DOI : 10.1684/med.2015.1198
VIE PROFESSIONNELLE
Pierre Frances
Médecin généraliste,
Banyuls-sur-Mer
frances.pierre
@wanadoo.fr
Roman Maslarski
Médecin généraliste,
Banyuls-sur-Mer
Mots clés :
médecine générale ;
prévention ;
ophtalmologie
[General Practice;
Prevention;
Ophtalmology]
Échanges entre professionnels
Si les consultations de médecine générale ont souvent pour motif un problème oph-
talmologique aigu (conjonctivite, œdème palpébral par exemple), elles concernent
beaucoup moins les pathologies chroniques ophtalmologiques, pourtant concernant de
nombreux patients habituels. En 2005, une enquête du syndicat national des ophtal-
mologues français montrait que 9 fois sur 10, le patient consulte directement l’ophtal-
mologue, ou revient après un examen antérieur, la consultation à la demande du gé-
néraliste représentant moins de 4 % des cas [1]. Il est vrai que l’ophtalmologie est
redoutée de la plupart des généralistes. Outre le fait qu’elle touche à une fonction
symbolique (la vision), elle nécessite la plupart du temps le recours à des explorations
complexes, et nécessite en conséquence un matériel spécifique. Dans ce contexte, quel
rôle le médecin généraliste peut-il jouer dans la prise en charge des pathologies oph-
talmologiques chroniques ?
Pathologies chroniques
en ophtalmologie
Quel rôle pour le médecin généraliste ?
Ces observations ont été réalisées dans deux cabinets
de médecine générale ruraux1. Nous nous sommes
intéressés aux pathologies chroniques ophtalmologi-
ques présentées par les 200 premiers patients vus en
consultation à partir du début de notre recueil.
Relevé des observations
Il a fallu 256 consultations au 1er médecin pour obtenir
le nombre requis de 200 pathologies chroniques oph-
talmologiques (groupe A), 223 au second (groupe B).
Par ailleurs, nous avons évalué la vision des patients
a priori « indemnes » de pathologies ophtalmologi-
ques...
Chez nos patients a priori « indemnes », 18 (10 + 8)
étaient presbytes, 7 (4 + 3) atteints de cataracte,
3 (2 + 1) de dégénérescence maculaire liée à l’âge
(DMLA).
Discussion
Àpropos des données épidémiologiques
Les deux praticiens ont une patientèle différente : les
moins de 30 ans sont plus nombreux dans le groupe A
dont le médecin s’implique activement en pédiatrie
(formation notamment), tandis que le nombre de su-
jets presbytes est plus important dans le groupe B,
dont le médecin est titulaire d’un DU de gérontologie
(7 personnes de ce groupe sont atteintes de DMLA...).
Néanmoins les différents types de pathologies chro-
niques ophtalmologiques ont un pourcentage assez
superposable dans les deux groupes, avec notam-
ment une grande fréquence de pathologies réfractives
(78,1 % des patients A, 89,7 % des patients B). Il y
aurait dans le monde entre 1 et 2 milliards de person-
nes atteintes de troubles de réfraction [2], corrigées
seulement chez 153 millions [3]. En France, 39 % de
la population serait myope, 15 % astigmate, 9 % hy-
permétrope et 30 % presbyte [4]. Le problème est
donc majeur, dans toutes les sociétés, et insuffisam-
ment pris en charge.
1. Deux médecins généralistes exerçant en zone rurale, avec une
activité professionnelle et un volume de patientèle différents (l’un
travaille isolément, l’autre en cabinet de groupe).
78 MÉDECINE février 2015
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Tableau 1. Relevé de nos 400 observations.
Groupe A
(femmes 48 %, hommes 52 %) Groupe B
(femmes 37 %, hommes 63 %)
Âge
Au-dessous de 30 ans 32 10
Entre 30 et 39 ans 11 19
Entre 40 et 49 ans 25 32
Entre 50 et 59 ans 22 30
Entre 60 et 69 ans 33 34
Entre 70 et 79 ans 38 36
Au-delà de 80 ans 39 39
Pathologies chroniques relevées*
Presbytie 103 114
Myopie 75 59
Astigmatisme 53 35
Cataracte 25 26
Hypermétropie 14 15
Autres 14 20
* Chez les moins de 30 ans, il y avait 96 myopes (26 en A + 70 en B), 59 astigmates (19 + 40), 36 hypermétropes (6 + 30), 24 autres (4 + 20).
La presbytie
Avec l’âge, le pouvoir d’accommodation du cristallin est mis
en défaut. Il perd de son élasticité, et cette anomalie conduit
à une modification de ses courbures, et par voie de consé-
quence conduit à des difficultés lors de la vision de près [5].
