Philosophical Enquiries : revue des philosophies anglophones - juin 2015, n° 4 – « Hobbes et Bacon »
1605 à une classification bipartite (histoire naturelle, histoire civile)
. L’histoire civile
accueille désormais l’histoire sacrée et l’histoire des lettres et des arts. Pour ce qui est de
l’histoire sacrée, on interprète parfois ce geste comme « une précipitation de l’historia divina
hors du cosmos historique »
, notamment par rapport à la classification de Bodin dans la
Methodus. Ceci suppose de marquer une évolution de statuts et de contenus entre histoire
divine et histoire sacrée et de faire porter l’accent sur le fait que de l’une à l’autre, on passe
d’une histoire révélée et surnaturelle, dont l’auteur, au fond, est Dieu lui-même, à une histoire
temporelle de l’Eglise, de ses institutions, de ses rapports à l’Etat et de sa dogmatique, centrée
sur ce que l’homme peut comprendre et faire, dans son historicité propre, de la parole divine.
Pour le dire plus simplement, des Ecritures ou de ce qui, en elles, relèvent de la volonté
divine, à une histoire profane du fait religieux.
Nous avons montré ailleurs à quel point cette interprétation pouvait être problématique
.
Les dimensions de cet article nous obligent à ne signaler que brièvement le fait que chez
Bacon, une histoire divine demeure, à l’intérieur des savoirs divins (théologia ou divine
learning). Bacon le précise dès l’introduction générale de sa classification. Il s’agit
assurément des Ecritures. Mais il y a aussi un exercice de commentaire des Ecritures,
l’historia ad prophetias, qui s’exerce très directement sur la matière de la révélation pour en
examiner les manifestations et qui se trouve intégré de facto à l’histoire sacrée (historia
sacra) elle-même partie de l’histoire civile. L’idée d’une franche évolution par rapport à
Bodin devient donc, sinon caduque, en tout cas très complexe, ambivalente. Il est possible
qu’il n’y ait pas tant expulsion de l’histoire divine du « cosmos historique », que maintien
d’une position de surplomb de ce que les Ecritures révèlent de l’histoire par rapport au savoir
humain de l’histoire. Quoiqu’il en soit, il est difficile de comprendre les décisions de Bacon
en termes d’expulsion de l’histoire sacrée
. C’est plutôt une différenciation interne : d’un côté
on dit que l’histoire sacrée appartient à l’histoire civile, ce qui revient à faire entrer dans cette
histoire quelque chose qui ne relève pas des sens mais d’un savoir oraculaire, car c’est ainsi
que Bacon continue de définir la matière et l’objet de l’histoire religieuse chrétienne, de
« Historiam civilem in tres species recte dividi putamus : primo sacram, sive ecclesiasticam, deinde eam quae
generis nomen retinet, civilem ; posteremo, literarum et artium » ( De Dignitate, II, cap. IV ; Sped., I, p. 502). La
classification quadripartite antérieure (le Of the Proficience, de 1605) conservait quatre genres : histoire
naturelle, histoire civile, histoire sacrée (history of the church), histoire des arts et lettres.
R. Koselleck, « Le concept d’histoire » in L’expérience de l’histoire, Paris, Gallimard/ Le Seuil, 1997, p. 57-
58.
N. Dubos, « L’Histoire sacrée et le concept d’histoire », Hobbes et la religion, Pessac, Presses Universitaires
de Bordeaux, 2010 et Thomas Hobbes et l'histoire..., ouv. cité.
R. Koselleck, le reconnaît d’ailleurs puisqu’il parle d’englobement de l’histoire sacrée dans l’histoire civile.
« Le concept d’histoire » in L’expérience de l’histoire, Paris, Gallimard/ Le Seuil, 1997, p. 58.