toire non stéroïdien (AINS), qui présente des épigastral-
gies nouvelles. Un ulcère antral est diagnostiqué par
œso-gastro-duodénoscopie (
Helicobacter pylori
négatif, his-
tologie non méta-dysplasique). Les dosages de la gas-
trine et du calcium sont dans la norme. De l’oméprazole
40 mg/jour est prescrit. La symptomatologie douloureu se
épigastrique s’estompe alors rapidement. En revanche,
quatre à cinq jours après l’instauration du traitement, la
patiente développe une vision floue bilatérale, décrite
comme un voile de brouillard. Un neurologue, consulté
le jour même, ne décèle pas d’anomalie expliquant ce
trouble, et une IRM cérébrale effectuée le lendemain
est normale. Une consultation ophtalmologique ne met
pas en évidence de lésions oculaires ni de causes à ce
symptôme. A l’arrêt du médicament, la symptomatologie
oculaire disparaît après cinq jours.
Lors de nouvelles récidives de symptomatologie ulcé-
reuse, d’autres IPP ont été testés : l’ésoméprazole (40
mg/jour), puis le pantoprazole (40 mg/jour) et enfin le ra-
béprazole (20 mg/jour). Tous ont fait disparaître les épi-
gastralgies, mais chacun a provoqué des manifestations
oculaires sous forme de vision floue quatre à cinq jours
après leur introduction. Pour chaque molécule, cet effet
a été réversible en quelques jours après leur arrêt.
La patiente décrit l’oméprazole comme ayant été le
médicament avec les plus fortes manifestations oculaires.
En 2009, 2010 et 2011, lors de nouvelles récidives de
manifestations digestives hautes, 30 mg/jour de lanso-
prazole pendant quatre semaines lui ont été prescrits
avec un bon effet sur les douleurs épigastriques et sans
vision floue associée.
cas clinique n°3
Il s’agit d’une patiente de 65 ans, sans traitement mé-
dicamenteux, porteuse de lunettes pour myopie stable,
qui présente des symptômes de reflux gastro-œsopha-
gien sans œsophagite à l’endoscopie. D’abord 20 mg/jour
d’ésoméprazole, puis 20 mg/jour de pantoprazole lui
sont successivement proposés. Quatre jours après leur
introduction, l’un et l’autre provoquent une vision floue
bilatérale, responsable par ailleurs d’un premier acci-
dent de voiture sans gravité. L’arrêt de ces deux subs-
tances a vu disparaître la symptomatologie oculaire en
quelques jours. Depuis, des traitements intermittents
d’antiacide et de ranitidine ont permis de juguler le re-
flux sans effet secondaire ophtalmologique.
discussion
En Suisse, selon une communication personnelle du
Service de pharmacologie et toxicologie cliniques des Hô-
pitaux universitaires de Genève, centre régional de phar-
macovigilance, il a été rapporté, pour cette classe de médi-
caments, 21 cas de troubles de la vision (comprenant vision
anormale et diplopie) sur un total de 970 effets in désira-
bles. Dans la base mondiale de l’OMS (Organisation mon-
diale de la santé), toujours selon le même service, il n’a été
rapporté paradoxalement que 184 cas de troubles de la
vision sur un total de 74 590 effets secondaires. Il s’agit
d’annonces spontanées ne permettant pas de calculer une
incidence.
Le Compendium suisse des médicaments mentionne
comme effet secondaire, avec survenue rare (entre 1/1000
et 1/10 000), pour les cinq IPP disponibles sur le marché
(ésoméprazole, lansoprazole, oméprazole, pantoprazole et
rabéprazole) des troubles de la vision. Le descriptif clini-
que n’y est pas détaillé.
Les tentatives pour obtenir de plus amples informations
sur cet effet secondaire auprès des entreprises pharmaceu-
tiques concernées, décrit et mentionné par elles-mêmes,
constaté lors des études de phases III, sont restées vaines.
Une revue de la littérature basée sur les banques de
données indexées de PubMed et Medline retrouve dans
une étude,3 et uniquement dans un tableau, l’énumération
de trois patients qui ont développé une vision floue bila-
térale après avoir reçu respectivement 20 mg PO, 60 mg PO
et 80 mg IV d’oméprazole, réversible après l’arrêt du médi-
cament. Cette même étude englobait six autres patients
qui ont présenté une neuropathie ischémique irréversible
du nerf optique après la prise d’IPP. Aucune distinction n’a
été faite par les auteurs entre ces deux types de troubles
visuels et seule l’atteinte grave a été discutée. Cet article a
de plus été critiqué et la relation neuropathie ischémique/
oméprazole remise en question.
Trois grandes études de cohortes 4-6 se sont penchées
sur les éventuels dangers oculaires des IPP. Seuls les évé-
nements oculaires graves ont été retenus et démontrés
comme statistiquement non significatifs chez les utilisateurs
d’IPP par rapport aux non-utilisateurs. Les effets secondaires
bénins, telle la vision floue bilatérale, n’ont en revanche pas
été considérés dans ces études.
conclusion
Notre article décrit pour la première fois de façon détaillée
les cas cliniques de trois patientes qui ont présenté quatre
à cinq jours après des prescriptions d’oméprazole, de pan-
toprazole, d’ésoméprazole ou de rabéprazole, la survenue
d’une vision floue bilatérale, persistante et handicapante
pour la vie quotidienne. Dans un cas, cette atteinte a contri-
bué à la survenue d’un accident de voiture. La vision floue
a été réversible quatre à cinq jours après l’arrêt de ces mo-
lécules. Des investigations spécialisées se sont avérées dans
les normes.
Contrairement aux autres IPP, et bien qu’il puisse s’agir
de circonstances fortuites, le lansoprazole 30 mg/jour n’a pas
provoqué de vision floue bilatérale chez deux patien tes
lorsqu’un IPP était nécessaire pour combattre une sympto-
matologie épigastrique récidivante.
Cet article devrait permettre d’évoquer chez le prescrip-
teur et le patient, la relation causale IPP/vision floue plus
précocement. Des recherches quant aux mécanismes d’ac-
tion des IPP au niveau oculaire, qui demeurent à ce jour in-
connus, devraient être menées et l’accès aux études de
phase III pourrait déjà fortement y contribuer.
812 Revue Médicale Suisse
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