15 - La Bible juive Elle - Bonjour,Jean. Voilà j’ ai apporté mon exemplaire de la Bible. C’ est une Bible de 1910 du professeur Louis Segond. Lui- Bonjour Claire, Comme vous pouvez le constater, votre exemplaire comporte deux parties distinctes intitulées: l’ Ancien Testament et le Nouveau Testament Elle- Et je remarque que la partie la plus copieuse est celle de l’ Ancien Testament. Lui- Eh bien, pour tout vous dire, l’ exemplaire de la Bible que vous possédez est un exemplaire de la Bible Chrétienne, laquelle est la plus répandue en Europe, et peut-être dans le monde. Pour les juifs, seule la partie désignée par Ancien Testament nous permet de nous approcher de leur Bible. Elle - Et vous avez employé un drôle de nom pour la désigner.... Lui- Tanaka. C’ est un acronyme en hébreu qui veut dire: Torah, Nébiim, Kétoubim: la Loi, Les prophètes, les autres écrits Elle- Bon ç a recommence, vous voilà parti dans les langues étrangères. Lui- Pas si étrangères que cela. Pour les Juifs l’ Hébreu est la langue par excellence. Et les Juifs ne parlent pas de Genèse, Exode, Lévitique ou Nombres ou Deutéronome. Ils désignent ces documents avec le premier mot de chaque document: par exemple béreshit pour la Genèse... Elle- Bon, bon n’ insistez pas, j’ ai compris. Et comment est venu le mot Bible ? Lui- C’ est le nom qui a été employé par les juifs de la diaspora grecque, à Alexandrie, pour parler respectueusement de ces documents: le Livre par excellence, d’ où le mot de Bible. D’ ailleurs, il vaudrait mieux dire les Livres, car le mot grec est un neutre pluriel... Elle- Stop,stop; fini pour les déclinaisons latines ou grecques. En fait, je constate qu’ il y a plusieurs documents et qu’ on aurait bien pu dire : la bibliothèque. Lui - Je souscris entièrement à votre remarque. On peut considérer la Bible d’ une faç on analogue à un recueil de nouvelles de différents auteurs comme on en fait actuellement. Elle- des anthologies. Mais alors, il y aurait plusieurs auteurs ? Lui- Pas si vite, pas si vite. Il faut d’ abord bien prendre conscience que la Bible, telle que physiquement, nous la voyons aujourd’ hui, n’ existait pas sous cette forme, au temps des juifs et des premiers chrétiens. ♦ Elle- et pourquoi la Bible n’ existait pas sous forme de livre? Lui - Pour plusieurs raisons. La première est une raison matérielle: le papier, mince et solide, n’ existait pas à cette époque. On utilisait pour écrire, soit des morceaux de terre cuite... Elle- C’ est plutôt cassant.. Lui- ...soit du papyrus, en entrecroisant les feuilles de cette plante, et lui faisant subir un traitement de martelage. Et les supports ainsi obtenus sont de dimension restreinte, et plutôt fragiles. On les reliait entre eux les uns après les autres et on obtenait des rouleaux comme un film de photographies. Sur chaque feuille du document, le scribe ou le copiste écrivait le texte, et chaque feuille du document ainsi reliée constituait une page. Comme le support était fragile on enroulait ces documents ainsi réunis sur des bobines.. Jean Cabanel 22/02/2009 1 15 - La Bible juive Elle- comme les bobines de fil ? Lui- Oui mais de plus grande dimension. On utilisait deux bobines. Lorsqu’ on déroulait l’ ensemble à partir d’ une première bobine débitrice, on enroulait le reste sur la bobine réceptrice et seule la feuille de papyrus à lire apparaissait devant le lecteur. Elle- Donc on ne connaissait pas la forme actuelle du livre. Lui- De plus, j’ insiste sur la fragilité du support. On a cherché à obtenir un support plus solide à parti de peaux de brebis ou de chèvre, peaux tannées. Plus tard, cette technique