M ise au point Épaule Instabilité osseuse de l’épaule Nicolas Graveleau Paris Bushnell BD, Creighton RA, Herring MM Bony instability of the shoulder. Arthroscopy 2008 ; 24 : 1061-73. Les auteurs présentent un certain nombre de données concernant les lésions osseuses dans la pathologie de l’épaule. Le fil conducteur est l’analyse de l’échec des reconstructions arthroscopiques ne visant à réparer que les lésions labrales et ligamentaires. L’épaule est une articulation peu contrainte et, donc, très mobile, ce qui l’expose à l’instabilité lorsque les mécanismes stabilisateurs viennent à être déplacés. Ses stabilisateurs statiques sont le labrum, les ligaments gléno-huméraux, la capsule, la voûte acromio-coracoïdienne tandis que les stabilisateurs dynamiques sont les muscles de la coiffe, le deltoïde, le biceps et les autres muscles de la ceinture scapulaire. Les surfaces articulaires supportées par l’os, même si elles sont peu congruentes, sont à la base de cette stabilité et leur lésion peut compromettre gravement l’édifice stabilisateur. Le bilan radiologique comporte pour les auteurs • Une incidence antéro-postérieure épaule en rotation neutre (Grashey) • Des incidences antéro-postérieures épaule en rotation interne et externe • Un profil de Lamy scapular Y • Une vue axillaire • Une incidence oblique apicale dite de Garth • Les incidences de West Point et de Stryker notch permettant de mieux caractériser le défect osseux. Le bilan d’imagerie peut utilement être complété par une imagerie tridimensionnelle scanner ou IRM idéalement injectée pour quantifier le défect osseux glénoïdien ou huméral et rechercher une lésion associée de l’épaule. La méthode de Burkhart de mesure scanner du défect osseux est sommairement rappelée. L’index glénoïdien est calculé en rapportant le diamètre glénoïdien inférieur maximum du côté au même diamètre controlatéral. Un index de moins de 0,75 serait prédictif de la nécessité de réaliser un geste osseux. La confirmation des lésions osseuses est faite au temps initial de l’arthroscopie sur l’humérus et sur la glène (à réaliser en premier en cas de geste de stabilisation à ciel ouvert ?). Les auteurs indiquent que cela permet de redresser le diagnostic et de modifier sa stratégie thérapeutique au bloc (sic !). L’évaluation arthroscopique de la perte osseuse repose sur la perte de diamètre antéro-postérieur de la glène par rapport au bare spot (validé ?). La lésion humérale de Hill-Sachs (de Malgaigne, bien sûr !) est évaluée au mieux par voie arthroscopique postérieure. Les lésions glénoïdiennes antérieures et les lésions de Hill-Sachs inversées (instabilité postérieure) seront mieux appréciées en passant le scope par l’intervalle des rotateurs. Un examen « dynamique » pourra rechercher une lésion engageante. Diagnostic positif Les instabilités avec atteinte osseuse présentent quelques particularités cliniques : fréquence des luxations vraies, facilité de reproduction de la luxation, nombre important de luxations, luxation pendant le sommeil ou luxations même en dehors des positions extrêmes de rotation externe-abduction (armé du bras). L’existence d’un épisode traumatique de luxation, en particulier sur un traumatisme à haute énergie, peut être retrouvée ainsi que la nécessité de réduction par un tiers (luxation vraie en nomenclature française). L’existence d’une chirurgie préalable (échec) est évoqué dans cet article. Cependant, les lésions osseuses peuvent exister d’emblée et accompagner les formes cliniques frustes d’instabilité (épaules douloureuses pures ou syndrome du bras mort). Le testing clinique est sans particularité en dehors du « signe de l’armé osseux » : le bras est alors placé a 45° d’abduction et 45° de rotation externe (au lieu de 90° dans chaque secteur pour le signe de l’armé classique), ce qui déclenche « précocement » l’appréhension. Les auteurs insistent sur la nécessité de réaliser un testing complet sous anesthésie (en préopératoire immédiat) pour bien apprécier les mobilités et les déplacements pathologiques en dehors de toute protection antalgique du patient. 