Risque, fraction étiologique et probabilité de causalité en cas d

MÉMOIRE
Risque, fraction étiologique et probabilité de causalité
en cas d’expositions multiples
II : les tentatives d’application
D. CHOUDAT
Centre hospitalier universitaire Cochin, AP-HP, Université Paris 5, 24, rue du faubourg Saint-Jacques, 75014 Paris.
SUMMARY: Risk, etiologic fraction and causation probabi-
lity in case of multiple exposures. II: practical attempts.
Aim of the study
To determine the respective role of each of multiple exposures in
the occurrence of a disease such as bronchial cancer. Are the prob-
ability of causation and apportionment useful when occupational
exposure is associated to non-professional exposure?
Method
From uses in several countries for various exposures, the method
of probability is applied to bronchial cancer and asbestos exposure
taking into account smoking habits. For multiple exposures, the
apportionment of the risks had to be calculated.
Results
The apportionment is necessary to analyse the respective risks
related to multiple exposures taking into account the dose-response
relationships and the interactions. Smoking plays a major role in the
occurrence of lung cancer. Thus the risks induced by smoking cannot
be neglected nor be an automatic reason to exclude an occupational
origin. The probability of causation for multiple exposure and appor-
tionment for multiple exposures are based on scientific knowledge
and can be used to establish guidelines of consistent criteria for
recognition of occupational disease. In France, stepwise decision tree
and apportionment might be useful for the Comités régionaux de
reconnaissance des maladies professionnelles. However, these statis-
tical methods arise theoretical, practical, ethical problems. They may
be used in only few cases because of the uncertainties of the dose-
response relationships, of the interactions between substances and of
the quantifications of individual exposures.
RE
´SUME
´
Objectif
Déterminer la part de responsabilité de chacune des nuisances en
cas d’expositions multiples, comme nuisance professionnelle et taba-
gisme. La notion de probabilité de causalité pour une exposition
peut-elle être étendue à celle de la probabilité pondérée pour plu-
sieurs expositions ?
Méthode
A partir d’exemples d’utilisation dans différents pays, la méthode
de la probabilité de causalité est appliquée au cancer bronchique
secondaire à des expositions à l’amiante, compte tenu du tabagisme
associé. En cas d’expositions multiples, la probabilité est pondérée
par chacun des risques.
Résultats
L’utilisation de la probabilité pondérée permet d’analyser les rôles
respectifs des différentes expositions en fonction des relations dose-
effet et des interactions entre nuisances. Le rôle du tabagisme est
majeur. Aussi les risques induits par le tabagisme ne peuvent pas être
négligés ni servir d’argument pour une exclusion systématique de
l’origine professionnelle. La probabilité de causalité en cas d’expo-
sition unique et la probabilité pondérée en cas d’expositions multi-
ples permettent de s’appuyer sur des connaissances scientifiques
pour l’élaboration cohérente de critères de reconnaissance des mala-
dies professionnelles. En France, un algorithme de décision et une
utilisation pragmatique de la probabilité pondérée pourraient servir
aux Comités régionaux de reconnaissance des maladies profession-
nelles.
Cependant, cette approche statistique soulève des questions théo-
riques, éthiques et pratiques. Elle n’est applicable qu’à de rares
expositions. Les incertitudes des relations dose-réponse, des interac-
tions entre nuisances et des quantifications des expositions indivi-
duelles sont autant de limitations à l’utilisation pratique.
La probabilité de causalité est la seule méthode
scientifique pour déterminer des critères d’imputabi-
lité entre un facteur et une maladie. Elle exige au
préalable l’établissement d’une relation causale sur
des arguments expérimentaux et épidémiologiques.
Elle comporte d’importantes limitations théoriques et
pratiques car les critères d’imputabilité d’une patholo-
gie à un facteur sont incertains et probabilistes (1, 2).
