Structure et évolution du commerce extérieur agroalimentaire

-1-
Article paru dans la revue Économie Appliquée, Tome LIX, numéro 1, mars 2006, p. 59-92.
Structure et évolution du commerce extérieur agroalimentaire américain. Une
interprétation économétrique (1967-2001)
Structure and Evolution of American External Agricultural and Food Processed Trade. An
Econometric Analysis (1967-2001)
Charlotte de LORGERIL
Thierry POUCH
Université de Marne La Vallée, Laboratoire OEP, ART François Perroux
et Sous-Direction des études de l’APCA1
1 Lors de la rédaction de cet article, Charlotte de Lorgeril, étudiante en Master 2 à l’Université de Paris IX
Dauphine, était stagiaire à la Sous-Direction des études économiques de l’Assemblée Permanente des Chambres
d’Agriculture.
-2-
Les gouvernements américains successifs ont été, depuis un quart de siècle, particulièrement
attentifs à l’évolution de l’agriculture européenne. La domination qu’ils exerçaient sur les
échanges mondiaux de produits agricoles et alimentaires depuis la fin de la seconde guerre
mondiale fut par la suite contestée par les performances de l’UE, et plus récemment par des
économies comme le Brésil. Cette montée en puissance de la concurrence malmène les
positions occupées par les États-Unis sur ce secteur agroalimentaire. L’article examine la
structure et l’évolution de ce secteur clé de l’économie américaine sur une période allant de
1967 à 2001.Une interprétation économétrique des déterminants des exportations
américaines a été jugée nécessaire pour hiérarchiser les variables pouvant être en mesure
d’infléchir la dégradation des résultats commerciaux. L’érosion des excédents extérieurs du
complexe agroalimentaire apparaît significative sur la fin de la période. En découle une
interrogation sur le devenir de la balance commerciale américaine car si les excédents
commerciaux agroalimentaires venaient à disparaître, il n’y aurait pratiquement plus aucun
poste en mesure de compenser même partiellement le colossal déficit global de la balance
américaine.
The succeeding American governments have been particularly sensitive to the evolution of the
European agricultural sector for a quarter of century. The domination they have exerted over
the world wide trade of agricultural and alimentary goods since the end of the second world
war was rapidly disputed by the European Union and Brazil more recently. This growing
competition questions the position occupied by the United States regarding the food-
processed sector. The article analyses the structure and the evolution of this key sector of the
American economy over a period going from 1967 to 2001. An econometric analysis of the
determinants exports was necessary to select among the variables that could be responsible
for the degradation of American commercial results. The erosion of the external surpluses of
the food-processed sector appears significant at the end of the period. Hereafter arises an
interrogation as to the future of the American trade balance should food-processed
commercial surpluses disappear. Because then, there would remain practically no item to
compensate even partially for the huge global trade deficit of the US commercial balance.
n sait que depuis les années cinquante, l’économie mondiale s’est développée au
rythme des transformations structurelles impulsées par cette nation dominante que
sont les États-Unis. L’influence de l’économie américaine sur le reste du monde
s’est en particulier manifestée par les transformations du commerce mondial de marchandises.
Les États-Unis ont en effet été capables de peser sur la composition de ces échanges par le
biais de leur spécialisation internationale et de l’implantation de leurs firmes sur des territoires
extérieurs. L’un des secteurs de l’économie américaine ayant probablement contribué à
configurer autant les échanges mondiaux de marchandises que les modes de vie et de
consommation est celui de l’agroalimentaire. Or il se trouve que la position dominante
détenue par les États-Unis dans les domaines de l’agriculture et de l’alimentaire apparaît
fragilisée soixante ans après la fin du conflit mondial. Un regard sur les statistiques
d’échanges mondiaux de produits agricoles et alimentaires montrent en effet qu’une érosion
O
-3-
des parts de marché américaines s’est enclenchée depuis le milieu de la décennie quatre-vingt,
nourrissant un conflit commercial sur lequel, à l’exception des accords de Marrakech,
viennent buter les pays qui négocient à l’Organisation Mondiale du Commerce. Selon des
prévisions récentes établies par l’US Department of Agriculture, le solde commercial
agroalimentaire américain pourrait même basculer dans le déficit en 2005, pour la première
fois depuis la fin des années cinquante.
