dossier éditorialiste invité Notre éditorialiste invité, Paul G. Brunet est titulaire d’une maîtrise en administration publique et est admis au Barreau en 1982. D’abord avocat en pratique privée, il travaille ensuite dans les contentieux et les municipalités comme expert-conseil. Il a œuvré pendant environ 30 ans à la direction générale de municipalités au Québec. Il est confronté très tôt à la maladie de ses proches et s’implique au sein du Conseil pour la protection des malades (CPM), un organisme fondé par son frère en 1974. Il en est d’abord le conseiller juridique bénévole puis en devient le directeur bénévole en 2000. Pour sa contribution à la cause de la justice, il recevait en 2002 la Médaille du Barreau de Montréal et, la même année, le Prix pro bono Rajpattie-Persaud de l’Association du Barreau canadien. Paul G. Brunet. MAP Avocat Membre du conseil d’administration du Conseil pour la protection des malades Se questionner sur la réforme de la santé Par Paul G. Brunet. Le dossier de ce numéro de la revue REFLETS se veut une réflexion sur la réforme de la santé. Chacun des collaborateurs se questionnent sur des aspects bien précis de cette réforme qui en interpelle plus d’un. Pour ma part, les projets de loi 10 et 20 suscitent mon attention et une certaine perplexité. Projet de loi 10 Se voulant rassurant, le ministre de la santé et des services sociaux, le docteur Gaétan Barrette, avait indiqué dès le dépôt du projet de loi, en septembre 2014, que la démarche était transitoire. Les objectifs poursuivis par le projet de loi étaient louables : • Favoriser et simplifier l’accès aux services pour la population ; • Contribuer à l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins ; • Accroître l’efficience et l’efficacité du réseau Sur le terrain par contre, les actions pour atteindre les objectifs fixés ne semblent pas s’être matérialisées. En effet, aucunes données disponibles n’ont permis à ce jour de démontrer de façon concluante qu’on a depuis favorisé l’accès aux soins de santé. Les citoyens continuent, soit pour des urgences mineures, soit pour des interventions sélectives, à attendre par centaines de milliers bien au-delà des délais acceptables. 12 La centralisation de l’autorité vers le ministre, causée par le PL 10, n’a pas non plus contribué à améliorer la qualité ou la sécurité des soins. Les comités d’usagers et les comités de résidents, particulièrement en hébergement de soins de longue durée, ont dû commencer à se battre pour conserver la moindre autonomie face aux nouveaux comités centraux, les CUCI (comité d’usagers des centres intégrés). Le ministre avait promis qu’il ne gérerait pas le réseau. C’est exactement le contraire qui s’est produit. Le ministre a beau rencontrer la trentaine de nouveaux PDG des nouveaux CISSS et CIUSSS qu’il a lui-même nommés, et ce, tous les mois, mais son style très directif pourrait avoir annulé le moindre effet souhaité en vue d’une efficacité accrue du réseau. En fait, le ministre a déconcentré l’autorité mais ne l’a pas décentralisée. Connaissant un peu la personne, rien n’est surprenant à ce chapitre. Sur l’objectif d’améliorer l’efficience du réseau, le ministre a déclaré que près de 200 postes de gestionnaires ont déjà pu être libérés. Par contre, les sommes ainsi économisées ne seront pas réinvesties dans le réseau mais dirigées plutôt vers le Conseil du trésor dans la poursuite d’un budget équilibré de l’État. Projet de loi 20 Mis en vigueur en novembre 2015, ce projet de loi a pour but d’optimiser l’utilisation des ressources médicales afin d’améliorer l’accès aux services de médecine. Au Conseil pour la protection des malades, nous avons appuyé le but poursuivi, mais nous avions des réserves quant aux moyens proposés. Le ministre proposait en effet de forcer les médecins, sous peine de pénalité quant à leur rémunération, à prendre plus de patients en charge. On sait ce qui est arrivé depuis. Le ministre a suspendu les pénalités et convenu de bonifier la rémunération des médecins en contrepartie d’une plus grande prise