sera reprise à Pergame en Italie.... Elle- Et on parlera de parchemins. Lui- Mais on continuera le système des rouleaux, bien qu’ apparaî tront les premières formes du livre que nous connaissons avec les codices, pluriel du mot codex. Elle- Ah bon, nous voilà à présent avec les pharmacies !!! Lui Le terme de codex désigne des documents empilés et reliés. Mais vu l’ épaisseur du support, le codex prenait rapidement l’ allure d’ un monument. Elle- L’ édition tenait donc plus au travail de force... Lui - Chère Claire, j’ ai vu à la synagogue de Rome, un exemplaire d’ une partie de la Torah, sous la forme de rouleau de parchemin. Cela représentait deux bobines d’ au moins 20cm de diamètre chacune de 80 cm de haut. Il fallait certainement plusieurs personnes pour les manipuler. Elle- Et avec le risque de les déchirer. Lui- Ces rouleaux sont protégés et placés dans des étuis richement décorés. Elle- je comprend que ce problème matériel ne permettait pas de faire un livre unique comme nous l’ avons aujourd’ hui. Lui- Cela viendra uniquement lors de la Renaissance au 16ème siècle, avec l’ invention de l’ imprimerie et surtout avec l’ invention du papier. Auparavant , tous ces documents vont exister principalement sous une forme séparée. ♦ Elle- Bon c’ est une raison matérielle. Mais vous m’ avez dit qu’ il y avait d’ autres raisons. Lui- et cette fois-ci des raisons liées à la fois à l’ histoire de chaque document et à la pluralité de leurs auteurs. Mais commençons, si vous le voulez bien, par l’ histoire du document. Elle- Pouvez-vous nous donner un exemple typique ? Lui- Oui, bien sûr. Et mon exemple a trait à l’ histoire du Déluge. Elle- Ah oui, le déluge est un sujet universel traité dans toutes les religions comme nous l’ avons vu dans nos premières conversations. Lui- Le texte relatif au déluge occupe trois chapî tres de notre Genèse... Elle - pourquoi de notre Genèse ? Jean Cabanel 22/02/2009 2 15 - La Bible juive Lui - parce que le découpage de la Bible et de ses documents en chapitres date du Moyen Age, à l’ initiative d’ un évêque anglais. Mais on soupç onne ce texte du déluge de regrouper au moins deux récits distincts . Elle- Comment cela ? Vous voulez dire que le récit du déluge est raconté deux fois... Lui -...oui et en une seule fois. On pense qu’ il y a eu deux récits. On observe par exemple, que dans un de ces récits, Noé fait entrer dans l’ arche un couple, mâle et femelle, de chaque espèce animale,. Ce serait la version la plus ancienne, tandis que dans le second récit, rentrent 7 couples d’ animaux purs et 1 seul couple d’ animaux impurs. Elle- Le second récit aurait-il été influencé par les règles de l’ impur et du pur que nous avons vues la fois dernière et par le chiffre 7 du sabbat . C’ est une hypothèse. Lui- Tout à fait d’ accord. Et cela montre la vitalité des écritures bibliques à cette époque, qui sont comme mises à jour. On peut donc dire que loin d’ être des textes sclérosés, c’ étaient des textes vivants auxquels chaque génération de juifs apportait sa contribution. Elle- Vous n’ allez pas me dire que les textes changeaient constamment ? Lui- Non certes. Mais par exemple, on a pu dissocier deux textes présents dans le récit du déluge.: un texte qui donne une durée de quarante jours de pluie ininterrompue et un autre, une durée de 150 jours. Le rédacteur final n’ a pas voulu opter pour l’ une ou l’ autre des solutions. Il les a gardées toutes les deux et cela a donné ce texte bizarre où par deux fois Noé et sa famille, entrent dans l’ arche, où par deux fois les eaux s’ abattent sur la terre, etc Elle - au fond vous en déduisez