Or, souvent les affections ne sont pas provoquées par
une cause unique, mais résultent de l’intrication ou de
la succession de plusieurs facteurs. L’utilisation de
probabilités pondérées se heurte à des difficultés
Tirés à part : D. Choudat, à l’adresse ci-dessus
Mots clés : Imputabilité. Exposition. Risque. Maladie
professionnelle. Reconnaissance. Amiante. Tabagisme.
© Masson, Paris, 2003 Arch. mal. prof., 2003, 64, n° 6, 363-374
encore plus grandes pour quantifier l’imputabilité de la
pathologie à chacun des facteurs (1, 3-7).
En cas d’expositions multiples, deux types de pon-
dération peuvent être effectués : la pondération peut
porter sur la probabilité de survenue et la reconnais-
sance en maladie professionnelle (apportionment by
cause) et/ou sur la réparation du dommage (apportion-
ment by impairment) (3). En effet, d’une part le risque
est défini par deux éléments : la probabilité de surve-
nue d’un dommage et d’autre part les pathologies sont
définies soit par des critères qualitatifs (par exemple,
des cellules cancéreuses sont présentes ou absentes),
soit par des critères quantitatifs (déficit auditif,
broncho-pneumopathie chronique obstructive...) (1,
2). Ainsi :
pour les affections secondaires à des expositions
multiples et définies par des critères qualitatifs, l’aug-
mentation des doses accroît la probabilité de survenue
mais n’influence pas la gravité. La pondération porte
sur la seule probabilité de survenue car la gravité du
dommage est indépendante de l’origine profession-
nelle ou non ;
pour les affections secondaires à des expositions
multiples et définies par des critères quantitatifs,
l’approche est plus complexe car l’augmentation des
doses accroît la probabilité de survenue ainsi que la
gravité de l’atteinte (1). Il faut fixer les critères de
reconnaissance en maladie professionnelle puis établir
les règles de pondération de la déficience.
Cet article n’aborde que les maladies définies par
des critères qualitatifs en rapport avec deux facteurs
environnementaux : l’approche théorique de la proba-
bilité de causalité pour une substance peut-elle être
étendue à des probabilités pondérées pour deux subs-
tances ? Quand il existe deux expositions, par exemple
professionnelle et non-professionnelle, la probabilité
pondérée peut-elle quantifier le rôle respectif de cha-
cun des facteurs à l’origine d’une maladie telle qu’un
cancer ?
Trois aspects sont examinés : les applications
actuelles pour certaines nuisances dans quelques
pays ; l’utilisation pour le cancer bronchique en cas
d’exposition à l’amiante et tabagisme associé ; l’adap-
tation éventuelle au système français pour renforcer
l’équité et la cohérence de la reconnaissance des mala-
dies professionnelles.
LES APPLICATIONS DE LA PROBABILITÉ
DE CAUSALITÉ
Certains pays et juridictions utilisent la probabilité
de causalité pour reconnaître, voire indemniser, des
maladies dont la survenue est favorisée par une expo-
sition professionnelle. Quelques applications tiennent
compte d’expositions associées. Le recours à la proba-
bilité de causalité est variable en fonction des nuisan-
ces, des données disponibles, des connaissances scien-
tifiques, mais aussi en fonction de la législation en
vigueur dans les différents pays.
Cancers bronchiques et rayonnements ionisants
Les premières applications de la probabilité de cau-
salité à visée de reconnaissance en maladie profession-
nelle ont porté sur le lien entre de nombreux types de
cancers et les expositions aux rayonnements ionisants
pour deux raisons : 1) les relations dose-réponse sont
mieux connues que pour les autres expositions, 2) les
doses individuelles peuvent être estimées. L’Agence
internationale de l’énergie atomique a proposé des
modèles mathématiques pour calculer la probabilité de
causalité en cas de survenue de cancer après exposition
aux rayonnements ionisants (8).
Les utilisations les plus élaborées ont été dévelop-
pées aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. En effet, la
reconnaissance et l’indemnisation sont fonction de la
probabilité de causalité calculée pour la victime. Ce
calcul de la probabilité tient compte du type de cancer,
du temps écoulé entre l’exposition et la survenue de la
maladie, du sexe, du tabagisme éventuel...
