revue Virologie 2005, 9 : 55-63 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Résistance au VIH1 chez les individus exposés non infectés : la recherche des mécanismes entre lumière et zones d’ombre A. Saez-Cirion D. Scott-Algara G. Pancino Unité de biologie des rétrovirus, département de virologie, Institut Pasteur, 25 rue du Docteur-Roux, 75724 Paris Cedex 15 <[email protected]> Résumé. Des individus, appelés ici « ENI » (exposés mais non infectés), ne présentent aucun signe d’infection malgré des expositions répétées au VIH1. Depuis plus de dix ans, de nombreuses équipes s’efforcent de comprendre les mécanismes de résistance chez ces individus, et notamment d’identifier les facteurs d’hôte qui contribuent à leur protection contre le VIH1. Deux principales hypothèses, non exclusives, sont explorées : 1) les ENI sont résistants à l’infection par le VIH1 grâce à des défenses antivirales innées, génétiques et/ou immunitaires ; 2) les ENI sont protégés de l’infection par des réponses immunitaires spécifiques qui neutralisent ou éliminent le virus. Divers mécanismes ont été associés à la résistance au VIH1 dans des études sur différentes populations à haut risque, bien qu’aucun ne puisse à lui seul expliquer la résistance dans tous les cas. La résistance à l’infection par le VIH1 apparaît liée à la contribution de multiples facteurs dont le poids relatif peut varier selon l’origine ethnique, l’environnement et le mode d’exposition des ENI. Mots clés : VIH1, exposé non infecté, résistance, défense innée, réponse immune spécifique Abstract. Some individuals, dubbed here « EU » (exposed but uninfected), do not show any sign of infection in spite of repeated exposures to HIV1. For more than ten years a considerable research effort is made to uncover the mechanisms of resistance to HIV1 in EUs including host factors of protection. Two main not exclusive hypotheses are explored : 1) EUs are resistant to HIV1 infection ought to antiviral innate defences, either genetic or immune ; 2) EUs are protected from infection by immune specific responses that neutralise or eliminate the virus. Various mechanisms have been associated to the resistance to HIV1 infection in studies on different high-risk populations, although none of them can explain all the cases. The resistance to HIV1 infection seems to be linked to the contribution of multiple factors whose relative weight can differ according to EUs ethnic origin, environment and way of exposure. Key words: HIV1, exposed uninfected, resistance, innate defence, specific immune response Bien qu’exposés au VIH1 de façon répétée, des individus restent sans signe apparent d’infection (individus exposés mais non infectés, ENI) par les tests sérologiques standard (Elisa et western-blot) utilisés pour détecter des immuno- Tirés à part : G. Pancino Virologie, Vol. 9, n° 1, janvier-février 2005 globulines G anti-VIH1 et par PCR sur les gènes viraux. Des ENI ont été identifiés au sein de groupes à risque d’infection par le VIH1, tels des prostituées ou des toxicomanes par voie intravasculaire (TVI), de partenaires réguliers de sujets séropositifs ou d’hémophiles transfusés avec des préparations de facteur VIII contaminées, en Europe et aux États-Unis, mais aussi dans des pays d’Afrique ou 55 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. revue d’Asie où la prévalence de l’infection par le VIH1 est très élevée [1-3]. Une évaluation quantitative du phénomène de résistance au VIH1 est difficile car la majorité des études sur les ENI sont transversales ou concernent des petits groupes d’individus. Toutefois, une étude décennale sur l’incidence de l’infection par le VIH1 au sein d’une cohorte de 424 prostituées à Nairobi, Kenya, a documenté que 60 prostituées (14 %) sont restées séronégatives au VIH1 (dans les tests standard) malgré des pratiques à risque pendant plus de trois ans [1]. Une étude épidémiologique sur une population de 280 toxicomanes intravasculaires à Hô Chi Minh Ville, Vietnam, a permis d’identifier 41 toxicomanes (14,6 %) demeurés séronégatifs malgré des comportements à haut risque pendant plus de 10 ans, révélés par une séroprévalence entre 80 et 100 % d’autres infections