Éditorial - John Libbey Eurotext

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Éditorial
Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil 2013 ; 11 (3) : 273-4
Votre foi est grande, Scholar Quaerit. Rares sont ceux qui
tirent les leçons de leur expérience, et plus rares encore
ceux qui apprennent des erreurs des autres.
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JE Modesitt Jr. Scholar
doi:10.1684/pnv.2013.0420
L
a prise en charge active des patients atteints de MA
ne s’est développée qu’à partir des années 1980,
avec l’apparition de médicaments potentiellement
actifs. Les premières interventions non médicamenteuses
à visée cognitive ont d’abord concerné le langage et les
orthophonistes. Ces interventions se sont développées
progressivement, notamment avec la constatation de la
relativité des bénéfices apportés par les médicaments, et
sont largement orientées vers des interventions à visée
cognitive et/ou psychologique, impliquant de plus en plus de
psychologues. Les interventions visant à soutenir ou améliorer la cognition par des intervention individuelles ou en
groupe concernent la cognition en général ou plus spécifiquement la mémoire. Jennifer Lalanne et Pascale Piolino
font ici le point sur les interventions destinées plus particulièrement à améliorer la mémoire puisque les troubles de
mémoire sont au cœur de la maladie d’Alzheimer (MA). Les
troubles de la mémoire autobiographique, à laquelle s’est
consacrée Pascale Piolino avec son équipe, constituent un
axe majeur de notre identité. Le modèle de Conway qui
a inspiré ces travaux, est particulièrement intéressant par
la mise en lien des phénomènes cognitifs et affectifs. La
distinction entre les diverses interventions non médicamenteuses oppose habituellement les interventions selon leur
objectif (troubles cognitifs vs troubles affectifs), leur technique (prise en charge de groupe ou individuelle). En réalité,
ces interventions s’inscrivent dans une conception générale de la maladie et des patients. Deux types d’approche
peuvent être schématiquement distingués : l’approche traditionnelle est médicale et centrée sur la maladie et ses
troubles, l’autre, plus psychologique met l’accent sur les
troubles psychologiques et relationnels du patient. Dans
la première approche, les troubles cognitifs sont considérés comme dépendant directement du siège des lésions
et indépendants de la personnalité du patient comme de
l’entourage. La perte d’autonomie est alors la conséquence
directe des troubles cognitifs et les variations constatées
entre les patients trouvent leur explication dans des facteurs génétiques ou une plus ou moins grande « réserve
cognitive ». Le traitement pharmacologique est ici privilé-
gié et les interventions non médicamenteuses n’ont qu’un
rôle d’adjuvant : elles privilégient l’amélioration des performances cognitives par des méthodes qui se veulent
objectives et quantifiables, qu’elles soient appliquées en
individuel ou, pour une plus grande commodité, en groupe.
Un des problèmes majeurs rencontrés dans cette approche
est que les bénéfices cognitifs observés résultent d’une
comparaison de moyennes et ne sont pas uniformément
applicables à un individu ; d’autre part, ils ne sont pas
transposables dans la vie quotidienne. Les bénéfices obtenus portent, en fait, bien souvent sur le retentissement
affectif, indépendamment des techniques utilisées, ce qui
montre l’importance de la prise en charge des patients,
ce dont témoigne également l’effet placebo observé dans
les essais des médicaments. Dans les années 1990, une
autre conception de la MA s’est progressivement développée sous plusieurs influences : progressivement l’optique
de la prise en charge cognitive a évolué vers une approche
de réhabilitation c’est-à-dire axée sur les difficultés que
le patient rencontre dans la réalité et non sur les performances. Par ailleurs, Tim Kitwood et l’équipe de Bradford
au Royaume Uni [1] ont proposé une « nouvelle culture de
la démence » décrivant la MA comme un handicap dont les
conséquences dans la vie quotidienne sont largement le fait
de la qualité de la prise en charge par l’entourage (professionnel et familial). L’autonomie devient ainsi relationnelle
et non liée aux seuls déficits du patient. Les associations
de famille, de leur côté, ont mis l’accent sur le respect de
la personnalité et de l’estime de soi du patient, plus que
sur les performances cognitives. Enfin, les travaux de certains psychanalystes en France ont souligné la permanence
de la vie psychique du patient tout au long de la maladie,
et donc l’importance de la personnalité du patient et de sa
relation avec l’entourage, dans la survenue et la phénoménologie les manifestations de la maladie comme dans ses
conséquences (voir par exemple [2]). Le terme général de
prise en charge centrée sur le patient devient ici une prise
en charge spécifique de l’individu concerné ce qui montre
l’importance du travail sur la mémoire autobiographique.