en charge des patients. Dans cette opération, on a eu l’impression que le gouvernement avait tenté de rattraper ce qu’il n’avait pas demandé ou obtenu lors des dernières négociations avec les médecins. Comment en effet a-t-on pu permettre aux médecins d’obtenir la parité de leur rémunération avec leurs collègues des autres provinces sans qu’on leur demande et obtienne qu’ils prennent autant de patients en charge que leurs collègues des autres provinces? Et il y a pire. Pour calmer la grogne des médecins par rapport au projet de loi, rappelons que le ministre a reporté aux calendes grecques les pénalités. Encore plus dramatique, dans une entrevue qu’il accordait au Journal de Québec du 10 avril 2016, il concédait que les bonis n’avaient pas créé les effets positifs escomptés chez les médecins pour la prise en charge des patients. Bref, il faut se questionner sérieusement sur les conséquences de la réforme du système de la santé au Québec proposée depuis 2014. Reflets | septembre 2016 dossier Soins à domicile : un retard qui laisse toute la place à la privatisation! Le Québec fait piètre figure au chapitre de l’offre de soins à domicile. Les investissements publics dans ces soins indispensables font défaut, et de plus en plus les usagers sont condamnés à attendre… ou à se tourner vers le privé pour obtenir des soins. Pourtant, investir dans les soins à domicile est une excellente manière de répondre aux besoins de la population tout en économisant à long terme. Par Guy Laurion Vice-président Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN) C’est que nous vivons dans une situation de sous-financement chronique des soins à domicile. Alors que les objectifs de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sont d’investir 3 % du PIB dans les soins de longue durée1 afin notamment de faire face aux enjeux liés au vieillissement de la population, le Québec se situe actuellement à environ 1,2 %. C’est dire tous les efforts qui devraient être consentis pour améliorer l’offre de services à domicile. Des compressions budgétaires qui atteignent les soins à domicile Illustration : José Morin Une offre de services mal intégrée L’offre de services à domicile est malheureusement mal intégrée. Il est passablement difficile de s’y retrouver pour les usagers. Ils peuvent recevoir des services de différents prestataires et y avoir accès grâce à un financement public ou privé. Cette complexité rend ardue la coordination des soins à domicile. Une telle situation a pour effet de limiter la portée des interventions des équipes multidisciplinaires des CLSC, pourtant les mieux placées pour évaluer les soins nécessaires et les donner. Sur papier, ce sont les centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS) qui doivent coordonner l’offre de soins à domicile. En réalité, cette coordination est beaucoup plus théorique que pratique puisque la prestation de soins à domicile se privatise de plus en plus. Les investissements publics sont à ce point insuffisants qu’il n’est pas surprenant de constater que le marché privé des soins à domicile croît à vue d’œil. Nous assistons à des salves de compressions budgétaires qui réduisent d’une année à l’autre le bassin de services à domicile. De récents reportages de Radio-Canada2 ont démontré non seulement l’ampleur des compressions dans les soins à domicile, mais surtout leur impact sur les usagers. Pour l’année 2015-2016, la région de Montréal a dû encaisser des compressions budgétaires de l’ordre de neuf millions de dollars, selon les prévisions budgétaires des établissements3 . De telles compressions limitent encore davantage l’accès aux soins à domicile. Partout au Québec, nous recevons des informations sur l’impact de ces coupes. Le réseau public peine de plus en plus à répondre à la demande, et les cas qui sont pris en charge par le réseau sont des cas de plus en plus lourds. Une urgence d’investir pour garantir notre place en santé Nous devons demander au gouvernement de réinvestir dans les soins à domicile afin de combler l’écart qui se creuse par rapport aux autres pays de l’OCDE. Si nous voulons répondre aux besoins grandissants de la population, c’est la seule manière d’y parvenir. Dans les années 1970, nous avons fait le choix de société d’offrir des services publics pour répondre aux besoins de la population sans égard au portefeuille de chacun. Il est plus pertinent que jamais de valoriser et de préserver ces services publics. Hier comme aujourd’hui, notre place en santé, nous y tenons! 