Vision floueaprès prises d`inhibiteurs de la pompe à protons

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étude de cas
Vision floue après prises d’inhibiteurs
de la pompe à protons
Cet article rapporte, pour la première fois de façon détaillée
chez trois patientes, la survenue d’une vision floue bilatérale
invalidante quatre à cinq jours après l’introduction d’oméprazole, d’ésoméprazole, de pantoprazole ou de rabéprazole. Cet
effet secondaire rare a disparu dans le même délai après arrêt
de ces inhibiteurs de la pompe à protons.
introduction
Rev Med Suisse 2012 ; 8 : 811-4
S. Trevisani
J.-M. Cereda
Drs Sabine Trevisani
et Jean-Michel Cereda
Service de gastroentérologie
et d’hépatologie
Département de médecine interne
Hôpital du Valais
3960 Sierre
[email protected]
[email protected]
Blurred vision : a rare secondary effect of
proton pump inhibitors
This paper reports for the first time in detail
three clinical cases of patients developping
invalidating bilateral blurred vision four to five
days after the introduction of omeprazole, esomeprazole, pantoprazole and rabeprazole. This
uncommon secondary effect was reversible
within the same delay after the withdrawal of
these proton pump inhibitors.
Les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) constituent une
prescription très fréquente. En 2006, en Suisse, ils étaient en
quatrième position parmi les thérapeutiques à plus forts revenus, générant un chiffre d’affaires de 256 millions de francs
suisses pour plus de 100 millions de doses consommées.1
Leurs bénéfices thérapeutiques ne sont plus à prouver dans
les indications reconnues et les effets indésirables graves sont
considérés comme rares.2 Pourtant, nombreux sont les effets
secondaires bénins mais non moins invalidants.
Dans cet article, nous présentons trois cas de patientes ayant
développé une vision floue bilatérale après prise d’oméprazole, d’ésoméprazole, de pantoprazole et de rabéprazole. Ce
type de descriptions détaillées n’a pas été retrouvé dans la
littérature scientifique.
cas clinique n° 1
Il s’agit d’une patiente de 61 ans, sans antécédent ni comorbidité hormis une
myopie stable corrigée par le port de lunettes, ne prenant aucun médicament,
qui présente une symptomatologie de reflux gastro-œsophagien. Une prescription de 40 mg d’oméprazole par jour est établie par son généraliste. Trois
jours après l’introduction de ce médicament, la patiente présente au réveil
une vision floue bilatérale, sans autre déficit. L’examen ophtalmologique effectué le jour même par un spécialiste ne révèle pas d’anomalie, hormis la myopie stable déjà connue. La patiente diminue alors de son propre chef la dose
d’oméprazole à 20 mg/jour pendant cinq jours. N’observant pas de changement notable de la symptomatologie oculaire, elle décide de stopper la prise
du traitement. La vision se normalise entièrement en quatre jours. Comme le
reflux récidive, 40 mg/jour de pantoprazole lui sont alors proposés. Les mêmes
symptômes oculaires réapparaissent au quatrième jour. Ils régressent totalement au cinquième jour après l’arrêt de cette deuxième molécule d’IPP. Finalement, 30 mg/jour de lansoprazole viennent à bout des symptômes du reflux
sans résurgence des troubles oculaires.
cas clinique n° 2
Il s’agit d’une patiente de 40 ans, en bonne santé habituelle, sans problème
oculaire, ne prenant aucun médicament, en particulier pas d’anti-inflamma-
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toire non stéroïdien (AINS), qui présente des épigastralgies nouvelles. Un ulcère antral est diagnostiqué par
œso-gastro-duodénoscopie (Helicobacter pylori négatif, histologie non méta-dysplasique). Les dosages de la gastrine et du calcium sont dans la norme. De l’oméprazole
40 mg/jour est prescrit. La symptomatologie douloureuse
épigastrique s’estompe alors rapidement. En revanche,
quatre à cinq jours après l’instauration du traitement, la
patiente développe une vision floue bilatérale, décrite
comme un voile de brouillard. Un neurologue, consulté
le jour même, ne décèle pas d’anomalie expliquant ce
trouble, et une IRM cérébrale effectuée le lendemain
est normale. Une consultation ophtalmologique ne met
pas en évidence de lésions oculaires ni de causes à ce
symptôme. A l’arrêt du médicament, la symptomatologie
oculaire disparaît après cinq jours.
Lors de nouvelles récidives de symptomatologie ulcéreuse, d’autres IPP ont été testés : l’ésoméprazole (40
mg/jour), puis le pantoprazole (40 mg/jour) et enfin le rabéprazole (20 mg/jour). Tous ont fait disparaître les épigastralgies, mais chacun a provoqué des manifestations
oculaires sous forme de vision floue quatre à cinq jours
après leur introduction. Pour chaque molécule, cet effet
a été réversible en quelques jours après leur arrêt.
La patiente décrit l’oméprazole comme ayant été le
médicament avec les plus fortes manifestations oculaires.