6 Les lésions osseuses Ces lésions sont très fréquentes, mais leur évaluation (radiologique comme arthroscopique) et leur responsabilité dans la reproductibilité de la luxation (en fonction de leur orientation) restent débattues. La notion de lésion « engageante » ou non a été introduite et défendue par S.S. Burkhart et J.F. De Beer : elle est décrite comme « une lésion humérale dont le grand axe est parallèle au bord antérieur de la glène lors de la mise en position de fonction de l’épaule (abduction et rotation externe) et s’engage sur la glène à ce moment ». Son identification est décrite sur des données arthroscopiques qui placent l’épaule dans la position d’armée pour évaluer l’orientation et le comportement de cette encoche. Les lésions osseuses sont humérales antérieure ou postérieure (inversées par rapport à la direction de l’instabilité) ou glénoïdiennes antérieure ou postérieure, voire combinées. Les lésions osseuses glénoïdiennes Les lésions antérieures de la glène antérieure : • Les avulsions osseuses ou « bony-Bankart » peuvent, si elles sont majeures, aboutir à l’aspect de poire inversée (plus large en haut qu’en bas). La valeur limite d’une lésion significative est sujette à caution. En moyenne, entre 20 % et 30 % de perte de surface glénoïdienne est retrouvée (cf. tableau 1). • Les différents types de lésions osseuses sont l’émoussement, l’avulsion osseuse, voire la fracture de la glène et, enfin, la dysplasie par trouble de la version ou l’hypoplasie (instabilités postérieures). La quantification des pertes osseuses glénoïdiennes postérieures dans l’instabilité postérieure est beaucoup moins bien codifiée. Traitement de l’instabilité osseuse de l’épaule Le traitement fonctionnel de l’instabilité osseuse de l’épaule n’est pas indiqué car l’atteinte de la structure osseuse associée aux lésions ligamentaires d’instabilité ne permet pas d’envisager de stabiliser l’épaule par la rééducation. D’un point de vue chirurgical, le choix entre des techniques de reconstruction des parties molles ou osseuses peut, par exemple, s’appuyer sur le score décrit, en 2007, par F. Balg et P. Boileau (1) : le score ISIS (Instability Severity Index Score). Les lésions osseuses humérales La lésion dite de Hill-Sachs est une fracture-enfoncement de la partie postéro-supérolatérale de la tête humérale. Cette déformation osseuse survient lors d’un épisode d’instabilité lorsque la partie osseuse intéressée de la tête humérale vient au contact du bord antérieur de la glène, os qui est plus résistant. La lésion inversée de Hill-Sachs répond symétriquement au même mécanisme lors d’un épisode d’instabilité postérieure. Les voies d’abord La voie d’abord antérieure delto-pectorale permet d’accéder aux lésions antérieures (lésions ligamentaires et glénoïdiennes antérieures, fractures de glène et lésions de Hill-Sachs inversées). L’accès aux encoches de Malgaigne est possible, mais nécessite un abord plus extensif pour mettre la tête humérale en rotation externe maximale. Si le sous-scapulaire est détaché complètement, cela expose à son atrophie graisseuse. La voie d’abord postérieure permet un accès direct aux lésions de la partie postérieure de la glène et aux lésions humérales de Malgaigne. L’abord doit idéalement éviter de traverser le deltoïde et de détacher l’infra-épineux. Tableau 1 – Tailles significatives des lésions osseuses en fonction des auteurs. Auteur Année Taille Caractéristique Défects de la surface glénoïde Bigliani et al. Burkhart et De Beer 1998 2000 25 % 25 %/6 mm Clinique Clinique Itoi et al. Burkhart et al. Greis et al. Porcellini et al. Lo et al. Tauber et al. Chen et al. Sugaya et al. Bahk et al. Burkhart et al. Mologne et al. Auffarth et al. 2000 2002 2002 2002 2004 2004 2005 2005 2007 2007 2007 2008 21 % 25 % 30 % 25 % 25 % 5 mm 20 % 25 % 20 % 25 % 20 % 25 % Biomécanique Biomécanique Biomécanique Clinique Clinique/biomécanique Clinique Revue Clinique Revue Clinique Clinique Clinique Défects de la tête humérale Gerber et Lambert Miniaci et Gish Chen et al. Millett et al. Bock et al. Raiss et al. 1996 2004 2005 2005 2007 2008 40 25 20 20 30 21 Clinique Clinique Revue Revue Clinique Clinique % % % %-30 % % % Le traitement des lésions glénoïdiennes Les fractures doivent être traitées par réduction et fixation (à ciel ouvert) (cf. tableau 2, page suivante). Les lésions aiguës avec avulsions osseuses, qui ne correspondent pas aux critères de perte osseuse significative, peuvent être traitées arthroscopiquement avec de bons résultats. Si la perte de substance osseuse est constatée à un stade plus tardif, il faut réaliser une greffe osseuse coracoïdienne (Bristow ou Latarjet)/iliaque. Certaines techniques arthroscopiques de réparation des lésions osseuses ont été 7 M ise au point Tableau 2 – Indications de réduction + fixation des lésions de glène à ciel ouvert. ches, les techniques d’arthroplasties prothétiques ont été décrites avec les prothèses Hemi-CAP, les prothèses de resurfaçage de Copeland ou les prothèses Epoca RH Cup. Fractures à grand déplacement de la cavité glénoïdienne (anneau et fosse) • Au moins 10 mm de déplacement des fragments • Au moins 5 mm dʼincongruence articulaire (marche