DOSSIER Vitamine D Vitamine D et auto-immunité Vitamin D and autoimmunity Yoland Schoindre*, Nathalie Costedoat-Chalumeau** L a vitamine D est classiquement associée au métabolisme phosphocalcique et osseux. Depuis quelques années, une littérature à croissance exponentielle illustre son implication bien plus large dans la physiologie humaine, en particulier ses effets immunomodulateurs, qui semblent jouer un rôle central dans le maintien de la tolérance immunitaire. Les objectifs de cette mise au point sont de présenter d’une part les actions de la vitamine D sur le système immunitaire en les mettant en perspective avec la physiopathologie des maladies auto-immunes (MAI), et d’autre part les données scientifiques suggérant le rôle bénéfique de la vitamine D dans le cadre de la prise en charge des MAI. Vitamine D et système immunitaire Généralités Toutes les cellules du système immunitaire expriment le récepteur nucléaire à la vitamine D et sont capables de synthétiser pour leur propre compte le calcitriol, forme biologiquement active de la vitamine D. Le calcitriol, produit ainsi “localement”, serait concentré dans le microenvironnement lymphoïde et agirait sur le système immunitaire de façon intracrine, autocrine ou paracrine (1, 2). Vitamine D et cellules dendritiques * Service de médecine interne, hôpital Foch, Suresnes. ** Service de médecine interne, Centre de référence national pour le lupus systémique et le syndrome des antiphospholipides, AP-HP, hôpital Pitié-Salpêtrière, Paris. Les cellules dendritiques captent l’antigène en périphérie, migrent vers les organes lymphoïdes secondaires où elles initient la réponse immunitaire adaptative en présentant l’antigène aux lymphocytes T naïfs. Les cellules dendritiques myéloïdes (M-DC) sont les cellules présentatrices d’antigène les plus efficaces, mais peuvent être immunogènes ou tolérogènes. Les M-DC sont des cibles clés du calcitriol, qui leur confère un profil tolérogène (1, 2). C’est en partie via cette action sur les M-DC que le calcitriol induit, à partir des lymphocytes T naïfs, la différenciation des lymphocytes T régulateurs (Treg), bloque la différenciation des lymphocytes T naïfs en lymphocytes T-helper-1 (Th1) et T-helper-17 (Th17), considérés comme des chefs d’orchestre de l’autoimmunité (1), et entraîne l’anergie et la délétion clonale des lymphocytes T autoréactifs (3). Vitamine D et tolérance lymphocytaire T L’auto-immunité traduit une rupture de la “tolérance du soi”. Parmi les mécanismes de la tolérance immunitaire, la tolérance lymphocytaire T est la plus étudiée. La vitamine D intervient dans la tolérance lymphocytaire T à différents niveaux. ◆◆ Vitamine D et tolérance centrale Dans le thymus, la tolérance centrale repose sur la délétion clonale des lymphocytes T ayant une trop forte affinité pour les auto-antigènes, et sur la différenciation de Treg dits “naturels”. Certains travaux suggèrent qu’une carence prolongée en vitamine D dans les premières années de la vie entraînerait une perte de la tolérance centrale vis-à-vis de certains auto-antigènes, exposant à un risque ultérieur d’auto-immunité (4). ◆◆ Vitamine D et tolérance périphérique La tolérance périphérique contrôle les lymphocytes T autoréactifs de faible affinité ayant échappé à la sélection thymique. Elle repose sur l’anergie, la délétion clonale, la modulation de la réponse effectrice et la différenciation périphérique de Treg. Les Treg suppriment l’activation et la prolifération des lymphocytes T, notamment les lymphocytes T autoréactifs qui ont échappé à la sélection thymique. La rupture de l’équilibre entre Treg et lymphocytes T autoréactifs, résultant de défauts quantitatifs et surtout qualitatifs des Treg, contribue à l’émergence des MAI, et les thérapeutiques susceptibles de corriger ces défauts sont bénéfiques dans le traitement des MAI (5). 