virales (HBV, HCV, HTLV) transmises par voie sanguine [4]. De nombreuses études ont essayé d’identifier les mécanismes de la résistance au VIH1, mais l’interprétation des résultats est compliquée par la difficulté à prouver que l’absence de transmission du VIH1 chez les ENI est réellement due à une protection ou à une résistance à l’infection et non à une exposition insuffisante ou à la chance. En effet, si la probabilité de transmission du VIH1 par transfusion de produits contaminés est proche de 100 %, la probabilité de transmission par partage d’aiguilles est de l’ordre de 1 % et celle par exposition sexuelle est plus faible et très variable. La probabilité de transmission du VIH1 par contact hétérosexuel a été évaluée entre 0,1 et 0,3 % selon les populations étudiées et des paramètres tels que la charge virale du partenaire et la présence ou non de maladies ulcératives [5]. Néanmoins, les études longitudinales qui ont réalisé un suivi prolongé de groupes d’individus à haut risque d’infection indiquent l’existence d’une réelle résistance ou d’une protection contre l’infection par le VIH1 chez les ENI [1, 3]. En outre, des réponses humorales (non détectables dans les tests sérologiques standard) et/ou cellulaires spécifiques du VIH1 ont été décelées dans des proportions significati- ves d’ENI (voir ci-dessous), confirmant que ces sujets ont été en contact avec le VIH1. La sensibilité aux infections, y compris à l’infection par le VIH1, dépend de facteurs génétiques, environnementaux et immunologiques ; elle varie grandement d’un individu à l’autre [6]. Il est probable que, au sein de groupes à risque, les ENI qui sont exposés pendant de nombreuses années soient sélectionnés soit pour leur résistance naturelle à l’infection par le VIH, soit pour leur capacité à développer des réponses protectrices capables de contrôler la réplication virale initiale et de résoudre une infection naissante. Les ENI, par conséquent, représentent un sujet d’étude de la plus grande importance, susceptible de révéler soit des mécanismes innés de restriction de l’infection par le VIH1, soit les paramètres d’une réponse immune efficace. En effet, c’est en étudiant un groupe d’ENI qu’une mutation du corécepteur CCR5 qui bloque l’entrée du VIH1 a été découverte (voir ci-dessous) [7]. Nous passerons en revue les résultats les plus significatifs de la littérature concernant les facteurs de protection d’hôte innés ou acquis qui ont été associés à la résistance au VIH1 ainsi que quelques données de notre laboratoire. Le tableau 1 résume les mécanismes potentiels qui ont été identifiés jusqu’à maintenant. Seules quelques références représentatives parmi le très grand nombre de publications sur le sujet sont mentionnées. Mécanismes innés de protection contre l’infection par le VIH1 Restriction cellulaire de l’infection Une corrélation entre la résistance des ENI à contracter le VIH1 et une résistance à l’infection in vitro a été recherchée, avec des résultats apparemment discordants. Alors qu’une sensibilité réduite des cellules d’ENI à être infectées in vitro par le VIH1 a été mise en évidence par diverses études, d’autres n’ont pas trouvé de différences significati- Tableau 1. Facteurs d’hôte impliqués dans la protection contre l’infection par le VIH1 Facteur Sensibilité réduite à l’infection in vitro : résistance T CD4+ (associée ou non à mutations du CCR5) Sensibilité réduite à l’infection in vitro : inhibition par T CD8+ (CAF, b-chimiokines, a-défensines ? autres ?) Types HLA Activation NK Anticorps anti-CD4, -CCR5, -HLA Réponse spécifique humorale Réponse spécifique T CD4 Réponse spécifique T CD8 56 ENI Partenaires de sujets VIH1+, toxicomanes i.v. Références [3, 8] Partenaires de sujets VIH1+, prostituées, hémophiles, toxicomanes i.v. Prostituées, partenaires de sujets VIH1+ Toxicomanes i.v. Partenaires de sujets VIH1+, toxicomanes i.v. Partenaires de sujets VIH1+, prostituées, toxicomanes i.v. Partenaires de sujets VIH+, prostituées, toxicomanes i.v. Partenaires de sujets VIH1+, prostituées, toxicomanes i.v. [8, 9, 11-13, 33] [18, 20] [24] [25-28] [34-36, 38, 40] [34, 41, 42] [2, 21, 43, 53] Virologie, Vol. 9, n° 1, janvier-février 2005 