— Le gouvernement américain, sur avis du NIOSH,
utilise le calcul d’une probabilité de causalité pour de
nombreux types de cancers chez les sujets ayant été
exposés aux rayonnements ionisants (9). Le pro-
gramme de calcul est proposé au public, sur Internet,
sur le site www.cdc.gov/niosh/ocas/ocasirep.html. Il
tient compte du tabagisme pour la survenue de cancer
bronchique. En fonction du modèle retenu, additif ou
multiplicatif, un coefficient est introduit pour pondérer
la probabilité de causalité. La valeur est majorée ou
minorée en fonction du sexe et de l’intensité du taba-
gisme : ce coefficient de pondération varie de 4,7 chez
l’homme non-fumeur à 0,16 chez la femme tabagique
à plus de 40 cigarettes par jour. Quand le tabagisme
n’est pas quantifié, le coefficient est de 0,42 chez
l’homme, de 0,35 chez la femme. De plus la valeur de
la probabilité sert pour le calcul de l’indemnisation.
Au Royaume-Uni, la reconnaissance des cancers
bronchiques chez les salariés des centres nucléaires de
production d’électricité (British Nuclear Fuels) tient
également compte du tabagisme selon une méthode
analogue (10, 11). Un facteur de générosité est intro-
duit dans le calcul des probabilités de causalité. La
valeur de la probabilité de causalité permet de recon-
naître l’origine professionnelle de l’affection et de
moduler son indemnisation.Ainsi, la maladie est com-
364 D. CHOUDAT
plètement indemnisée pour une probabilité de causa-
lité supérieure à 50 %, partiellement entre 20 et 50 %,
et non reconnue si la probabilité de causalité est infé-
rieure à 20 %.
Cancers bronchiques
et hydrocarbures aromatiques polycycliques
Au Québec, pour les cancers bronchiques chez les
sujets ayant été exposés aux hydrocarbures aromati-
ques polycycliques dans certains secteurs profession-
nels, Armstrong et al. ont proposé deux modèles prin-
cipaux de calcul de la probabilité de causalité (12). Un
modèle ne tient pas compte du tabagisme. Le
deuxième modèle introduit le tabagisme moyen de la
population étudiée comme constante, le tabagisme du
sujet (Dt) et sa dose d’exposition cumulée aux hydro-
carbures aromatiques polycycliques (Da), les coeffi-
cients d’accroissement des risques pour l’exposition
professionnelle (a) et le tabagisme (b). Le tabagisme
moyen de la population étudiée permet le calcul de
l’accroissement moyen du risque de cancer par rapport
à des non-fumeurs (k = 9,05 dans le modèle linéaire
proposé). La probabilité (P) pour la survenue d’un
cancer bronchique est alors calculée selon une formule
du type
P
Da
=akDa
akDa +bDt+1
Ce modèle a été retenu par la province du Québec
pour calculer la probabilité à 50 % et sa limite supé-
rieure dans l’intervalle de confiance à 95 %.
Utilisation de la probabilité de causalité
pour la détermination d’une dose-seuil
Si l’exposition professionnelle est quantifiée, une
dose minimale peut être requise pour obtenir une
reconnaissance de l’origine professionnelle. Cette
dose minimale correspond souvent à une probabilité
de causalité supérieure à 50 %, parfois à la limite
supérieure d’un intervalle de confiance. Cette utilisa-
tion de la probabilité de causalité pour déterminer une
dose-seuil comme critère de reconnaissance de mala-
die professionnelle dépend de la législation en place
dans les différents pays. Elle permet de fixer un critère
de présomption d’origine. Mais cette utilisation ne
tient pas compte des associations à d’autres exposi-
tions, du facteur temps... Elle limite l’approche à un
seul facteur : la dose cumulée d’exposition.