Cette brève étude montre l’importance de ce trouble dans
une patientèle de médecine générale (plus de 50 % des pa-
tients). Il faut aussi souligner le fort pourcentage de patients
presbytes qui l’ignorent (17,8 %, pour le praticien A, 34,8 %
pour le praticien B) ce qui montre l’importance du dépistage :
souvent négligés par les patients, ils peuvent, notamment
chez certains travailleurs manuels, être cause d’accidents du
travail et, chez les personnes qui travaillent sur des écrans
informatiques, avoir des répercussions professionnelles et
médicales en l’absence de correction. La presbytie débute le
plus souvent après 40 ans (plus précocement en Afrique, où
les facteurs nutritionnels expliquent souvent cette précocité)
et son impact sur la vision est important [6].
La myopie
La myopie est secondaire à une longueur axiale trop impor-
tante de l’œil, parfois à une cornée trop convexe. Par voie
de conséquence, la focalisation d’un objet éloigné se forme
en avant de la rétine, et la vision de loin est floue. Représen-
tant dans cette observation environ 1/3 des patients, c’est
une pathologie fréquente dont la prévalence n’a cessé d’aug-
menter au cours des dernières décennies, notamment chez
les enfants et les adolescents. Elle atteint 80 à 90 % des
étudiants du secondaire de Chine, Japon, et Corée du Sud
[7], où 20 % des formes sévères ont conduit à une cécité.
Cette augmentation serait favorisée dans ces pays asiatiques
par plusieurs éléments [8] :
la pression scolaire qui nécessite une concentration sou-
tenue sur certains supports tels que les ordinateurs ;
une modification du mode de vie des jeunes, plus séden-
taire, passant de longues heures devant les différents sys-
tèmes informatiques ;
– des facteurs génétiques et environnementaux, actuelle-
ment mal définis [9].
Cette anomalie favorise une atteinte de la rétine périphéri-
que. Ainsi il peut exister des palissades, des trous et des
déchirures. L’examen ophtalmologique de routine peut dé-
couvrir des lésions prédisposant au décollement rétinien [10].
Or, le sujet myope est rarement alarmé, car il ne se plaint
que rarement de troubles visuels ou de douleurs.
En conséquence, il reste essentiel pour le médecin traitant
d’expliquer au patient (qui n’est pas nécessairement très
âgé), l’opportunité d’une consultation ophtalmologique régu-
lière, même en l’absence de symptomatologie clinique.
L'astigmatisme
Il est dû à une courbure anormale de la cornée (qui devient
de forme ovalaire plutôt que ronde) : les rayons lumineux tra-
versant l’œil se focalisent sur différents points en avant ou
en arrière de la rétine [11] et la vision est floue quelle que
soit la distance de l’objet visualisé.
Dans notre panel, près du quart des patients présentent ce
problème. Une étude de 2003 a montré que 28,4 % des en-
fants entre 5 et 17 ans souffrent d’astigmatisme [12], 34 %
chez des étudiants brésiliens en 2005 [13]. La prévalence
augmente avec l’âge. Le diagnostic est fréquemment posé
en présence de symptômes (céphalées, inconfort lors de la
lecture, ou lorsque l’enfant doit repérer certains textes sur
un tableau [14]) : c’est souvent l’instituteur qui a remarqué
le trouble et alerté la médecine scolaire et les parents. Le
médecin généraliste est parfois mis à contribution pour poser
ce diagnostic chez un enfant qui présente des céphalées fré-
quentes.
La cataracte
L’opacification du cristallin génère une dégradation progres-
sive de la vision [5]. Là encore, c’est une pathologie fré-
quente, même chez des patients sans pathologie ophtalmolo-
gique antérieure. 90 % des cataractes sont dites séniles (dont
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près de 10 % sont associés à un diabète ou un ensoleillement
plus élevé) ; près de 5 à 10 % des sujets de plus de 75 ans
sont susceptibles d’être opérés [15] : 560 000 interventions
sont réalisées chaque année en France [16] ; 85 % des inter-
ventions concernent des personnes de plus de 75 ans (fem-
mes en majorité du fait d’une plus forte mortalité masculine
avant 70 ans) ; le recours au traitement chirurgical, surtout
pour les tranches d’âge les plus élevées, a augmenté de ma-
nière significative depuis 1996 [16]. Le généraliste peut sur-
tout informer le patient sur la technique d’intervention pour la
cataracte (le plus souvent par phakoémulsification), mais
aussi sur les complications possibles (0,3 % des cas) [15].
L'hypermétropie
L’inadéquation entre le pouvoir de réfraction, et la longueur
axiale du globe explique que les rayons incidents parallèles
convergent en un point situé en arrière de la rétine [5]. Sa
prévalence dans notre étude est relativement élevée chez les
patients de moins de 30 ans (18,7 % pour le praticien A et
30 % pour le praticien B). L’hypermétropie est fréquente chez
l’enfant (9 % en France vers 6 ans [17]. Avec l’âge, ce trouble
tend à évoluer vers une myopie en raison de la sclérose du
noyau du cristallin. Il induit souvent une gêne lors de la lecture
ou de l’écriture. Dans de nombreuses situations, l’enfant se
plaint de tiraillements oculaires, ou de vision de près perturbée.
Près de 20 % des sujets de 20 à 30 ans ont une réfraction
qui dépasse + 1 dioptrie [12].
Dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA)
Elle correspond à un vieillissement trop rapide (chez les plus de
50 ans) de la zone centrale de la rétine : la macula [11]. Elle est
peu fréquente dans notre étude, où elle atteint toutefois des
patients ne présentant en apparence aucun trouble ophtalmo-
logique (3,5 % pour le praticien A et 4,3 % pour le praticien B).
La DMLA est fréquente en France (plus de 2 millions de per-
sonnes en sont atteintes et entre 150 000 et 200 000 ont des
formes sévères) [18]. C’est dans les pays industrialisés la pre-
mière cause de cécité. Elle présente deux variantes : une
forme « sèche », la plus fréquente, et une forme « humide »
avec présence de petits vaisseaux au niveau de la macula,
moins fréquente (mais elle induit une perte de vision très ra-
pide et est accessible à certains traitements locaux qui permet-
tent une stabilisation de la vue). Le dépistage est donc impor-
tant chez les personnes de plus de 50 ans et peut se faire
rapidement au cabinet (test de la grille d’Amsler).
Conclusion
Cette étude met en évidence la prépondérance des patholo-
gies ophtalmologiques chroniques chez nos patients de méde-
cine générale (plus de 75 % des patients vus en consultation
présentent des pathologies ophtalmologiques chroniques :
78,1 % pour le praticien A, et 89,7 % pour le praticien B).
Dans ce contexte, le rôle du médecin généraliste, à titre pré-
ventif, est important, pour plusieurs raisons :
Pour dépister les sujets presbytes qui s’ignorent (tous les
sujets de plus de 45 ans devraient bénéficier d’une consul-
tation ophtalmologique), les personnes âgées susceptibles
d’être porteuses d’une DMLA, ou une cataracte.
Pour informer des risques que peuvent encourir les sujets
myopes (décollement de la rétine).
Pour donner des recommandations aux jeunes générations
qui utilisent les nouveaux moyens de communications (por-
tables, I-phones...), et ce afin d’éviter qu’une utilisation pro-
longée n’entraîne des problèmes de myopie.
Le praticien généraliste reste également la pierre angulaire
dans la prise en charge du patient.
Depuis la mise en place du parcours de soins coordonné, le
recours au médecin traitant est indispensable : il est le seul à
même de faire la synthèse des problèmes médicaux du pa-
tient qu’il a en charge et de recourir éventuellement à un avis
spécialisé (sous peine d’être financièrement pénalisé). En
ophtalmologie, l’accès direct est autorisé dans le cas de pres-
cription ou de renouvellement de lunettes, et dans le cadre
d’un dépistage ou d’un suivi de glaucome [19]. Cette liberté
dans l’accès direct peut-elle expliquer à elle seule le recours
coordonné pour uniquement 4 % des patients, ou cache-
t-elle la désaffection de cette spécialité par les médecins gé-
néralistes ? Nous devons combattre cette idée, car en
connaissant un patient, le généraliste peut lever certaines
craintes vis-à-vis de certains traitements chirurgicaux ou mé-
dicaux. En effet, souvent les ophtalmologues pressés (du fait
d’une charge de travail excessive), n’ont pas le temps d’expo-
ser tous les aspects des traitements qu’ils recommandent.
Aussi, il est important que le généraliste s’implique plus dans la
prévention, et ce d’autant plus que nous devons faire face à un
important déficit en ophtalmologues dont le surcroît de travail
explique parfois l’absence de courrier à destination du généraliste.
Liens d’intérêts : les auteurs déclarent n’avoir aucun lien
d’intérêt en rapport avec l’article.
Références :
1. Bour T, Corre C. L’ophtalmologie et la filière visuelle en France. Perspectives et solutions à l’horizon 2025-2030. Rapport du SNOF de 2006. http://www.lestroiso.org
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4. Syndicat National des Ophtalmologistes de France. http://www.snof.org/accueil/epidemio.html.
5. Troubles de la réfraction. http://www.quantel-medical.com
6. Patel I, West SK. Presbytie : prévalence, impact et interventions. Revue de santé oculaire et communautaire. 2008;5:4-5.
7. Morgan IG, Ohno-Matsui K, Saw S-M. Myopia. Lancet. 2012;379(9824):1739-48.
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9. Ibay G, Doan B, Reider L, et al. Candidate high myopia loci chromosomeI 8p and I 2q do not play a major role in susceptibility to common myopia. BMC Medical Genetics. 2004:5-20.
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11. Lang GK. Atlas de poche en couleurs. Ophtalmologie. Paris: Maloine; 2002.
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16. DREES. Le traitement chirurgical de la cataracte en France. Études et Résultats. 2001;101.
17. Expertise collective. Santé de l’enfant. Paris: INSERM; 2009.
18. Cohen SY, Desmettre T. La DLMA est-elle une maladie fréquente ? Dans : DMLA. Bash: 2008 (p. 44).
19. L’accès direct à l’ophtalmologiste. http://www.cocnet.org
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