Table ronde SEAV du 5 décembre 2016 (espace Scipion)
PRISE EN CHARGEDES VICTIMES DANS L’URGENCE ET DANS LA DUREE
Participation du Médecin Général Louis CROCQ (5 minutes)
Contexte historique et évolution des CUMP.
Le lendemain de l’attentat terroriste du 25 juillet 1995 à la station RER St-Michel à Paris, le président
de la République Jacques Chirac et son ministre de l’action humanitaire Xavier Emmanuelli, venus
rendre visite aux blessés hospitalisés à la Salpêtrière, constatèrent que les blessures et brûlures avaient
été très bien traitées, mais que rien n’avait été fait pour soigner les blessures psychiques.
Xavier Emmanuelli me chargea alors, au vu de mon expérience de psychiatre militaire en matière de
névroses de guerre chez les combattants et les victimes civiles, de créer le réseau ces cellules
d’urgence médico-psychologique (CUMP) pour la prise en charge des blessés psychiques lors
d’attentats, de catastrophes et d’incidents à forte répercussion psycho-sociale. La mission devait
couvrir les cent départements du territoire et s’étendre aux trois périodes de cette pathologie : premier
jour, premier mois et au-delà d’un mois. Elle comprenait aussi la formation initiale des personnels
CUMP à la psychiatrie de catastrophe et l’établissement de relations avec les institutions partenaires
intéressées (ministères, Croix-Rouge, Protection Civile). Précisons alors les catégories de prise en
charge « psychologique » des victimes : 1/soins médico-psychologiques, dispensés par le corps
médical aux patients présentant des symptômes, 2/soutien psycho-social, à assurer par la Croix-Rouge,
la Protection Civile et les associations auprès de victimes sans symptômes mais dans le désarroi et le
besoin et 3/ accompagnement psycho-juridique, assuré par l’INAVEM au profit de victimes qui vont
connaître une recrudescence de leur souffrance lors des enquêtes et des procès.
Je créai une commission composée de confrères compétents et de professeurs de psychiatrie. Nous
fîmes des propositions aux ministères de la santé et de l’action humanitaire ; et, en mai 1997, parurent
un arrêté et une circulaire fondant le réseau, le dotant de moyens et régissant son fonctionnement. Une
seconde circulaire (mai 2003) le calqua le réseau sur les régions, et un décret (janvier 2013) intégra le
réseau des CUMP dans la refonte des urgences sanitaires. De 1997 à 2012, le réseau des CUMP
effectua de 700 à 1000 interventions par an, y compris les interventions auprès de ressortissants
français victimes de catastrophes ou de faits de guerre à l’étranger.
A la phase immédiate (premières 24 heures), des personnels CUMP (psychiatres, psychologues,
infirmiers), véhiculés par le SAMU, se rendent sur le terrain pour assurer le triage et les soins médico-
psychologiques des victimes choquées ou traumatisées. Le traumatisme psychique ou trauma est un
phénomène d’effraction et de débordement des défenses du psychisme sous l’effet des excitations
violentes apportées par une agression. Il convient de rappeler qu’un même événement potentiellement
traumatisant peut donner lieu à une simple réaction de stress adaptatif chez un sujet, et à une réaction
de stress dépassé traumatique - chez un autre sujet, plus vulnérable, moins préparé et moins soutenu.
Le stress adapté maintient la lucidité et inspire des comportements salvateurs, mais il s’accompagne de
symptômes physiologiques gênants (pâleur, tachycardie). Le stress dépassé, dans ses quatre formes de
sidération, d’excitation, de fuite panique et de comportement automatique, marqué par l’effroi,
l’horreur, le sentiment d’impuissance et l’impression d’absence de secours, suspend la lucidité et la
capacité de synthèse, et est accompagné de symptômes dissociatifs « per-traumatiques », tels que
désorientation, déréalisation et dépersonnalisation. Pour les personnels des CUMP, cette phase
immédiate est le temps du defusing (déchocage), effectué en individuel ou en groupe, inspiré des
principes de la « psychiatrie de l’avant » des militaires, restaurant l’enveloppe psychique du traumatisé
(action de contenance), l’invitant à parler (c’est un début d’activité) et donc à mettre des mots sur les
impressions sensorielles brutes de l’expérience traumatique et revenir des enfers pour récupérer sa
place dans le monde des vivants, des vivants-parlants.
La phase post-immédiate (du 2ème au 30ème jour) est pour les personnels CUMP une phase de
surveillance des symptômes observés lors de la phase immédiate, et de détection de cas apparus
tardivement (au terme d’un temps d’incubation ou de méditation) chez des sujets qui s’étaient crus
« quittes pour la peur » et qui avaient décliné l’offre initiale de soins. Cette phase post-immédiate
évolue selon deux éventualités : ou bien les symptômes du stress adaptatif et même ceux du stress
dépassé s’estompent et disparaissent en quelques jours, tandis que le rescapé n’a plus l’esprit obnubilé
par la souvenance de son trauma et qu’il songe à reprendre ses occupations ; ou bien les symptômes
dissociatifs persistent et d’autres symptômes – traumatiques tels que reviviscences, état d’alerte,
cauchemars et phobies apparaissent, tandis que la victime a l’esprit obnubilé par la souvenance de
son trauma et qu’elle s’avère incapable de reprendre ses occupations d’avant. Cette phase post-
immédiate est le temps du debriefing (ou bilan psychologique d’événement), pratiqué en individuel ou
en petits groupes de sujets impliqués dans le même événement. Le debriefing psychodynamique tel
que nous le pratiquons vise entre autres buts à ménager un sas intermédiaire entre l’espace-temps de
l’événement et l’espace-temps de la vie normale, à conforter la victime dans sa personne, personne qui
n’a pas été abandonnée mais qui doit récupérer son autonomie, et à permettre au sujet traumatisé de se
dégager de l’emprise de son trauma par une énonciation révélatrice du sens de son vécu, et non par un
récit narratif qui l’enfoncerait dans sa répétition. Ainsi conçu, ce debriefing est un acte thérapeutique.
La phase différée-chronique (au-delà de 30 jours) est celle de la névrose traumatique, ou « trouble
stress post-traumatique » dans la nosographie américaine. Ses tableaux cliniques comportent trois
ordres de symptômes : 1/ des reviviscences intrusives et anxiogènes de l’événement (sous forme
d’hallucinations, de flash-back, de cauchemars et chez l’enfant - de jeux répétitifs), 2/ des
symptômes non spécifiques ou « associés », tels qu’asthénie, dépression, somatisations, peurs
phobiques et troubles des conduites (agressions, tentatives de suicide, alcoolisme, toxicomanie) et 3/
une altération de la personnalité, qui est devenue sensitive, régressive, séparée des autres par une
« membrane invisible » et encline au renoncement et au repli amer. Le DSM-5 américain range ces
symptômes dans la rubrique « altération des cognitions et de l’humeur ». Beaucoup de tableaux
cliniques de cette phase chronique s’effacent en moins de deux ans ; d’autres peuvent persister toute la
vie ; d’autres, que l’on croyait disparus, se réveillent à l’occasion d’un nouvel événement violent, ou
plus simplement lors de la mise à la retraite, le sujet ne bénéficiant plus du rivatif offert par son
activité professionnelle. Les traitements préconisés pour cette phase différée-chronique sont divers :
médicaments, thérapies cognitivo-comportementales, relaxation, hypnose, psychothérapie de soutien.
A notre avis, toutes procèdent peu ou prou de l’approche cathartique préconisée par Freud : faire
revivre l’événement en l’assortissant d’associations d’idées. D’après le décret de janvier 2013, les
CUMP n’ont pas vocation à prendre en charge les troubles de la période différée-chronique, et doivent
être relayées par les structures soignantes de psychiatrie en place (hôpitaux, CMP et secteur civil). Il
est alors souhaitable que la transmission des dossiers se fasse bien, que les délais de consultation ne
soient pas trop longs, et que la psychiatrie de guerre et de catastrophe, trop longtemps réservée au
cénacle restreint des psychiatres militaires, réintègre les programmes d’enseignement de nos facultés
de médecine.
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