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LE NATURALISTE CANADIEN, VOL. 125 No 2 ÉTÉ 2001
PARCS ET AIRES PROTÉGÉES
PARCS
CANADA
Figure 2. Littoral rocheux.
de l’île, tandis que les battures et les grandes plages de sable
et de sédiments fins occupent les versants est et nord-est. Ce
secteur de l’île est très peu exposé à l’action des vagues et est
abrité des vents dominants de l’ouest (figures 1 et 2).
L’action des glaces peut se révéler aussi importante
que celle des vagues. L’érosion glacielle contribue à façon-
ner le paysage de l’île, déplaçant chaque année des tonnes de
sédiments. Ceci modifie non seulement le milieu physique,
mais renouvelle aussi une partie du couvert végétal des zones
littorales.
Une diversité d’habitats
Malgré sa petite superficie de 185 ha (220 ha à marée
basse), Grosse-Île renferme des habitats variés. Les collines,
balayées par le vent, dominent le paysage. Les dépôts de
sol qui les recouvrent sont minces et laissent voir plusieurs
affleurements rocheux. Les plateaux à pente douce, ornés
de chênes, d’érables et de sapins bordent les collines au sud
et au nord-est. Les platières humides occupent une partie
de la presqu’île, un grand secteur du côté est et forment une
dépression plus ou moins encaissée entre les deux collines du
centre. Les sols à texture fine des platières sont mal drainés
et on trouve, à l’occasion, des dépôts de sol organique. Les
rivages et les longues avancées rocheuses modèlent les baies
de l’île. Le sol du littoral est formé de dépôts argileux et
parfois sableux, sans oublier les grandes étendues de pierres
schisteuses.
Les conditions écologiques et physiques de chacun de
ces habitats favorisent une grande diversité floristique. On
peut répartir la végétation de l’île en 13 communautés végé-
tales terrestres et en 11 communautés littorales. Le paysage
forestier constitue plus de 70 % du paysage de Grosse-Île et
on y dénombre 25 espèces d’arbres. Le caractère exception-
nel de cette flore, qui compte plus de 600 espèces de plantes,
réside dans la présence de 21 espèces rares au Québec. Sept de
ces espèces se trouvent en milieu terrestre, mais la majorité
occupent le littoral et la plupart d’entre elles sont exclusives
à l’estuaire du Saint-Laurent.
Un milieu favorable pour des plantes
La rareté d’une espèce est fondée sur des critères géo-
graphiques, telle une aire de répartition restreinte, et sur
des critères démographiques, comme un petit nombre de
populations ou un faible effectif. Par delà la connaissance
de ces critères, on peut se demander pourquoi une espèce
est rare ou devient rare. La rareté d’une espèce est fortement
liée à son habitat, qui peut être unique, rare ou peu répandu.
La destruction et la perte des milieux naturels au profit des
besoins de l’homme contribuent à raréfier les habitats, mais
les caractéristiques inhérentes au milieu, telles la nature du
socle rocheux ou les fortes marées, peuvent être des condi-
tions liées à la rareté d’un habitat et donc d’une espèce.
Des 21 plantes rares de Grosse-Île, 14 colonisent
la zone du littoral. Parmi celles-ci, six sont endémiques de
l’estuaire du Saint-Laurent, c’est-à-dire qu’elles ne se trou-
vent que dans cet environnement (tableau 1). On peut donc
croire que le littoral possède des caractéristiques particuliè-
res favorisant la présence de plantes rares, comme les eaux
légèrement saumâtres du fleuve ou le climat maritime. Mais
de tous ces facteurs, la présence de fortes marées semble être
celui qui joue le plus grand rôle sur la sélection des espèces
rares trouvées à Grosse-Île.
Le rythme incessant des marées crée des stress phy-
siologiques importants pour les végétaux et constitue une
frontière naturelle pour plusieurs plantes. On conçoit que
les marées modifient les conditions de respiration, de trans-
piration et de photosynthèse et que cela a dû être un facteur
de transformation.
Les plantes soumises aux marées sont souvent de
taille inférieure à celle de leur espèce d’origine. La variété
naine de la zizanie à fleurs blanches, de plusieurs dizaines de
centimètres plus courte, est un bel exemple d’une adaptation
à l’action modulante de l’eau. À Grosse-Île, la variété naine
de la zizanie à fleurs blanches est la seule espèce à dominer ou
codominer une communauté végétale de l’estuaire moyen.
Les plantes de l’estuaire, en raison des marées, doivent
également vivre à un rythme accéléré. Le temps d’immer-
sion, entre les hautes eaux et les basses eaux, définit le nombre
d’heures d’exposition à la lumière et, par le fait même, joue
un rôle important dans le cycle de vie et de reproduction
d’une espèce. Par exemple, la zizanie demeurera à l’état végé-
tatif sans produire de graines si elle reste immergée trop
longtemps (Aiken et al., 1988).
En réponse à ce facteur qu’est le temps d’immersion,
les plantes se positionnent le long du littoral. Les plantes tolé-
rantes aux immersions longues, comme la tillée aquatique
et l’isoètes de Tuckerman, occupent la partie inférieure de
l’étage moyen du littoral et colonisent les petites mares qui
restent humides à marée basse. Par contre, une espèce into-
lérante à ces longues immersions, comme la gentianopsis de
Victorin (figure 3), préfère la partie supérieure du littoral
dans les zones qui s’assèchent. La gentianopsis de Victorin
a été désignée vulnérable au Canada tout comme la cicu-
taire maculée variété de Victorin, la seule de son genre à croî-
tre dans la zone intertidale du fleuve (zone d’oscillation de la
marée).