1 OCDE, Help Wanted? Providing and Paying for Long-Term Care, 2011. 2 Radio-Canada, « Des aînés touchés par des compressions dans le Grand Montréal », 17 décembre 2015, http://ici.radio-canada.ca/regions/montreal/2015/12/17/001-soins-domicile-sante-patients-csss.shtml. 3 Radio-Canada, « Des aînés attendent des mois pour obtenir de l’aide à domicile », 20 janvier 2016, http://ici.radio-canada.ca/regions/montreal/2016/01/20/003-aines-aide-domicile-montreal-attente-budgets. shtml. Reflets | septembre 2016 13 dossier Mettre de l’ordre dans le dossier des frais accessoires De nombreux Canadiens seront financièrement à risque au moment de la retraite. C’est le constat auquel sont arrivés les ministres des Finances fédéral et provinciaux du Canada, le 21 juin dernier, lors d’une rencontre au sujet de la bonification du régime public des pensions. Par Normand Laberge Directeur général Association médicale du Québec Si plusieurs retraités manqueront visiblement de ressources, leur équilibre financier risque de se détériorer encore davantage à mesure que leur santé se fragilisera. À cet égard, les frais accessoires en santé menacent leur stabilité financière. Les frais accessoires font l’objet de débats sur la place publique depuis plusieurs mois, une situation créée par l’inaction de plusieurs gouvernements successifs et qui se traduit maintenant en iniquité sociale, une problématique qui aurait pu être évitée et qui plonge maintenant les médecins autant que les patients dans un flou administratif. Au Québec, si certains frais accessoires sont tout à fait légaux (puisqu’ils servent à couvrir les dépenses associées aux soins non assurés par le système universel de soins), d’autres, en revanche, ne le sont pas. Il est normal qu’un patient se voie remettre une facture pour des soins non couverts, telle une chirurgie esthétique. De la même manière, on facturera un médicament accessoire à un test parce que celui-ci n’est pas couvert. À l’opposé, la double facturation d’une part (tant à l’État qu’aux patients) et la surfacturation d’autre part sont totalement à proscrire – la première parce qu’il s’agit d’une facturation illégale pour un soin déjà couvert par le régime public, la seconde parce qu’il y a un profit excessif pour un acte médicalement nécessaire. Aucun patient ne devrait donc avoir à débourser une quelconque somme pour un soin assuré puisqu’il est de la responsabilité de l’État d’assumer le coût des soins dans un système universel de santé. Là où le bât blesse, c’est lorsque, pour combler un sous-financement des soins assurés et prodigués en clinique, le gouvernement permet la facturation de frais accessoires illégaux, un geste qui va par ailleurs totalement à l’encontre du code de déontologie du Collège des médecins du Québec (CMQ). Historiquement, la facturation de ces frais accessoires remonte au moment du virage ambulatoire, alors que certains soins ont été « sortis » de l’hôpital pour être offerts en clinique. Résultat : pendant que les patients des hôpitaux voyaient la totalité des frais des soins assurés être pris en charge par le gouvernement, d’autres, dans les cliniques, se faisaient refiler la facture. En fin de compte, l’effet sur les patients, plus encore sur les populations vulnérables, dont les retraités, est une précarisation plus importante de leur situation. Dans ce contexte, qui représente un risque pour la santé physique et financière d’une large part de la population, le gouvernement québécois doit intervenir rapidement et empêcher que la situation ne se dégrade davantage. L’annonce récente du ministre de la Santé et