32 | La Lettre du Gynécologue • n° 375 - octobre 2012 LG 2012-10.indd 32 18/10/12 11:09 Points forts »» Les effets immunomodulateurs de la vitamine D, participant au maintien de la tolérance immunitaire, sont de mieux en mieux documentés. »» Un faisceau d’arguments suggère que la vitamine D aurait un effet préventif et thérapeutique vis-à-vis des maladies auto-immunes. Comme indiqué ci-dessus, les M-DC, devenues tolérogènes sous l’action de la vitamine D, induisent la différenciation de Treg, bloquent les réponses Th1 et Th17 et entraînent l’anergie et la délétion clonale des lymphocytes T autoréactifs (3, 6-7). Néanmoins, le calcitriol exerce une action directe sur les lymphocytes T. L’exposition de lymphocytes T CD4+ activés au calcitriol favorise l’émergence de Treg et diminue l’expression d’interféron-γ et d’IL-17, cytokines effectrices des réponses Th1 et Th17, respectivement (7). Vitamine D et lymphocytes B Un grand nombre de MAI se caractérisent par une hyperactivation lymphocytaire B et par la production d’auto-anticorps. L’effet bénéfique de biothérapies ciblées contre les lymphocytes B illustre le rôle central des lymphocytes B et l’importance de la modulation des lymphocytes B dans la prise en charge thérapeutique des MAI. Le calcitriol diminue la prolifération des lymphocytes B activés, inhibe la différenciation plasmocytaire et par là-même la sécrétion d’IgG et d’IgM, ainsi que la génération de cellules B mémoires (8). Vitamine D et maladies auto-immunes Généralités Le rôle de la carence en vitamine D dans l’apparition et la pérennisation des MAI est sous-tendu par un faisceau d’arguments : – arguments expérimentaux, comme le rôle bénéfique du calcitriol dans les modèles animaux de MAI ; – arguments épidémiologiques, comme l’existence d’une corrélation entre le taux sérique de 25-hydroxyvitamine D (25[OH]D) et le score d’activité d’une MAI ; – études cliniques montrant un effet préventif ou thérapeutique (9, 10). Lupus érythémateux systémique ◆◆ Données expérimentales Quatre études ont montré un effet bénéfique du calcitriol ou d’un analogue synthétique sur le modèle de la souris MRL/lpr. Chez l’homme, l’exposition au calcitriol et à ses analogues de cellules mononucléées du sang périphérique (PBMC) de patients présentant un lupus actif freine la production d’immunoglobulines G polyclonales et d’immunoglobulines G anti-ADN natif. Par ailleurs, le calcitriol inhibe le transfert par le plasma de patients de la “signature interféron”, autrement dit bloque les effets de l’interféron-α, cytokine centrale dans la physiopathologie du lupus érythémateux systémique (LES) [11]. ◆◆ Données épidémiologiques La photosensibilité et les consignes d’éviction solaire impliquent une moindre exposition solaire et un risque accru de carence en l’absence de compensation par la supplémentation. La plupart des études consacrées au statut vitaminique D au cours du LES rapportent une prévalence accrue de la carence en vitamine D chez les patients par rapport à des témoins sains (8). Plusieurs travaux récents rapportent une association entre un taux plus bas de 25(OH)D et une activité plus forte du lupus (12), ce qui suggère que le statut vitaminique D influerait sur l’activité du LES et que l’obtention durable d’un taux de 25(OH)D supérieur à 30 ng/ml, voire plus élevé, pourrait s’accompagner d’une diminution du risque de poussées. ◆◆ Données cliniques Une seule étude interventionnelle, ouverte, a été publiée au cours du LES et n’a pas montré de corrélation entre la variation du taux de 25(OH)D et la variation de l’activité du LES, mais les modalités de supplémentation étaient laissées à l’appréciation du prescripteur, si bien que 72 % des patients ayant un taux inférieur à 30 ng/ml et 80 % des patients ayant un taux inférieur à 10 ng/ml à l’inclusion n’atteignaient pas le seuil de 30 ng/ml en fin d’étude. Mots-clés vitamine D Auto-immunité Tolérance immunitaire Lymphocytes T régulateurs Maladies autoimmunes Highlights »» Extra-skeletal effects of vitamin D are becoming better documented, particularly its effects on the immune system, where it acts at several levels to maintain self-tolerance. »» Experimental, epidemiological and clinical studies suggest that vitamin D would have a preventive and therapeutic effect towards the autoimmune diseases. Keywords Vitamin D Autoimmunity Immune tolerance Regulatory T-cells Autoimmune diseases Références bibliographiques 1. Mora JR, Iwata M, von Andrian UH. Vitamin effects on the immune system: vitamins A and D take centre stage. Nat Rev Immunol 2008;8:685-98. 