Éditorial Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil 2013 ; 11 (3) : 273-4 Votre foi est grande, Scholar Quaerit. Rares sont ceux qui tirent les leçons de leur expérience, et plus rares encore ceux qui apprennent des erreurs des autres. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. JE Modesitt Jr. Scholar doi:10.1684/pnv.2013.0420 L a prise en charge active des patients atteints de MA ne s’est développée qu’à partir des années 1980, avec l’apparition de médicaments potentiellement actifs. Les premières interventions non médicamenteuses à visée cognitive ont d’abord concerné le langage et les orthophonistes. Ces interventions se sont développées progressivement, notamment avec la constatation de la relativité des bénéfices apportés par les médicaments, et sont largement orientées vers des interventions à visée cognitive et/ou psychologique, impliquant de plus en plus de psychologues. Les interventions visant à soutenir ou améliorer la cognition par des intervention individuelles ou en groupe concernent la cognition en général ou plus spécifiquement la mémoire. Jennifer Lalanne et Pascale Piolino font ici le point sur les interventions destinées plus particulièrement à améliorer la mémoire puisque les troubles de mémoire sont au cœur de la maladie d’Alzheimer (MA). Les troubles de la mémoire autobiographique, à laquelle s’est consacrée Pascale Piolino avec son équipe, constituent un axe majeur de notre identité. Le modèle de Conway qui a inspiré ces travaux, est particulièrement intéressant par la mise en lien des phénomènes cognitifs et affectifs. La distinction entre les diverses interventions non médicamenteuses oppose habituellement les interventions selon leur objectif (troubles cognitifs vs troubles affectifs), leur technique (prise en charge de groupe ou individuelle). En réalité, ces interventions s’inscrivent dans une conception générale de la maladie et des patients. Deux types d’approche peuvent être schématiquement distingués : l’approche traditionnelle est médicale et centrée sur la maladie et ses troubles, l’autre, plus psychologique met l’accent sur les troubles psychologiques et relationnels du patient. Dans la première approche, les troubles cognitifs sont considérés comme dépendant directement du siège des lésions et indépendants de la personnalité du patient comme de l’entourage. La perte d’autonomie est alors la conséquence directe des troubles cognitifs et les variations constatées entre les patients trouvent leur explication dans des facteurs génétiques ou une plus ou moins grande « réserve cognitive ». Le traitement pharmacologique est ici privilé- gié et les interventions non médicamenteuses n’ont qu’un rôle d’adjuvant : elles privilégient l’amélioration des performances cognitives par des méthodes qui se veulent objectives et quantifiables, qu’elles soient appliquées en individuel ou, pour une plus grande commodité, en groupe. Un des problèmes majeurs rencontrés dans cette approche est que les bénéfices cognitifs observés résultent d’une comparaison de moyennes et ne sont pas uniformément applicables à un individu ; d’autre part, ils ne sont pas transposables dans la vie quotidienne. Les bénéfices obtenus portent, en fait, bien souvent sur le retentissement affectif, indépendamment des techniques utilisées, ce qui montre l’importance de la prise en charge des patients, ce dont témoigne également l’effet placebo observé dans les essais des médicaments. Dans les années 1990, une autre conception de la MA s’est progressivement développée sous plusieurs influences : progressivement l’optique de la prise en charge cognitive a évolué vers une approche de réhabilitation c’est-à-dire axée sur les difficultés que le patient rencontre dans la réalité et non sur les performances. Par ailleurs, Tim Kitwood et l’équipe de Bradford au Royaume Uni [1] ont proposé une « nouvelle culture de la démence » décrivant la MA comme un handicap dont les conséquences dans la vie quotidienne sont largement le fait de la qualité de la prise en charge par l’entourage (professionnel et familial). L’autonomie devient ainsi relationnelle et non liée aux seuls déficits du patient. Les associations de famille, de leur côté, ont mis l’accent sur le respect de la personnalité et de l’estime de soi du patient, plus