Deux raisons principales militent pour un examen approfondi de la structure et de
l’évolution du commerce américain de produits agricoles et alimentaires. La première a trait
justement au recul des États-Unis consécutif à la montée de la concurrence sur les marchés
mondiaux. La seconde réside dans le fait que, face à un déficit commercial global qui ne cesse
de se creuser depuis vingt ans, le secteur agroalimentaire est un des rares à dégager un
excédent structurel, même si celui-ci recule. Cette seconde motivation est d’autant plus
importante à évoquer qu’elle est assortie d’un constat selon lequel la balance commerciale
agroalimentaire américaine devrait être déficitaire en 2005, pour la première fois depuis les
années cinquante, d’après les estimations du Département américain de l’agriculture. On
comprend alors que les États-Unis adoptent un comportement tranché, exigeant, lors des
discussions à l’OMC dans la mesure où ce secteur exerce un impact important sur le reste de
l’économie, en termes d’activité et d’emplois. Se pencher sur le secteur agricole des États-
Unis et ses performances à l’exportation aurait de quoi surprendre tant la littérature sur le
renouveau du capitalisme américain vu sous l’angle des Nouvelles Technologies de
l’Information et de la Communication a été abondante depuis plus de dix ans au point
d’éclipser l’analyse des secteurs de la « vieille économie ». Le secteur agricole demeure
pourtant un secteur clé de l’économie américaine à en juger par les constats que nous dressons
dans la suite de cet article. D’une certaine manière, parallèlement au - ou davantage que le -
renouveau de l’économie américaine, le cas de l’agriculture permet de mesurer la stratégie de
« persévérance dans l’être » qu’ont adopté les États-Unis depuis le milieu des années quatre-
vingt.
L’objet de cet article est de mesurer le poids de la filière agroalimentaire dans l’appareil
d’exportation américain et ses performances sur les marchés mondiaux(la définition de la
filière ici utilisée est indiquée dans l’annexe méthodologique située en fin d’article). Il
s’appuiera dans une première partie sur des éléments de statistique descriptive qui
permettront de resituer l’agroalimentaire dans la hiérarchie des secteurs américains ouverts
sur le reste du monde. Dans un second temps, il s’agira de prendre la mesure des
performances américaines sur les marchés mondiaux de produits agricoles et alimentaires.
-4-
Nous nous appuierons pour cela sur la méthodologie des avantages comparatifs élaborée par
G. Lafay. Puisque les exportations de produits agricoles et alimentaires revêtent un caractère
déterminant pour l’économie américaine, la seconde partie traitera des variables pouvant
expliquer la croissance des ventes de ce type de produits sur les marchés mondiaux. Une
investigation économétrique a été menée afin de hiérarchiser les variables pouvant influencer
ces exportations2.
Panorama général du commerce extérieur agroalimentaire américain
Le déficit commercial américain n’a cessé d’augmenter depuis le milieu des années
soixante-dix. Il s’élevait à 448 milliards de dollars en 2000, soit plus de 4% du Produit
Intérieur Brut américain, s’est très légèrement contracté en 2001 ( 432 milliards de dollars soit
une augmentation de 3.6%) pour à nouveau se creuser en 2002 (-17%) (graphiques 1 et 2). Le
déficit commercial américain a plus que triplé dans la dernière décennie pour atteindre des
montants vertigineux qui ne cessent d’inquiéter quant aux déséquilibres économiques et
financiers internationaux que cette position déficitaire pourrait engendrer puisque la position
financière nette de l’économie américaine avait franchi, en 2002, le seuil des 20% du Produit
national [Bourguinat H. (2003)] [Baudchon H., Fouet M. (2002)] [de Mann C. L. (1999)
(2004)] [Holman J. A. (2001)]. Certains analystes y voient malgré tout un indice de la
puissance économique des États-Unis [Griswold D. T. (2001)]. Les exportations américaines
augmentent mais les importations progressent encore plus vite. Toutefois, on peut noter que
les exportations avaient atteint leur niveau le plus élevé en 2000 avec une progression de près
de 11% par rapport à l’année précédente. Depuis, elles ont diminué en moyenne de 6% par an.
