Comportement rhéologique de suspensions concentrées dans un

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Comportement rhéologique de suspensions concentrées dans
un écoulement d’écrasement : Influence de la rhéologie du
fluide suspendant.
J. Collomb, F. Chaari, et M. Chaouche
Laboratoire de Mécanique et Technologie, CNRS/ENS Cachan/Université Paris 6. 61,
Avenue du président Wilson 94235, Cachan
Résumé : Nous montrons que lors d’un écoulement d’écrasement entre deux disques parallèles, une
suspension concentrée de sphères peut subir une séparation de phase solide-liquide pour des vitesses
suffisamment faibles. Dans ce cas le comportement de la force d’écrasement est complexe et correspond à
deux régimes d’écoulement différents. Dans le premier régime la force augmente en fonction de la vitesse ce
qui correspond au comportement habituelle d’une suspension concentrée. Dans le deuxième régime où une
séparation de phase est suspectée, la force augmente significativement lorsque la vitesse diminue. La
transition entre les deux régimes est déterminée par un nombre de Peclet défini comme étant le rapport entre
le temps caractéristique de filtration du fluide à travers le milieu poreux formé par les grains de la suspension
et le temps caractéristique liée à la déformation imposée à la suspension. Nous examinons ici en particulier
l’influence de la rhéologie du fluide suspendant sur l’extension relative de ces deux régimes. Un diagramme
de phase délimitant la zone où la suspension peut s’écouler de manière homogène est déterminé pour chaque
suspension considérée.
Mots-clés : Ecoulement d’écrasement, hétérogénéités induites, suspensions concentrées
Abstract: The squeeze flow behavior of concentrated suspensions of spheres in both Newtonian and shear
thinning fluids is investigated experimentally. Analyzing the evolution of the squeeze force as a function of
time for different controlled velocities, the suspension is found to present two main flow regimes. The first
regime is characterized by the situation in which the force decreases when the velocity decreases, which is
expected and corresponds to a power-law fluid flow of the suspension. In the second regime the force
increases when the velocity decreases which is an indication that the suspension is undergoing solid-fluid
separation. It is found that the transition between the two regimes is controlled by a Peclet number, defined
as the ratio of the characteristic time of the fluid filtration through the porous media made up by the particles
to the characteristic time of the suspension flow. A phase diagram delimiting the flowability domain under
squeeze flow conditions for each suspension can be then determined. In the present study the influence of the
solvent rheology is particularly investigated.
1. Introduction
De nombreux fluides industriels comme les bétons
frais,
les
composites
fondus,
les
pâtes
agroalimentaires, etc. peuvent être considérés
comme une suspension de particules solides dans un
liquide visqueux. Lors des processus de mise en
œuvre de ces fluides il est important d’éviter la
formation d’hétérogénéités qui peuvent avoir des
conséquences néfastes sur les propriétés du produit
final. Les suspensions concentrées deviennent
souvent hétérogènes lorsqu’elles sont soumises à un
écoulement complexe. Par exemple, il est bien
connu qu’une suspension soumise à un cisaillement
non-uniforme subit une migration de particules des
forts vers les faibles taux de cisaillement [1]. Ce
phénomène est diffusive et il est possible de montrer
qu’il est négligeable dans nos études [2]. Nous
considérons ici le cas des hétérogénéités qui peuvent
être induites lors d’un écoulement d’écrasement. Le
test d’écrasement est souvent utilisé pour déterminer
les propriétés rhéologiques de matériaux très
visqueux comme les pâtes ou les élastomères. Dans
ces études on suppose que le matériau reste
homogène et obéit à une loi de comportement
rhéologique prédéfinie. Nos études suggèrent que ce
type de rhéomètre est à utiliser avec précaution dans
le cas d’une suspension concentrée où des
hétérogénéités de concentration peuvent être induites
par la déformation. Ici nous généralisons les études
effectuées précédemment [2, 3] en nous focalisant
sur l’influence de la rhéologie du fluide suspendant.
En effet, dans de nombreuses situations pratiques le
1
fluide est non-Newtonien comme dans le cas des
fluides de forages, des bétons auto-plaçants, etc.
m
2m+1 1
A Um (m+3)
F = 2π
R

(m−1) 2m+1
h
 m  m+3 2
2. Expériences
Concentration Consistency Shear- thinning
(ppm)
index (n)
µ0 (Pasn)
0
0.056
1
500
0.331
0.74
1000
1.146
0.58
2000
1.930
0.46
Table 1: Propriétés rhéologiques des solutions de
polymère utilisées.