En 2009, 2010 et 2011, lors de nouvelles récidives de
manifestations digestives hautes, 30 mg/jour de lansoprazole pendant quatre semaines lui ont été prescrits
avec un bon effet sur les douleurs épigastriques et sans
vision floue associée.
cas clinique n°3
Il s’agit d’une patiente de 65 ans, sans traitement médicamenteux, porteuse de lunettes pour myopie stable,
qui présente des symptômes de reflux gastro-œsophagien sans œsophagite à l’endoscopie. D’abord 20 mg/jour
d’ésoméprazole, puis 20 mg/jour de pantoprazole lui
sont successivement proposés. Quatre jours après leur
introduction, l’un et l’autre provoquent une vision floue
bilatérale, responsable par ailleurs d’un premier accident de voiture sans gravité. L’arrêt de ces deux substances a vu disparaître la symptomatologie oculaire en
quelques jours. Depuis, des traitements intermittents
d’antiacide et de ranitidine ont permis de juguler le reflux sans effet secondaire ophtalmologique.
discussion
En Suisse, selon une communication personnelle du
Service de pharmacologie et toxicologie cliniques des Hôpitaux universitaires de Genève, centre régional de pharmacovigilance, il a été rapporté, pour cette classe de médicaments, 21 cas de troubles de la vision (comprenant vision
anormale et diplopie) sur un total de 970 effets indésirables. Dans la base mondiale de l’OMS (Organisation mondiale de la santé), toujours selon le même service, il n’a été
rapporté paradoxalement que 184 cas de troubles de la
vision sur un total de 74 590 effets secondaires. Il s’agit
812
d’annonces spontanées ne permettant pas de calculer une
incidence.
Le Compendium suisse des médicaments mentionne
comme effet secondaire, avec survenue rare (entre 1/1000
et 1/10 000), pour les cinq IPP disponibles sur le marché
(ésoméprazole, lansoprazole, oméprazole, pantoprazole et
rabéprazole) des troubles de la vision. Le descriptif clinique n’y est pas détaillé.
Les tentatives pour obtenir de plus amples informations
sur cet effet secondaire auprès des entreprises pharmaceutiques concernées, décrit et mentionné par elles-mêmes,
constaté lors des études de phases III, sont restées vaines.
Une revue de la littérature basée sur les banques de
données indexées de PubMed et Medline retrouve dans
une étude,3 et uniquement dans un tableau, l’énumération
de trois patients qui ont développé une vision floue bilatérale après avoir reçu respectivement 20 mg PO, 60 mg PO
et 80 mg IV d’oméprazole, réversible après l’arrêt du médicament. Cette même étude englobait six autres patients
qui ont présenté une neuropathie ischémique irréversible
du nerf optique après la prise d’IPP. Aucune distinction n’a
été faite par les auteurs entre ces deux types de troubles
visuels et seule l’atteinte grave a été discutée. Cet article a
de plus été critiqué et la relation neuropathie ischémique/
oméprazole remise en question.
Trois grandes études de cohortes 4-6 se sont penchées
sur les éventuels dangers oculaires des IPP. Seuls les événements oculaires graves ont été retenus et démontrés
comme statistiquement non significatifs chez les utilisateurs
d’IPP par rapport aux non-utilisateurs. Les effets secondaires
bénins, telle la vision floue bilatérale, n’ont en revanche pas
été considérés dans ces études.
conclusion
Notre article décrit pour la première fois de façon détaillée
les cas cliniques de trois patientes qui ont présenté quatre
à cinq jours après des prescriptions d’oméprazole, de pantoprazole, d’ésoméprazole ou de rabéprazole, la survenue
d’une vision floue bilatérale, persistante et handicapante
pour la vie quotidienne. Dans un cas, cette atteinte a contribué à la survenue d’un accident de voiture. La vision floue
a été réversible quatre à cinq jours après l’arrêt de ces molécules. Des investigations spécialisées se sont avérées dans
les normes.
Contrairement aux autres IPP, et bien qu’il puisse s’agir
de circonstances fortuites, le lansoprazole 30 mg/jour n’a pas
provoqué de vision floue bilatérale chez deux patientes
lorsqu’un IPP était nécessaire pour combattre une symptomatologie épigastrique récidivante.
Cet article devrait permettre d’évoquer chez le prescripteur et le patient, la relation causale IPP/vision floue plus
précocement. Des recherches quant aux mécanismes d’action des IPP au niveau oculaire, qui demeurent à ce jour inconnus, devraient être menées et l’accès aux études de
phase III pourrait déjà fortement y contribuer.
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Implications pratiques
> La relation causale IPP (inhibiteurs de la pompe à protons)/
vision floue doit être évoquée chez le prescripteur et le
patient
> Cet effet secondaire, qui peut être très handicapant, est rare
> Il apparaît le quatrième ou cinquième jour après leur introduction
> Il disparaît entièrement dans le même temps après arrêt
> Le mécanisme d’action des IPP au niveau oculaire demeure
inconnu
Bibliographie
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2 ** Maffei M, Desmeules J, Cereda JM, Hadengue A.
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