dʼescalier) • Au moins 25 % de la surface glénoïdienne (instabilité antérieure) • Au moins 33 % de la surface glénoïdienne (instabilité postérieure) Les complications Certaines de ces procédures sont assez extensives et peuvent exposer à des complications spécifiques parmi lesquelles il convient plus particulièrement de retenir : – les dégénérescences graisseuses du sous-scapulaire qui peuvent nettement amoindrir le résultat attendu en cas de chirurgie de reprise ultérieure ; – les problèmes liés aux moyens de fixation de petites greffes osseuses (lyse de la greffe, pseudarthrose, conflit avec les structures nerveuses, difficulté d’ablation en cas de chirurgie de reprise ; – l’arthrose qui reste un problème omniprésent même en cas de stabilisation effective de l’épaule par la chirurgie. Les auteurs concluent en rappelant que l’instabilité de l’épaule n’implique pas toujours le traitement des lésions osseuses qui ne sont pas toujours systématiques. En revanche, leur ignorance aboutit souvent à l’échec d’une stabilisation réparant les lésions des parties molles. La recherche de ces lésions osseuses fait partie du diagnostic préopératoire et doit guider les choix techniques. De nombreuses techniques sont décrites avec des résultats, semble-t-il, satisfaisants, mais leur comparaison reste et restera difficile, compte tenu de l’hétérogénéité des lésions et de leur relative rareté. Les techniques à ciel ouvert sont les plus éprouvées, mais les techniques arthroscopiques vont rapidement se populariser. Impossibilité dʼobtenir une réduction centrée de la luxation (incoercible) Fracture à grand déplacement du col de la scapula • Au moins 10 mm de translation • Au moins 40° de déplacement angulaire (plan transverse ou coronal) Lésion concomitante du système suspenseur de la scapula ou au moins un des éléments constitutifs de la scapula avec un déplacement important. rapportées avec un taux intéressant de succès à condition de bien rechercher et identifier le fragment osseux glénoïdien fracturé et de l’incorporer dans la réparation. Enfin, des techniques arthroscopiques de greffes osseuses mimant les techniques à ciel ouvert ont été décrites (essentiellement par des chirurgiens français). Le traitement des lésions humérales Les techniques de greffe de l’encoche font appel aux autogreffes de crête iliaque, de coracoïde, de l’épine de la scapula, d’allogreffes ostéochondrales, spongieuses, de tête humérale ou de tête fémorale. Les lésions Hill-Sachs inversées sont comblées par transfert du tendon du sousscapulaire ou du trochin dans l’encoche. Des ostéotomies de rotation de l’humérus, des techniques de désimpaction de l’encoche, de greffe de l’encoche ou, encore, de comblement de l’encoche par plicature du sous-scapulaire ont été décrites. Pour les très larges enco- Les différents types de lésions osseuses de l’instabilité gléno-humérale sont démembrés dans cet article. Il fait le point sur un point crucial : l’existence ou non de lésions osseuses associées aux lésions ligamentaires. Une fois leur existence établie – ce qui est, en général, possible grâce à un bilan radiologique simple – il reste à quantifier se défect osseux. Les auteurs évoquent les méthodes paracliniques de quantification sans pour autant les détailler. Ils « recommandent » la quantification arthroscopique de ce ou ces défects osseux. Cette évaluation a pourtant le double inconvénient de ne pas être reproductible (opérateur-dépendant et subjective) et de ne pas permettre de prévoir le geste de stabilisation avant le temps arthroscopique. Cela n’est donc pas très adapté à la pratique chirurgicale hexagonale. On peut aussi regretter que la QUANTIFICATION objective du défect osseux (par scanner ou IRM) ne soit pas débattue. L’ensemble de la société chirurgicale devrait se munir d’un outil « universel » accessible à tous, en pratique quotidienne, de mesure de cette perte osseuse : cela permettrait de mieux comparer les résultats des différentes techniques et de mesurer les valeurs seuils (si elles existent) à partir desquelles il faut envisager le geste osseux. Nous connaissons la fiabilité de ces apports osseux qui ont fait la popularité d’une intervention comme le Latarjet en France. Il semble que nos façons d’aborder le problème de l’instabilité se croisent (pour se rejoindre ?) entre les Nord-Américains qui viennent à reconsidérer les gestes osseux devant un certain taux d’échec de stabilisation par gestes isolés sur les parties molles (le défect osseux étant encore considéré comme l’exception) et la plupart d’entre nous qui réalisons essentiellement des gestes osseux (Latarjet) par sécurité et qui recherchent les meilleures indications à un geste limité aux parties molles (en l’absence de lésions osseuses significatives puisque, dans la littérature française, leur incidence est très élevée). Référence 1. Balg F, Boileau P – The instability severity index score. A simple pre-operative score to select patients for arthroscopic or open shoulder stabilisation. J Bone Joint Surg Br 2007 ; 89 : 1470-7. 