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CENS 2011
Dossier d’économie n°8
Vendredi 24 juin 2011
Aux frontières de l’économie
2 documents
Gautier Jérôme, « L’économie à ses frontières (sociologie, psychologie), Quelques pistes », Revue
économique, 2007/4, Vol.58, pp. 927-939.
Malinvaud Edmond, « Les échanges entre science économique et autres sciences sociales »,
L’Economie politique, 2001/3, n°11, pp7-33.
L'ÉCONOMIE À SES FRONTIÈRES (SOCIOLOGIE, PSYCHOLOGIE)
Quelques pistes
Jérôme Gautié
Presses de Sciences Po | Revue économique
2007/4 - Vol. 58
pages 927 à 939
ISSN 0035-2764
Article disponible en ligne à l'adresse:
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http://www.cairn.info/revue-economique-2007-4-page-927.htm
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Pour citer cet article :
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Gautié Jérôme , « L'économie à ses frontières (sociologie, psychologie) » Quelques pistes,
Revue économique, 2007/4 Vol. 58, p. 927-939. DOI : 10.3917/reco.584.0927
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Revue économique – vol. 58, N° 4, juillet 2007, p. 927-940
L’économie à ses frontières
(sociologie, psychologie)
Quelques pistes
Jérôme Gautié*
Cet article évoque brièvement quelques tendances récentes au sein du foison-
nement des travaux économiques – tant théoriques qu’empiriques aux frontières
de la sociologie et de la psychologie, et les questions qu’elles suscitent. Il aborde,
dans une première partie, les deux formes contemporaines d’impérialisme écono-
mique (théorique et empirique), avant d’évoquer, dans une deuxième partie, quel-
ques débats suscités par l’économie comportementale. La troisième partie s’inter-
roge sur les conséquences des tendances à l’œuvre sur l’identité de la discipline
économique et sur ses relations à la sociologie et la psychologie.
ECONOMICS AT ITS FRONTIERS
(SOCIOLOGY, PSYCHOLOGY): SOME INSIGHTS
This article aims at presenting briefly some of the issues raised by the prolife-
ration of economic research (both theoretical and empirical) at the frontiers with
sociology and psychology. Section 1 distinguishes a theoretical imperialism from
an empirical one. Section 2 mentions some of the debates raised by behavioural
economics. Section 3 tries to derive some consequences of the ongoing research
trends for the nature of the economics discipline and its relations with sociology
and psychology.
Classification JEL : B20, B41, C9, Z10
Christian Gollier, dans un numéro spécial de la Revue économique consacré
aux rapports économie et sociologie ([2005], p. 417), remarquait qu’« un des
fait marquants de l’évolution récente de la Science, est la chute inexorable des
frontières classiques entre les disciplines traditionnelles. […] Cette évolution est
particulièrement frappante aux marches de la sociologie, de l’économie et de la
psychologie. »
Si on s’en tient à la seule économie « standard »1 – ce que nous ferons dans
la suite de l’article –, « l’impérialisme économique », initié par Gary Becker
* Université Paris I Panthéon-Sorbonne, Centre d’Économie de la Sorbonne, bureau 206 bis,
106-112 boulevard de l’Hôpital, 75 013 Paris. Courriel : [email protected]
1. Nous ne traiterons donc ici ni des approches néo-institutionnalistes (North, Williamson), ni
des approches « hétérodoxes », qui mettent les institutions au cœur de leurs problématiques, et dont
les rapports à la sociologie mériteraient une étude spécifique.
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Revue économique
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Revue économique – vol. 58, N° 4, juillet 2007, p. 927-940
dans les années 1960, a effectivement contribué à redéfinir le rapport entre les
économie et sociologie. L’attribution du prix Nobel en 1993 entérine le succès
de cette démarche, attesté par la multiplication de travaux économiques (d’ins-
piration beckerienne ou non) dans les domaines relevant traditionnellement
de la sociologie. Mais c’est peut-être sur un autre front que les évolutions des
vingt dernières années ont été les plus importantes : celui de la psychologie. Au
XIXe siècle, certains auteurs commencer par Bentham lui-même, mais aussi
Edgeworth, Jevons, Fisher…) ont cherché à mieux relier la théorie de l’uti-
lité à des fondements psychologiques. Mais l’économie s’est assez largement
ralliée, par la suite, à la position de Pareto selon laquelle il était vain d’essayer
de « découvrir l’essence des choses », et selon qui « l’économie politique pure
a beaucoup intérêt à s’appuyer le moins possible sur la psychologie » (cité par
Camerer [2005]). Cette position sera confortée par la théorie des préférences
révélées selon laquelle l’analyse économique porte sur les choix effectifs et non
pas directement sur les préférences des individus, celles-ci pouvant être inférées
de ceux-là. Au-delà des préférences, c’est aussi la rationalité que les économis-
tes se sont longtemps interdits d’étudier, celle-ci ayant le statut d’hypothèse
fondamentale : selon les préceptes méthodologiques de Friedman, cela n’a pas
de sens de poser la question de sa pertinence empirique. Toutes ses positions
sont aujourd’hui mises à mal par le développement très rapide de l’économie
« comportementale » (Camerer et Lowenstein, [2003]). Celle-ci a été en grande
partie initiée par les travaux de Kahneman et Tversky, dont l’article de 1979
sur la « prospect theory » est le deuxième article le plus cité1 dans les quarante
et une plus grandes revues internationales d’économie au cours des trente-cinq
dernières années (1970-2005). Cf. Kim, Morse, Zingales [2006].