Au Québec, la probabilité de causalité a permis
de déterminer des doses-seuil pour la présomption
d’origine pour les cancers de vessie chez les sujets
exposés aux amines aromatiques et pour les cancers
bronchiques lors d’expositions à l’amiante (13, 14). La
dose individuelle de l’exposition cumulée est compa-
rée à la dose-seuil d’amine aromatique ou d’amiante.
Le tabagisme n’est pas retenu dans le calcul de la
probabilité de causalité.
— En Belgique et en Allemagne, en cas de cancer
bronchique et d’exposition à l’amiante, le tabagisme
n’est pas pris en compte (15, 16). L’exposition profes-
sionnelle à l’amiante est retenue si elle dépasse 25
fibres ml
–1
année. Cette dose-seuil, limite pour la
présomption d’origine, a été choisie car elle corres-
pond à une probabilité de causalité de 20 % pour un
accroissement du risque de 1 % par fibre ml
–1
année
(15).
Ces applications au Québec, en Belgique et en Alle-
magne comportent un calcul de la dose individuelle
pour déterminer si le seuil de la présomption d’origine
est franchi. Elles tentent une quantification des expo-
sitions en vue de la reconnaissance. Elles imposent
donc une meilleure caractérisation de l’exposition que
les tableaux français avec la simple notion d’exposi-
tion habituelle.
Au total, l’utilisation des probabilités de causalité et
probabilités pondérées, quelles que soient les modali-
tés de calcul, soulève des questions de principe, y
compris éthiques, et se heurte à de nombreuses diffi-
cultés d’application (3, 4). Elles ne concernent que
quelques affections qui comportent à la fois des mesu-
res précises des expositions individuelles et des rela-
tions dose-effet établies. Cette restriction entraîne des
difficultés d’application et une inégalité de prise en
charge par rapport aux secteurs professionnels et aux
maladies ne disposant pas d’un tel dispositif. Les choix
des modèles et du seuil de reconnaissance ne dépen-
dent pas seulement de considérations scientifiques
mais d’arguments économiques, juridiques, sociaux,
en particulier des modalités de reconnaissance des
maladies professionnelles.
TENTATIVE D’APPLICATION AU CANCER
BRONCHIQUE, EXPOSITION A L’AMIANTE
ET TABAGISME
Le cas du cancer bronchique avec tabagisme et
exposition à un cancérogène en milieu professionnel
est fréquent. Ainsi, environ 27 000 nouveaux cas de
cancer bronchique surviennent chaque année en
France et le rapport d’expertise collective de
l’INSERM avait estimé à 1 250 les cas de cancer
bronchique supplémentaires liés à l’amiante en 1996
(17). Or la prévalence du tabagisme est élevée dans la
population française, et un quart de la population mas-
culine partant à la retraite serait susceptible d’avoir été
IMPUTABILITÉ EN CAS D’EXPOSITIONS MULTIPLES 365
exposé à l’amiante. Peut-on identifier les cas liés à
l’amiante et quelle est la part respective d’une exposi-
tion à l’amiante et du tabagisme dans la survenue d’un
cancer bronchique ?
Il existe en effet une relation causale entre le taba-
gisme et la survenue de cancer bronchique, ainsi
qu’une relation causale entre une exposition à
l’amiante chez les non-fumeurs et le cancer bronchi-
que, enfin une interaction entre ces deux nuisances a
été démontrée. Mais peut-on quantifier l’augmentation
du risque de cancer bronchique en fonction des inten-
sités respectives du tabagisme et de l’exposition à
l’amiante ? En corollaire, chez un sujet atteint d’un
cancer bronchique, quels sont les rôles respectifs de
son tabagisme et de son exposition ? Ainsi que nous
l’avons vu dans un article précédent, l’extension de la
probabilité de causalité aux expositions multiples
nécessite plusieurs étapes (1) :
déterminer l’augmentation du risque en fonction
de la dose de chacune des substances prise isolément et
connaître l’effet conjoint des substances sur le risque ;
fixer les modèles de calcul de la probabilité de
causalité ou de la probabilité pondérée à partir des
résultats épidémiologiques ci-dessus ;
— quantifier les expositions individuelles et calcu-
ler les probabilités de causalité et probabilités pondé-
rées en fonction des modèles choisis.
