LA PRISE EN CHARGE DU PATIENT OBESE : ASPECTS PSYCHOLOGIQUES. APPART A., TORDEURS D. Clinique Saint-Luc - Service de Psychiatrie, Rue Saint-Luc 8, 5004 Bouge PREAMBULE L’obésité sévit dans notre société postmoderne d’une façon que l’on qualifie actuellement d’épidémique. Cette épidémie frappe de plein fouet les U.S.A mais aussi l’Europe et les pays occidentalisés. Ces derniers temps, on observe également une augmentation considérable de personnes obèses au sein des pays émergeants où peuvent coexister dénutrition sévère et obésité (1). Plus près de nous, ce phénomène, qui a vu son ampleur s’accentuer très nettement ces dix dernières années, touche davantage les classes sociales les plus défavorisées, les plus marginalisées sur le plan économique mais aussi social et culturel (2). Depuis peu, la littérature scientifique se penche aussi sur les comportements alimentaires des enfants et adolescents en tant que prédicteurs d’une obésité morbide à l’âge adulte mais aussi et surtout en tant que nouveaux patients en réelle souffrance (3). L’objectif de cet article est de souligner l’importance d’une lecture pluridimensionnelle dans l’étiologie mais aussi et surtout dans le traitement de l’obésité. Ainsi, différentes approches seront-elles décrites en référence à notre expérience et sensibilité clinique. L’obésité devient un des facteurs de discrimination sociale les plus puissants de notre société vouée au culte de l’apparence, de la santé, de la beauté plastique. L’obèse est discriminé par le regard de ses pairs mais aussi dans le monde du travail et parfois même par le jugement moral du monde médical. 1 L’obésité, dans notre société outillée technologiquement et médicalisée surgit tel un nouveau problème de santé publique qui représente un coup social très élevé. Notre expérience clinique nous contraint de constater que la société "parasitée" par le spectre des arsenaux thérapeutiques mis à disposition est "emballée" dans sa volonté de soigner à tout prix. Pour elle, l’obésité est qualifiée de fléau contre lequel il s’agit de lutter. L’obésité devenue morbide est une maladie très préoccupante qui affecte la qualité de la vie, apporte son lot de comorbidités (diabète de type II, maladies cardio-vasculaires, pathologies ostéo-articulaires, trouble dépressif, phobie sociale, …). C’est aussi une maladie difficile à traiter. Ici, plus que jamais, l’alliance thérapeutique avec le patient est essentielle ( malgrè les échecs des traitements entrepris) sans culpabiliser, ni stigmatiser. Le devoir du médecin est de lutter avec le patient obèse pour une réhabilitation, un meilleur accès aux soins. D’UNE MALADIE PLURIFACTORIELLE… Nous ne sommes pas égaux devant le poids, de multiples variables (génétiques, éducationnelles, environnementales, facteurs de stress) interagissent pour le déterminer. D’un point de vue génétique, certains ont une tendance naturelle à la maigreur ou au surpoids. Nous avons tous un « set-point » ou poids d’équilibre. Il varie d’une part, d’un individu à l’autre et, d’autre part, chez un même individu au cours de sa vie. On note deux mécanismes dans la prise de poids. Premièrement, la prise de poids est consécutive à un dépassement du poids d’équilibre. Physiologiquement, cette situation se traduit par une augmentation de la taille des adipocytes. Ce processus réversible s’accompagne de la sensation de manger sans faim. Deuxièmement, la prise de poids est consécutive à une augmentation du poids d’équilibre. L’organisme s’emploie alors à défendre une nouvelle valeur plus élevée du set-point. Physiologiquement, on observe une multiplication des adipocytes. Ce processus est difficilement réversible et s’accompagne pour les mangeurs de la sensation de manger à sa 2 faim. Cette élévation du set-point peut être due à certaines maladies, des lésions cérébrales, des facteurs hormonaux, la prise de certaines médicaments mais aussi suite à des apports alimentaires excessifs pendant une période prolongée, dans certains cas liées à des facteurs psychologiques évidents (4). D’UNE DESCRIPTION DYNAMIQUE DU COMPORTEMENT ALIMENTAIRE Afin d’évoquer