
Sortir de l’économie, n°4, 2012
Introduction
Critique de l’anthropologie économique.
Pour une anthropologie non-économique des fétiches sociaux
Il est toujours très étonnant de constater qu’il existe, en ce début du XXIe siècle, des
anthropologues qui continuent encore à penser qu’il puisse exister le plus sérieusement du monde une
science telle que l’« anthropologie économique ». Depuis que celle-ci est née au XIXe siècle, plus
cette « science » s’est développée au travers de ses différentes enquêtes ethnographiques et
paradigmes épistémologiques successifs, plus le statut de naturalité, de transculturalité, de
transhistoricité de son objet de réflexion - l’économique comme pratique – s’est évanoui. Un paradoxe
certain, où plus la science anthropologique a avancé plus son objet n’a cessé de reculer. Comme dans
les domaines de la productivité, là aussi les rendements furent décroissants. Et plus l’objet devenait
insaisissable et indéfinissable et plus l’anthropologie économique s’est acharnée de toutes les manières
possibles et imaginables, à identifier de « l’économique » dans toutes sociétés humaines historiques.
Le mur du dogme est donc resté inébranlable : encore aujourd’hui l’économique doit toujours être
entendu comme une réalité naturelle, transculturelle et transhistorique. Dans toutes les sociétés et
depuis la nuit des temps, les individus sociaux ont dû répondre à leurs « besoins » par des moyens
divers pour les satisfaire. Les individus n’ont jamais cessé de fabriquer des rapports sociaux (faire
« société ») pour manger, se loger, se vêtir, se sentir en sécuriser, se reproduire biologiquement, etc.
Les trois courants de l’anthropologie économique (les « formalistes », les « substantivistes » et les
« marxistes »), n’ont à aucun moment cherché à dépasser ce cadre commun inconscient auxquels
chacun venait s’abreuver : l’économisme profond.
Cliniquement mort, le caractère naturel et transhistorique de l’économique a été maintenu en vie
tout au long du XXe siècle par la chirurgie plastique anthropologique à grand renfort de nouveaux
paradigmes épistémologiques pour sauver le patient. Ainsi, le substantivisme économique de Karl
Polanyi fut au milieu du XXe siècle, la première tentative de dénaturaliser l’économique mais pour
immédiatement y replonger au travers d’une théorisation fonctionnaliste qui se donnait pour objectif
de sauver l’économique en tant que chose substantive et inapparente après l’avoir critiqué comme idée
et motivation conscientes naturelles et transhistoriques. Sur bien des aspects, cette dernière tentative de
l’anthropologique économique pour s’accrocher - in extremis et de manière particulièrement raffinée -
à l’existence transhistorique de son objet, pose problème depuis plusieurs décennies. Et ce parce que la
prison d’une définition tautologique de l’économique a été sa condition. C’est ainsi qu’il faut se
ressaisir aujourd’hui de la question posée par Maurice Godelier en 1972, parce qu’elle reste
fondamentale : « une anthropologie économique est-elle possible ? »
.
Pour répondre à cette question par la négative, comme l’ont déjà fait un ensemble d’auteurs, il
semble essentiel de dégager, au-delà du caractère imparfait de la classification traditionnelle, un
quatrième courant qui ne fasse justement plus partie d’aucune anthropologie économique (une
anthropologie du non économique). Courant qui puisse nier radicalement la naturalité et le caractère
transhistorique de l’économique. Une position qui, comme le dit Serge Latouche, « récuse
radicalement tout fonctionnalisme, tout naturalisme et tout fétichisme d’une transhistoricité de
Cité par Francis Dupuy, Anthropologie économique, Armand Colin, 2008, p. 15 à partir de Maurice Godelier, Horizon,
trajets marxistes en anthropologie, Maspero, 1973, p. 13.