Jérôme Gautié
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Revue économique – vol. 58, N° 4, juillet 2007, p. 927-940
science which studies human behaviour as a relationship between ends and
scarce means which have alternative uses », [1932], p. 15). Ce dernier avait en
effet bien précisé que « [..] any kind of human behaviour falls within the scope
of economic generalisations […] there is no limitations on the subject matter
of economic science » (op. cit., p. 16). Vingt ans plus tard, Milton Friedman,
en explicitant la « méthodologie de l’économie positive » ([1953], [1995]) va
apporter des arguments complémentaires. En affirmant que cela n’a aucun sens
de s’interroger sur le réalisme des hypothèses fondamentales – la confrontation
à l’empirie devant porter sur les implications des modèles construits à partir
de ces hypothèses – il rend non pertinente la critique dénonçant l’irréalisme de
l’homo oeconomicus rationnel. Mais à y regarder de plus près, la position de
Friedman est ambiguë – et Becker pourra jouer de cette ambiguïté. D’une part,
le comportement optimisateur est défendu comme une hypothèse méthodologi-
que (i.e. non-pertinence de la critique sur l’irréalisme souvent avancée par les
sociologues). Mais, d’autre part, ce comportement est présenté comme résultant
du processus de sélection par le marché : la concurrence ne laisse subsister que
les comportements efficients – i.e. conformes au modèle d’optimisation. Les
comportements réels doivent se conformer, en quelque sorte, au comportement
théorique.
Dans la lignée de cet argument, Lazear [2000] développe l’idée selon laquelle
l’économie (standard) devient de plus en plus pertinente comme discours de
connaissance du fait que, de façon croissante, les agents se conforment à ses
modèles, car ces derniers leur indiquent le comportement optimal à adopter
dans une situation d’arbitrage. Plus précisément, la théorie économique influen-
cerait directement les acteurs en leur fournissant des concepts qu’eux-mêmes
transforment en catégories opératoires, à travers, par exemple, la refonte des
normes comptables et financières, ou la réforme du droit. Par le biais de sa
« performativité1 », la « normativité » du discours économique précède ainsi,
en quelque sorte, sa « positivité » : parce qu’elle indique aux individus ce qu’ils
ont intérêt à faire (discours normatif), la théorie économique fait advenir les
comportements qu’elle modélise (« performativité2 »), et peut acquérir ex post
une validité empirique (discours positif).
Par exemple, comme le souligne Lazear, lorsque le modèle de fixation opti-
male du prix des options sur les marchés financiers a été énoncé par Black et
Scholes, le contenu positif de ce modèle était peut-être faible. Mais les agents
du marché ont rapidement compris tout le bénéfice qu’ils pouvaient en tirer
– ou symétriquement, les pertes qu’ils pourraient encourir s’ils ne l’adoptaient
pas. Une fois mis en pratique, ce modèle a acquis une pertinence pour rendre
compte des comportements effectivement mis en œuvre par les agents. De même
sur le marché du travail, par exemple, les cabinets de consultants s’inspirent
aujourd’hui directement de la théorie des paiements compensateurs énoncée la
première fois par Adam Smith pour conseiller les entreprises quant à leur poli-
tique de rémunération. Cette théorie tend donc à devenir de plus en plus valide
pour rendre compte des modalités effectives de fixation des salaires.
1. Au sens de capacité d’un discours à transformer la réalité dont il traite, sens que retient
Callon, qui note : « economics performs, shapes and formats the economy rather than observing
how it functions » ([1998], p. 2).
2. Qu’il ne faut pas confondre avec la simple prophétie auto-réalisatrice.
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