une clarification du concept d’obésité et de débattre de la limite toujours floue entre le normal et le pathologique, nous proposons de distinguer deux groupes. Les grands mangeurs D’un côté, on trouve les grands mangeurs, ceux qui ont un appétit féroce et aiment faire bombance. Ils aiment « la bonne bouffe », ils goûtent avec plaisir à ce qu’ils mangent, et en profitent. Ils présentent une hyperphagie prandiale parfois assortie de grignotage. Ils se rattachent à une culture familiale, à des rituels et mangent de façon socialisée. On n’observe aucun trait de personnalité pathologique, ni de souffrance psychique particulière à la base. Cependant, si l’obésité devient préoccupante, voire morbide dans un second temps, leur qualité de vie sera péjorée par les conséquences en terme de santé physique et psychique générée par celle-ci. Sous l’emprise du mouvement actuel, de la mode de la minceur et sous la pression de leur entourage parfois, certains de ces sujets se livrent à l’aventure des régimes malgré eux afin de rentrer dans un conformisme social. Au mieux, après quelques essais, ils renoncent et acceptent leur différence de manière positive. Au pire, après des efforts de régime consentis malgré eux, ils se sentent de plus en plus mal dans leur peau. Dans d’autres cas, après avoir réussi leur régime, certains deviennent des « obèses maigres » ayant perdu leur joie de vivre. Il demeure néanmoins possible de faire le pari, avec ces sujets, d’un amaigrissement relatif, réaliste, respectant le plaisir de manger, incitant par exemple ceux-ci à avoir aussi une activité physique agréable, non contraignante, socialisée, leur permettant de garder un bon capital santé. 3 Les troubles du comportement alimentaire D’un autre côté, se trouvent les obèses qui présentent un trouble du comportement alimentaire (TCA). Ces sujets ne mangent pas (ou plus) par plaisir mais par angoisse, par « obligation ». Ils souffrent de ce qu’on pourrait nommer aujourd’hui un « Trouble Obsessionnel Compulsif Alimentaire » (5). L’alimentation devient alors une drogue et colmate un mal-être conséquent. Dans ce groupe, on classe les boulimiques vomisseurs, ceux qui présentent un binge eating disorder (BED) mais aussi ceux qui s’alimentent de façon désorganisée, les obèses qui grignotent ainsi que ceux développent des comportements de craving (appétence particulière pour un type d’aliments, souvent rencontrée avec le sucré). Ces sujets nécessitent impérativement, avant tout régime ou tout plan de soin, une prise en charge psychologique voire psychiatrique sous peine de voir leur situation psychologique et physiologique se péjorer par des efforts de régimes intempestifs, voir une chirurgie de l’obésité malencontreuse. Ces patients-là ont une attente quasi magique, impulsive, par rapport au corps médical à la recherche des nouveaux traitements « choc ». C’est parmi ces sujets que l’on retrouve ceux qui introduisent des demandes impulsives de gastroplastie. Ils souffrent finalement d’une consommation toxicomaniaque de soins médicaux, passant toujours à côté de la vraie question : leur difficulté d’acceptation de soi, leur détresse émotionnelle, un sentiment de rejet qui les pousse à un besoin incessant de réassurance. La difficulté du corps médical réside dans le fait de ne pas céder à cette demande de façon toute aussi impulsive mais être à l’écoute de l’angoisse du sujet. D’UNE APPROCHE SOCIOLOGIQUE… : UNE MALADIE DE CIVILISATION La consommation devient effrénée : il faut consommer vite au prix d’une jouissance immédiate, éphémère, toxicomaniaque et donc sans fin (« faim »). L’extrême est toujours plus loin et le cadre toujours plus large. La société se disperse, les repères sont peu clairs et le vide inhérent devient anxiogène. Cela engendre indéniablement des idéaux baudruches. D’un côté, elle prône la beauté, la minceur, la santé, de l’autre, elle pousse à consommer des aliments préformatés, hypercaloriques. 