revue Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. ves entre ENI et témoins [8-10]. Notre équipe a montré l’existence d’une réduction significative, en comparaison à des témoins non exposés, de la sensibilité des cellules mononucléées du sang (PBMC) à l’infection par le VIH1 chez des TVI ENI au Vietnam (figure 1) et chez des partenaires hétérosexuels ENI de patients infectés par le VIH1 en République centrafricaine [3, et E. Bégaud et G. Pancino, résultats non publiés]. Dans nos études, ainsi que dans d’autres, cette résistance à l’infection a été principalement associée à deux types de mécanismes, l’un lié à la sécrétion de facteurs inhibiteurs par les cellules T CD8+, Témoins 3 virus ENI 2 virus Primaire X4 R5 0 10 20 30 40 50 Résistants à l'infection in vitro % Figure 1. Résistance des PBMC à l’infection in vitro par le VIH1. Les PBMC provenant de toxicomanes intravasculaires ENI vietnamiens ou de témoins non exposés ont été infectées en parallèle avec des souches du VIH1 à tropisme CCR5 (R5) ou à tropisme CXCR4 (X4) ou avec un isolat primaire. La résistance à l’infection est définie comme une production virale (mesurée par le niveau d’antigène p24 dans les surnageants de cellules infectées) inférieure d’au moins un log à celle d’une culture de PBMC de référence (au pic d’infection, 10-13 jours après infection). En abscisse, les pourcentages des cas de résistance dans les populations étudiées (ENI = 45 ; témoins = 50). Les histogrammes montrent les proportions d’ENI (barres grises) et de témoins (barres blanches) résistants à l’infection par le virus R5, X4, ou à l’isolat primaire, ainsi que les proportions des individus résistants à 2 des 3 virus utilisées ou aux 3 virus. Virologie, Vol. 9, n° 1, janvier-février 2005 l’autre due à une résistance intrinsèque des cellules cibles, les lymphocytes T CD4+ (figure 2). Les b-chimiokines peuvent inhiber l’entrée des souches R5 du VIH1 en se fixant sur leur récepteur CCR5. Une production augmentée de b-chimiokines par les PBMC et/ou les cellules T CD8+ des ENI a été décrite mais elle n’est pas observée dans toutes les études [10-12]. Une augmentation de la sécrétion d’un facteur suppressif de la réplication du VIH1, produit par les cellules CD8+ (CD8 antiviral factor, CAF) et non encore identifié, a également été observée chez des ENI en comparaison avec des témoins non exposés [13]. Quelle que soit la nature du (des) facteur(s) responsable(s) de l’inhibition du VIH1, les résultats de nombre d’études, y compris les nôtres, suggèrent que la suppression virale par les cellules T CD8+ joue un rôle considérable dans la résistance à l’infection [3, 8, 13, 14]. Une restriction de la réplication virale dans les cellules T CD4+ a également été associée à la résistance chez des ENI. L’étude du polymorphisme génétique du CCR5 chez des ENI dont les lymphocytes T CD4+ étaient résistants à l’infection par des virus R5, a permis l’identification d’une délétion de 32 paires de bases de la région codante du gène (CCR5D32) [7]. Cette mutation génère une molécule non fonctionnelle et rend les cellules des individus homozygotes résistantes à l’infection par des souches R5 du VIH1, considérées comme responsables de la majorité des épisodes de transmission. Pourtant, cette mutation, à l’état homozygote, n’est décelée que chez environ 1 % des individus d’origine caucasienne et est absente au sein des populations asiatiques et africaines [15] ; elle ne peut donc pas expliquer la résistance au VIH1 dans ces régions. D’autres mutations rares du CCR5 ont été décrites dans des cas isolés de résistance à l’infection chez des ENI caucasiens [16] et nous avons récemment décrit deux nouveaux variants du CCR5, qui en affectent l’expression et la fonction, chez des ENI et des individus non infectés au Vietnam [17]. D’autres cas de restriction spécifique aux virus R5, dont les mécanismes restent inconnus, ne sont expliqués ni par des mutations du CCR5, ni par une diminution de l’expression du corécepteur à la surface cellulaire [A. SaezCirion et G. Pancino résultats non publiés]. Dans des cas plus rares, la résistance des cellules T CD4+ à l’infection par le VIH1 est indépendante du tropisme pour les corécepteurs et