
Finances & Développement Décembre 2013 29
de revenu. La baisse de l’indice signifie que la distribution du
revenu devient plus égale.
Nous pourrions plus spécifiquement nous concentrer sur les
plus vulnérables (les 20% les plus pauvres) et voir combien ils
bénéficient de la croissance. Nous pourrions, par exemple, nous
demander comment une hausse de 1% du revenu national les
affecte. Si leur revenu augmente d’au moins 1%, on peut dire que
la croissance est solidaire. En revanche, si le revenu des pauvres
augmente de moins de 1%, la croissance n’est pas solidaire, parce
qu’ils sont relativement désavantagés.
Les mauvais résultats de l’Asie
Depuis vingt-cinq ans, la croissance a été en moyenne plus forte
dans la plupart des pays d’Asie que dans les autres pays émergents.
Elle a permis des réductions notables de la pauvreté absolue: le
nombre de personnes vivant dans l’extrême pauvreté (moins de
1,25 dollar par jour) a été presque réduit de moitié, passant de
plus de 1,5 milliard en 1990 à un peu plus de 850 millions en
2008. Malgré ce résultat impressionnant, l’Asie renferme toujours
les deux tiers des pauvres du monde, la Chine et l’Inde comptant
pour près de la moitié (voir encadré).
De plus, l’inégalité a augmenté dans l’ensemble de l’Asie.
Ce phénomène nouveau pour la région contraste fortement
avec la période spectaculaire de décollage économique des
trois décennies précédant 1990. «Croissance équitable» était le
slogan de cette période, pendant laquelle le Japon et les tigres
asiatiques ont pu conjuguer une croissance rapide et une iné-
galité relativement faible et qui, dans bien des cas, diminuait.
Les mauvais chiffres récents constituent donc un retournement
spectaculaire.
À l’échelle internationale, l’inégalité a augmenté plus vite en Asie
depuis vingt-cinq ans que dans les autres régions (graphique1).
La hausse a été particulièrement marquée en Chine et en Asie
de l’Est, avec un indice de Gini compris entre 35 et 45 dans
beaucoup de pays. C’est un chiffre encore inférieur à celui de la
plupart des pays d’Afrique subsaharienne et d’Amérique latine,
dont l’indice se situe généralement autour de 50. Toutefois, les
pays d’Amérique latine et d’Afrique subsaharienne (ainsi que
ceux du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord) ont en moyenne
résisté à la tendance mondiale et réduit l’inégalité pendant les
vingt-cinq dernières années, resserrant l’écart entre eux et l’Asie.
En particulier, alors que le pouvoir d’achat des citoyens d’Asie
augmentait, le revenu des 20% les plus pauvres n’a pas progressé
autant que celui du reste de la population (graphique2). C’est vrai
à la fois pour les pays relativement moins développés, notamment
la Chine et la plus grande partie de l’Asie du Sud, et dans des pays
plus avancés comme la Corée, la RAS de Hong Kong, Singapour
et la province chinoise de Taiwan. L’évolution de l’Asie contraste
fortement avec celle des pays émergents dans les autres régions,
en particulier en Amérique latine, où les revenus des 20% les
plus pauvres ont augmenté davantage depuis 1990 que ceux des
autres catégories de la population. Si l’Asie a été sans aucun doute
la championne en termes de taux de croissance depuis vingt-
cinq ans, la nature de cette croissance a vraisemblablement été
la moins solidaire de toutes les régions émergentes.
Une croissance moins solidaire
La hausse de l’inégalité a pratiquement touché l’ensemble du monde
depuis vingt-cinq ans, l’indice de Gini augmentant dans les pays
avancés comme en développement. Beaucoup d’analystes attribuent
Balakrishnan, corrected 11/4/13
Graphique 1
Aggravation de l’inégalité
Ces vingt-cinq dernières années, l’inégalité a augmenté plus vite
en Asie que dans les autres régions, même si elle reste plus
faible qu’en Amérique latine et en Afrique subsaharienne.
Sources : données CEIC; autorités nationales; base de données WIDER sur l’inégalité de revenu;
Banque mondiale, base de données PovcalNet; calculs des services du FMI.
Note : L’évolution de l’inégalité reète le changement de l’indice Gini pondéré pour la population.
L’indice de Gini va de 0, égalité totale où tout le monde a le même revenu, à 100, inégalité totale
où une seule personne a tout le revenu. NEI = Corée, RAS de Hong Kong, Singapour et province
chinoise de Taiwan. ASEAN-5 = Indonésie, Malaisie, Philippines, Thaïlande et Viet Nam. L’indice
de Gini le plus récent est entre parenthèses.
Évolution de l’inégalité en points de pourcentage
–4 –2 0 2 4 6 8 10
Asie de l’Est (42,1)
Asie du Sud (32,2)
Pays avancés d’Asie (29,4)
NEI (36,7)
ASEAN-5 (37,9)
Afrique subsaharienne (45,2)
Moyen-Orient et Afrique du Nord (36,5)
Amérique latine et Caraïbes (52,0)
Europe centrale et orientale (38,3)
Pauvreté et inégalité en Inde et en Chine
La pauvreté a beaucoup diminué en Chine et en Inde depuis que
ces deux pays ont connu leur décollage économique, il y a trente
ans en Chine et vingt en Inde.
C’est au début des années 80 et au milieu des années 90 que la
pauvreté a diminué le plus vite en Chine, sous l’effet des réformes de
l’économie rurale, du faible niveau d’inégalité au départ et de l’accès
à la santé et à l’éducation. En 1981, la Chine était l’un des pays les
plus pauvres du monde, 84% de la population vivant avec moins de
1,25 dollar par jour, soit à l’époque le cinquième rang sur l’échelle de
la pauvreté mondiale. En 2008, les pauvres n’étaient plus que 13%,
soit beaucoup moins que la moyenne des pays en développement.
L’Inde a aussi réduit la pauvreté, mais plus lentement que la Chine.
En 1981, 60% des Indiens vivaient avec moins de 1,25 dollar par
jour, moins qu’en Chine. En 2010, la part était tombée à 33%, mais
restait deux fois et demie plus élevée qu’en Chine.
Toutefois, l’inégalité a augmenté dans les deux pays. Selon les
estimations officielles, l’indice de Gini pour la Chine (où 0 repré-
sente la distribution la plus égale et 100 la plus inégale) est passé
de 37 au milieu des années 90 à 49 en 2008. L’indice de l’Inde a
légèrement augmenté, de 33 en 1993 à 37 en 2010 selon la Banque
asiatique de développement (2012). Il existe aussi dans ce pays des
inégalités importantes fondées sur le sexe, la caste et la possibilité
d’accès aux services sociaux.
L’aggravation des disparités entre zones rurales et urbaines, ainsi
qu’entre régions, compte pour une part comprise entre un tiers et
deux tiers dans l’inégalité en Chine et en Inde.