4 Mais le jeu est plus subtil ; l’industrie agro-alimentaire, relayée par la publicité et les médias, dicte nos habitudes alimentaires dans des communiqués qui envoient des messages quasi subliminaux. Les gosiers sont éduqués par des images, des flashs publicitaires qui conduisent vers un paradoxe malsain : il faut consommer mais ne pas grossir ! Ainsi, oscillons-nous entre des messages antagonistes qui nous vantent d’un côté des produits light qu’on peut manger en toute quiétude sans grossir…et de l’autre des messages qui nous permettent de transgresser le sacro-saint interdit et de souligner les bienfaits de la junk-food, aliments hypercaloriques prêts à être engloutis avec délectation mais aussi honte et culpabilité. Que reste-t-il dans tout cela de la valeur conviviale d’un bon repas, du temps que l’on prend pour humer, mastiquer, goûter ce que nous mangeons avec plaisir et sans calcul des calories ? La société se perd dans son étayage, dans sa structure et la façon de s’alimenter n’en est que le stigmate. Les rituels ancestraux autour de la question de « comment s’alimenter » s’estompent au profit d’une alimentation « pour soi». Le repas familial se fait rare et bon nombre d’enfants « porte-clefs » rentrent le soir seuls à la maison et mangent devant la TV ou l’ordinateur de façon gloutonne et machinale colmatant peut-être par là un mal-être à peine enfoui. Les jeunes sont de plus en plus sédentaires et victimes de la malbouffe, consommant indistinctement images et nourriture, … en solitaire. L’obésité mais aussi les troubles du comportement alimentaire sont les nouvelles maladies psycho-sociétales, répertoriables parmi les nouvelles addictions : les toxicomanies, les toxicomanies sans drogue : jeux, images, internet, work-addict, sex-addict ... Elle est le témoin du mal-être de l’individu dans une culture en mutation au même type que l’explosion de la suicidalité chez les jeunes, des conduites agies (comportements à risque), de l’hétéroagressivité avec passage à l’acte, de l’auto-agressivité (automutilation, …). Ainsi, luttons-nous contre… au lieu de lutter avec. N’y a-t-il pas, dans un premier mouvement, un geste d’acceptation, une main à tendre vers ces personnes qui en souffrent ? Dans ce contexte, p(e)anser l’obésité s’inscrit comme un défi dans le programme de notre société de demain et passe par des décisions politiques qui visent à entrainer des changements au niveau social (limiter les inégalités sociales en matière alimentaire) et éducatif (prévention 5 avec incitation au sport notamment). Des initiatives s’enclenchent d’ailleurs dans ce sens avec le remboursement par certaines mutuelles d’une partie des coûts liés à la pratique sportive. D’UNE APPROCHE PSYCHODYNAMIQUE… L’être au monde ou « je mange donc je suis » (6) L’obésité est-elle un syndrome rebelle ou peut-on faire le pari qu’elle a un sens dans l’organisation du sujet? Selon Apfeldorfer (7), l’obésité se présente comme « une certaine façon d’être au monde » La personne obèse a une tendance à réprimer, dénier ses affects négatifs. L’acte de manger lui permet en quelque sorte d’anéantir son agressivité, voire de la retourner contre lui. Pour cet auteur, être obèse est donc une façon d’être au monde (Dasein heideggérien), une homéostasie du sujet par rapport à son milieu. En tant qu’ « être au monde », l’obèse « est avec » (Mitsein) il est décrit comme hyper empathique (plus ouvert aux stimuli externes qu’internes). Mais derrière la carapace de cet obèse jovial, ouvert, se cache un autre « je », un sujet fragile, calfeutré derrière son faux self hyperadaptatif. Le déni de la perte ou l’approche phénoménologique Selon certains auteurs inspirés par le contenant phénoménologique, l’obésité est une carapace qui protège le sujet et lui permet d’être dans le déni d’événements de vie stressants : - On peut retrouver des situations où le sujet est en stagnation psychique face à une étape de vie (divorce parental, adolescence des enfants, problèmes de couple …). L’obésité sert alors de rempart pour ne pas entrer de plein pied dans la situation problématique. - Certains sujets deviennent obèses pour masquer mais, aussi, marquer une situation traumatique : enfants mal traités, victimes d’abus sexuels, de viol ou d’inceste. La carapace de l’obésité les cache tout en les montrant, la sexualité est alors mise à distance. 