Les importations, quant à elles, avaient aussi un niveau très élevé en 2000 (niveau 1,5 fois
supérieur à celui des exportations) puis en 2001, elles ont varié à la baisse (-5,3%) pour de
nouveau reprendre en 2002 (+3,3%). Les estimations émanant du Bureau of Economic
Analysis américain montrent que les phases de dépréciation du dollar n’ont eu aucun impact
depuis près de quatre ans, et que la demande domestique est essentiellement satisfaite par une
ouverture croissante du marché américain aux produits étrangers [Aglietta M. (2005)].
2 Sur l’économie américaine vue sous un angle historique et macroéconomique, lire par exemple M. Aglietta
[1976], et M. Aglietta et M. Fouet [1978]. Voir également, M. Aglietta [1986]. Une approche de l’évolution de
l’économie américaine vers une forme de « banalisation » se trouve dans P. Artus [2002].
-5-
Ainsi, il est incontestable que l’économie américaine est plus ouverte qu’auparavant (le
degré d’ouverture en 1967 était de 0,85% et en 2001 de 9,51%3). La vigoureuse croissance
économique américaine exerce un pouvoir d’attraction sur les importations plus élevé que
celle du reste du monde sur les exportations américaines. Depuis 1991, aux Etats-Unis, la
croissance des exportations n’a jamais surpassé de façon systématique celle des importations.
Il faudrait donc que les exportations augmentent plus afin de se rapprocher du niveau des
importations et stabiliser ainsi le déficit. De nombreuses études ont suggéré d’exploiter
différentes stratégies pour résorber le déficit commercial, allant de la manipulation du taux de
change du dollar dans le sens de la dépréciation, au ralentissement de la croissance en passant
par des mesures d’incitations à l’épargne. Pourtant, depuis 2001 le dollar s’est déprécié, mais
cette dépréciation ne semble pas avoir eu d’impact sur le redressement de la compétitivité-
prix des exportations à moins que la baisse de la parité du billet vert n’atteigne des
proportions gigantesques, de l’ordre de 20 voire 50%. Si la dépréciation de la devise
américaine reste la voie la plus envisageable pour faire revenir le déficit américain à des
niveaux acceptables, l’impact reste pour certains auteurs limité en raison de la forte rigidité
qui caractérise les structures de dépenses et les comportements des consommateurs.
L’ampleur du déficit commercial américain, souvent associée à celle du déficit budgétaire
fédéral, a suscité une abondante littérature. Cette littérature cherche à comprendre les
mécanismes qui ont installé durablement l’économie américaine dans un déficit commercial
chronique, et les solutions envisageables pour financer dans un premier temps ces deux
déficits, et revenir dans les limites du soutenable, dans un second temps. De telles analyses en
restent le plus souvent à des considérations globales, macroéconomiques, ce qui empêche de
dresser un panorama des points forts et des points faibles de l’appareil d’exportation
américain. En quoi la dégradation des comptes extérieurs de la première puissance
économique mondiale se reflète-t-elle dans les moindres performances des secteurs d’activité
sur les marchés mondiaux ? Dit autrement, peut-on prendre la mesure des pertes d’avantages
comparatifs enregistrées par les États-Unis ? La spécialisation de l’économie américaine s’est-
elle dégradée au fil du temps ? Par ailleurs, la lecture que l’on peut faire des résultats du
commerce extérieur américain indique que, loin de se désintéresser du devenir de leurs
secteurs, il y en aurait au moins un qui revêtirait une importance stratégique,
3 Le degré d’ouverture d’une économie se calcule de la façon suivante : Dg = ½(X+M)/PIB*100, avec X
exportations et M importations. Dans la suite de l’article, les calculs relatifs au taux de couverture sont établis
par le ratio traditionnel : TC = (X/M)*100.
1 / 28 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !