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O S S I E R
© La Lettre du Sénologue, n°15, janvier/février/mars 2002
La physiologie de l’allaitement
Physiology of breastfeeding
● L.M. Houdebine*
L
a fonction essentielle du sein est de faire du lait et
non des cancers. Cette évidence mérite d’être rappelée, car bon nombre de médecins sont beaucoup plus
préoccupés par les cancers mammaires que par l’allaitement, et
ils connaissent de ce fait beaucoup mieux les premiers que le
second. Il est de toute façon souhaitable de connaître le fonctionnement normal d’un organe pour traiter les anomalies qui
sont à l’origine de maladies.
La lactation est une fonction biologique récemment apparue dans
l’évolution. À elle seule, elle caractérise une classe d’animaux,
les mammifères. Ceux-ci ont, semble-t-il, émergé à la faveur de
la disparition accidentelle des dinosaures, à la suite d’une violente perturbation du climat due à une météorite. Depuis, les
mammifères occupent une place importante sur la terre.
La lactation est probablement l’une des solutions les plus élaborées qu’a trouvées l’évolution pour assurer le développement des petits. Chez les ovipares, le seul oviducte assure un
développement partiel de l’embryon et le stockage de nourriture que le fœtus trouvera dans l’œuf après la ponte. L’oviducte des oiseaux s’est donc, d’une certaine manière, divisé en
utérus et glande mammaire chez les mammifères. Chez certains poissons, les adultes sécrètent par leur peau un mucus
que les alevins consomment. Le pigeon dégurgite un liquide
blanchâtre, improprement appelé lait, qui est le résultat d’une
desquamation du jabot. Cette substance constitue une partie
importante de la nourriture des petits pigeons. Il est intéressant
de noter que, chez toutes ces espèces, la prolactine joue le rôle
d’inducteur pour la sécrétion de nourriture provenant des
parents. Cette convergence évolutive n’est que superficielle.
Elle ne concerne pas les mécanismes de synthèse et de sécrétion des différentes nourritures. La sécrétion de prolactine est
très dépendante de l’évolution du cycle lumineux annuel. C’est
donc la lumière, via la prolactine, qui contrôle ces phénomènes
qui n’ont, par ailleurs, que bien peu de ressemblances.
La lactation offre plusieurs avantages à l’espèce. Le nouveau-né
n’est plus aussi dépendant de son environnement immédiat,
puisque sa mère lui sert d’intermédiaire en synthétisant une nourriture idéale. La lactation entretient des liens étroits entre la mère et
ses petits, ce qui contribue à leur apprentissage et à leur éducation.
* UMR biologie du développement et reproduction, Institut National de la
recherche agronomique, 78352 Jouy-en-Josas Cedex.
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LA COMPOSITION DU LAIT
En toute logique, le lait doit au moins apporter de l’énergie,
des acides aminés et des lipides. L’énergie provient des protéines, du lactose et surtout des lipides. Les acides aminés sont
apportés par les protéines du lait (caséines, a-lactalbumine et,
selon les espèces, β-lactoglobuline, protéine acide du lactosérum, transferrine, lactoferrine, etc.).
Le lait contient beaucoup d’autres éléments très importants.
Les caséines contiennent des groupements phosphates auxquels sont liés des ions calcium, particulièrement assimilables
sous cette forme. La transferrine et la lactoferrine sont des
transporteurs de fer.
Le lait contient toute une série de molécules ayant des actions antibactériennes ou antivirales. La lactoferrine a une action bactéricide. Certains oligosaccharides se lient aux bactéries ou aux récepteurs des entérocytes, ce qui empêche ces micro-organismes de
coloniser l’intestin. Le lait contient des lymphocytes et des molécules qui les stimulent. Ces cellules comptent parmi les éléments
de défense du système immunitaire. Le colostrum contient des
immunoglobulines de type IgG qui proviennent du sérum. Elles
sont capables de passer à travers la barrière intestinale du nourrisson pendant les 24 premières heures qui suivent la naissance.
Le lait est riche en IgA qui sont synthétisées par les lymphocytes implantés dans la glande mammaire. Ces IgA traversent
les cellules épithéliales par transcytose pour atteindre le lait.
Les IgA sont particulièrement résistantes aux protéases du système digestif et elles peuvent protéger le tractus digestif du
nourrisson contre des infections. Les défenses immunitaires de
la mère participent ainsi à la protection de ses petits soumis
aux mêmes agents pathogènes de l’environnement.