Dans le même registre, l’article de Floriane DelphinCombe et al. présente un exemple de l’intérêt d’une prise
en charge sociothérapeutique des troubles psychocomportementaux qui s’inscrit dans la perspective d’un travail de
groupe et de l’approche neuropsychiatrique traditionnelle.
Les troubles psychocomportementaux sont ainsi décrits
Pour citer cet article : Derouesné C. Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil 2013; 11(3) :273-4 doi:10.1684/pnv.2013.0420
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C. Derouesné
comme des symptômes psychiatriques en rupture avec la
vie psychique du patient. L’influence bénéfique de cette
prise en charge est mise en évidence au moyen d’échelles
quantifiables. Ce type de démarche est actuellement privilégié, d’une part, du fait de la plus grande opérabilité
des interventions de groupe et, d’autre part, par son côté
« objectif », donc scientifique, alors que les prises en
charge individuelles, centrées sur la personnalité du sujet,
ne sont pas évaluables autrement que par l’amélioration du
fonctionnement psychique et relationnel du sujet, toujours
suspecte de non scientificité.
Les interventions centrées sur la vie psychique et
réactionnelle des patients ne peuvent faire oublier que si
le patient reste une personne douée d’activité psychique
tout au long de sa maladie, cette personne est différente
des autres du fait de la présence de troubles cognitifs qui
interfèrent avec le fonctionnement psychique. L’approche
centrée sur le patient ne peut donc omettre la nécessité
d’un diagnostic et d’une évaluation précise des troubles
cognitifs. Une fois encore, s’impose une lecture à plusieurs niveaux des faits psychopathologiques. Le travail de
Stoïkova Ralitsa et al. apporte une contribution intéressante
au test RL/RI, qui est, en France, une pièce majeure pour
le diagnostic de la MA.
L’article d’Anne-Marie Bonnet et Virginie Czernecki fait
le point sur les troubles cognitifs et comportementaux de
la maladie de Parkinson. Cet article se place dans la perspective traditionnelle de considérer les troubles cognitifs et
les troubles affectifs comme directement liés au siège des
lésions et à leur retentissement sur les systèmes de neurotransmission. Il est assez paradoxal de constater que les
techniques de prise en charge centrées sur le patient soient
beaucoup moins développées dans la maladie de Parkinson que dans la MA : peut-être est-ce un effet secondaire
de la plus grande efficacité des médicaments dans cette
maladie ?
L’addiction aux médicaments est un problème majeur
chez les sujets âgés qu’abordent Philippe Nabukpo et
Jean-Pierre Clément. Les auteurs soulignent les difficultés
d’appliquer les critères d’addiction aux sujets âgés et un fait
essentiel : l’addiction n’est pas ici le seul fait des sujets, elle
est largement entretenue par les prescriptions médicales.
Marine Naudin et al. nous proposent un très intéressant
point sur olfaction et MA. Si l’hypothèse, naguère avancée, d’une porte d’entrée de la maladie à partir des voies
olfactives n’est plus guère acceptée, on ne peut qu’être
frappé par la fréquence des troubles de l’olfaction dans cette
maladie ainsi, d’ailleurs, que dans le vieillissement habituel.
Ces troubles contribuent certainement aux modifications
alimentaires de ces sujets.
Christian DerouesnÉ
Références
1. Kitwood T, Benson S (eds). The new culture of dementia care. Journal
of dementia care in association with Bradford dementia group. London :
Hawker publications, 1995.
2. Charazac P. Soigner la maladie d’Alzheimer. Guidance des aidants et
de la relation soignante. Paris : Dunod, 2009.
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Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 11, n ◦ 3, septembre 2013
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