8 Coude Pseudarthrose de la palette humérale Philippe Tchenio Jupiter JB The management of nonunion and malunion of the distal humerus : a 30-year experience. J Orthop Trauma 2008 ; 22 : 742-50. Dans cette mise au point, l’auteur associe une analyse de la littérature à sa série personnelle. Cet article commence par une « histoire de chasse », d’une patiente prise en charge en 1983, pour pseudarthrose de la palette humérale, du coté dominant. La chirurgie proposée alors à la patiente consiste en l’ablation du matériel, une greffe iliaque et une ostéosynthèse interne stable. Malgré une consolidation acquise, la patiente obtiendra une mobilité inférieure à celle préopératoire. L’analyse faite par l’auteur est qu’il a sous-estimé, dans le bilan préopératoire, la raideur du coude associée. Devant ce résultat qu’il juge insuffisant, il travaille, en 1984, sur une série rétrospective de 20 patients pris en charge au Massachusetts General Hospital, pour le même type de pseudarthrose, entre 1968 et 1984. Les mobilités des coudes des patients revus sont considérés comme insuffisantes, avec un seul excellent résultat, 6 bons résultats et 13 jugés moyens et faibles, et ce malgré un taux de consolidation osseuse de 94 %. Le résultat fonctionnel global est d’autant plus mauvais qu’il existe des lésions associées (fractures articulaires, perte de substance cutanée, raideur articulaire). Depuis 1984, l’auteur rapporte 75 cas qui lui permettent d’analyser certains facteurs prédictifs préopératoires. Il note des progrès techniques, que ce soit dans le domaine de l’imagerie tridimensionnelle, des plaques d’ostéosynthèse « anatomiques », ou bien verrouillées (qu’il réserve aux os porotiques). Il nous livre aussi ses choix techniques, en fonction du niveau du foyer ainsi que du type de pseudarthrose. Paris densitométrie 3D). Une mauvaise analyse radiologique peut contre-indiquer une ostéosynthèse conservatrice et mener à une arthroplastie totale de coude, pas forcément nécessaire. Technique chirurgicale • Voie d’abord extensive par olécranotomie : l’auteur précise que la levée de l’olécrane doit être faite en douceur pour éviter d’« arracher » le cartilage articulaire parfois très adhérent, du fait de la fibrose intra-articulaire. • Synovectomie totale : postérieure, puis antérieure à travers le foyer de pseudarthrose. On doit pouvoir, en fin de geste, mobiliser librement le fragment distal. • Le fragment distal est creusé en « auge » et le fragment proximal, retaillé en « V » pour permettre un encastrement et obtenir une stabilité primaire satisfaisante. • La synthèse se fait par des plaques anatomiques si possible, souvent cintrées pour s’adapter à l’anatomie du patient. L’auteur utilise en général deux plaques, exceptionnellement trois plaques lorsqu’il ne peut mettre qu’une seule vis dans le fragment distal. En cas d’atteinte ulnaire associée à la pseudarthrose, l’auteur est favorable à une neurolyse itérative. Il rapporte, sur une série de 20 patients, une amélioration systématique à la fois sensitive et motrice, subjective et objective. La neurolyse et la transposition sous-cutanée se font sous loupes grossissantes, avant olécranotomie. Il semble clair à l’auteur que certains cas doivent être traités d’emblée par prothèse totale de coude. L’auteur a une expérience limitée à 7 cas, mais, devant des patients qui ont des comorbidités, ou bien une ostéoporose importante, ou encore une arthrose avancée, les séries publiées (1) rapportent un arc de mobilité moyen de 0/25/128°, avec peu ou pas de douleurs, et 4 complications. L’auteur termine cette partie en comparant la série publiée par D.L. Helfet et al. (2) de 27 cas (27 consolidations, 8 complications [4 neuropathies ulnaires, 2 infections, 2 paralysies radiales]) et la sienne de 39 cas (35 patients consolidés dès la première intervention et Pseudarthrose supracondylienne Ces pseudarthroses sont les plus fréquentes. Il s’agit ici d’une série de 39 patients. J.B. Jupiter insiste sur le fait que l’analyse préopératoire est difficile sur des clichés radiologiques standard : un risque existe, en effet, de sous-estimer la taille du fragment distal, du fait du flessum de ce fragment, lié à la rétraction articulaire (intérêt de la tomo- 9