Épilepsie et photosensibilité Épilepsies 2008 ; 20 (3) : 145-8 Photosensibilité et génétique Isabelle Gourfinkel-An Unité d’épileptologie, unité 679 de l’Inserm, Hôpital Pitié Salpêtrière, 47 boulevard de l’hôpital, 75651 Paris cedex 13, France <[email protected]> Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. La photosensibilité a un fort déterminisme génétique, cependant aucun gène n’est identifié à ce jour. Résumé. Les études se heurtent à de nombreuses difficultés tenant à l’étape de phénotypage elle-même, à une probable hétérogénéité génétique voire à une diversité des modes d’hérédité. Les liens entre photosensibilité et divers syndromes épileptiques génétiquement déterminés paraissent également complexes. Mots clés : photosensibilité, syndrome épileptique, monogénisme, polygénisme Abstract. Genetics of photosensitivity Photosensitivity has strong genetic basis. However, no gene for photosensitivity has been identified to date. Genetic studies encounter a lot of difficulties at the phenotyping step, but also because of genetic heterogeneity and several mode of inheritance that probably underlie photosensitivity. The links between photosensitivity and epileptic syndromes genetically determined seem also to be complex. Key words: photosensitivity, epileptic syndrome, monogenism, polygenism Les études de concordance entre jumeaux et les analyses d’agrégations familiales menées depuis de nombreuses années ont montré que la photosensibilité (PS) avait un fort déterminisme génétique (Stephani et al., 2004). Pourtant, les bases génétiques de la PS et de ses liens avec divers syndromes épileptiques sont encore mal connues. Ancun gène de PS n’est identifié à ce jour. Seuls quelques loci de susceptibilité sont publiés. Il est vrai que s’attaquer à la génétique de la photosensibilité n’est pas une mince affaire... doi: 10.1684/epi.2008.0161 Difficultés rencontrées pour étudier la PS au plan génétique L’étape du phénotypage (étape qui permet de conclure sur le caractère « atteint ou non atteint » d’un individu) se heurte à divers problèmes dans le cas de la PS. Définir le phénotype « photosensible » Il y a diverses situations qui ne sont vraisemblablement pas équivalentes au plan géné145 tique : la réponse photoparoxystique (RPP) observable à l’EEG chez certains individus lors de la SLI, le cadre des épilepsies avec photosensibilité et celui des épilepsies avec crises photoinduites pures. Il existe également une photosensibilité dépendant de la longueur d’onde, de l’intensité lumineuse, d’un pattern, etc. Il y a 4 types de RPP. Les critères pour parler de PS sont variables en fonction des époques et des équipes. Cependant, le fait que ces 4 types de réponses puissent coexister au sein d’une même famille suggère qu’elles représentent le même trait génétique s’exprimant à des degrés divers au moins en partie en raison de l’âge (Waltz et al., 1992 ; Doose et Waltz, 1993). Observer le phénotype photosensible1 La RPP est un phénotype particulier à étudier puisque c’est un phénotype induit par une stimulation exogène. La méthodologie utilisée pendant la SLI peut varier d’une équipe à 1 Nous nous cantonnerons à la RPP. Épilepsies, vol. 20, n° 3, juillet, août, septembre 2008 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. I. Gourfinkel-An l’autre. Ceci rend difficile la comparaison et la reproduction de résultats obtenus entre les équipes, la réalisation d’études multicentriques voire même parfois l’étude d’une même famille. La PS peut n’être qu’un phénomène intermittent. De nombreux facteurs, pas tous connus, expliquent que la RPP puisse être variable chez un même individu lors d’examens successifs (photosensibilité n’apparaissant qu’en cas de privation de sommeil, ou d’un sevrage en benzodiazépines ou en alcool par exemple). Dans ces cas, le problème est de savoir si cette photosensibilité « accidentelle » doit faire considérer l’individu comme une phénocopie dans l’étude (faux positif) ou si l’on doit considérer