2. Résultats
3.1 Suspensions dans un fluide Newtonien
relativement visqueux.
1000
100
F (N)
Les écoulements d'écrasement ont été mis en œuvre
sur une machine de traction-compression servohydraulique MTS équipée d'un plateau supérieur
circulaire de diamètre 40 mm et d'un plateau inférieur
mobile constitué d'une plaque métallique, ou en verre
pour des éventuelles expériences de visualisation. On
enregistre les variations de l'effort de compression F
en fonction de la distance h entre les plateaux. La
suspension est placée dans un anneau entre les
plateaux puis écrasée à vitesse constante. La hauteur
initiale au début de l'essai est fixée à 5 mm.
Les suspensions sont obtenues en dispersant des
sphères de verre de 90 mm de diamètre dans
différent fluides : huile silicone (12 Pas), solutions
de Xanthane dans un mélange eau (10%)_glycérol
(90%) à différentes concentrations (0, 500, 1000,
2000) ppm. La concentration en poids de la
suspension est fixée à 50%. Les solutions de
polymère sont rhéo-fluidifiantes et peuvent être
modélisées par un fluide d’Oswald de
Waele: µ = µ 0γ n −1 . Les consistances et les indices
de fluidité des différentes solutions de polymère sont
reportés ci-dessous (Table 1).
10
1
0,1
0,1
1
h (mm)
10
Figure 1 : Evolution de la force d’écrasement en
fonction de la distance entre les deux disques à
différentes vitesses dans le cas d’une suspension
dans un fluide très visqueux. (?)3mm/mn ;
(¦)1mm/mn ; (?) 0.1mm/mn.
La fig. 1 montre que le comportement de la
suspension est bien décrit par une telle loi. Ainsi,
pour une suspension concentrée dans un fluide
Newtonien relativement visqueux le comportement
en écrasement de la suspension peut être décrit par
les deux paramètres rhéologiques A et m. Dans notre
cas, on a : m=0.45±0.1 et A=600±200 Pa sm
3.2 Suspensions dans un fluide Newtonien peu
visqueux.
Dans ce cas le comportement de la force est
qualitativement différent du cas précédent (voir fig.
2). En effet, au dessous d’une certaine vitesse Uc qui
dépend de la distance instantanée entre les deux
disques, la force augmente lorsque la vitesse
diminue. Ce comportement est mieux visible sur la
fig.3. Il a été montré expérimentalement dans une
étude précédente [2] qu’au dessous de Uc, on a
apparition d’une séparation de phase solide-fluide
entraînant une augmentation de la concentration en
particule au centre des disques.
Dans ce cas le comportement de la suspension est
comme attendu celui d’un fluide en loi de puissance,
de consistance A et d’indice de fluidité m. Pour un
tel fluide, Scott [4] a montré que :
2
600
1000
400
100
300
F(N)
S q u e e ze fo rce
500
200
10
100
0
0
0 ,5
1
1 ,5
2
1
h (m m )
0,1
1
10
h(m m )
Figure 2 : Evolution de la force d’écrasement en fonction
de la distance entre les deux disques à différentes vitesses
dans le cas d’un solvant peu visqueux. (?) 300 mm/mn ;
(¦) 100 mm/mn ; (∙) 50 mm/mn ; (?) 20mm/mn ; (?)
10mm/mn.
1000
Figure 4 : Evolution de la force d’écrasement en fonction
de la distance entre les deux disques à différentes vitesses
dans le cas où le solvant est une solution très
rhéofluidifiante de polymère. (?) 300 mm/mn ; (¦)
50mm/mn ; (?) 0.5mm/mn.
Pour des concentrations en polymère plus faibles, le
comportement de la force d’écrasement est similaire
au cas des fluides suspendant peu visqueux. La fig. 5
montre que la vitesse pour laquelle la suspension
devient hétérogène diminue lorsque la concentration
en polymère augmente.
F (N )
100
10
800
700
1
10
100
600
1000
U ( m m /m n )
F(N)
500
Figure 3 : Evolution de la force d’écrasement en fonction
de la vitesse pour différentes distances entre les deux
disques dans le cas d’un solvant peu visqueux. (?)
h=1mm ; (¦) h=0.75mm ; (∙) h=0.5mm.
400
300
200
100
3.3 Suspensions dans un fluide fortement
0
0,001
rhéofluidifiant (solution à 2000ppm).
