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Résumé
Le but de la recherche est d’étudier les tensions éthiques que peuvent vivre les médecins
militaires, qui doivent agir à la fois comme soignants, militaires (même s’ils sont non
combattants) et parfois comme acteurs humanitaires. Parmi la littérature sur l’éthique de la
médecine militaire, les dilemmes la concernant sont souvent présentés comme le fruit de
pressions réelles ou perçues provenant de l’institution militaire, des règles, codes, lois ou de
politiques, ceci afin de détourner le médecin de son but premier, soit l’intérêt du patient. Pour
mieux comprendre les défis éthiques auxquels sont confrontés les médecins militaires
canadiens et comment ceux-ci les traitent, la recherche utilise une approche de bioéthique
empirique. À partir d’une analyse de la littérature, nous examinons les dilemmes éthiques des
médecins militaires, le concept de profession, ainsi que les codes d’éthique (médicaux et
militaires) canadiens. L’expérience éthique est ensuite explorée à partir d’entrevues semi-
directives effectuées auprès de quatorze médecins militaires ayant participé à des missions
opérationnelles, notamment à Kandahar en Afghanistan, entre 2006 et 2010.
Les résultats, tant conceptuels qu’empiriques, nous indiquent que plusieurs nuances
s’imposent. Tout d’abord, les médecins militaires canadiens ne vivent pas les dilemmes tels
qu’ils sont présentés dans la littérature, ni en nombre ni en fréquence. Ils sont conscients qu’ils
doivent à la fois tenir compte de l’intérêt du patient et du bien commun, mais n’en ressentent
pas pour autant un sentiment de double loyauté professionnelle. De plus, ils ont l’impression
de partager l’objectif de la mission qui est de maintenir la force de combat. Des distinctions
s’imposent aussi entre les médecins eux-mêmes, dans la conception qu’ils se font de leur
profession, ainsi que dans les contextes (opération ou garnison), selon le type de travail qu’ils
exercent (généraliste ou spécialiste). Les principaux défis éthiques rapportés portent sur les
inégalités de soins entre les soldats de la coalition et les victimes locales (soldats et civils),
ainsi que sur le manque de ressources, engendrant des décisions cliniques éprouvantes. Un
résultat étonnant des entrevues est la présence de deux groupes distincts au plan de
l’identification professionnelle. Huit médecins militaires se considèrent avant tout comme
médecin, alors que les six autres ne sont pas arrivés à accorder une priorité à l’une ou l’autre
des professions. Ces deux groupes se différencient également sur d’autres plans, comme le