Chrétiens et musulmans : un dialogue qui va - Paroisse Saint-Eloi

Journal Libération 1er août 2016
Religions
Chrétiens et musulmans :
un dialogue qui va croissant
Par Bernadette Sauvaget 1 août 2016 à 20:41
Des représentants juif, catholique et musulmans de Rouen lors de la cérémonie en hommage au
père Jacques Hamel, jeudi à Saint-Etienne-du-Rouvray. Photo Marc Chaumeil
Après l’assassinat du père Hamel, inhumé ce mardi, les
représentants religieux affichent un front commun face à la
stratégie de division de l'Etat islamique, tandis que des
responsables politiques relancent le débat sur la rénovation
de l’islam de France.
Chrétiens et musulmans : un dialogue qui va croissant
Un dernier hommage. Les obsèques du père Jacques Hamel, assassiné il y a une semaine dans
l’église de Saint-Etienne-du-Rouvray (Seine-Maritime), ont lieu ce mardi après-midi à Rouen, en
présence de nombreuses personnalités politiques et religieuses. A la demande de la famille, le
lieu de l’inhumation n’a pas été divulgué. Agé de 86 ans, le prêtre faisait partie de ceux qui
avaient accueilli, en France, les premières générations de musulmans. A l’image de son
engagement, les représentants des différentes religions agissent de concert, depuis une semaine,
afin de contrer la tentative de division des terroristes.
Quelle est la stratégie des responsables religieux ?
Dès la nouvelle de l’attentat de Saint-Etienne-du-Rouvray connue, l’évêque de Rouen,
Dominique Lebrun, donne le ton. Les catholiques, dit-il, n’ont que «la fraternité et la prière»
pour répliquer à l’assassinat du père Hamel. Les jours qui suivent, les responsables religieux,
unanimement mobilisés, déminent le terrain, soucieux de ne pas accréditer l’idée d’une guerre de
religion ou d’un choc des civilisations. Jusqu’à s’afficher ensemble, dès le lendemain de
l’attentat, sur le perron de l’Elysée. Les grandes fédérations musulmanes, de leur côté,
condamnent à tour de rôle «l’horreur» de l’assassinat du prêtre catholique. De retour précipité du
Maroc, Anouar Kbibech, le président du Conseil français du culte musulman (CFCM), lance,
jeudi, un appel pour inviter les musulmans à se rendre à la messe le dimanche suivant.
«Beaucoup de responsables de mosquée, très choqués par ce qui s’était passé, m’appelaient pour
savoir ce qu’il fallait faire», raconte-t-il à Libération. L’initiative trouve un large écho, du côté
catholique comme du côté musulman. Dès le vendredi, des chrétiens se rendent même dans les
mosquées pour la grande prière. C’est le cas à Saint-Etienne-du-Rouvray, où le curé de la
paroisse prend la parole avant le prêche de l’imam. A l’entrée, la mosquée affiche un écriteau :
«Mosquée en deuil».
En écho à l’appel d’Anouar Kbibech, la Conférence des évêques de France (CEF) demande à ses
fidèles de réserver «un bon accueil» aux musulmans lors de la messe dominicale. Dans plusieurs
dizaines de villes, des musulmans répondent à l’appel du CFCM et assistent à l’office catholique,
salués, le plus souvent, à l’entrée de l’église par le prêtre. La plupart des responsables musulmans
font le déplacement. Le recteur de la Grande Mosquée de Paris, Dalil Boubakeur, assiste à la
messe à la cathédrale Notre-Dame de Paris. Le recteur de la mosquée de Bordeaux, Tareq
Oubrou, se rend «en famille» dans une église de la ville.
Les bonnes relations entre chrétiens et musulmans sont-elles nouvelles ?
Depuis le début des années 70, la France est pionnière sur le terrain du dialogue islamo-chrétien.
Au sein de l’Eglise catholique, l’épiscopat est l’un des premiers en Europe à avoir mis en place
un service spécifique pour ses relations avec l’islam. «A l’époque, il existait le désir de mieux se
connaître, d’approfondir ce qui nous était commun», explique Vincent Feroldi, le prêtre
catholique en charge, à l’épiscopat, des rapports avec l’islam. Sur le terrain, des associations se
créent, comme les Fils d’Abraham à Lyon. Sur le plan national émergent les groupes d’amitié
islamo-chrétiens. «C’était l’époque de l’islam des caves», poursuit Vincent Feroldi. Les paroisses
prêtent, par souci de dignité, des salles aux musulmans pour leur prière. C’est le cas à Saint-
Etienne-du-Rouvray. La communauté catholique de la ville va même vendre pour un franc
symbolique le terrain sur laquelle la mosqe est construite. «Le dialogue entre musulmans et
chrétiens existe depuis très longtemps, acquiesce Tareq Oubrou, l’un de ses promoteurs, comme
Azzedine Gaci dans la région lyonnaise. Il y a un vrai tissu de relations entre les imams et les
prêtres.» Côté musulman, en raison de la faiblesse des institutions, il n’existe pas de service
national dédié à ces questions.
Depuis une vingtaine d’années, la nature du dialogue islamo-chrétien a également changé. Il
promeut davantage le vivre ensemble plutôt que les discussions théologiques. Localement, les
musulmans invitent ainsi leurs homologues chrétiens lors de repas de rupture du jeûne pendant le
ramadan. Des relations islamo-chrétiennes qui donnent parfois lieu à des gestes symboliques
forts. Président du conseil régional du culte musulman, Azzedine Gaci avait accompagné, en
2006, le cardinal-archevêque de Lyon, Philippe Barbarin, dans un voyage en Algérie, en mémoire
des moines de Tibhirine, enlevés et assassinés par le GIA.
Le dialogue interreligieux est-il réservé aux seuls catholiques et musulmans ?
Le modèle a fait des émules. Dans les milieux juifs, le rabbin Michel Serfaty est l’un des grands
promoteurs des relations judéo-musulmanes. Au Consistoire central, qui gère les affaires
religieuses du judaïsme français, des rencontres informelles ont lieu régulrement entre
responsables juifs et musulmans. Ils se retrouvent à défendre des dossiers en commun, telle
l’épineuse question de l’abattage rituel. Le dialogue interreligieux a aussi trouvé une transcription
sur le terrain politique. Au début des années 90, la municipalité de Marseille a suscité la création
d’une sorte de conseil local des religions, Marseille espérance. Une structure informelle
mobilisable en cas de crise comme des flambées de violence au Proche-Orient, afin d’éviter des
heurts entre les milieux juifs et musulmans. D’autres villes - Lyon, Bordeaux ou Strasbourg - ont
des structures similaires.
Ponctuellement, des franges identitaires peuvent aussi faire front commun… pour le pire. Comme
lors de la bataille contre le mariage gay : abandonnant un temps sa rhétorique antimusulmane,
l’association d’extrême droite catholique Civitas avait organisé une conférence de presse avec
quelques imams.
Quels sont les chantiers de l’islam de France ?
Comme à chaque attentat, la classe politique repose la question de l’organisation de l’islam de
France, aux côtés des autres religions. En cause, notamment : les financements en provenance de
l’étranger et la question de la formation des imams. Du côté du gouvernement (lire page 3), la
priorité est aujourd’hui à la mise en place d’une fondation qui permettrait plus de transparence
des flux financiers. Mais ses contours sont encore flous. Au ministère de l’Intérieur, la priorité est
donnée à l’aspect culturel, et non pas cultuel, de cette fondation. Sur la formation, le projet est de
fédérer des structures déjà existantes.
Bernadette Sauvaget
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