6 - L’obésité peut cacher des secrets de famille. Le sujet détourne alors sur lui la honte et la culpabilité. Il est le patient désigné du système. - Certains sujets marquent le coup de leur histoire de vie faite de carences affectives par la genèse d’une obésité. Ils s’affirment envers et contre tout (placement précoce, mère dépressive…). L’image du corps Notre corps est le reflet de nous même ; nous l’habitons. Le rapport que nous avons à lui qualifie notre rapport à l’autre et à nous-même dans un mouvement incessant de reconnaissance. L’image du corps est l’image de soi qui est notre support identitaire. L’obèse a une image du corps floue (il ignore quel sont les contours de son corps), voire clivée (j’habite un corps qui n’est pas vraiment le mien). Pour pouvoir maigrir valablement, il doit se réapproprier une nouvelle image de soi, une nouvelle image du corps. Cela passe par une pleine prise de conscience de son identité. Il s’agit d’un véritable travail sur soi, un travail d’affirmation gommant les zones d’ombres, affirmant ses contours, redessinant son personnage aux prises avec la réalité. Afin qu’un amaigrissement aboutisse, il faut que l’obèse habite pleinement son corps, qu’il y ait reconnaissance de son corps par un double mouvement de réappropriation du regard de l’autre et de son propre regard sur soi. Le lien tissé entre l’obésité et l’image du corps a deux implications importantes ; la première se situe dans le domaine sexuel, la seconde concerne la maternité (8). La sexualité est souvent vécue avec difficulté par l’obèse, son corps l’encombre, lui fait honte mais le protège. Certains obèses vivent une sexualité épanouie et c’est quand ils ont maigri que la situation devient problématique pour eux (et /ou pour le conjoint). L’hyperalimentation peut être un dérivatif des pulsions sexuelles de façon largement inconscientes. Dans la sphère maternelle, certaines femmes restent « grosses » après une grossesse ou une fausse couche comme si elles ne parvenaient pas à faire le deuil de celles-ci. Jusqu’il y a peu, 7 l’idéal féminin était la femme ″rubensienne″, bien en chair, à même d’accueillir une grossesse et de servir de véritable réceptacle pour ses enfants. Après chirurgie de l’obésité, le sujet peut être enchanté de son amaigrissement mais il lui faut parfois des mois pour parvenir à s’identifier dans le miroir. Il peut se percevoir avec un réel sentiment d’étrangeté ou continuer à se voir tel qu’il était avant, superposant sur son corps réel son corps imaginaire. Le travail psychologique le soutiendra dans la mobilisation de ce nouveau corps, l’occupation d’une autre place dans l’espace. Enfin, il va devoir réajuster ses relations interpersonnelles et réaménager un nouvel espace imaginaire au niveau narcissique et sexuel. D’UNE APPROCHE SYSTEMIQUE… Certaines familles règlent leur homéostasie sur l’obésité. Cela ne cache parfois rien en apparence mais tient à une culture, une loyauté indéfectible qui peut remonter à plusieurs générations. Cela s’inscrit dans une histoire d’affirmation de soi (émigration, famille de ″gens″ de la terre). Le fait d’être obèse – et de le rester - marque alors les origines et l’identité du groupe. Sortir de cette culture peut être considéré comme un manque de loyauté et mener à un terrible combat intérieur pour le sujet, pris dans une situation de double loyauté impossible (idéaux de notre société, idéaux familiaux). Les familles chaotiques et enchevêtrées vivent une situation complexe ; il y a souffrance mais il n’est pas possible de s’affirmer hors de la famille (fermeture du système). Le mythe de ces familles s’écrit désormais ainsi : « Manger à ravaler son agressivité, à se droguer, à s’affirmer face au monde extérieur hostile et par rapport à la famille ». Les barrières entre les générations sont floues, mal inscrites. Chacun se bat sans cesse pour tenir sa place. A côté d’abus intrafamiliaux ou de maltraitance, d’autres formes de dépendance s’y retrouvent (alcools, drogues) (9). Dans les milieux socio-économiquement défavorisés, le conformisme social et le poids de la publicité et des medias est tel que le recours au fast-food, à la junk-food fait partie de ce que l’on pense offrir de mieux à son enfant afin « qu’il ne manque de rien » et ne soit pas différent des autres. L’enfant se nourrit alors à la demande, selon les pulsions du moment. 