Selon les espèces, le lait contient des facteurs de croissance,
des hormones, des enzymes de digestion. Certaines de ces
molécules traversent la barrière intestinale dans les premiers
jours après la naissance et elles sont indispensables pour un
développement normal du jeune. Les enzymes de digestion
comme les anticorps sont là pour pallier le manque de maturation de la fonction digestive et du système immunitaire. Par
l’intermédiaire de son lait, la mère prolonge donc le développement de son enfant en lui apportant des éléments plus complexes qu’une simple nourriture.
La Lettre du Gynécologue - n° 285 - octobre 2003
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La composition du lait est très variable d’une espèce à
l’autre.
Le lait des rongeurs est très riche et permet de comprendre la
vitesse à laquelle se développent les nouveau-nés. Le lait de
femme est relativement pauvre en protéines, mais il contient
beaucoup de lactose. La concentration et la composition en
lipides sont également caractéristiques de chaque espèce.
La logique de ces choix évolutifs n’apparaît pas clairement. Il
semble que la composition du lait et les exigences des petits
aient coévolué pour rester compatibles. Aucune des solutions
ne paraît intrinsèquement meilleure qu’une autre.
LA CROISSANCE ET L’INVOLUTION
DE LA GLANDE MAMMAIRE
Chez la plupart des espèces, la glande mammaire reste très peu
différente entre les deux sexes jusqu’à la puberté. Les
ébauches de la glande mammaire émergent de l’ectoderme au
cours de la vie fœtale. L’organe est alors réduit à quelques
canaux débouchant sur le téton et enrobés dans du tissu
conjonctif et du tissu adipeux. Cette situation ne se modifie
pas jusqu’à la puberté. Sous l’influence des stéroïdes ovariens
et de la prolactine, la glande mammaire a une croissance privilégiée, mais encore très restreinte, à partir de la puberté chez la
plupart des espèces. Cette croissance se caractérise par une
densification du réseau des canaux et par l’apparition de bourgeons mammaires plus développés à l’extrémité des canaux.
La véritable croissance de la glande mammaire a lieu pendant
la gestation. La présence prolongée de stéroïdes ovariens, mais
aussi de prolactine et d’hormone placentale lactogène selon les
espèces, induit l’apparition des alvéoles mammaires. Celles-ci
sont des monocouches de cellules épithéliales sécrétrices
entourées de cellules myoépithéliales, de fibroblastes et de cellules adipeuses. Au voisinage immédiat des cellules épithéliales se trouve un gel formé de protéines insolubles qui
constitue la matrice extracellulaire. Les alvéoles sont branchées sur les canaux qui assurent l’évacuation du lait.
La croissance de la glande mammaire est achevée avant la fin
de la parturition chez les espèces où la gestation s’étale sur
plusieurs mois. Elle s’achève pendant la première semaine de
la lactation lorsque la gestation ne dure que quelques semaines
(rongeurs, lapins, etc.).
Au cours de la lactation, la glande mammaire perd progressivement ses cellules sécrétrices qui ne sont pas renouvelées.
Après le sevrage, la glande mammaire subit une involution.
Une nouvelle gestation est donc nécessaire pour induire une
nouvelle croissance mammaire et une nouvelle lactation.
La matrice extracellulaire joue un rôle essentiel dans la formation de la glande mammaire. Les cellules épithéliales qui sont
directement à son contact sont prémunies contre l’apoptose. La
sphère qui résulte de la multiplication des cellules perd les cellules internes qui ne sont pas au contact de la matrice, et c’est
ainsi que se sculptent les alvéoles mammaires.
LES HORMONES DE LA MAMMOGENÈSE
Les stéroïdes ovariens, estrogènes et progestérone, jouent un
rôle essentiel dans la croissance de la glande mammaire. Un
La Lettre du Gynécologue - n° 285 - octobre 2003
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début de croissance mammaire a lieu au cours de la phase
lutéale de chaque cycle ovarien. Cette croissance cesse à la fin
du cycle ou se poursuit, au contraire, si un fœtus donne des
signaux à l’ovaire et/ou au placenta pour que les sécrétions des
stéroïdes continuent.
Les estrogènes ne sont pas à proprement parler des facteurs de
croissance mammaire. Ils n’exercent cette fonction que dans
les cellules tumorales mammaires à un stade précoce de leur
évolution. La progestérone n’est qu’un facteur de croissance
mammaire peu puissant.