qu’il y a une pénétrance variable en fonction de facteurs environnementaux (l’individu est alors considéré comme atteint dans l’étude). La PS a une pénétrance variable selon les tranches d’âges : la pénétrance est dite maximale entre 5 et 20 ans (Waltz et Stephani, 2000). Les études sont contradictoires quant au pourcentage de patients conservant ou pas une photosensibilité avec l’âge (Jeavons et al., 1986 ; Kasteleijn-Nolst Trenité et al., 1994 ; Harding et al., 1997 ; Anyanwu et al., 2003). Si celle-ci a disparu, un patient adulte considéré comme non atteint dans une étude familiale peut être un faux négatif. Le sexe peut intervenir dans certains contextes (pour revue voir Kasteleijn-Nolst Trenité et al., 2002) : une prédominance féminine est observée si on ne considère que la RPP, et dans le cas des crises visuellement induites, de l’épilepsie myoclonique juvénile photosensible et chez les patients avec crises « grand mal du réveil » photosensibles. Cet effet sexe-dépendant (pouvant être sous-tendu par des facteurs hormonaux ou des facteurs génétiques modulateurs liés à l’X) est difficile à quantifier et à prendre en compte dans une étude familiale. Enfin, l’existence d’une phénocopie (cas sporadique dont le trait exprimé est sans lien génétique avec le reste de la famille) n’est jamais exclue. La prévalence de la photosensibilité dans la population générale est mal connue et dépend des classes d’âge et des méthodes de SLI utilisées (Kasteleijn-Nolst Trenité et al., 2002). Des processus lésionnels cérébraux ou des toxiques peuvent induire une photosensibilité. tée (Tauer et al., 2005). En réalité, ces données contradictoires suggèrent qu’il n’y a vraisemblablement pas une, mais des génétiques de la photosensibilité. Les modèles animaux génétiques d’un trait peuvent permettre d’aborder la génétique humaine. Pourtant, le déterminisme génétique de la photosensibilité du babouin Papio papio du Sénégal et du poulet FEpi (Fayoumi epileptic) n’est pas encore élucidé. D’autres pistes sont offertes par les remaniements chromosomiques dans lesquels le phénotype exprime une PS car ils orientent vers de potentiels loci de gènes de PS (Van Esch et al., 2002). En réalité, pour aborder la génétique de la photosensibilité, il paraît important d’examiner dans quel contexte familial elle survient. Une étude portant sur un grand nombre de familles et s’intéressant à l’existence d’une RPP dans la descendance d’un parent épileptique, a montré que celle-ci était plus fréquente (6 %) que dans celle d’un parent non épileptique (3 %) avec une probabilité plus importante si l’épilepsie du parent était une épilepsie myoclonique juvénile ou une épilepsie-absences de l’enfant (Tsai et al., 1989). Certaines épilepsies ayant un déterminisme génétique fort sont particulièrement associées à une PS : les épilepsies généralisées idiopathiques (EGI) (avec la prévalence la plus élevée dans l’épilepsie myoclonique juvénile [EMJ]), les épilepsies myocloniques progressives, le syndrome de Dravet. En fait, les liens entre PS et ces épilepsies sont multiples et complexes. Cette comorbidité peut suggérer qu’il y a dans ces pathologies soit des facteurs génétiques impliqués dans des mécanismes communs à l’épilepsie et à la PS (par exemple gènes impliqués dans les facteurs modulateurs des oscillations gamma [Kalitzin et al., 2002 ; Parra et al., 2003]), soit que la présence chez un individu de facteurs génétiques sous-tendant un des phénomènes favorise l’expression des facteurs génétiques de l’autre (par exemple abaissement du seuil épileptogène chez les porteurs de gènes de susceptibilité à la PS favorisant l’expression de gènes de susceptibilité d’une EGI). Le dernier mécanisme possible est qu’un processus lésionnel déterminé génétiquement induise une réponse anormale du cerveau à la stimulation lumineuse. Données historiques et générales Photosensibilité dans des contextes idiopathiques De nombreux auteurs ont essayé depuis des années de s’attaquer