8 LE REGIME : UNE VOIE THERAPEUTIQUE A MEDITER. A l’heure où tout est thérapeutique, opter pour la démarche de soins la plus saine pour soi n’est pas aisée. La prise en charge thérapeutique du patient obèse doit nécessairement être pluridisciplinaire et concertée entre intervenants (médecins, psychologues, infirmiers, kinésithérapeutes, éducateurs, diététiciens,…). Elle représente le paradigme d’une médecine psychosomatique qui renoue corps et esprit et qui conçoit le patient dans une approche bio-psycho-sociale tout en permettant une différenciation. Car derrière chaque patient obèse se cache un sujet différent. Le rôle du soignant… Soigner une personne obèse relève de la clinique de la patience inspirée de la fable de La Fontaine : « le lièvre et de la tortue » : " Rien ne sert de maigrir… ". Pressé par des motifs divers, le médecin doit éviter de se transformer en « un éléphant dans un magasin de porcelaine » : il est parfois préférable de prôner l’attente et la patience dans un premier temps et amener le sujet à une meilleure acceptation de son corps, de soi-même. Une alliance thérapeutique avec le patient sans culpabiliser ni stigmatiser doit s’installer. Le corps médical soutiendra le patient vers une réhabilitation, un meilleur accès aux soins en adéquation avec le « je ». De même, il faut absolument réviser la nécessité absolue devant laquelle on met certains sujets de devoir maigrir absolument, contre-nature. Cette situation peut entrainer par la multiplication des régimes, un effet "yoyo" avec aggravation de l’obésité et un véritable effondrement narcissique du sujet emprisonné dans une spirale infernale de régimes, de traitements qui ne font que répéter une situation d’échec. 9 Régimes et restriction cognitive. Tout sujet obèse soumis à la pression de régimes intempestifs peut basculer dans la catégorie des sujets qui présentent un trouble du comportement alimentaire. Il développe alors de véritables problèmes psychopathologiques. Une obésité résistante peut alors s’installer. Le régime est souvent confronté à des freins qui poussent à envisager d’autres solutions. Comment expliquer ces blocages ? Le concept de restriction cognitive décrit en 1975 par Peter Herman et Janet Polivy vient éclairer notre lanterne : « Le mangeur en restriction cognitive instrumentalise ses aliments pour les mettre au service de son désir de minceur ». Selon Apfeldorfer et Zermati (4), il existe quatre phases dans la restriction cognitive : 1) Les sensations alimentaires sont correctement perçues mais délibérément ignorées : « je sais que j’ai faim mais je décide de ne pas/plus manger » ; 2) Les sensations alimentaires sont encore perçues mais impossibles à respecter : je sais que je n’ai pas/plus faim mais je ne peux pas m’empêcher de manger. Le comportement alimentaire est guidé pas les émotions (colère, envie, honte, culpabilité) ; 3) Les sensations alimentaires ne sont plus perçues: « je ne sais plus si j’ai faim ou si j’ai assez mangé ». Le contrôle mental devient l’unique contrôle du comportement alimentaire pour ne pas dériver vers des consommations exubérantes de nourritures ; 4) Le comportement alimentaire est livré au seul contrôle des émotions. Le sujet oscille entre périodes de contrôle et période de perte de contrôle de son comportement alimentaire (cela peut aboutir à une désorganisation totale au niveau alimentaire avec des troubles du comportement alimentaire manifestes). 