La prolactine a une action mammogène décisive. Son mode
d’action reste inconnu. Tout indique que la prolactine est incapable de stimuler la croissance des cellules mammaires in
vitro. Elle n’agit donc qu’in vivo, par l’intermédiaire d’un
relais qui n’a pas été identifié.
D’autres hormones (hormone de croissance, glucocorticoïdes)
ont une action importante sur la croissance mammaire.
Une part essentielle de la multiplication des cellules mammaires est contrôlée par des facteurs de croissance produits par
la glande mammaire elle-même (IGF1, MDGF, HGF, TGFa,
etc.). Cette stratégie, qui est l’apanage de pratiquement tous
les tissus, assure une spécificité d’action restreinte à un
organe.
LES HORMONES DE LA LACTATION
La progestérone, mais aussi le TGFb s’opposent tout au long
de la gestation à l’induction de la sécrétion lactée. La progestérone agit localement sur les cellules mammaires et exerce un
frein puissant sur les sécrétions de prolactine par l’hypophyse.
La chute brutale de la progestéronémie qui accompagne la parturition lève les effets des inhibiteurs de la progestérone sur la
glande mammaire et l’hypophyse. La prolactinémie augmente
fortement, et avec elle apparaît la sécrétion lactée.
Tout au long de la lactation, la sécrétion lactée est entretenue par
la prolactine et l’ocytocine qui sont induites par la tétée. L’ocytocine provoque une contraction des cellules myoépithéliales, directement responsable de l’éjection du lait. Une bonne vidange de la
glande mammaire mais également d’autres actions plus subtiles
de l’ocytocine contribuent à l’entretien de la sécrétion lactée.
L’hormone de croissance oriente également le métabolisme
maternel vers la glande mammaire. C’est en réalité une modification assez profonde des équilibres métaboliques que subit
la mère au cours de la gestation et de la lactation.
L’insulinémie élevée pendant la gestation permet à la mère de
faire des réserves d’énergie sous forme de graisse (4 kg chez la
femme, qui seront nécessaires pour assurer la lactation qui va
suivre).
L’insulinémie est plutôt faible pendant la lactation, mais les
récepteurs mammaires de l’insuline ont une affinité élevée.
Ainsi, l’absorption des nutriments (glucose, acides aminés) se
trouve ciblée préférentiellement par la glande mammaire, aux
dépens des organes de stockage de l’organisme.
Les hormones digestives favorisent également l’assimilation
de la nourriture pendant la gestation et la lactation. Cela
s’accompagne d’un changement d’équilibre entre les systèmes
sympathiques et parasympathiques. La mère est ainsi invitée à
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réduire son activité musculaire et à économiser les dépenses
énergétiques.
Dans le même temps, la succion favorise l’assimilation du lait
par le nourrisson et le calme. Tout concourt donc pour que la
mère et l’enfant vivent l’allaitement de manière paisible et harmonieuse.
La modulation de la sécrétion lactée est possible dans une certaine mesure. Des injections d’hormone de croissance stimulent fortement la sécrétion lactée chez les ruminants. Certaines
expériences suggèrent que l’hormone de croissance humaine,
également dotée d’une activité prolactine, augmente la sécrétion lactée chez la femme.
L’absorption par voie orale d’extraits de certaines plantes est
connue dans la plupart des communautés humaines pour stimuler la sécrétion lactée. Dans les pays occidentaux, la bière
ou le cidre sont réputés avoir de tels effets. De manière remarquable, les mêmes types de plantes sont utilisés dans ce but
chez des peuples vivant sous les tropiques sur différents continents et qui n’ont pas pu se communiquer leurs recettes. Les
molécules, ou tout au moins certaines d’entre elles qui sont
responsables de ces effets, ont été identifiées. Les b-glucanes
provenant du malt semblent être les substances actives de la
bière, tandis que la présence des pectines paraît rendre compte
de l’action de la plupart des autres plantes. Une préparation
rationalisée de ces substances serait aisée et peu onéreuse. Elle
permettrait de les utiliser de manière mieux contrôlée et plus
confortable.