des Services sociaux nous permet de croire que la surfacturation et les frais accessoires perçus pour compenser le sous-financement des cliniques seront éliminés. Le CMQ pourra ainsi appliquer son code de déontologie, lequel a vu l’un de ses articles suspendu par Québec. Le gouvernement doit donc, dès à présent, instaurer des outils de mesure qui permettront de bien cerner les coûts réels des soins et de respecter la capacité de payer de la société. C’est la seule façon d’obtenir les résultats tant désirés par les patients et la profession médicale : une couverture suffisante des frais afférents aux soins donnés, la fin de la surfacturation et de l’iniquité, et une diminution importante des insatisfactions des patients. Il faut rapidement tout mettre en œuvre pour cesser l’appauvrissement des patients québécois, y compris des retraités. Vous n’êtes pas encore inscrit à C|A|M Coop? Prenez quelques minutes pour le faire et commencez à économiser et profiter d’offres et de rabais importants exclusifs aux membres de l’AQRP*. À quelques clics de bonnes affaires! cam.camcoop.com 14 Inscrivez-vous avant le 31 octobre sur cam.camcoop.com Chèque-cadeau d’une valeur de 50$, échangeable à La Boutique, à GAGNER chaque semaine. *Pour connaître le code d’accès du groupe voir le guide AQRP 2016 ou appeler au 1 800 653.2747 Reflets | septembre 2016 dossier Les impacts de la réforme sur les services sociaux Le « patient » au cœur des décisions, voilà comment le ministre de la Santé et des Services sociaux nous présentait son projet de loi 10. Cette première dissonance nous agaçait sérieusement puisque pour nous, les personnes autistes, ou leur famille, sont des utilisateurs de services et non des patients. Les mesures issues du projet de loi 10 sont imprégnées de cette approche médicale au détriment de l’approche sociale. Malgré cela, nous avions quelques espoirs, par exemple lorsque le ministre prétendait que l’un des objectifs de la réforme était une meilleure intégration des services. Nous avions envie d’y croire. Nos inquiétudes étaient cependant plus grandes que nos espoirs. Une perte d’expertise L’expertise en autisme, considérant qu’elle s’adresse à une clientèle émergente, s’était développée de façon importante depuis la mise en œuvre du plan d’action national en 20031. Un an après l’entrée en vigueur des mesures issues du projet de loi 10, nous constatons déjà les pertes que nous avions anticipées pour nos programmes sociaux. Des professionnels, que l’on considérait comme experts en autisme, ont été mutés ou ont préféré prendre une retraite anticipée plutôt que de subir les conséquences de la réforme. Ces professionnels, avec qui nous avions créé des liens de confiance, ont été remplacés par de nouvelles personnes, dont certaines ne connaissent pas l’autisme ou ne connaissent pas très bien la nature de leurs tâches parce que tout le réseau est en mode improvisation. Les regroupements d’établissements, telle la Fédération québécoise des centres de réadaptation en déficience intellectuelle et troubles du spectre de l’autisme, dont la pratique était entre autres axée sur l’évaluation de la performance, les guides de pratiques et le soutien à la formation, ont disparu. Participation citoyenne en péril Les comités d’usagers, les organismes communautaires et les citoyens n’ont plus de place significative dans les nouvelles mégastructures. Bien que le ministre ait consenti à garder les comités d’usagers des établissements, ceux-ci n’ont plus d’instances pour se faire entendre autre que le conseil d’administration d’un centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS). On y trouve un seul représentant des usagers, nommé par le ministre, pour toutes les clientèles confondues. Malgré la bonne volonté de cette personne, il est impossible qu’elle ait l’expertise et les connaissances requises pour représenter efficacement chacune des clientèles d’un territoire donné. En autisme, la représentation des usagers est particulièrement importante puisque l’offre de services n’a jamais été terminée. Par