Socio-anthropologie
11 | 2002
Attirances
L’endogène
Pour le dépassement des limites du métissage et de la créolité
André Whittaker
Édition électronique
URL : http://socio-
anthropologie.revues.org/143
ISSN : 1773-018X
Éditeur
Publications de la Sorbonne
Édition imprimée
Date de publication : 15 juin 2002
ISSN : 1276-8707
Référence électronique
André Whittaker, « L’endogène », Socio-anthropologie [En ligne], 11 | 2002, mis en ligne le 15 novembre
2003, consulté le 01 octobre 2016. URL : http://socio-anthropologie.revues.org/143
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L’endogène
Pour le dépassement des limites du métissage et de la créolité
André Whittaker
1 Lorsque les instruments conceptuels existant sur le marché des sciences sociales ne
peuvent appréhender certaines réalités sociales, on opère généralement par extension de
concepts rapprochés. Cette extension peut déboucher sur deux effets pervers. D’une part,
elle peut naturer cette réalité ou en faire une fausse lecture ; d’autre part, elle peut
affaiblir l’instrument conceptuel en le glissant dans une zone d’ambiguïté, créant ainsi
une confusion épistémologique inopératoire. C’est pourquoi il est plus opportun, dans
certains cas, de construire un nouvel instrument conceptuel pour appréhender cette ou
ces réalité(s) spécifique(s) ou nouvelle(s) qui jusque-là n’avai(en)t pas fait l’objet
d’investigation scientifique ; et/ou de construire une nouvelle pene. Un instrument
conceptuel, le métissage, et une notion, la créolité ou créolisation, candidates au statut
d’instrument conceptuel, sont aujourd’hui confronté à ce problème.
2 Depuis un quart de siècle les pnones de contact et de mélanges culturels débouchant
sur l’émergence de nouvelles iden-tités et pratiques collectives attirent une attention
particulière des sciences sociales. Parmi les multiples qualificatifs plus ou moins
joratifs (syncrétisme, sang lés, bâtard, mixture…) qui dési gnent ces phénomènes,
l’un d’entre eux semble avoir été promu au rang d’instrument conceptuel par la
communauté scientifique : le métissage. Ce concept a connu un el succès. Mais, par effet
de mode ou de commodité intellectuelle, il a fait l’objet de toutes sortes d’extensions tant
et si bien qu’il subit aujourd’hui le double pnone précité, d’affaiblissement
conceptuel et de fausse lecture de certaines réalités dont celles de l’émergence de
nouvelles iden tités collectives et pratiques sociales. Si le métissage ne délimite pas son
objet et continue à satisfaire l’effet de mode, il risque de s’inscrire dans une antinomie
conceptuelle qui le réduirait à n’être qu’une banale idéologie de la mondialisation comme
certains le lui reprochent jà.
3 Une autre notion voit sa candidature au statut de concept scientifique se heurter
précisément à ces problèmes : la créolisation. Nous démontrons que la créolité et la
créolisation, piées par la ruse du langage, se noient dans un universel abstrait.
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4 Compte tenu de leurs limites, aucun de ces notions-concepts ne peut réellement
appréhender les phénomènes d’émergence de nouvelles identités collectives et pratiques
sociales. Du coup c’est tout un champ d’investigation pertinent, en ce but du XXIe
siècle, qui se trouve vierge, c’est-à-dire sans instrument conceptuel ou paradigme pointu
pour son exploration.
5 Le concept d’endogène proposé dans cette étude est le pivot d’une nouvelle approche qui
consire que les entités culturelles tendent à s’émanciper de leurs cultures res, par
passement dialectique, en construisant des identités autonomes. Il convient par
conquent de les étudier en soi et pour soi. La pensée endone a l’ambition non
seulement de dépasser les limites dutissage et de la colité ou la créolisation, mais de
fonder la construction d’une nou velle pene antillaise-guyanaise, voire du Sud : Afrique,
Caraïbes, Pacifique (ACP).
6 Le mot métis vient du mot latin mixtus qui veut dire lan et plus précisément « qui est
fait de moitié d’une chose et de moitié d’une autre » selon le dictionnaire. Cettefinition
a connu de nombreuses extensions, interprétations, acceptions et connotations. Si l’on
veut éviter des confusions notoires qui faussent l’analyse scientifique, il importe de
limiter le champ de ce concept en éclaircissant ses régions sens. Pour cela, il est
cessaire de risquer une classification des approches et des interprétations du métissage
en soulignant l’intérêt mais aussi les difficultés et limites de chacune d’elles.