que loin de se contredire, ces textes gardent la mémoire des interprétations du moment. Si bien qu’ on ne peut pas parler d’ un auteur précis, mais de plusieurs auteurs inconnus et d’ un rédacteur final. Mais quand les textes ont-ils été fixés dans leur forme définitive ? Lui C’ est une question délicate. On peut penser qu’ il y a eu deux moments de fixation: le premier, après le premier exil à Babylone, le second lors du Sanhédrin de Jamnia en l’ an 70 de notre ère. Elle- C’ est à dire à deux moments de crise. Bon aujourd’ hui, ces textes sont fixés. Et si vous nous disiez quels sont ces textes ? ♦ Lui- Comme vous l’ avez remarqué, il y a trois parties dans la Bible juive: la Torah ou la Loi, puis les prophètes enfin les autres écrits. Ce n’ est pas seulement une distinction d’ édition, mais c’ est une hiérarchie d’ autorité. La loi est le cœur même de la religion juive. Elle- ça oui, nous l’ avons bien noté. Lui- Les prophètes ont une autorité de deuxième rang, en tant qu’ illustration des drames qui surviennent lorsque les israélites ne respectent pas la loi. Elle- Oui mais pouvez-vous nous donner les titres des documents qui composent la Torah et les prophètes ? Lui- D’ abord la Torah est composé de cinq documents: quatre qui se suivent: la Genèse, l’ Exode, le Lévitique et les Nombres. Le cinquième, le Deutéronome, correspond à la redécouverte de la loi 700 ans avant notre ère. Ces cinq documents sont souvent désignés par le mot grec: Pentateuque, ce qui veut dire les cinq rouleaux dans leurs étuis. Elle- Oui, on déroule ces rouleaux à la synagogue devant être lus devant l’ assemblée des juifs; Jean Cabanel 22/02/2009 3 15 - La Bible juive Lui- Ensuite les prophètes comportent deux parties: les prophètes premiers: Josué, Les Juges, les livres de Samuel, les livres de Rois Elle C’ est à dire toute l’ histoire de la religion israélite et des infidélités des rois israélites, stigmatisées par les prophètes. Lui- puis les prophètes seconds: Esaï e, Jérémie, Ezéchiel, et les douze petits prophètes. Ces documents rapportent les écrits des prophètes écrivains qui rappellent aux Rois et au peuple les devoirs du peuple d’ Israël dans la cadre de son alliance avec Yahvé. Elle- Et après la Torah, les prophètes, il y a les autres écrits. Lui- Ceux-ci ont un rang d’ autorité moindre. Mais ils comportent des documents très importants et je voudrais insister sur trois d’ entre eux, qui jouissent d’ une renommée littéraire de premier plan et d’ une grande importance pour la spiritualité juive: les Psaumes, le Livre de Job et le Cantique des cantiques. ♦ Lui - Le livre des Psaumes contient 150 chants qui visent soit à célébrer la magnificence de Dieu, soit à exprimer la confiance, la peine, le sentiment de péché des juifs envers Dieu. Certains étaient utilisés lors des pélerinages à Jérusalem, pour la Pâque, la Pentecôte ou la fête des Tentes. On peut dire que les Psaumes sont au cœur de tout juif pieux. Elle- Nous ne pouvons pas sans doute les citer tous. Peut-être pouvez-vous nous parler de votre choix ? Lui- J’ en citerai deux : : le Psaume 8 et le Psaume 139. Le Psaume 8 parle de la magnificence du nom de Dieu et de sa relation privilégiée avec l’ homme. Dieu a fait l’ homme un petit peu en dessous de sa grandeur, presqu’ un dieu, un peu au dessus des anges. Elle- C’ est une faç on d’ exprimer la spécificité de l’ être humain en relation avec son Dieu. Et l’ autre , que dit-il ? Lui- C’ est un psaume où le croyant exprime le sentiment de son intime relation avec Dieu. Dieu me connait dans mon for intérieur; il sait d’ avance mes pensées, mes angoisses. Et