à la génétique de la PS. Les premiers jumeaux monozygotes présentant une RRP ont été publiés en 1951 (Daly et Bickford, 1951). Des nombreuses études ont abordé la PS en tant que phénomène isolé, sorti du contexte épileptique. Certaines d’entre elles suggèrent un mode de transmission autosomique dominant (Davidson et Watson, 1956 ; Herrlin, 1960 ; Watson et Marcus, 1962 ; Jeavons et Harding, 1975 ; Waltz et Doose, 1992 ; Doose et Waltz, 1993 ; Harding et Jeavons, 1994 ; Waltz et Stephani, 2000) ; d’autres, un mode d’hérédité complexe (Doose et al., 1969 ; Doose et Gerken, 1973). L’intervention de gènes de susceptibilité selon un modèle récessif est aussi rappor- Il existe des formes familiales pures de photosensibilité (± avec crises photo-induites). Mais les problèmes de pénétrance variable en fonction de l’âge limitent le nombre d’individus atteints dont le trait est observable et donc les possibilités d’avoir de grandes familles informatives. Seules des études regroupant un grand nombre de petites familles sont possibles. Le problème de ce type d’études est qu’elles impliquent une homogénéité phénotypique parfaite des familles et qu’elles se heurtent à la méconnaissance du mode de transmission et à l’hétérogénéité génétique éventuelle. Un locus de susceptibilité en 6p21.2, voisin d’un locus de susceptibilité rapporté antérieurement pour l’EMJ a été publié Épilepsies, vol. 20, n° 3, juillet, août, septembre 2008 146 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Photosensibilité et génétique dans une étude de ce type avec un mode d’hérédité récessif suspecté (Tauer et al., 2005). Ce locus contient de nombreux gènes candidats notamment les gènes EFHC1 et BRD2 déjà publiés comme gènes de susceptibilité pour l’EMJ et le gène ALDH5A1. ALDH5A1 code pour la succinique semialdehyde déhydrogénase qui intervient dans la dégradation du GABA. Le déficit de cette enzyme donne un phénotype dans lequel épilepsie et photosensibilité sont fréquents. Ce gène était donc potentiellement intéressant mais le séquençage et les études d’association n’ont rien donné (Lorenz et al., 2006a). Les familles combinant photosensibilité et EGI sont nombreuses. Dans certaines, l’épilepsie est le phénotype majoritaire et semble avoir un mode de transmission mendélien, monogénique, certains individus étant de surcroît photosensibles. Ces formes sont les plus rares mais ce sont celles dans lesquelles des gènes, codant le plus souvent pour des canaux ioniques, ont été identifiés. Le gène GABRA1 (5q34) codant pour la sous-unité alpha-1 du récepteur GABAA et le gène EFHC1 (6p12) codant pour la myoclonine-1 sont impliqués dans de rares formes autosomiques dominantes d’EMJ (Cossette et al., 2002 ; Suzuki et al., 2004). Dans ce cas une photosensibilité est rapportée chez les individus porteurs de la mutation mais elle est inconstante comme si cette partie du phénotype avait une pénétrance variable. S’agit-il d’un phénomène d’âge-dépendance ou bien de facteurs environnementaux ou encore de l’intervention d’autres facteurs génétiques accessoires à côté d’un gène principal ?). L’implication du gène CLCN2 (3q36) codant pour le canal chlore voltage-dépendant ClC2 dans des familles combinant divers types d’EGI avec ou sans photosensibilité est débattue (Haug et al., 2003). Il s’agit probablement plus d’un gène de susceptibilité que d’un gène réellement causal. Le gène SCN1A et SCN1B codant respectivement pour la sous-unité alpha-1 et bêta-1 du canal sodique voltage-dépendant neuronal et le gène GABRG2 codant pour la sous-unité gamma-2 du récepteur GABAA sont impliqués dans un contexte familial dit « GEFS+ » (generalized epilepsy with febrile seizures plus) dans lequel se combinent convulsions fébriles et divers types d’épilepsies, majoritairement généralisées (Wallace et al., 1998 ; Escayg et al., 2000 ; Baulac et al., 2001). La PS y est fréquente mais pas constante là encore. Dans d’autres familles, et c’est cas le plus fréquent, les individus photosensibles