2. Schoindre Y, Terrier B, Kahn JE et al. Vitamine D et auto-immunité. Première partie : aspects fondamentaux. Rev Med Interne 2011 Dec 27. 3. van Halteren AG, van Etten E, de Jong EC, Bouillon R, Roep BO, Mathieu C. Redirection of human autoreactive T-cells Upon interaction with dendritic cells modulated by TX527, an analog of 1,25 dihydroxyvitamin D(3). Diabetes 2002;51:2119-25. 4. Ramagopalan SV, Maugeri NJ, Handunnetthi L et al. Expression of the multiple sclerosis-associated MHC class II Allele HLA-DRB1*1501 is regulated by vitamin D. PLoS Genet 2009;5:e1000369. 5. Buckner JH. Mechanisms of impaired regulation by CD4(+) CD25(+)FOXP3(+) regulatory T cells in human autoimmune diseases. Nat Rev Immunol 2010;10:849-59. 6. van Halteren AG, Tysma OM, van Etten E, Mathieu C, Roep BO. 1alpha,25-dihydroxyvitamin D3 or La Lettre du Gynécologue • n° 375 - octobre 2012 | 33 LG 2012-10.indd 33 18/10/12 11:09 DOSSIER Vitamine D Références bibliographiques analogue treated dendritic cells modulate human autoreactive T cells via the selective induction of apoptosis. J Autoimmun 2004;23:233-9. 7. Jeffery LE, Burke F, Mura M, Zheng Y et al. 1,25-Dihydroxyvitamin D3 and IL-2 combine to inhibit T cell production of inflammatory cytokines and promote development of regulatory T cells expressing CTLA-4 and FoxP3. J Immunol 2009;183:5458-67. 8. Chen S, Sims GP, Chen XX, Gu YY, Lipsky PE. Modulatory effects of 1,25-dihydroxyvitamin D3 on human B cell differentiation. J Immunol 2007;179:1634-47. 9. Arnson Y, Amital H, Shoenfeld Y. Vitamin D and autoimmunity: new aetiological and therapeutic considerations. Ann Rheum Dis 2007;66:1137-42. 10. Schoindre Y, Terrier B, Kahn JE et al. Vitamine D et auto-immunité. Deuxième partie : aspects cliniques. Rev Med Interne 2011 Dec 28. 11. Ben-Zvi I, Aranow C, Mackay M et al. The impact of vitamin D on dendritic cell function in patients with systemic lupus erythematosus. PLoS One 2010;5:e9193. 12. Amital H, Szekanecz Z, Szucs G et al. Serum concentrations of 25-OH vitamin D in patients with systemic lupus erythematosus (SLE) are inversely related to disease activity: is it time to routinely supplement patients with SLE with vitamin D? Ann Rheum Dis 2010;69:1155-7. 13. Agmon-Levin N, Blank M, ZandmanGoddard G et al. Vitamin D: an instrumental factor in the anti-phospholipid syndrome by inhibition of tissue factor expression. Ann Rheum Dis 2011;70:145-50. 14. Hypponen E, Laara E, Reunanen A, Jarvelin MR, Virtanen SM. Intake of vitamin D and risk of type 1 diabetes: a birth-cohort study. Lancet 2001;358:1500-3. 15. Lemire JM, Archer DC. 1,25-dihydroxyvitamin D3 prevents the in vivo induction of murine experimental autoimmune encephalomyelitis. J Clin Invest 1991;87:1103-7. 16. Munger KL, Levin LI, Hollis BW, Howard NS, Ascherio A. Serum 25-hydroxyvitamin D levels and risk of multiple sclerosis. JAMA 2006;296:2832-8. 17. Cantorna MT, Munsick C, Bemiss C, Mahon BD. 1,25-Dihydroxycholecalciferol prevents and ameliorates symptoms of experimental murine inflammatory bowel disease. J Nutr 2000;130:2648-52. 18. Jorgensen SP, Agnholt J, Glerup H et al. Clinical trial: vitamin D3 treatment in Crohn's disease - a randomised double-blind placebocontrolled study. Aliment Pharmacol Ther 2010;32:377-83. 19. Patel S, Farragher T, Berry J, Bunn D, Silman A, Symmons D. Association between serum vitamin D metabolite levels and disease activity in patients with early inflammatory polyarthritis. Arthritis Rheum. 