Jo-Ann Lauzon Directrice générale Fédération québécoise de l’autisme L’offre de services Pendant la consultation, le ministre nous avait assuré que la réforme n’aurait aucun impact sur la prestation de services. Pourtant, les familles d’enfants autistes témoignent chaque jour du contraire. Avant la réforme, là où on les invitait à s’inscrire sur une liste d’attente pour un service requis, on leur dit aujourd’hui que ce service n’est tout simplement pas offert. Le plan d’accès ne semble plus être de mise puisque les temps d’attente ne cessent d’augmenter. Les parents qui reçoivent un financement du programme de soutien à la famille sont réévalués à la baisse bien que le Vérificateur général du Québec ait recommandé de revoir le programme, qualifié d’obsolète, afin de mieux répondre aux besoins2. Dans une structure aussi grosse qu’un CISSS, les administrateurs perdent le contact avec ce qui se passe réellement sur le terrain et avec ceux à qui ils offrent des services. Les systèmes de collectes de données étant ce qu’ils sont, les administrateurs ont des informations sur le nombre de personnes servies et le nombre d’heures de services donnés, mais ils détiennent peu de données qualitatives sur les services eux-mêmes, le taux de satisfaction et les difficultés survenues. Au Québec, il semble y avoir une tendance à mettre en place de nouvelles réformes sans tenir compte des résultats des précédentes. La réforme de 2004 promettait de rapprocher les services de la population et de faciliter le cheminement des usagers dans le réseau, des objectifs très semblables à ceux de la réforme actuelle, promesses qui ne se sont pas tenues. Plutôt que d’évaluer les difficultés des 10 dernières années et d’y remédier, le ministre a préféré tout jeter et mettre en place des mégastructures. En avril dernier, à la suite d’un sondage mené auprès de ses membres, l’Association des gestionnaires des établissements de santé et de services sociaux annonçait que le réseau de la santé et des services sociaux était en péril. Ce n’est certainement pas la mutation de professionnels des CLSC vers les groupes de médecine familiale, l’abolition du poste de Commissaire à la santé et au bien-être et les 700 M$ de compression annoncés pour 2016-2017 qui garantiront un nouvel équilibre. La réforme a engendré une perte d’acquis, particulièrement au chapitre des programmes sociaux, que nous avions mis de nombreuses années à mettre en place. 1 Un geste porteur d’avenir. Des services aux personnes présentant un TED, à leurs familles et à leurs proches. Santé et Services sociaux Québec http://publications. msss.gouv.qc.ca/acrobat/f/documentation/2002/02-820-01.pdf. 2 http://www.vgq.gouv.qc.ca/fr/fr_publications/fr_rapport-annuel/fr_2013-2014-VOR-Printemps/ fr_Rapport2013-2014-VOR-Chap02.pdf Reflets | septembre 2016 15 dossier L’AVENIR DES CLSC… ET LE RETOUR VERS LE PASSÉ DE LA PREMIÈRE LIGNE EN SANTÉ Depuis plus de quatre décennies, les centres locaux de services communautaires (CLSC) représentent un maillon fort, désormais archiconnu, de la chaîne des services sociaux et médicaux offerts à la population du Québec. Ils ont néanmoins connu un développement sporadique, ballottés selon l’humeur des commissions gouvernementales et des corporations médicales. Affaiblis par la réforme du réseau de la santé et des services sociaux de 2003, ils font de nouveau les frais d’un chambardement administratif. Cette fois, c’est le ministre Gaétan Barrette qui vient les discréditer en opérant une ponction de près de 300 professionnels au sein de leurs équipes afin de faire bénéficier de leur expertise les groupes de médecine de famille (GMF), dont il veut faire les piliers de la première ligne en santé. Travailleuses sociales pour la plupart, ces personnes mutées dans des cliniques de propriété privée, gérées par des médecins, s’inquiètent du sort de leur clientèle et craignent une détérioration de leurs conditions de pratique ainsi que la perte de leur autonomie professionnelle. L’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) représente