Au total, on assiste aujourd’hui donc à un foisonnement de travaux à l’inter-
face de l’économie, de la sociologie et de la psychologie, qui invite à s’interro-
ger sur l’évolution de la nature même de la discipline économique. Cet article,
forcément très incomplet, vise seulement à rappeler quelques éléments de ce
foisonnement et les questions qu’il suscite. On s’interrogera dans un premier
temps sur les figures actuelles de l’impérialisme économique. On se tournera
ensuite vers les défis de l’économie comportementale. Enfin, dans une dernière
partie, on montrera comment les évolutions actuelles amènent à s’interroger sur
l’identité même de l’économie en tant que discipline.
L’EXTENSION DU DOMAINE DE LA LUTTE :
LES DEUX FIGURES DE L’IMPÉRIALISME ÉCONOMIQUE
Retour sur les fondements
et les justifications de l’impérialisme beckerien
Les germes de l’impérialisme beckerien, consistant à appliquer la boîte à
outil de la microéconomie à l’ensemble des comportements sociaux, peuvent
être trouvés dans la définition que Robbins avait donnée de l’économie the
1. Et même le premier, si on laisse de côté les articles de théorie et de technique statistiques.
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Revue économique – vol. 58, N° 4, juillet 2007, p. 927-940
science which studies human behaviour as a relationship between ends and
scarce means which have alternative uses », [1932], p. 15). Ce dernier avait en
effet bien précisé que « [..] any kind of human behaviour falls within the scope
of economic generalisations […] there is no limitations on the subject matter
of economic science » (op. cit., p. 16). Vingt ans plus tard, Milton Friedman,
en explicitant la « méthodologie de l’économie positive » ([1953], [1995]) va
apporter des arguments complémentaires. En affirmant que cela n’a aucun sens
de s’interroger sur le réalisme des hypothèses fondamentales – la confrontation
à l’empirie devant porter sur les implications des modèles construits à partir
de ces hypothèses il rend non pertinente la critique dénonçant l’irréalisme de
l’homo oeconomicus rationnel. Mais à y regarder de plus près, la position de
Friedman est ambiguë et Becker pourra jouer de cette ambiguïté. D’une part,
le comportement optimisateur est défendu comme une hypothèse méthodologi-
que (i.e. non-pertinence de la critique sur l’irréalisme souvent avancée par les
sociologues). Mais, d’autre part, ce comportement est présenté comme résultant
du processus de sélection par le marché : la concurrence ne laisse subsister que
les comportements efficients i.e. conformes au modèle d’optimisation. Les
comportements réels doivent se conformer, en quelque sorte, au comportement
théorique.
Dans la lignée de cet argument, Lazear [2000] développe l’idée selon laquelle
l’économie (standard) devient de plus en plus pertinente comme discours de
connaissance du fait que, de façon croissante, les agents se conforment à ses
modèles, car ces derniers leur indiquent le comportement optimal à adopter
dans une situation d’arbitrage. Plus précisément, la théorie économique influen-
cerait directement les acteurs en leur fournissant des concepts qu’eux-mêmes
transforment en catégories opératoires, à travers, par exemple, la refonte des
normes comptables et financières, ou la réforme du droit. Par le biais de sa
« performativité1 », la « normativité » du discours économique précède ainsi,
en quelque sorte, sa « positivité » : parce qu’elle indique aux individus ce qu’ils
ont intérêt à faire (discours normatif), la théorie économique fait advenir les
comportements qu’elle modélise (« performativité2 »), et peut acquérir ex post
une validité empirique (discours positif).
Par exemple, comme le souligne Lazear, lorsque le modèle de fixation opti-
male du prix des options sur les marchés financiers a été énoncé par Black et
Scholes, le contenu positif de ce modèle était peut-être faible. Mais les agents
du marché ont rapidement compris tout le bénéfice qu’ils pouvaient en tirer
ou symétriquement, les pertes qu’ils pourraient encourir s’ils ne l’adoptaient
pas. Une fois mis en pratique, ce modèle a acquis une pertinence pour rendre
compte des comportements effectivement mis en œuvre par les agents. De même
sur le marché du travail, par exemple, les cabinets de consultants s’inspirent
aujourd’hui directement de la théorie des paiements compensateurs énoncée la
première fois par Adam Smith pour conseiller les entreprises quant à leur poli-
tique de rémunération. Cette théorie tend donc à devenir de plus en plus valide
pour rendre compte des modalités effectives de fixation des salaires.
1. Au sens de capacité d’un discours à transformer la réalité dont il traite, sens que retient
Callon, qui note : « economics performs, shapes and formats the economy rather than observing
how it functions » ([1998], p. 2).
2. Qu’il ne faut pas confondre avec la simple prophétie auto-réalisatrice.
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