solides qui peuvent être utilisées en culture en pleine terre ou compostées. En Europe, l’élevage commercial du tilapia n’en est qu’à ses balbutiements. À notre connaissance, il n’y a que la société Vitafish, à Dottignies, en Belgique qui le pratique à grande échelle. Ce poisson est commercialisé sous la dénomination « Tilapia du Hainaut » en filet ou entier. 47