implique des mécanismes de restriction post-entrée [3]. Autres facteurs génétiques de prédisposition Types HLA Les molécules HLA de classes I et II déterminent le répertoire des réponses immunitaires T. Par conséquent, de nombreuses études ont abordé la question du rapport entre la sensibilité à l’infection par le VIH1 et le polymorphisme des gènes du complexe HLA. Toutefois, dans la plupart de 57 revue A B p24 (ng/ml) 100 10 1 Témoin 0,1 20 000 10 Jours p. i. 300 100 30 p24 (ng/ml) 6 13 10 3 100 10 Témoin CD4+CD8 1:0.1 CD4+CD8 1:0.33 CD4 CD4+CD8 1:1 10 CD4+CD8 1:0.1 Days p. i. 0 2 1 CD4+CD8 1:0.33 ENI CD4+CD8 1:1 Alu-LTR CD4 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Témoin ENI ENI 0,01 Cellules 1 000 Figure 2. Mécanismes de résistance à l’infection in vitro par le VIH1 chez des ENI. A. La résistance des PBMC est associée à une restriction de la réplication du VIH1 dans les cellules T CD4, avant l’intégration de l’ADN viral dans le génome de l’hôte. En haut, la cinétique de production virale (Ag p24) chez un témoin non exposé et chez l’ENI 276W après infection avec HIV1 BaL (R5). En bas, évaluation des formes intégrées du VIH1 par PCR Alu-LTR. Aucun signal est détecté dans les premiers 2 jours après infection ; à 10 jours post-infection le signal détecté dans les cellules de l’ENI est environ 100 fois inférieur que celui du témoin. B. La résistance des PBMC est due à la coopération de deux mécanismes : une sensibilité réduite des cellules T CD4 à l’infection et une inhibition de l’infection des cellules T CD4 par les cellules T CD8. La production virale est réduite de 90 % dans les cellules T CD4 de l’ENI 343W comparé au témoin au pic de réplication virale (J 13 post-infection). La co-culture avec des cellules T CD8 homologues (rapport 1 :1) abolit la production virale restante dans les cellules T CD4. ces études, le nombre d’individus étudiés est trop limité pour permettre d’établir solidement la significativité de ces associations [18, 19]. Une étude plus large sur une cohorte de prostituées à Nairobi a montré une association entre des haplotypes particuliers du HLA de classes I (supertype HLA-A2/6802) et II (DRB1*01) et un risque réduit de séroconversion [20]. Remarquablement, certains épitopes CTL restreints par ces allèles HLA de classe I sont préférentiellement reconnus par les cellules des femmes ENI en comparaison avec les femmes VIH-positives de cette cohorte [20, 21]. Les auteurs suggèrent que la réponse cytotoxique dirigée contre ces épitopes pourrait être plus efficace et capable par conséquent d’éliminer les cellules infectées par le VIH. Une étude récente sur une cohorte d’homosexuels américains n’a en revanche détecté aucune association entre allèles HLA de classe II et résistance à l’infection [22]. Réponses immunes innées Cellules NK Les cellules NK pourraient contribuer à la résistance à l’infection par la sécrétion de b-chimiokines ou d’autres molécules antivirales [23] ainsi que par leur activité cytotoxique. Toutefois, peu d’études ont abordé la fonction putative des cellules NK dans la protection chez les ENI. Dans une étude récente, nous avons mis en évidence une 58 augmentation des activités cytotoxique et sécrétoire NK chez des TVI vietnamiens, en comparaison avec des témoins séronégatifs non exposés et également avec d’autres toxicomanes qui ont séroconverti au cours de l’étude (figure 3) [24]. Nous avons détecté une activité cytotoxique et une sécrétion de cytokines et de b-chimiokines par les cellules NK des ENI, même en l’absence de stimulations extrinsèques (figure 3, B), ce qui suggère la présence d’une activation des cellules NK in vivo. Anticorps naturels D’autres facteurs immunitaires non spécifiques mais capables d’inhiber l’entrée du VIH1 ont été détectés chez des ENI partenaires d’individus infectés par le VIH1. Il s’agit d’auto-anticorps dirigés contre les molécules CD4 et CCR5 qui servent de récepteur et de co-récepteur au VIH1 [25, 26]. La présence d’anticorps dirigés contre les molécules HLA de classe I a été également décrite chez des ENI, mais elle n’a pas été confirmée dans toutes les études [27, 28]. Des discordances de molécules HLA de classe II entre ENI et leurs partenaires VIH-positifs a été également rapportée [29]. Il a ainsi été proposé qu’une réponse allogénique contre les molécules HLA incorporées dans les particules du VIH1 puisse contribuer à la protection contre la transmission [30]. Virologie, Vol. 9, n° 1, janvier-février 2005 revue % LYSE 60 K-562 Activité NK 50 40 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. 