PHILOSOPHIE DES SCIENCES COGNITIVES 521
il y a un quart de siècle l’hypothèse d’une « architecture » modulaire de l’esprit (Fodor,
1983). L’intuition initiale, dont on attribue la première formulation scientifique à
Franz Gall, au début du
e siècle, est simple : l’esprit serait une collection de facultés
spécialisées. L’idée de Gall le conduisit, avec l’aide de son disciple Spurzheim, à ce
qu’on considère aujourd’hui comme un épisode calamiteux de pseudo-science, la
phrénologie ou théorie des « bosses du crâne » : l’aptitude aux mathématiques, par
exemple, était expliquée par le sur-développement d’une aire spécialisée du cortex
cérébral, causant à l’endroit correspondant de la boîte crânienne une déformation
anatomique qui méritait le nom de « bosse des maths » ; et ainsi de suite pour toute
une série de « facultés » (27 exactement, dont 19 partagées avec les animaux, et 8
propres à l’homme) suggérées par une psychologie largement spéculative et entachée
des préjugés anthropologiques de l’époque (Gall & Spurzheim, 1810-1819).
Ce qui doit nous intéresser aujourd’hui, ce ne sont pas les erreurs de Gall et
Spurzheim, mais le grain de vérité sur lequel ils avaient peut-être mis le doigt. En
réalité, on peut rétrospectivement leur attribuer la formulation d’un programme de
recherche dans lequel s’inscrivent une bonne partie des sciences cognitives contem-
poraines. Ce programme s’articule autour de trois grandes questions :
(1) Sachant que l’esprit humain est capable d’accomplir des tâches d’une variété et
d’une complexité considérables, est-il composé de parties, et quelles sont-elles?
(2) Si l’on admet que l’esprit est produit par un système dédié de notre organisme
tel que le cerveau ou, plus précisément, le système nerveux central (SNC), quels
sont les rapports entre, d’une part, l’esprit (vu comme l’ensemble des fonctions
mentales ou psychiques) et le SNC et, d’autre part, les facultés (les composantes
de l’esprit) et les parties du SNC ?
(3) S’il se confirme que l’esprit est composé de parties, correspondant à une compo-
sition en parties du SNC, comment s’explique la capacité, réelle ou apparente, de
l’esprit à faire face à une variété indéfinie de situations qui ne peuvent chacune
relever de la seule compétence d’une faculté fondamentale, et de manière conco-
mitante, comment peut-on rendre compte du sentiment introspectif de l’unité
essentielle de l’esprit ?
Dans leur généralité, on pourrait craindre que ces questions ne se révèlent à la
réflexion rhétoriques ou excessivement vagues, ou bien, mises à l’épreuve de l’enquête
scientifique, stériles. Nous allons voir que ce n’est pas le cas, mais auparavant il est
utile de s’interroger sur le cadre dans lequel ces questions peuvent prendre sens.
1.1.2 L’esprit ouvrier
La première nous invite à considérer l’esprit, au premier chef, comme une entité
accomplissant des tâches. La machine à coudre coud, le soc fend les mottes, le cœur
fait circuler le sang dans le corps, l’abeille récolte le miel, l’élève multiplie 13 par
17 et l’esprit, de même, vaque à de nombreuses tâches. Pourtant, quoi qu’on puisse
PPS.indb 521 27/09/11 14:41