2007;56:2143-9. 20. Souberbielle JC, Body JJ, Lappe JM et al. Vitamin D and musculoskeletal health, cardiovascular disease, autoimmunity and cancer: Recommendations for clinical practice. Autoimmun Rev 2010;9:709-15. Syndrome des antiphospholipides Un travail récent (13) a trouvé des taux plus bas de 25(OH)D chez 179 patients présentant un syndrome des antiphospholipides (SAPL) que chez 141 contrôles sains appariés. Dans cette étude, un taux bas de 25(OH)D était associé à la survenue de certaines manifestations thrombotiques du SAPL. Les auteurs ont montré in vitro que la vitamine D inhibait la libération de facteur tissulaire induite par les anticorps anti-β2-GP1, mécanisme prothrombotique important au cours du SAPL (13). Maladies inflammatoires chroniques de l’intestin Sur le modèle animal des souris IL-10 knock-out, la supplémentation en vitamine D exerce un remarquable effet préventif et curatif (17). Un essai randomisé en double aveugle contrôlé mené sur 108 patients porteurs d’une maladie de Crohn en rémission et comparant la prise de 1 200 UI de vitamine D par jour au placebo pendant 1 an, a montré que la supplémentation permettait une augmentation modérée mais significative du taux de 25(OH)D associée dans le groupe supplémenté à une tendance à la diminution du nombre de rechutes (p = 0,06) [18]. Diabète de type 1 Polyarthrite rhumatoïde Dans une étude de cohorte publiée dans The Lancet 10 366 nouveau-nés finlandais nés en 1966 ont été inclus. L’administration de 2 000 UI de vitamine D par jour au cours de la première année de vie était associée à une réduction du risque relatif d’apparition d’un diabète de type 1 avant l’âge de 33 ans de près de 90 % par rapport à l’absence de supplémentation (14). Sur 206 patients consécutifs présentant une polyarthrite inflammatoire évoluant depuis moins de 6 mois, non traités par corticoïdes, Patel et al. (19) ont trouvé à l’inclusion une association inverse entre le taux de 25(OH)D et le nombre d’articulations douloureuses, le taux de protéine C réactive (CRP) et les scores d’activité et de qualité de vie. Sclérose en plaques La prescription de vitamine D dans le cadre de la prise en charge des MAI est destinée à prévenir l’ostéoporose cortico-induite. La posologie varie selon les habitudes des prescripteurs entre 400 et 880 UI de vitamine D3 par jour, généralement sans surveillance du taux sérique de 25(OH)D, pourtant seule à même d’évaluer l’efficacité de la supplémentation. En l’état actuel des connaissances, et bien que le seuil de 25(OH)D que l’on pourrait qualifier de seuil d’homéostasie immunologique reste à déterminer, un groupe d’experts européens a émis des recommandations visant à maintenir chez les patients porteurs ou à risque de MAI un taux de 25(OH)D supérieur à 30 ng/ml en le surveillant (20). L’administration de calcitriol s’est révélée remarquablement efficace dans la prévention et le traitement de l’encéphalomyélite auto-immune expérimentale (15). Le gradient nord-sud est particulièrement marqué au cours de la sclérose en plaques (SEP), la prévalence passant de 1,2.10 -5 à l’Équateur à 200.10-5 aux latitudes supérieures à 50° (9). Une étude menée sur 257 cas de SEP et 514 contrôles issus d’une cohorte composée de militaires américains a mis en évidence chez les Caucasiens une diminution de 41 % du risque de SEP pour chaque augmentation de 20 ng/ml du taux de 25(OH)D mesuré avant l’apparition des premiers symptômes (16). Les études interventionnelles publiées jusqu’à présent sont des essais de phase II évaluant la tolérance de fortes doses de vitamine D. Recommandations Conclusion Outre ses effets bien connus sur le métabolisme phosphocalcique, la vitamine D paraît centrale dans le maintien de la tolérance immunitaire, et un faisceau d’arguments suggère qu’elle pourrait avoir un effet préventif et thérapeutique vis-à-vis des MAI. ■ 34 | La Lettre du Gynécologue • n° 375 - octobre 2012 LG 2012-10.indd 34 18/10/12 11:09