30 20 ENI TEM VIH− VIH+ 10 0 50 25 6 12 Rapport Effecteur : Cible Cellules NK positives (%) 45 40 35 30 25 20 15 10 5 0 Sans activation ENI TEM VIH− VIH+ 45 40 35 30 25 20 15 10 5 0 Post-activation ENI TEM VIH− VIH+ Production d'interféron γ par les cellules NK Figure 3. Activités cytolytiques et sécrétoires des cellules NK des toxicomanes ENI vietnamiens. Les activités NK des ENI sont comparées avec celles de témoins non exposés (TEM), ou celles de toxicomanes ayant séroconverti, dans des prélèvements effectués avant séroconversion (VIH-) ou après séroconversion (VIH+). A. Activité cytolytique contre la lignée cible K562, à différents rapports effecteur : cible (50 : 1, 25 : 1, 12 :1, 6 :1). En ordonné sont indiqués les pourcentages de cellules cibles lysées. Les graphes montrent les moyennes et les écarts-type des résultats obtenus : les différences entre ENI et chacun des autres groupes sont hautement significatives (< 0,001 au rapport 50 : 1). En bas : production d’IFNc par les cellules NK (CD3-CD16+ CD56+), mesurée par marquage intracellulaire des cellules NK avec un anticorps anti-IFNc. En ordonnée sont indiqués les pourcentages de cellules NK marquées. Les moyennes et les écarts-types sont montrés dans les histogrammes. Dans l’histogramme à gauche sont présentés les résultats obtenus sans aucune stimulation préalable des cellules (sans activation) ; à droite, les résultats obtenus avec des cellules préalablement activées par incubation avec la lignée cellulaire K562 (post-activation). Les proportions de cellules marquées sont significativement plus élevées chez les ENI que dans les autres groupes, et notamment chez les toxicomanes séroconvertis. La production de TNFa et de b-chimiokines est également augmentée chez les ENI en comparaison avec les autres groupes (non montré). Activation immunitaire Des analyses des marqueurs lymphocytaires et des profils des cytokines sécrétées ont révélé la présence d’une activation immunitaire chez des ENI exposés par voie sexuelle ou par voie systémique. Ainsi, par exemple, des pourcentages augmentés de lymphocytes T CD8+, l’augmentation de Virologie, Vol. 9, n° 1, janvier-février 2005 l’expression des marqueurs d’activation CD38 ou HLA-DR et des proportions diminuées des populations de lymphocytes naïfs ont été observés chez les ENI en comparaison avec des témoins non exposés [31, 32 et Tran et al.,résultats non publiés]. En outre, une étude a montré que l’expression de nombreuses cytokines (IL6, TNFa, IFNc, 59 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. revue IL12 et IL10) était augmentée, aussi bien dans les PBMC que dans des prélèvements de muqueuse du col utérin, chez des femmes ENI partenaires de patients VIH-positifs en comparaison avec des témoins non exposés [31]. Une étude récente par la même équipe décrit une augmentation de la production de peptides à activité antimicrobienne, les a-défensines, par les lymphocytes T CD8 circulants et par les cellules de la muqueuse cervicovaginale chez des femmes ENI en comparaison avec des témoins non exposés [33]. La production d’a-défensines est, au contraire, comparable entre ENI et patients VIH-positifs et il est suggéré que l’augmentation chez les ENI soit un reflet de la stimulation immunitaire chronique précédemment décrite chez cette population [31]. Réponses immunes spécifiques Bien que les ENI soient négatifs, par définition, dans les tests sérologiques couramment utilisés (Elisa et westernblot) pour la détection d’anticorps anti-VIH1, des réponses immunes spécifiques, y compris des réponses humorales, ont été détectées chez certains d’entre eux. Réponses humorales Sur la base de l’hypothèse de l’induction d’une réponse immune localisée aux muqueuses vaginales, les anticorps pourraient contribuer à empêcher la transmission du VIH1 à travers la muqueuse. La présence d’IgA et, moins fréquemment, d’IgG dirigées contre les glycoprotéines d’enveloppe du VIH a été détectée dans les sécrétions cervicovaginales (SCV), les urines, la salive et le plasma de proportions consistantes de femmes ENI partenaires de sujets VIHpositifs ou prostituées et également dans le liquide séminal et le plasma d’hommes ENI partenaires de femmes infectées [34-36]. Des IgA purifiées à partir des SCV ou du plasma de femmes ENI sont capables de neutraliser, à des concentrations élevées, des isolats primaires du VIH1 et d’inhiber la transcytose à travers une barrière épithéliale [37, 38]. Ces IgA sont principalement dirigées contre la glycoprotéine transmembranaire (TM). Selon certains auteurs, l’épitope serait situé dans la partie N-terminale de la TM (582-588) [39] et ne serait pas reconnu par les anticorps des femmes infectées. Pour d’autres auteurs, il s’agirait, au contraire, d’un épitope neutralisant décrit précédemment et situé dans la portion C-terminale extracellulaire de la TM [38]. Même si un rôle protecteur de la réponse IgA anti-VIH1 contre l’infection par voie muqueuse est suggéré par ces résultats, d’autres études n’ont pas permis de déceler des IgA anti-VIH1 dans les SCV des femmes ENI. Notre équipe a comparé les réponses humorales spécifiques au VIH1, dirigées contre la TM ou contre les épitopes exposés par la formation du complexe gp120-CD4 entre l’enveloppe virale et son récepteur, entre trois groupes 60 d’ENI. Les groupes étaient différents aussi bien pour l’origine ethnique (italiens, cambodgiens ou vietnamiens) que pour la voie d’exposition (partenaires d’individus VIHpositifs en Italie et au Cambodge et TVI au Vietnam). Nous avons pu démontrer que la réponse IgA contre la gp41 est plus fréquente chez les ENI exposés par voie sexuelle que chez les toxicomanes qui sont exposés essentiellement par voie systémique, ce qui est cohérent avec une induction des IgA au niveau des muqueuses. De plus, la présence d’anticorps spécifiques du VIH1 a été détectée, dans des proportions significatives (p < 0,001) par rapport aux témoins, au sein de chacun des trois groupes d’ENI et constitue, par conséquent, un bon marqueur d’exposition [40]. Réponses cellulaires Les réponses cellulaires T CD4+ et CD8+ sont considérées importantes pour le contrôle de la charge virale au cours de l’infection par le VIH1. En particulier, une réponse T CD4+ anti-VIH1 est détectée fréquemment chez des patients asymptomatiques à long terme mais elle est faible ou absente chez les individus qui progressent vers la maladie. Plusieurs équipes ont exploré l’hypothèse que les ENI soient capables de développer des réponses immunes protectrices contre le VIH1. Réponse T CD4+ La présence d’une réponse T CD4+ chez les ENI a été recherchée surtout par des expériences de stimulation avec des peptides du VIH1 suivies de la détection d’une sécrétion de cytokines (IL2 ou INFc) ou de b-chimiokines. Des réponses T CD4+ ont été ainsi détectées chez des proportions d’ENI (20 % à 75 % selon les études) supérieures à celles de témoins non exposés [34, 41, 42]. Toutefois, les réponses chez les ENI sont généralement plus faibles que celles observées chez des témoins VIH+ [42]. Réponse T CD8+ Un grand nombre d’études a analysé la réponse CTL chez les ENI. La majorité des travaux est fondée sur la détection d’une sécrétion d’IFNc par les cellules T CD8+ après stimulation avec des peptides correspondant à des épitopes CTL du VIH1. Dans une série d’études sur la cohorte de prostituées de Nairobi, des réponses à plusieurs peptides du VIH1 (épitopes restreints par des molécules HLA de classe I dans Gag p17 et p24, Pol, Nef, gp120 et gp41) par les lymphocytes T CD8+ du sang ou des muqueuses ont été détectées chez une proportion consistante d’ENI (47 % dans l’étude la plus large) [21, 43]. La réponse détectée chez les prostituées ENI était inférieure en intensité et en nombre d’épitopes reconnus, à celle observée chez les prostituées infectées par le VIH1 [21]. Toutefois, certains épitopes étaient préférentiellement reconnus chez les prostituées séronégatives en comparaison avec les prostituées séropositives [21]. Ces résultats suggèrent la possibilité que Virologie, Vol. 9, n° 1, janvier-février 2005 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. revue certains ENI développent une réponse CTL plus efficace, grâce à la reconnaissance d’épitopes « protecteurs ». Toutefois, des cas de séroconversion, malgré la présence d’une réponse CTL préexistante, ont été rapportés parmi les prostituées ENI [44]. Bien que le nombre de cas étudiés soit très réduit, une association entre des interruptions transitoires de la prostitution et la séroconversion a été décelée, ce qui a suggéré l’hypothèse d’une diminution ou d’une perte de la réponse CTL anti-VIH1 chez ces femmes, conséquente à l’interruption de l’exposition au VIH1 [44]. La fréquence des réponses T CD8+ détectées dans des groupes d’ENI varie selon les études. Ces différences pourraient dépendre de plusieurs paramètres concernant le risque et la voie d’exposition ou l’origine ethnique, mais pourraient également être dues à des différences méthodologiques. Dans une étude approfondie sur une cohorte d’homosexuels américains où des critères rigoureux de définition du seuil de positivité de l’Elispot ont été adoptés, une réponse T CD8+ chez les ENI a été détectée seulement dans des cas sporadiques [45]. Conclusions La résistance à l’infection par le VIH1 chez les ENI apparaît liée à de multiples facteurs [19, 46] (figure 4), dont certains peuvent différer entre groupes d’ENI en relation avec leur origine, leur environnement et les paramètres d’exposition. Par exemple, la mutation CCR5D32 n’est présente que dans les populations caucasiennes et la réponse IgA apparaît être plutôt associée à une exposition par voie sexuelle. En outre, les conditions environnementales des pays en développement (PED) sont différentes de celles des pays occidentaux. Notamment, l’exposition fréquente des populations des PED à des agents infectieux est susceptible d’induire une activation immunitaire et d’avoir un impact sur la sensibilité à l’infection par le VIH1. L’augmentation de l’activité NK, des marqueurs d’activation lymphocytaire, de la sécrétion de facteurs inhibiteurs, en particulier par les cellules T CD8+, documentés chez divers groupes d’ENI (tableau 1), sont des indices en faveur d’une contribution de l’activation de réponses immunes innées à la protection contre l’infection par le VIH1. Néanmoins, leurs rôles restent à préciser. Des mécanismes d’inhibition de l’infection par des facteurs sécrétés ou par des restrictions intracellulaires de la réplication virale, qui ont été détectés in vitro, pourraient contribuer à la résistance à l’infection chez une partie des ENI, mais eux non plus n’apparaissent pas être un facteur général. Les mutations du CCR5 semblent néanmoins revêtir une importance particulière dans la résistance au VIH1. Les découvertes récentes de facteurs de restriction de la réplication du VIH1 opérant dans des cellules simiennes, comme TRIM5a [47], ou dans des cellules humaines, B A 3 6 NK CD8 CTL 1 5 2 4 2 1 CD4 Th 3 CD8 1 Figure 4. Mécanismes potentiels de résistance à l’infection par le VIH1. A. Défenses innées : 1) Facteurs de restriction et autres mécanismes d’inhibition intracellulaire de la réplication du VIH1 ; 2) défauts d’expression de CCR5 associés à des mutations du corécepteur ; 3) sécrétion du CAF, qui inhibe la transcription du VIH1 ; 4 : sécrétion de cytokines et de chimiokines inhibitrices de l’infection par le VIH1 ; 5 : cytotoxicité NK ; 6 : anticorps dirigés contre des molécules de la surface cellulaires (CCR5, CD4, HLA) qui inhibent l’entrée du VIH1. B) Défenses immunes spécifiques : 1) IgA anti-VIH1 au niveau des muqueuses ; 2) réponse T CD4+ (sécrétion d’IL2 et/ou IFNc) ; 3) Réponse CTL. Virologie, Vol. 9, n° 1, janvier-février 2005 61 revue Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. comme APOBEC3G [48], évoquent la possibilité que d’autres mécanismes cellulaires de restriction soient également à l’origine de la résistance à l’infection chez certains individus. Un grand nombre d’études s’est focalisé sur les réponses immunes spécifiques au VIH1 chez les ENI et l’ensemble des résultats révèle une forte prévalence de réponses CTL ou IgA au sein de groupes d’ENI exposés par voie sexuelle. Les