quelque 4 000 professionnels des CLSC, soit une large majorité d’entre eux. Elle a pris position contre ces mutations susceptibles de mener au démantèlement des CLSC. La campagne « J’aime mon CLSC » s’affiche depuis mai 2016 dans les villes et villages du Québec ainsi que sur les réseaux sociaux. L’opposition syndicale au développement des GMF à partir des ressources des CLSC estelle justifiée? Y a-t-il vraiment lieu de craindre pour l’avenir des CLSC? Ces établissements ne fermeront pas leurs portes demain matin, et la plupart de leurs programmes existeront sans doute encore. Les gens continueront d’y être accueillis et dirigés vers des services adaptés à leur condition et aux difficultés qu’ils traversent. Privés d’une partie de leurs équipes, les CLSC devront toutefois réviser leur mission et leur offre de services à la baisse, en fonction des moyens dont ils disposeront. Du côté des GMF, les professionnels mutés viendront en aide aux personnes que les médecins Aussi disponible APPEL QUOTIDIEN appel préventif et rappel de médicaments VIVEZ EN TOUTE SÉCURITÉ (418) 661-6266 / (514) 341-6266 / 1-866-977-6266 / www.sosmedic.ca 16 Par Chantal Mantha Conseillère aux communications et aux relations publiques Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux leur enverront, même si leur cas ne relève pas de leur spécialité acquise en CLSC. Mais qu’adviendra-t-il des initiatives visant à aller chercher dans leur milieu les gens vulnérables, qui ne viennent pas consulter d’euxmêmes? Dans ce nouvel épisode de l’histoire mouvementée des CLSC, certaines de leurs dimensions – qui étaient pourtant fondamentales à leurs débuts – tendent à disparaître. Créés sur le modèle de la Clinique communautaire de Pointe-Saint-Charles au tournant des années 1970, les CLSC se voulaient ancrés dans la communauté et visaient une réponse en partie collective aux problèmes sociaux et de santé. C’est ainsi que sont nés des partenariats avec le milieu communautaire, les écoles et les centres pour personnes âgées. C’est ainsi que des programmes de prévention ont été élaborés et largement diffusés. Or, les listes de professionnels requis par les GMF n’incluent aucun organisateur communautaire chargé de développer des liens avec la communauté, de bâtir des ponts, de renforcer le tissu social. Rien n’est prévu pour agir sur les déterminants sociaux dont l’influence sur l’état de santé des populations est pourtant reconnue par les milieux scientifiques et médicaux à l’échelle internationale. On assiste à n’en pas douter à une médicalisation des problèmes. La santé de la population n’est examinée qu’à travers la lorgnette du curatif et la prévention est évacuée, confiée à la responsabilité des individus bien informés. C’est là un déplorable retour en arrière. C’est l’avenir de ces dimensions sociales et préventives, objets du travail des équipes interdisciplinaires des CLSC, qui est le plus gravement compromis par le désinvestissement dans ces centres au profit des GMF, dont la vocation est principalement médicale. En privilégiant une approche centrée sur le médecin décideur, on revient à l’ère préCLSC du siècle dernier. Ce n’est certainement pas de ce côté que se trouve l’avenir. Reflets | septembre 2016 dossier Une meilleure accessibilité aux soins en théorie... mais en pratique? Le point sur les réformes de santé Depuis son élection en avril 2014, le gouvernement libéral a fait adopter deux importantes réformes dans le monde de la santé. Dans le présent texte, nous les nommerons les projets de loi 10 et 20. Le premier a comme objectifs principaux de favoriser l’accès aux services, la qualité et la sécurité des soins, l’efficience et l’efficacité du système de santé. Par quels moyens? D’abord, par une fusion d’établissements de santé, passés en effet de 182 à 29 (22 CISSS ou CIUSSS ainsi que sept établissements non fusionnés). Ensuite, par le passage de trois paliers à deux paliers de gouvernance, le palier intermédiaire constitué auparavant par les agences de santé et de services sociaux disparaissant, ce