7 On peut arbitrairement distinguer trois grandes zones d’approche du métissage et une
quatrième propoe dans la présente étude : le métissage générique ou fondamental,
l’anti-métissage, le métissage phénonal et un métissage circonstanciel ou contingent
que nous proposons.
8 A. Le tissagerique ou l’approche philosophique
9 La première approche du tissage part d’une définition générique du concept, comme
caractéristique du genre humain : toute culture est métisse. Elle gage des principes
philosophiques ter ministes : tout commence et finit par le métissage. Cette approche
donne lieu notamment à trois discours.
10 Le premier discours est développé notamment par F. Laplantine et A. Nouss1, qui donnent
à leur petit livre, Le métissage, l’« ambition (...) de contribuer à transformer cette notion
en concept voire en paradigme» (p.8) . Les « jalons théoriques » partent d’un constat :
« le lange est un fait qui n’a rien de circonstanciel, de contingent,… » ; le tissage
« n’est autre que la reconnaissance de la pluralité de l’être dans son devenir » (p. 71). La
pensée tisse est une pene de la médiation et de la participation à au moins deux
univers.
11 Mais, comment concrètement s’articule cet univers pluriel ? Devant ce mur, les auteurs
avouent ne pas posséder de clé, et préfèrent répondre par la négative. « Faute de pouvoir
dire ce qu’est le métissage (...) nous pouvons néanmoins tenter maintenant de nous en
approcher en précisant ce qu’il n’est pas. » (p. 80) Par extrapolation on comprend qu’il est
une sorte de « non-être », qui ne peut pas ne pas être ou encore une sorte de nature
composite que l’on ne peut saisir que comme un tout abstrait dépassant la « rationalité
scientifique ». La tentative d’esquisse théorique de Laplantine et Nouss, ne parvenant pas
à définir l’univers pluriel, s’aventure et s’égare dans la métaphysique.
12 Le deuxième discours est celui de la créolité ou la cré o li sa tion, que nous développerons
plus loin.
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13 Le troisième discours est le support idéologique de la mondialisation qui devait se
présenter comme un phénomène inéluctable, parce que naturel, répondant à une loi de
l’Histoire. Le tissage est venu à point nommé pour répondre à ce besoin idéologique.
Les médias se sont mis à propager et à diffuser toutes sortes de messages, de slogans, de
mots d’ordre, de clichés sesumant par : le XXIe siècle sera celui du métissage.
14 s lors, tout se confond. Le métissage fait voler en éclats la frontière entre tissage et
non-métissage, le « Tout-monde » étant un monde métis. Poussée à l’extrème, cette
pensée tisse tota-lisante débouche sur une impasse caractérisée par l’antinomie 1= -1.
Car si tout est métissage, rien ne différencie le métissage du non-métissage. Le tissage
signe à la fois ce qui est lan et ce qui ne l’est pas, donc quelque chose et son
contraire. Cette propo-sition antinomique est intenable et avec elle s’effondre toute la
philosophie métisse.
15 B. La gation du tissage ou l’anti-métissage
16 La deuxième approche, se situant à l’autre extrémité, prend radicalement le contre-pied
de la pensée tisse. Cette position se traduit par une négation du métissage en tant
qu’instrument conceptuel. Elle consire que le métissage est épiphénomènal, accidentel
et nullement pertinent.
17 Parmi les écrits qui défendent cette position, l’ouvrage de R. Toumson, Mythologie du
tissage, nous semble le plus inté-ressant2. C’est un réquisitoire en ordre contre le
tissage qui cacherait une idéologie « impliquant une négation de l’alrité ». Il
construit le concept en voilant ses ambiguïtés étymologiques et montre que
l’histoire du tissage est une mythologie.
18 Toumson ussit magistralement son opération de démolition de la mythologie du
tissage, mais il a malheureusement oublié un petit tail qui limite la portée de son
discours : c’est le fait socio-anthropologique du métissage, incontestable dans certaines
situa-tions de contact culturel. On ne peut scientifiquement nier un fait objectif à cause
des interprétations subjectives qui le dénaturent.
19 Ainsi, chassez le tissage, il revient aussitôt. Mieux vaut dans ce cas l’apprivoiser, le
situer et le canaliser, plutôt que le nier. C’est ce que tentent de faire certains historiens
comme S. Gruzinski et anthropologues comme J.-L Amselle et J.-L Bonniol, en déve-
loppant une approche que nous qualifions de pnoménale.