Relation entre la dose cumulée d’amiante
et la survenue de cancer bronchique
L’estimation du risque de cancer bronchique après
de fortes expositions à l’amiante, compte tenu du taba-
gisme, a été précisée par de nombreuses études épidé-
miologiques. Le rapport d’expertise collective de
l’INSERM est une remarquable synthèse des enquêtes
disponibles sur les relations doses d’amiante-survenue
de cancer bronchique (17). Certaines données ont été
précisées par des études plus récentes. Elles restent
incertaines, mais elles peuvent être utilisées comme
base de travail.
Sous couvert de certaines hypothèses (notamment
linéarité sans seuil), des modèles mathématiques ont
été élaborés à partir du nombre de cas observés de
cancers bronchiques dans des cohortes d’ouvriers
d’usines d’amiante-textile ou de fibrociment.
Le risque relatif de décès par cancers bronchiques,
(RR = nombre de cas observés/nombre de cas atten-
dus) est fonction de l’exposition cumulée. Celle-ci est
la somme des durées d’exposition (d en année) à une
concentration atmosphérique (f en fibres ml
–1
). Le
coefficient a représente l’accroissement du risque pour
une unité de dose cumulée (1 fibre ml
–1
année).
Soit RR=1+afd
Plusieurs valeurs du coefficient a ont été détermi-
nées lors d’enquêtes épidémiologiques selon la nature
des expositions professionnelles. Ces valeurs sont très
différentes d’une étude à l’autre. Les valeurs extrêmes
sont + 0,01 et + 6,7 par fibre ml
–1
année. La discussion
de ces valeurs est développée dans le rapport d’exper-
tise collective de l’INSERM (référence 17, p 199-
207). Cette dispersion et la difficulté de prendre en
compte le tabagisme doivent rendre prudent dans
l’interprétation des données mentionnées dans le rap-
port pour lesquelles une valeur moyenne a été retenue
(a = + 1,0 par fibre ml
–1
année).
En appliquant cette valeur, une exposition continue
à 10 fibres ml
–1
, 40 heures par semaine 48 semaines
par an, pendant 20 ans, entraîne un risque relatif de 3
(Fig. 1 et 2). Ce risque, formulé en terme de probabi-
lité de causalité, revient à dire que « dans un groupe de
sujets exposés de façon continue à 10 fibres ml
–1
,
Fig. 1. Risque relatif de cancer bronchique en fonction de la durée
d’exposition à l’amiante (concentration de 10 f/ml, exposition continue, 8
heures/jour ; 40 heures/semaine ; population masculine française)
(d’après 17).
Fig. 2. Risque relatif de cancer bronchique en fonction de la durée
d’exposition à l’amiante (valeurs extrapolées pour une concentration de
0,1 f/ml, exposition continue, 8 heures/jour ; 40 heures/semaine ;
population masculine française) (d’après 17).
366 D. CHOUDAT
40 heures par semaine 48 semaines par an, pendant 20
ans, la survenue d’un cancer bronchique est dans 2/3
des cas liée à l’amiante ».
Relation entre le tabagisme
et la survenue de cancer bronchique
L’augmentation du risque relatif de cancer bronchi-
que en fonction du tabagisme est connue (18-22). Les
relations entre le tabagisme et l’incidence du cancer
bronchique ont été estimées chez 34439 médecins
suivis pendant 40 ans en Angleterre, chez 26000 sujets
suivis pendant 28 ans en Norvège (18, 19). L’augmen-
tation du risque varie en fonction de l’intensité du
tabagisme ainsi que du type histologique, du sexe. Le
risque décroît après l’arrêt du tabagisme (11, 23). Dans
les exemples ci-après, un coefficient de 0,33 par
paquet année a été retenu pour simplifier (12). Un
risque relatif de 3 est atteint par un fumeur à un paquet
par jour pendant six ans seulement. Un tabagisme de
20 cigarettes par jour à partir de l’âge de 20 ans
pendant 45 ans entraîne un RR de 15 environ (Fig. 3).
Ce risque, formulé en terme de probabilité de causa-
lité, revient à dire que « dans un groupe de sujets
tabagiques à 45 paquets années, la survenue d’un can-
cer bronchique est dans 93 % des cas liée au tabac ».
Effet conjoint amiante-tabac
sur le risque de cancer bronchique
En l’absence d’interaction entre nuisances, le nom-
bre total de cas en excès est la somme des nombres en
excès dus à chacune des nuisances, si la prévalence de
la maladie est faible (1). Cela est équivalent à un effet
additif. Or, en cas d’exposition conjointe amiante-
tabac, le nombre de cas observés est plus élevé que la
simple addition des cas attendus pour chacune des
nuisances (Fig. 4). Un effet multiplicatif de l’exposi-
tion conjointe tabac-amiante a été suspecté. Dans ce
cas, le risque relatif de la double exposition est égal au
produit de chacun des risques relatifs. En fait, des
travaux récents font état d’un effet conjoint moindre
qu’un effet multiplicatif et plus élevé qu’un effet addi-
tif (24, 25).
Choix des modèles pour le calcul
de la probabilité de causalité
ou la probabilité pondérée
En cas d’exposition à plusieurs nuisances pouvant
être responsables de la même pathologie, il faut tenir
compte de l’existence d’une éventuelle interaction
pour calculer une probabilité pondérée pour chacune
des nuisances (1, 5, 6). Les différentes options théori-
ques ont été discutées dans un précédent article.
L’application à l’amiante et au tabagisme est présentée
ci-après.
A titre d’exemple, si dans une population donnée de
sujets non exposés, non fumeurs, un cancer bronchi-
que peut survenir (nombre attendu = 1), les expositions
aux cancérogènes accroissent ce nombre (nombre
observé).
— En cas d’exposition continue pendant 20 ans à 10
fibres ml
–1
année, sans tabagisme associé, trois can-
cers bronchiques sont observés. Mais les deux cancers
supplémentaires sont indiscernables du cas qui serait
survenu spontanément. Pour cette intensité d’exposi-
tion, les deux tiers des cancers sont liés à l’exposition
professionnelle : la probabilité de causalité qu’un can-
cer soit lié à l’amiante est de 67 %.
— En cas de tabagisme à un paquet/jour, pendant 20
ans, sans exposition professionnelle, huit cancers sont
observés. Donc sept cancers sont liés au tabac, sans
que l’on puisse déterminer lesquels. La probabilité
qu’un cancer soit lié au tabac est de 87 %.
— En cas d’association des deux expositions
ci-dessus, plusieurs valeurs de probabilités peuvent
être calculées (1). Selon les modèles retenus :
s’il n’y avait aucune interaction entre tabac et
amiante ou dans un modèle additif, le nombre total
observé est de dix (1+7+2).Lenombre de cancers
liés à l’amiante est inchangé (soit 2) mais la probabilité
de causalité pour l’amiante diminue à 20 %. Pour le
tabagisme, elle passe à 70 % ;
pour des risques multiplicatifs, le nombre total
observé est de vingt-trois, soit treize cas supplémen-
taires par rapport au modèle additif. Certains auteurs
proposent d’attribuer à l’amiante tous les cas en excès
par rapport au modèle additif ci-dessus (soit 2 + 13).
Cela revient à prendre comme population de référence
le groupe des fumeurs ou à ne pas tenir compte du
tabagisme. La probabilité pour l’amiante reste alors à
Fig. 3. Risque relatif (RR) de cancer bronchique en fonction du
tabagisme (d’après 18 et 19).
IMPUTABILITÉ EN CAS D’EXPOSITIONS MULTIPLES 367
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