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indigène, touten laissant aux administrations locales le choix de déterminer, par voie
de décret, la forme du recrutement9. Or, le plus souvent, le recrutement est effectuésur
la base du seul volontariat, ce qui relègue de fait les soldats indigènes au rang de sim-
ples »auxiliaires«,et justifie leur exclusion de la cité. Quant àla loi sur la nationalité,
qui est étendue aux colonies en 1897, elle limite la jouissance des droits civils et poli-
tiques aux seuls »Français de France«. Son article 17 souligne que »rien n’a changéà
la situation des indigènes«. Leur statut juridique –on parle aussi du »statut personnel«
–est régi par le senatus consulte de 1865, dont la généralisation fonde une nouvelle
catégorie de nationaux, celle des»sujets français non citoyens«.La civilisation et la
race deviennent les deux catégories implicites qui justifient l’exclusion des indigènes
de la cité: leurs mœurs, leurs habitudes et leurs traditions sont en effet considérées
comme étant incompatibles avec le Code civil français. La différence entre le citoyen
et le sujet recoupe celle entre l’Européen et l’indigène10.
Àl’approchede la GrandeGuerre, cette dissociation entre conscription et citoyenne-
téest remise en question. Àpartir de 1907, des parlementaires, des militaires et des
juristes débattentde l’emploi en France, en cas de guerre, des troupes indigènes. Deux
décrets instaurent en 1912 le régime de l’appel partiel en Algérie et en Afrique occi-
dentale française(AOF)11. Au cours de la GrandeGuerre, plusieurs décrets,adoptés
notamment en AOF, reviennent sur la dissociation opérée en 1889, en conférant aux
»Originaires«des quatre communes du Sénégal soumis aux obligations militaireset à
leurs descendants le droit de cité12. De même, en Afrique noire, en Indochineetà
Madagascar, la question est posée de savoir si la participation àla Défense nationale
n’implique pas des droits civils, même limités, comme par exemple l’exemption de
l’indigénat13. La Grande Guerre est un moment accélérateur de la genèse de la catégo-
rie impériale du soldat indigène. Sur le plan des représentations, l’épreuve du feu a fait
de ceux que l’on appelait les »auxiliaires indigènes«, des »soldats indigènes«de la
»Plus Grande France«. En métropole, la thématique assimilatrice trouve un large écho
9Cf. Jean-Charles JAUFFRET,Parlement, gouvernement, commandement: l’armée de métier sous
la Troisième République 1871–1914, tome II: Le volontairecolonial, Paris 1987, p. 1016–1021;
ID., Les armes de la plus grande France, dans: Guy PEDROCINI (dir.), Histoire militaire de la
France, tome III: De 1871 à1940, Paris 1992, p. 43–69,ici p. 45–46.
10 Cf. en particulier Emmanuelle SAADA, La République des indigènes, dans: Vincent DUCLERT,
Christophe PROCHASSON (dir.), Dictionnaire critique de la République, Paris 2002, p. 364–370,
ici p. 365–367. Voir aussi Gérard NOIRIEL,Immigration, antisémitismeet racisme en France
(XIXe–XXesiècle). Discours publics, humiliations privées, Paris 2007, p. 189–190.
11 Cf. par exemple Charles-Robert AGERON, Les Algériens musulmans et la France (1871–1919),
Paris 1968; Gilbert MEYNIER,L’Algérie révélée. La guerre de 1914–1918 et le premier quart
du XXesiècle, Genève 1981; Marc MICHEL,Les Africains et la Grande Guerre. L’appel à
l’Afrique (1914–1918),Paris ²2003.
12 Cf. en particulier Marc MICHEL, Citoyennetéet service militaire dans les quatre communes du
Sénégal au cours de la Première Guerremondiale, dans: Perspectives nouvelles sur le passéde
l’Afrique noireet de Madagascar: Mélanges offerts àHubert Déchamps, Paris 1974, p. 299–
314.
13 Les décrets sur l’exemption de l’indigénat sont en pratique souvent restés lettre morte. Pour
l’AOF cf. Gregory MANN, Native Sons. West African Veterans and France in the Twentieth
Century, Durham, Londres 2006.
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