20 C. Le tissage phénoménal ou l’approche historique et anthropologique
21 L’approche phénoménale met l’accent sur la constance et la pertinence du fait de
tissage. Elle ne risque pas, comme l’approche gérique, une fusion entre métissage et
non-métissage. En ce sens que le tissage est temporel. Il se situe à un moment dans le
temps et à un lieu dans l’espace, dans un rapport complexe avec le non-métissage. Cette
marche est logique et cohérente tant que le concept n’est pas utilisé pour appréhender
des catégories permanentes comme les nouvelles identités collectives. Lorsqu’elle
s’aventure sur ce terrain, elle tombe sous le coup de l’antinomie précédemment
montrée pour la pensée métisse. Les différents angles sous lesquels a été dévelope
cette approche mettent en évi-dence ces difficultés.
22 L’angle historique de S. Gruzinski est expo dans un ouvrage au titre prometteur : La
pene métisse3. Gruzinski part d’un constat quasi-unanime, celui que le phénomène de
tissage se « retrouve à des échelles diverses tout au long de l’histoire de l’humanité »
(p. 36). Il formule au départ un questionnement pertinent : « Par quelle alchimie les
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cultures se langent-t-elles ? » Mais, mal-heureusement, les réponses se limitent aux
faits historiques. Cette marche n’est pas toutefois inintéressante car elle apporte
beaucoup d’éclaircissements sur la problématique des contacts culturels en invitant à une
nouvelle lecture de l’histoire. L’oc cidentalisation du monde est analysée dans sa globalité
et sa complexité.
23 Gruzinski analyse de manière fine commence le tissage à travers l’histoire, mais
non pas il finit, c’est-à-dire comment naissent les cultures non métisses ou encore
comment les cultures s’émancipent du métissage. Ainsi, il ne gage pas des lois ou des
régularités permettant d’apphender les phénomènes d’émergence des identités
nouvelles dans leur scificité.
24 J.-L. Amselle, dans son ouvrage Logiques métisses, essaie de passer cette difficulté
majeure4. Il aborde la problématique du métissage sous l’angle anthropologique en
affichant d’embe son ambition de dégager sinon une loi, du moins une régularité. Pour
cela il est obligé, malheureusement, de faire un renversement conceptuel, certes
judicieux, mais qui, loin d’éclaircir le débat, l’obscurcit.
25 Il commence par présenter la logique métisse plut comme un projet de dépassement de
la raison ethnologique prisonnière de l’analyse binaire commode, mais stérile, et dont les
fondements se révèlent discutables : socié sans Etat/société à Etat, auto subsistance/
marché, paganisme/islam...
« L’analyse en termes de “ logique métisse ” permet au contraire d’échapper à la
question de l’origine et de faire l’hypothèse d’une régression infinie. Il ne s’agit plus
de se demander ce qui est premier, du segmentaire ou de l’Etat, du paganisme ou de
l’islam, de l’oral ou de l’écrit, mais de postuler un syncrétisme originel, un mélange
dont il est impossible de dissocier les parties. » (p. 248)
26 C’est-à-dire l’indistinction. Le tissage serait donc la car ac ris tique fondamentale des
cultures marqes par ce syncrétisme originel.
27 Amselle est confronté au me problème d’antinomie conceptuelle que la pensée
tisse. s’arrête et commence le syncrétisme originel ? Il ne peut répondre à ces
questions car la logique métisse n’est en fait qu’une hypothèse d’école. Ce qui le conduit,
dans un autre ouvrage, à s’éloigner de la probmatique du métissage pour développer la
thématique du « branchement5 ».
28 La démarche de J.-L. Bonniol est plus prudente. Il tente de présenter « quelques éléments
de réflexion préalables » à « une théorie du métissage [qui] reste encore à produire6 ». Il
commence par mettre en cause le fondement biologique implicite du métissage à partir
de l’individu métis. Mais l’individu métis a des marques biologiques visibles. Ces
différences, pour Bonniol, sont liées à la notion de race et ainsi à celle de race pure et
impure, ce qui relève d’une interprétation socioculturelle. L’importance de
l’interprétation sociale et culturelle du métissage est clairement démontrée par l’exemple
des Antilles-Guyane et de la sirade.
29 La représentation sociale du métissage a connu aux Antilles-Guyane une évolution
significative. Le métissage est d’abord frap d’exclusion et d’hérésie au début de la
riode esclavagiste. C’est avec l’affranchissement de certaines cagories d’esclaves
qu’ap parut le statut social de mulâtre, qui désignait celui qui s’élève par la couleur, ou
encore libre de couleur. Mais, pour éviter que cette nouvelle catégorie raciale entre en
concurrence avec le blanc, il fut établi une ligne de couleur qui, paradoxalement,
institutionnalisa la catégorie tisse comme intermédiaire, garantissant la pure de la
race dominante. Dans ces conditions, le métissage renforce la discrimination raciale au
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