même si je tente de me dérober à sa vue, il est là présent en moi. Puis le psaume se termine par un cri de colère du croyant à l’ encontre des incroyants ennemis de Dieu. C’ est très surprenant après un discours plutôt tendre, d’ entendre cette violence religieuse. Elle- Ce n’ est pas rassurant car cela peut justifier toutes les attitudes de violences religieuses. Lui- Vous avez raison, et la Bible comporte des textes violents qui sont souvent invoqués par tous ceux qui s’ estiment être les justiciers de Dieu. Et c’ est dangereux si on ne sait pas replacer ces textes dans leur temps. Elle- A propos de Job, j’ ai appris qu’ il vivait sur un tas de fumier, d’ où l’ expression: pauvre comme Job.. Lui - C’ est un récit en forme de conte oriental. Job est au départ un homme riche, frappé tout à coup par la déchéance et la malchance, ici provoquée par Satan. Tout le récit tourne autour d’ une conversation entre Job et trois de ses amis. Ceux-ci lui disent en quelque sorte: “ si tu es dans le malheur c’ est soit ta faute et Dieu te punit, soit Dieu veut t’ éprouver, soit tu as fait quelque chose de mal.“ Ils invitent Job à se repentir. Mais Job crie son désespoir. C’ est donc une méditation sur le malheur, la déchéance et le désespoir sans qu’ on puisse imputer la responsabilité de ces maux ni à Dieu, ni à l’ homme. Il nous faudrait beaucoup de temps pour dégager la richesse de ce récit. Elle- Et le Cantique des Cantiques ? Jean Cabanel 22/02/2009 4 15 - La Bible juive Lui - C’ est un magnifique chant d’ amour. Le Poète utilise l’ exemple de l’ amour humain entre un homme et une femme pour montrer que la relation entre Dieu et l’ être humain est non seulement comparable à l’ amour humain, mais elle le dépasse. Les accents du texte ont été considérés pendant longtemps presque comme des accents érotiques. Si bien, que ce texte a souvent fait l’ objet des plus expresses réserves de la part des milieux religieux pudibonds. Elle- Oh récitez-moi cependant quelques vers ? Lui- « Qu’ il m’ embrasse à pleine bouche ! Car tes caresses sont meilleures que du vin, meilleures que la senteur de tes parfums. Ta personne est un parfum raffiné. C’ est pourquoi les adolescentes sont amoureuses de toi. Entraî ne-moi après toi, courons » Elle- Effectivement, c’ est très suggestif. ♦ Lui- La Bible juive, telle que nous venons de l’ évoquer est certainement un monument littéraire pour toute l’ humanité. Pour terminer ce tour d’ horizon très succinct, il faut rappeler qu’ il y a eu une traduction grecque... Elle- La septante dont nous avons parlé. Lui- Elle comporte des textes supplémentaires écrits en grec comme le livre des Maccabées, ces hommes qui ont résisté à Antiochos IV Epiphane, le livre de la Sagesse, le livre de Judith, le livre de Baruch et d’ autres. Ces livres ne font pas partie de la Bible juive. Mais les chrétiens les incorporeront dans l’ Ancien testament chrétien. Elle- Si bien qu’ on peut dire que l’ Ancien testament chrétien comporte la Bible juive plus les livres supplémentaires de la Septante. Lui - Les juifs considèrent la septante comme un texte un peu impur. Après l’ an 70, les rabbins juifs fixeront d’ une faç on définitive, les 5845 versets et les 79856 lettres hébraï ques de la seule Torah. Ils iront même plus loin. Ils interdiront de toucher à toutes ces lettres de la Bible, lorsque se posera le problème épineux de savoir comment prononcer tous ces mots. Mais cela fera l’ objet de nos discussions sur le judaï sme rabbinique qui va succéder au judaï sme biblique Elle – Au revoir Jean Lui- Au revoir Claire . Jean Cabanel 22/02/2009 5 15 - La Bible juive