qui centralise dans les faits une très vaste part des pouvoirs entre les mains du ministre de la Santé. Or, les données probantes démontrent que ce genre de mégafusion ne parvient pas à élargir ni à améliorer l’accès aux soins et aux services de santé. De plus, un élément non négligeable et ayant un impact négatif sur l’accès aux soins pour les usagers est la restriction importante de leur droit de choisir l’établissement de santé duquel ils obtiendront leurs services, droit pourtant consacré à l’article 6 de la Loi sur les services de santé et de services sociaux. Par exemple, si auparavant, dans une région donnée, les usagers avaient le choix entre cinq ou six établissements, ils n’ont aujourd’hui plus de choix, chacune des régions ne comportant, sauf exception, qu’un seul établissement de santé. Cela signifie qu’en pratique, des usagers se verront parfois forcés d’obtenir leurs services dans une installation éloignée de leur domicile. Sinon, les deux seules mesures du projet de loi 10 visant à favoriser l’accès – soit la création de corridors régionaux ou interrégionaux (art. 39 à 43) et la possibilité d’imposer pour une courte période de temps à un médecin de donner ses services dans une installation un peu plus éloignée que celle où il travaille habituellement –, nous semblent bien minces pour un projet d’aussi grande envergure. Quant au projet de loi 20 qui, lui, était censé s’attaquer plus expressément au problème de l’accès aux soins et aux services de santé, il faudra juger de ses effets de manière plus précise le 31 décembre 2017. En effet, les dispositions de ce projet de loi concernant les obligations faites aux médecins ne sont toujours pas en vigueur, contrairement à la majorité des autres dispositions qui le sont depuis le 10 novembre 2015. Cela s’explique par des négociations très serrées entre les fédérations de médecins et le ministère de la Santé et des Services sociaux, négociations ayant abouti à deux ententes, l’une avec la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ, le 25 mai 2015) et l’autre avec la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ, Par Anne-Marie Savard, LL. D. Professeure agrégée, Faculté de droit, de l’Université de Sherbrooke Membre du Groupe de recherche en droit et politiques de la santé Université de Sherbrooke novembre 2015). En bref, ces ententes substituent aux obligations « individuelles » de rendement en matière d’accès des obligations « collectives » de rendement. Par exemple, dans le cas des médecins de famille, l’objectif est d’atteindre un taux d’inscription de 85 % de la population québécoise auprès de l’un d’entre eux d’ici le 31 décembre 20171. Concernant l’assiduité, l’objectif est de parvenir à un taux provincial de 80 % dans le même délai. Le respect du concept d’assiduité vise à permettre à un usager, lorsqu’il a besoin d’un rendez-vous médical, d’avoir accès à son médecin de famille au lieu de devoir consulter une autre ressource du système. En effet, à quoi bon avoir un médecin de famille si, dans les faits, obtenir un rendez-vous lorsque c’est nécessaire prend plusieurs mois? C’est donc ce lien entre les deux, inscription et assiduité, qui nous semble le plus crucial. C’est là également que les médecins devront mettre en place de nouvelles manières de faire dans leur pratique, notamment par l’accès adapté, afin que l’on puisse noter de véritables progrès en matière d’accès aux soins et aux services de santé. 1 Selon le site Web de la FMOQ, le taux d’inscription approchait les 74 % en date du 30 juin 2016. Voir https://www.fmoq.org/affaires-syndicales/ communications/communiques/acces-des-progresimportants-malgre-le-gouvernement/ Service d’aide téléphonique Un service unique, gratuit, de référence et d’orientation en défense des droits. Vous avez des questions sur : • Les assurances ? • Les abus et les fraudes ? • La préretraite, la retraite et les rentes ? • Les démarches pour faire valoir vos droits ? • La dénonciation des actes de maltraitance ? 1 866 497-1548 • www.aqrp.qc.ca Reflets | septembre 2016 17