et épileptiques se distribuent de manière éparse dans la famille, suggérant une hérédité plus complexe : pour chaque phénotype, épileptique ou photosensible, un ou plusieurs gènes propres sont probablement impliqués, les deux phénotypes se combinant parfois chez un même individu. Dans certaines familles, il ne semble pas s’agir que d’une simple « juxtaposition » de gènes et de phénotypes : l’arrière fond génétique sous-tendant la PS semble prédisposer également à la survenue d’une EGI probablement en combinaison avec d’autres facteurs génétiques (parfois du fait d’un effet double dose dans le cadre d’une récessivité) et environnementaux (Tauer et al., 2005 ; de Hann et al., 2006). Plusieurs loci de susceptibilité prédisposant à la fois à la photosensibilité et à des EGI ont été publiés en 13q31.3 (héré147 dité autosomique récessive supposée) (Tauer et al., 2005), 7q32 et 16p13 (Pinto et al., 2005). Certains polymorphismes dans le gène BRD2 (bromodomain-containing protein 2) localisé en 6p21 pourraient constituer un facteur de susceptibilité commun pour l’EMJ et la RPP (Lorenz et al., 2006b). Le gène NEDD4-2 (18q21) qui code pour une ubiquitine proteine ligase qui régule l’expression de canaux ioniques, récepteurs et transporteurs, a été proposé comme gène de susceptibilité pour les épilepsies photosensibles (Dibbens et al., 2007). Photosensibilité dans les épilepsies symptomatiques La PS est habituelle dans les épilepsies myocloniques progressives. Des auteurs ont cherché si les gènes impliqués dans certaines de ces pathologies pouvaient constituer des gènes de susceptibilité pour la PS mais sans succès (Neubauer et al., 2005). La PS dans ces pathologies constitue une réponse anormale du cerveau dans le cadre d’un processus dégénératif particulier. Le syndrome de Dravet qui dans plus de 70 % des cas est lié à une mutation dans le gène SCN1A (Claes et al., 2001), comporte dans une majorité des cas une PS qui est précoce. Le fait que cette PS soit plus fréquente dans cette pathologie que chez des individus ayant une mutation dans SCN1A dans le cadre familial GEFS+ laisse à penser qu’il y a en plus de la canalopathie un processus pathologique particulier, vraisemblablement dégénératif précoce, qui intervient dans la PS du syndrome de Dravet. Conclusion Il faut reconnaître qu’on a peu avancé depuis les années 1950 dans la compréhension des facteurs génétiques impliqués dans la PS et leurs liens avec certains syndromes épileptiques. Divers modes d’hérédité sont décrits (monogénique autosomique dominant ou récessif, hérédité complexe). Diverses publications de loci ou gènes de susceptibilité n’ont pas été reproduites ensuite ou n’ont pas donné lieu à de véritables avancées. Outre les problèmes de phénotypage, il existe des difficultés conceptuelles (PS en tant qu’endophénotype dans les EGI ou entité phénotypique propre), et dans le choix des méthodes d’analyse (méthodes paramétriques ou non paramétriques). Ce choix est basé sur des postulats de départ reposant sur la conviction des auteurs (hérédité mono, oligo ou polygénique). Le manque de grandes familles suffisamment informatives conduit à mener des études sur des groupes de petites familles. Or ces familles ne répondent sans doute pas toutes au même modèle génétique. De plus, l’hétérogénéité génétique est probable pour la PS. De même, la stratégie gène candidat a été peu rentable jusque-là. Les mêmes problèmes méthodologiques existent lorsque l’on essaye de s’attaquer à la génétique des convulsions fébriles. La photosensibilité serait-elle alors une forteresse imprenable par les généticiens ? M Épilepsies, vol. 20, n° 3, juillet, août, septembre 2008 I. Gourfinkel-An Kasteleijn-Nolst Trenité DGA, Van Emde Boas W, Binnie CD. Photosensitive epilepsy as an age-related genetic disorder. In : Wolf P, ed. Epileptic seizures and syndromes. London : John Libbey, 1994 : 41-8. Références Anyanwu EC, Ehiri JE, Jones J. 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