Dans cette situation, l’examen du comportement de
la force suggère que la suspension reste homogène
lors de la déformation. Même si le comportement
rhéologique de la suspension est en loi de puissance,
la loi de Scott ne permet pas de décrire correctement
l’évolution de la force d’écrasement. En effet, dans
ce cas l’exposant de la loi de puissance dépend de la
vitesse (voir fig. 4).
0,01
0,1
1
10
100
1000
U
Figure 5 : Evolution de la force d’écrasement en fonction
de la vitesse pour différentes distances entres les deux
disques dans le cas où le solvant est une solution de
polymère à différentes concentrations. (∙) 500 ppm ; (¦)
1000 ppm ; (?) 2000 ppm.
3.4
Diagramme
d’écoulement.
de
phase
des
domaines
Lors de l’écrasement, la suspension est l’objet de
deux phénomènes ayant des temps caractéristiques
différents : la déformation de la suspension et la
filtration du fluide suspendant entre les grains
constituant la suspension. Au prix de quelques
approximations on peut estimer ces deux temps
3
caractéristiques de la façon suivante. Les résultats
expérimentaux montrent que la suspension se
comporte comme un fluide en loi de puissance.
Ainsi la contrainte peut s’écrire :
U 
σ = A' γ& ∝ A'  
h
m'
m'
(4)
fluidité diminue ce qui peut inverser l’inégalité cidessus.
La vitesse de transition entre les deux régimes
d’écrasement peut être utilisée pour déterminer un
diagramme de phases définissant les zones où la
suspension peut s’écouler de manière homogène
pour les différents fluides suspendants considérés
dans cette étude (voir fig. 6).
La filtration de la solution de polymère peut être
décrite par une généralisation de la loi de Darcy aux
fluides d’Oswald de Weale [4] :
k
−v ∝(
gradp )1 / n
f
s
µ
100
0
Où vf et vs sont respectivement la vitesse moyenne
du fluide et des particules, k la perméabilité de
Darcy par rapport à un fluide Newtonien et p la
pression dans le fluide. L’origine du gradient de
pression est la contrainte développée par
la
déformation de la suspension. Ainsi, on peut écrire :
gradp ~ A’(U/h)m’/h. Cela entraîne l’estimation
suivante pour le temps caractéristique de filtration
du fluide :
1
h
τw ∝
v
f
−v
s
m'
 hµ  n  h  n
= h 0   
 kA'   U 
Par ailleurs le temps caractéristique de déformation
de la pâte peut s’écrire simplement : τs ∝ h/U.
La filtration du fluide est un phénomène diffusif
alors la déformation de pâte est un phénomène
convectif. On peut définir alors un nombre de Peclet
en prenant le rapport entre les deux temps
caractéristiques.
Pe
n − newt .
 A' k 
τ

= s = 
τ w  µ 0 
1/ n
m'
Un
h
−1
m ' +1
n
Pour des nombres de Peclet élevés (consistance du
polymère élevée, perméabilité faible, etc.) la
suspension reste homogène lors de l’écoulement
d’écrasement. Pour de faibles nombres de Peclet la
suspension devient hétérogène. La vitesse de
transition entre des deux régimes peut être obtenue
pour Pen-newt. = O(1). Soit :
Uc
n − newt .
 A' k 

= 
m ' +1 
 µ0 h 
1 / n−m '
(
= Uc
n − newt .
(1)
U (m m /m n )
v
150
(2 )
50
(3 )
(4 )
0
0
0 ,2
0 ,4
0 ,6
0 ,8
1
1 ,2
1 ,4
1 ,6
h(m m )
Figure 6 : Diagramme de phase montrant les zones où la
suspension peut s’écouler sans séparation de phase. Les
zones correspondent à différentes concentrations en
polymère : (1+2+3+4) 2000ppm ; (1+2+3) 1000ppm ;
(1+2) 500ppm ; (1) 0 ppm. La zone hachurée,
correspondant à la taille des grains, est une zone interdite.
[1] Leighton DT, and Acrivos A. J. Fluid Mech. 181,
415-439 (1987).
[2] Delhaye N, Poitou A, and Chaouche M. Journal
of N. Newtonian Fluid Mech. 94 (1) , 67-74 (2000).
[3] Poitou A and Racineux G. J. Rheol. 45, 609
(2001)
[4] Bird RB, Armstrong RC, and Hassager O.
“Dynamics of Polymeric Liquids”. Wiley. New
York, 1987.
)
1− m '
newt . n − m '
newt .
Puisque n<1, on a U c
> U c . Cela est à
première vue en désaccord avec nos résultats
expérimentaux. Cependant la consistance de la
solution de polymère augmente lorsque l’indice de
4
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