Il est bien connu qu’une vidange aussi complète que possible
de la glande mammaire est indispensable pour assurer un bon
entretien de la sécrétion lactée. L’ocytocine participe au bon
déroulement de l’éjection du lait. En toute logique, l’accumulation du lait doit induire un phénomène de rétroaction sur sa
synthèse. Des facteurs inhibiteurs exerçant de tels effets ont
été trouvés dans le lait. Il s’agit de glycoprotéines dont les
mécanismes d’action ne sont que partiellement connus.
Pour assurer une sécrétion lactée, une mère doit absorber des
quantités de nourriture suffisantes. Elle doit par ailleurs éviter
les situations de stress, qui bloquent la sécrétion de lait. De
telles inhibitions prolongées induisent une involution partielle
et en grande partie irréversible du tissu sécréteur.
CONCLUSION
La lactation est un remarquable système d’adaptation qui
assure une alimentation et une protection efficaces au nouveau-né. L’espèce humaine est la seule parmi les mammifères
qui a su s’en passer en inventant des nourritures de substitution.
L’allaitement maternel humain bénéficie ou pâtit cycliquement
d’effets de mode. La multiplicité des actions de différents
composants du lait invite fortement les femmes à ne pas négliger de faire ce don à leur enfant. Il est admis que même une
période d’allaitement ne dépassant pas deux mois est bénéfique pour l’enfant, en particulier pour le protéger contre des
maladies. Un biologiste ne peut qu’inciter une mère à allaiter
son enfant pour lui donner les meilleures chances de franchir
les premiers mois de sa vie dans les meilleures conditions. ■
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DE L’INDUSTRIE PHARMACEUTIQUE
S A V O I R
P L U S . . .
– Houdebine LM. La physiologie du sein en dehors de la lactation et physiologie
de la lactation. In : Espié M, Gorins A (ed). le Sein. Eska, 2001.
– Houdebine LM. Biologie de la lactation. In : Encycl Med Chir. Paris :
Elsevier, 1997 ; Gynécologie/Obstétrique, 5-008-A-30, 15 p.
– Biologie de la lactation (1993) ou Biology of lactation (1999). Martinet J.
Houdebine LM, Head HH (ed). Éditions INRA.
travers de rachialgies,
d’une diminution de
taille, d’une déformation
disgracieuse, et d’une
Communiqués des conférences de presse, symposiums, manifestations organisés par l’industrie pharmaceutique
limitation des activités
quotidiennes.
Traitement de l’ostéoporose avérée
La Commission européenne du médicament
chez les femmes ménopausées : Forsteo®
vient de délivrer une autorisation de mise sur le
marché pour Forsteo® (tériparatide, laboratoires
L’ostéoporose touche plus de 150 millions de
Lilly) dans le traitement de l’ostéoporose avérée
sujets dans le monde. Une femme ménopausée
chez les femmes ménopausées.
sur trois en souffre. Avec l’allongement de
l’espérance de vie, cette affection devient un
Le tériparatide est le fragment
véritable enjeu de santé publique en raison de sa
1-34 de la parathormone
morbi-mortalité et de ses conséquences socioForsteo® est le premier agent de formation
économiques.
osseuse à recevoir une AMM centralisée pour
Plusieurs études ont montré que le risque de
les 15 États membres de l’Union européenne
nouvelles fractures ostéoporotiques augmentait
dans cette indication. Cette décision résulte des
dès la survenue d’une première fracture. Parmi
données d’efficacité et de tolérance de la moléelles, les fractures vertébrales peuvent être rescule issues d’études cliniques réalisées chez plus
ponsables d’une altération de la qualité de vie au
de 2 000 patientes. L’étude pivot a permis de
N OUVELLES
E N
démontrer que le tériparatide réduisait significativement, chez les femmes ménopausées ostéoporotiques avec antécédent de fracture, le risque
de nouvelles fractures vertébrales de 65 % par
rapport au placebo après 18 mois de traitement.
Jusqu’à présent les traitements disponibles ne
faisaient que freiner la résorption osseuse, alors
que Forsteo® stimule la formation osseuse.
La posologie quotidienne du produit est de 20
microgrammes en une injection sous-cutanée
quotidienne réalisée à l’aide d’un stylo injecteur,
sur une durée de 18 mois.
Les effets indésirables les plus fréquents sont :
nausées, douleurs dans les membres, céphalées
et sensations de vertige.
Le lancement du tériparatide sera échelonné
dans les pays de l’union européenne en fonction
des différentes procédures d’accès au remboursement.
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M.P.
La Lettre du Gynécologue - n° 285 - octobre 2003
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