10 Se nourrir est devenu un acte intellectuel coupé des sensations alimentaires de faim et de satiété jusqu'à bouleverser ensuite totalement le rapport du sujet à l’alimentation et le plonger dans l’irrationnel le plus complet. Régimes et dynamique familiale. En plus de ces réactions intrapsychiques et réflexives, le patient obèse, membre d’un système familial, est en relation avec son entourage. Changer le comportement alimentaire d’un sujet équivaut à changer les rituels d’un groupe familial, à changer la dynamique relationnelle dans ce groupe. Réussir un régime, c’est, non seulement, changer son corps mais changer aussi l’image de son corps pour occuper une nouvelle place dans la famille ; place qui entraînera une véritable crise d’identité familiale et soulève des résistances conscientes et inconscientes. Un cas clinique… Marie présente des crises de boulimie parfois accompagnée de vomissements, elle souffre aussi de grignotage incessant. Sa mère, active et sportive est un exemple qui la hante… et qui depuis l’enfance l’exhorte à contrôler son surpoids. Marie est mariée avec un cuisinier qui ne prend pas garde et aime les bons petits plats ; il est chef de cuisine et mène la cuisine entouré de femmes qui l’admirent. Elle est persuadée d’être trop grosse et son poids est en yoyo suite aux nombreux efforts de régimes. C’est sa nutritionniste qui nous l’adresse, après échec d’un régime hyperprotéiné. Marie est labile, anxieuse, alterne des phases de boulimie et des phases de régimes stricts, elle est en proie à un sentiment de culpabilité et de honte… Depuis la naissance de son enfant, ses préoccupations alimentaires se sont aggravées aussi à propos de l’alimentation de son fils ; elle développe une phobie des microbes et des TOC Sa vie conjugale de festive est devenue morose, elle vit dans la hantise des régimes, dans la peur de grossir. Sa mère est omniprésente comme un exemple de femme accomplie, impossible à égaler. 11 Tout le travail avec Marie a été de l’amener à s’accepter « telle qu’elle est » et donc d’opérer un renoncement par rapport à sa dépendance affective vis-à-vis de sa mère. Continuer à faire régime c’était continuer à occuper une position ambivalente, c’était transposer son conflit avec sa mère par substitution sur l’alimentation. Arrêter de vouloir maigrir, c’est renoncer à son image de « fille idéale » mais c’est aussi accepter de vivre sa vie, de s’affirmer. La ronde des régimes a finalement entraîné chez cette patiente un trouble du comportement alimentaire et provoqué des TOC. La fonction de ces troubles était celle d’un nonchangement pour faire couple tout en gardant une loyauté vis-à-vis de sa famille d’origine. CONCLUSION L’obésité, maladie plurifactorielle, a un sens dans l’organisation psychique d’un sujet, une fonction dans son système relationnel. D’un point de vue systémique, il faut connoter positivement le symptôme obésité comme un effort adaptatif du sujet dans un contexte sociétal, environnemental, culturel, familial et enfin individuel. La prise en charge des patients obèses ne peut, en aucun cas, être envisagée comme une lutte contre un fléau qui s’abat sur notre société mais comme la prise en considération d’un problème inhérent à notre culture actuelle : l’obésité n’est pas une maladie honteuse, la souffrance psychologique que vivent certains obèses provient aussi de la discrimination dont ils font l’objet. Plus que jamais, le traitement se doit d’être pluridisciplinaire en concertation entre intervenants et avec le patient. L’échec des régimes est à prendre en considération comme un mécanisme de défense qui protège le sujet mais pas comme un échec en tant que tel. Il ne s’agit pas de lutter contre les obèses mais contre les facteurs environnementaux qui occasionnent l’obésité (concevoir des programmes éducatifs pour les jeunes en matière d’alimentation, créer des espaces de jeux et de sports dans les quartiers précarisés…). 12 BIBLIOGRAPHIE 1. Le Guen JM. Obésité, le nouveau mal français. Editions Colin, Paris, 2005, 284 pp. 2. Bruch H. Les yeux et le ventre. Payot, Paris, 1984, 450 pp. 3. Muller M, Danielzik K., Pust S. School- and family-based interventions to prevent overweight in children. Proc Nutr Soc, 2005, 64 (2) : 249-54 4. Apfeldorfer G. & Zermati JP. Dictature des régimes : attention ! Odile Jacob, Paris, 2006, 341 pp. 5. Arias Horcajadas F., Sanchez Romero S . 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