réponses immunitaires spécifiques observées chez des ENI constituent sûrement un marqueur attestant de l’exposition au VIH1 et de la reconnaissance des antigènes viraux par le système immunitaire. Conformément, aussi bien les réponses CTL que IgA ont été associées à une exposition récente au VIH1 et tendent à disparaître avec l’interruption de l’exposition [44]. Si ces réponses étaient responsables de la protection chez les ENI, il s’agirait d’une vaccination naturelle efficace [49]. Des IgA purifiées à partir de sécrétions muqueuses d’ENI sont capables, dans la majorité des cas, de neutraliser des virus primaires ou d’inhiber leur passage à travers une barrière épithéliale [37]. L’hypothèse d’une action inhibitrice de la transmission virale par voie sexuelle de la part des IgA anti-VIH1 est alors plausible, mais elle ne semble pas encore suffisamment étayée car les concentrations des anticorps neutralisants à niveau des muqueuses sont, en général, assez faibles [37]. Comme nous l’avons également noté, les réponses T CD8+ anti-VIH1 sont en général beaucoup plus faibles et à spectre plus étroit chez les ENI que chez les sujets infectés [21]. De plus, des cas de séroconversion ont été documentés chez des ENI qui avaient des CTL anti-VIH1 [44], remettant en cause le rôle des CTL dans la protection. La présence d’une réponse CTL est suggestive de l’existence, au moins transitoire, d’une réplication virale. Dans de rares cas, une réplication virale au-dessous du seuil de détection des tests couramment utilisés a été documentée chez des individus séronégatifs [50] et la réponse CTL pourrait, dans ces cas, être liée à la présence du virus. Toutefois, l’induction d’une réponse CTL spécifique du VIH1 par exposition à un virus hautement réplicatif en l’absence de toute infection apparente a été récemment documentée [51]. Il paraît donc plausible qu’une réponse CTL peut se développer suite à une infection abortive. La contribution des CTL à l’élimination du virus reste pourtant à déterminer. En effet, une analyse prospective réalisée sur un groupe de prostituées kenyanes non infectées au début de l’étude a montré que la réponse CTL chez ces femmes était associée à l’exposition au VIH1 mais non à la protection [52]. En conclusion, sur la base de l’ensemble des données publiées, on pourrait envisager les scénarios suivants qui restent toutefois hautement hypothétiques : 62 – une minorité d’ENI est protégée de l’infection par le VIH1 par des mécanismes innés qui bloquent l’entrée du virus ou des étapes successives du cycle de réplication ; – dans d’autres cas, dans un contexte d’activation immunitaire, différentes composantes de la réponse immune innée, y compris les facteurs inhibiteurs sécrétés par les cellules T CD8 ou les cellules NK, inhibent la réplication virale initiale, causant une infection abortive ; – le développement de réponses immunes spécifiques suite au contact avec des antigènes viraux ou à une infection abortive, en association ou non avec des réponses innées, permet de bloquer des épisodes de transmission ultérieurs et/ou d’assurer le contrôle durable de la réplication virale. Remerciements. Nos recherches sont soutenues et financées par l’Agence nationale de recherche sur le sida (ANRS), Sidaction et l’Institut Pasteur. Nous remercions Annie David pour la relecture du manuscrit. Références 1. Fowke KR, Nagelkerke NJ, Kimani J, et al. Resistance to HIV-1 infection among persistently seronegative prostitutes in Nairobi, Kenya. Lancet 1996 ; 348 : 1347-51. 2. Rowland-Jones S, Sutton J, Ariyoshi K, et al. HIV-specific cytotoxic T-cells in HIV-exposed but uninfected Gambian women. Nature Med 1995 ; 1 : 59-64. 3. Truong TXL, Luong TT, Scott-Algara D, et al. C D4 + cell and CD 8 + cell-mediated resistance to HIV-1 infection in exposed uninfected intravascolar drug users in Vietnam. AIDS 2003 ; 17 : 1-10. 4. Follezou JY, Lan NY, Lien TX, et al. Clinical and biological characteristics of human immunodeficiency virus-infected and uninfected intravascular drug users in Ho Chi Minh City, Vietnam. Am J Trop Med Hyg 1999 ; 61 : 420-4. 5. Royce RA, Sena A, Cates Jr. W, Cohen MS. 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