que sur les performances cognitives. Enfin, les travaux de certains psychanalystes en France ont souligné la permanence de la vie psychique du patient tout au long de la maladie, et donc l’importance de la personnalité du patient et de sa relation avec l’entourage, dans la survenue et la phénoménologie les manifestations de la maladie comme dans ses conséquences (voir par exemple [2]). Le terme général de prise en charge centrée sur le patient devient ici une prise en charge spécifique de l’individu concerné ce qui montre l’importance du travail sur la mémoire autobiographique. Dans le même registre, l’article de Floriane DelphinCombe et al. présente un exemple de l’intérêt d’une prise en charge sociothérapeutique des troubles psychocomportementaux qui s’inscrit dans la perspective d’un travail de groupe et de l’approche neuropsychiatrique traditionnelle. Les troubles psychocomportementaux sont ainsi décrits Pour citer cet article : Derouesné C. Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil 2013; 11(3) :273-4 doi:10.1684/pnv.2013.0420 273 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. C. Derouesné comme des symptômes psychiatriques en rupture avec la vie psychique du patient. L’influence bénéfique de cette prise en charge est mise en évidence au moyen d’échelles quantifiables. Ce type de démarche est actuellement privilégié, d’une part, du fait de la plus grande opérabilité des interventions de groupe et, d’autre part, par son côté « objectif », donc scientifique, alors que les prises en charge individuelles, centrées sur la personnalité du sujet, ne sont pas évaluables autrement que par l’amélioration du fonctionnement psychique et relationnel du sujet, toujours suspecte de non scientificité. Les interventions centrées sur la vie psychique et réactionnelle des patients ne peuvent faire oublier que si le patient reste une personne douée d’activité psychique tout au long de sa maladie, cette personne est différente des autres du fait de la présence de troubles cognitifs qui interfèrent avec le fonctionnement psychique. L’approche centrée sur le patient ne peut donc omettre la nécessité d’un diagnostic et d’une évaluation précise des troubles cognitifs. Une fois encore, s’impose une lecture à plusieurs niveaux des faits psychopathologiques. Le travail de Stoïkova Ralitsa et al. apporte une contribution intéressante au test RL/RI, qui est, en France, une pièce majeure pour le diagnostic de la MA. L’article d’Anne-Marie Bonnet et Virginie Czernecki fait le point sur les troubles cognitifs et comportementaux de la maladie de Parkinson. Cet article se place dans la perspective traditionnelle de considérer les troubles cognitifs et les troubles affectifs comme directement liés au siège des lésions et à leur retentissement sur les systèmes de neurotransmission. Il est assez paradoxal de constater que les techniques de prise en charge centrées sur le patient soient beaucoup moins développées dans la maladie de Parkinson que dans la MA : peut-être est-ce un effet secondaire de la plus grande efficacité des médicaments dans cette maladie ? L’addiction aux médicaments est un problème majeur chez les sujets âgés qu’abordent Philippe Nabukpo et Jean-Pierre Clément. Les auteurs soulignent les difficultés d’appliquer les critères d’addiction aux sujets âgés et un fait essentiel : l’addiction n’est pas ici le seul fait des sujets, elle est largement entretenue par les prescriptions médicales. Marine Naudin et al. nous proposent un très intéressant point sur olfaction et MA. Si l’hypothèse, naguère avancée, d’une porte d’entrée de la maladie à partir des voies olfactives n’est plus guère acceptée, on ne peut qu’être frappé par la fréquence des troubles de l’olfaction dans cette maladie ainsi, d’ailleurs, que dans le vieillissement habituel. Ces troubles contribuent certainement aux modifications alimentaires de ces sujets. Christian DerouesnÉ Références 1. Kitwood T, Benson S (eds). The new culture of dementia care. Journal of dementia care in association with Bradford dementia group. London : Hawker publications, 1995. 2. Charazac P. Soigner la maladie d’Alzheimer. Guidance des aidants et de la relation soignante. Paris : Dunod, 2009. 274 Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 11, n ◦ 3, septembre 2013